Total, le pouvoir silencieux du géant du pétrole.

Total s’apprête à développer un colossal projet pétrolier en plein cœur d’un parc naturel dans la région des grands lacs en Afrique. Plus de 400 puits creusés, un oléoduc de plus de 1400 km traversera l’Ouganda et la Tanzanie, permettant ainsi d’extraire 200 000 barils de pétrole par jour. Plus de 100 000 personnes sont en train d’être expropriées pour faire place à ce projet, avec le discret soutien de l’État français …

Couverture rapport AT - Comment l'État fait le jeu de Total en Ouganda Dans une enquête datée du 14 octobre 2021    Les Amis de la Terre, l’Observatoire des multinationales et Survie révèlent les stratégies d’influence déployées par Total pour s’assurer le soutien des autorités françaises dans le développement de son méga-projet pétrolier en Ouganda. Une vidéo annonce de 1’47 » …

Le méga-projet pétrolier au cœur de l’affaire

A terme des millions de personnes seront impactées. Derrière ces chiffres, ce sont des vies entières qui sont bouleversées, notamment celles des leaders des communautés affectées qui subissent régulièrement des pressions et des intimidations. En 2019, les Amis de la Terre France et Survie ont lancé une action en justice en France aux côtés de quatre associations ougandaises.

Les Amis de la Terre, l’Observatoire des multinationales et Survie révèlent aujourd’hui dans un nouveau rapport les diverses stratégies de la major pétrolière pour influencer l’État en faveur de ses intérêts économiques et de son projet pétrolier en Ouganda

Comment l'Etat fait le jeu de Total en Ouganda

Macron et son double-jeu

 

Emmanuel Macron se présente très souvent sur la scène internationale comme un fervent défenseur des droits humains et du climat. Force est de constater l’hypocrisie dont fait preuve le président de la République : il soutient ouvertement le régime autoritaire ougandais ainsi que le projet climaticide de Total. Arrivé par les armes il y a 35 ans, Yoweri Musevini a été réélu en début d’année 2021 dans un contexte de répression sanglante faisant plusieurs morts et disparus. Dans une lettre publiée par la présidence ougandaise ce printemps 2021, Macron félicite le président ougandais pour sa réélection et considère le projet d’oléoduc EACOP de Total comme une « opportunité majeure (…) pour étendre la coopération » entre les deux pays.

La France a également développé une coopération militaire avec l’Ouganda, malgré les exactions répétées de son armée. Aujourd’hui, ce sont les militaires ougandais formés par l’armée française qui sont déployés pour intimider et faire taire les opposants au projet pétrolier de Total.

Les leviers de Total pour avoir toutes les pièces en main

Si Total est « le maître du jeu », c’est bien le résultat d’une stratégie d’influence et de capture des décisions publiques qui repose sur plusieurs leviers. D’un côté, le groupe défend ses intérêts économiques auprès des décideurs, en faisant miroiter revenus, emplois ou prestige pour l’État français. De l’autre, il utilise ses vastes moyens financiers pour « détoxifier » son image . En acceptant que Total sponsorise une grande partie de ses événements, l’ambassade de France en Ouganda participe ainsi au greenwashing de la multinationale, lui donnant une image respectable auprès du grand public.

Les portes-tournantes

Notre enquête décrypte le phénomène des « portes-tournantes », c’est à dire les allers-retours de hauts fonctionnaires entre le secteur public et les grandes entreprises privées. Total a ainsi débauché temporairement ou définitivement des responsables clés jusque dans les cabinets ministériels, ou l’inverse, a placé certains de ses anciens cadres au cœur de l’appareil d’État. Un ancien conseiller du ministre des affaires étrangères est maintenant directeur des Affaires publiques chez Total, et la directrice de la diplomatie économique au ministère a travaillé plus de sept ans pour la multinationale.

Ces allers-retours entretiennent une confusion entre intérêt public et intérêts privés, et donnent à Total un accès privilégié aux décideurs. Les institutions publiques sont quant à elles imprégnées des logiques du secteur privé, et soutiennent aveuglément l’entreprise simplement parce qu’elle fait partie du fleuron de l’industrie française. Comme le montre notre nouveau rapport, les portes tournantes sont particulièrement nombreuses entre Total et les diverses branches de la diplomatie française, et ce n’est évidemment pas un hasard.

Nos demandes

L’État français doit cesser de faire le jeu de Total. Au lieu d’utiliser l’appareil étatique pour aider la multinationale pétrolière à développer ses projets, il pourrait commencer à jouer de son influence diplomatique pour dénoncer les violations des droits humains, les menaces et le harcèlement visant les défenseur·euses en Ouganda.

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Ce rapport s’inscrit dans le cadre de la campagne européenne Fossil Free Politics, visant à libérer les politiques publiques de l’influence des lobbies de l’industrie fossile. Accès privilégié aux décideurs, conflits d’intérêts, portes tournantes, partenariats, etc. : retrouvez le détail de nos demandes ici. En savoir plus sur la campagne Fossil Free politics.

Les institutions publiques dans le jeu de Total

Armée et coopération militaire

Les services de renseignement français et l’appareil diplomatique sont directement impliqués dans la sécurisation des sites pétroliers de Total en Ouganda. L’ambassade de France aurait, selon nos informations, demandé un renforcement des forces de sécurité dans la zone pétrolière dès 2016-2017. Plusieurs programmes de coopération militaire ont été engagés en parallèle, comme la formation de troupes au sein de l’armée ougandaise et des formations à la langue française pour les militaires.

Total, dont le directeur de la Sûreté est l’ancien directeur général de la gendarmerie française,a également noué des relations directes avec la police militaire ougandaise, dont le rôle est crucial pour sécuriser la zone pétrolière face aux menaces extérieures éventuelles… et peut-être surtout face aux opposants au projet pétrolier ou aux membres des communautés qui ne veulent pas céder leurs terres.

Les bras financiers de la diplomatie française

Les institutions publiques comme l’AFD, BpiFrance, ou l’APE sont assez peu connues du grand public. Elles jouent pourtant un rôle central pour les entreprises françaises et la viabilité financière de leurs activités à l’étranger. Une institution comme BpiFrance par exemple peut octroyer des « garanties publiques ». Il s’agit d’un type d’assurance permettant d’injecter de l’argent public pour compenser d’éventuelles pertes financières liées à des risques géopolitiques, économiques ou environnementaux. Ce qui est le cas des projets pétroliers de Total en Ouganda…

Officiellement, aucune demande de garantie n’a été formulée à ce jour. Cependant, la procédure de demande des garanties est peu transparente. Selon nos informations, la perspective d’une garantie publique a bien été évoquée au printemps 2021 entre Total et l’État français, et pour l’instant, le gouvernement n’a pas fait suite à notre demande d’engagement public à ne pas soutenir financièrement les projets Tilenga et EACOP.

L’ambassade française en Ouganda

La voix de la diplomatie française à Kampala est l’ambassadeur Jules-Armand Aniambossou, en poste depuis 2019. Issu de la même promotion de l’ENA qu’Emmanuel Macron, ce Franco-Béninois est une pièce importante de la politique africaine du Président, puisqu’il a été le premier coordinateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique. Il a alterné les positions dans le secteur public et le secteur privé. L’ambassade joue un rôle clé pour défendre les intérêts de Total sur le terrain. À Kampala, l’ambassadeur Aniambossou affiche sa proximité avec le groupe pétrolier. Fin août, il organisait une véritable cérémonie de départ pour Pierre Jessua, Directeur général de Total Ouganda.

La diplomatie française

Pilotée depuis l’Élysée et le siège du ministère des Affaires étrangères au quai d’Orsay, la machine diplomatique inclut le réseau des ambassades et des missions diplomatiques, mais aussi des agences chargées de promouvoir les échanges économiques, la coopération, les relations culturelles, universitaires, etc. On retrouve d’ancien·nes employé·es du groupe pétrolier dans tous les rouages de cette machine.

Un cas qui a fait couler beaucoup d’encre est celui de Jean-Claude Mallet, conseiller spécial de Jean-Yves Le Drian au ministère de la Défense puis au ministère des Affaires étrangères entre 2012 et 2019, qui a rejoint à cette date Total comme directeur des Affaires publiques. Après avoir passé l’essentiel de sa carrière au sein du ministère de la Défense, il est désormais chargé de conseiller le PDG de Total dans ses relations avec les pouvoirs publics en France et à l’étranger.

Les exemples d’autres personnes ne manquent pas pour illustrer les cas de « portes-tournantes », notamment entre Total et le Ministère des Affaires Étrangères.

Le Palais de l’Élysée

Au sommet de l’État, on n’hésite pas à intervenir au plus haut niveau pour marquer son soutien à Total et à ses projets en Ouganda. Depuis son palais de l’Élysée, Emmanuel Macron veut être au centre du jeu, comme indiqué plus haut suite à sa lettre de soutien adressée au Président ougandais.

Emmanuel Macron a aussi nommé à l’ambassade de France à Kampala un proche, Jules-Armand Aniambossou, issu comme lui (et comme son conseiller Afrique, Franck Paris) de la promotion Senghor de l’École nationale d’administration (ENA), et premier coordinateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique. Une illustration du caractère stratégique de l’Ouganda pour la Présidence et pour les intérêts français. Le soutien apporté par Emmanuel Macron aux multinationales françaises s’inscrit dans une tradition bien établie qui voit les présidents de la République se faire accompagner de grands patrons dans leurs visites officielles à l’étranger et annoncer à ces occasions la signature de nouveaux contrats pour leurs entreprises.

Enquête signée par Les Amis de la Terre, l’Observatoire des multinationales et Survie


Le discret soutien de Macron au projet climaticide de Total en Ouganda

Un article de

paru dans Médiapart du

Sans jamais en parler publiquement, le président de la République a écrit à son homologue ougandais pour soutenir les projets de forages pétroliers de la multinationale en bordure d’un des plus grands lacs d’Afrique, ainsi que de méga-oléoducs. À Kampala, l’ambassade de France sert sans réserve le lobbying de Total.

Imaginez 400 puits de forage pétrolier en bordure d’un des plus grands lacs d’Afrique, le lac Albert, dont certains dans le plus vaste et le plus beau parc naturel de l’Ouganda, connu pour ses chutes d’eau vertigineuses et ses hippopotames.

Visualisez ensuite un oléoduc de 1 443 km de long – la distance entre Paris et Rome – qui longerait le lac Victoria, plus grande réserve d’eau douce du continent et source du Nil. Il transporterait sous la terre du pétrole chauffé en permanence à 50 °C pour le maintenir fluide et l’acheminer jusqu’au port de Tanga, en Tanzanie, et ses navires-citernes internationaux.

Ces projets sont en cours de développement par TotalEnergies – le nouveau nom du groupe pétrolier – qui voudrait démarrer la production d’hydrocarbures d’ici à trois ans et demi.

Total possède 56,6 % des champs pétrolifères de « Tilenga », nom inspiré d’appellations locales pour désigner les antilopes. Ses partenaires sont le Chinois China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et Uganda National Oil Company (UNOC), opérée par le gouvernement ougandais. L’exploitation de ces puits à l’ouest du pays et la construction du pipeline géant (baptisé East African Crude Oil Pipeline, ou EACOP) représentent un investissement estimé à 8,2 milliards d’euros par Total, dont la décision finale n’est pas encore prise.

Sur les rives du lac Albert, dans l’ouest de l’Ouganda, le 24 janvier 2020. Des conteneurs de pétrole brut sur le site de forage d’essai de la China National Offshore Oil Corporation, partenaire de TotalEnergies en Ouganda, qui exploite 40 000 barils de pétrole brut par jour. © Photo Yasuyoshi Chiba / AFP Sur les rives du lac Albert, dans l’ouest de l’Ouganda, le 24 janvier 2020. Des conteneurs de pétrole brut sur le site de forage d’essai de la China National Offshore Oil Corporation, partenaire de TotalEnergies en Ouganda, qui exploite 40 000 barils de pétrole brut par jour. © Photo Yasuyoshi Chiba / AFP

La multinationale doit présenter sa stratégie et ses perspectives aux investisseurs mardi 28 septembre. Près d’un milliard de barils pourraient être extraits de Tilenga. S’il était confirmé, ce projet extractiviste d’une ampleur inouïe entrerait en parfaite contradiction avec les préconisations internationales et l’état des savoirs scientifiques sur le climat.

Lors de l’accord de Paris de 2015, les États se sont engagés à limiter le réchauffement climatique « bien en deçà » de 2 °C et « si possible » à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Pour garder une chance de tenir cet objectif, il faudrait laisser dans le sol près de 60 % des réserves de pétrole et de gaz d’ici à 2050, selon une étude parue dans la revue Nature en septembre dernier.

L’Agence internationale de l’énergie, pourtant historiquement favorable aux énergéticiens, préconise désormais l’arrêt de l’exploration de nouveaux sites pétroliers « au-delà de ceux déjà engagés en 2021 » pour limiter la catastrophe climatique.

Face à cela, la multinationale affirme que les développements de Tilenga et EACOP correspondent à sa stratégie de privilégier les exploitations dont « le point mort » économique est bas. Le groupe estime que pour ce projet il se situerait à 50 dollars le baril, à comparer à l’actuel cours d’environ 80 dollars. Et que l’extraction de ce pétrole serait « efficace en termes d’émissions de gaz à effet de serre », autour de 13 kg de CO2 par baril, contre une moyenne de 20 kg dans ses productions actuelles.

Une plainte a été déposée contre TotalEnergies par six ONG françaises et ougandaises en octobre 2019, au titre de la loi sur le devoir de vigilance. Plus de 30 000 personnes doivent être déplacées pour céder la place aux forages de Tilenga. Et plusieurs dizaines de milliers d’autres habitant·e·s perdront à leur tour l’accès et l’usage de leurs terres en raison de la construction du méga-oléoduc, selon plusieurs enquêtes d’ONG comme les Amis de la Terre et Survie, ou la Fédération internationale pour les droits humains.

Violation des droits de la propriété, atteintes aux moyens d’existence, dégradation des conditions de vie, difficultés dans l’accès aux soins et à l’école : plus de 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie ont subi des violations de leurs droits, selon leurs rapports.

« Nous ne rendons jamais publiques les lettres échangées entre le chef de l’État et ses homologues. » L’Élysée

Et pourtant, l’Élysée soutient et encourage ces projets. En toute discrétion. À la suite de la réélection de Yoweri Museveni à la présidence de l’Ouganda, début 2021, Emmanuel Macron lui a envoyé un courrier de félicitations. Cette lettre aurait dû rester confidentielle. « Nous ne rendons jamais publiques les lettres échangées entre le chef de l’État et ses homologues », assure l’Élysée.

Mais le Centre des médias de l’Ouganda, organe de communication du gouvernement ougandais, en a publié des extraits dans un communiqué, le 1er mai 2021.

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Passé inaperçu dans la presse française, il avait été repris par quelques journaux de ce pays de l’est de l’Afrique. On y lit que la signature de la décision finale d’investissement entre l’Ouganda, la Tanzanie et Total concernant l’oléoduc EACOP, « qui permettra l’exploitation et l’exportation du pétrole », sera « une opportunité majeure d’intensifier le commerce entre nos deux pays et de développer davantage notre coopération ». Le président français ajoute : « Vous pouvez compter sur moi pour mobiliser l’expertise et les investisseurs français pour augmenter la présence française en Ouganda. » 

Interrogé par Mediapart au sujet de l’origine de cette lettre, le directeur du centre des médias de l’Ouganda confirme que ces citations « sont extraites d’une lettre de félicitation que le président Macron a envoyée en mai au président Museveni, lors de sa réélection ». 

Si bien que l’Élysée est à son tour obligé de reconnaître l’authenticité du courrier, en réponse à notre relance : « Il s’agit d’un important projet d’investissement qui implique une entreprise française. À ce titre, il a été mentionné dans des échanges à haut niveau avec les autorités ougandaises. » 

Franck Riester, le ministre du commerce extérieur et de l’attractivité, doit se rendre fin octobre dans les pays anglophones de l’Afrique de l’Est : Tanzanie, Kenya, Ouganda et Rwanda. « Le déplacement du ministre n’a rien à voir avec le projet mentionné », affirme son cabinet, qui préfère mettre en avant des projets sur la ville durable avec le Kenya. Et l’importance de soutenir les PME. Dans sa lettre à la présidence ougandaise, Emmanuel Macron annonce pourtant la future visite de son ministre « en lien avec notre désir mutuel d’intensifier notre partenariat ». 

Total affirme de son côté : « Nous n’avons pas connaissance d’un courrier du président Macron au président Museveni concernant spécifiquement le calendrier de réalisation du projet EACOP. » Le groupe a-t-il l’intention de solliciter l’aide de la Banque publique d’investissement (BPI) pour obtenir des crédits à l’exportation ou des garanties d’emprunt ? « Non, il n’est pas prévu de solliciter le soutien des garanties export à la France, car il y a peu d’entrepreneurs français intervenant dans la construction du projet. » La multinationale précise que « ce projet est mené par TotalEnergies sans intervention de l’État français ».

Ce que confirme Bercy, interrogé par Mediapart : « Le ministère de l’économie n’étudie pas des manières d’aider ce projet. » Ainsi que l’Élysée : « Il n’y a pas eu d’autres formes de soutien », en dehors du courrier envoyé à Museveni.

Pourtant, entre la sphère publique et Total, la frontière n’est pas étanche. Dans une récente « lettre Afrique projets » de Business France, l’agence publique qui accompagne les entreprises françaises dans leurs exportations, on peut lire en juillet dernier des informations sur l’attribution d’un contrat d’ingénierie à un consortium international, concernant le projet Tilenga.

Et Proparco, la filière dédiée au secteur privé de l’Agence française de développement (AFD), publie dans sa revue (premier trimestre 2021)  un long article sur « l’approche de Total pour répondre aux enjeux de biodiversité », écrit par deux responsables du groupe pétrolier : son spécialiste biodiversité au sein du département Environnement et sa directrice Environnement et sociétal. Il y est question de Tilenga et du « gain net en biodiversité » qui découlera selon eux des projets pétroliers en Ouganda.

Surtout, à Kampala, l’ambassade de France se démène pour soutenir TotalEnergies. Les fils Twitter de la représentation française en Ouganda et de l’ambassadeur de France lui-même, Jules-Armand Aniambossou, en offrent l’éloquente illustration.

Le 29 septembre 2020, il déclare « être très fier que Total, une compagnie française, fasse partie du secteur pétrolier et minier en Ouganda ».

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L’ambassadeur s’exprime alors dans le cadre des « 90 jours du pétrole et des mines », une opération de communication montée par le lobby de ce secteur industriel et sponsorisée par Total, notamment. Le même jour, il « réaffirme l’engagement de la France à accompagner l’Ouganda dans le développement du secteur du pétrole et du gaz ». Le compte Twitter de l’ambassade diffuse le message, photo du diplomate à l’appui, et l’adresse en particulier à la branche de Total en Ouganda.

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Quelques jours plus tôt, Jules-Armand Aniambossou retweete de son compte personnel un message de TotalEnergies annonçant la conclusion d’un accord sur l’entrée de la société publique ougandaise UNOC dans les champs pétrolifères du lac Albert, ainsi que sur la gouvernance du futur oléoduc.

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Presque un an plus tard, le 23 août 2021, l’ambassade de France organise une réception d’adieu en l’honneur du directeur de Total en Ouganda, Pierre Jessua, alors qu’il quitte le pays. Un tweet du compte officiel de l’ambassade de France à Kampala, rediffusé par l’ambassadeur lui-même, souhaite « bon vent à Pierre » et « bienvenue à Philippe », prénom de son successeur, Philippe Groueix. Hashtag : « TotalEnergies ». 

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La résidence de l’ambassadeur accueille régulièrement « le club d’affaires de Kampala » pour des repas ou des cocktails. Un convive, joint par Mediapart mais préférant rester anonyme, décrit une soirée de networking, avec des avocats et des entrepreneurs, en présence de l’ancien directeur général de Total, en 2020.

Nommé en Ouganda en juillet 2019, Jules-Armand Aniambossou n’est pas n’importe quel ambassadeur. Ancien condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA, dans la promotion Senghor de 2004, il fut jusqu’en juin 2019 le coordinateur du conseil présidentiel pour l’Afrique, un cercle informel de Français·e·s d’origine africaine supposé le rapprocher des sociétés civiles du continent. Des « premiers de cordée (entrepreneurs, banquiers, professeurs, journalistes) pas vraiment représentatifs des diasporas africaines des banlieues », décrit Antoine Glaser dans son livre Le Piège africain de Macron.  Aniambossou est un « très proche » du président, selon lui, « parachuté sur le continent » dans un « pays stratégique pour la diplomatie d’influence hors du pré carré français ».  

Est-ce vraiment le rôle d’un ambassadeur de soutenir le groupe TotalEnergies dans un projet pétrolier aussi dangereux pour le climat et les droits humains ? Sollicité par mail, le diplomate n’a pas répondu à notre question. Une source diplomatique explique que « ce projet économique est conduit en Ouganda par une entreprise privée, qui a des obligations légales de vigilance. Par ailleurs, la France rappelle son engagement, partout dans le monde, au respect des droits de l’homme et aux impératifs de protection de l’environnement ».

Le soutien apporté à Total par l’antenne diplomatique en Ouganda a commencé avant la prise de poste de Jules-Armand Aniambossou. Sa prédécesseure, Stéphanie Rivoal, a organisé plusieurs festivités directement sponsorisées par Total. En 2019, une fête du Beaujolais nouveau pour plus de 800 invité·e·s (diplomates, expatrié·e·s, chef·fe·s d’entreprise, employé·e·s, etc.). Quand la diplomate lance la soirée depuis la tribune, un gros logo Total s’étale sur un écran déroulé derrière elle.

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Le 14 juillet 2017, année de l’élection d’Emmanuel Macron, elle organise un grand bal musette sur le thème de 1936 et de la « (R)évolution sociale ». Le sponsor principal en est Total, dont le logo répété deux fois surplombe ceux d’autres grandes marques (Bolloré logistics, la banque Stanbic, les ciments Hima, Renault…).

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Sollicitée par courriel, Stéphanie Rivoal n’a pas répondu à notre message.

En 2021, le groupe pétrolier a encore sponsorisé toute une série d’événements culturels, organisés cette fois-ci par l’Alliance française de Kampala : des stages de hip-hop, un mural de graffitis, de la création vidéo ou musicale.

En mai dernier, Hilda Flavia Nakabuye, une jeune activiste du mouvement Fridays for future, les grèves du climat lancées par Greta Thunberg, a écrit une lettre à Emmanuel Macron et Patrick Pouyanné, le PDG de Total. La missive n’a pas encore été envoyée. Elle y dit : « Nous, Ougandais, aspirons à nous développer mais pas au péril de nos vies. Nous sommes fatigués de nuits sans sommeil à craindre la prochaine inondation à venir. M. Pouyanné, vous avez 57 ans. J’espère vivre aussi longtemps que vous. C’est pourquoi je me bats pour mon présent et pour mon futur. » À ses yeux, face au changement climatique et aux risques de pollutions pétrolières, ce futur est « plus qu’incertain ».


En savoir plus sur L’Emprise Total …

Une série documentaire en quatre épisodes produite par Lumento Films pour Greenpeace France . La bande annonce de 1’31 »

À notre insu, Total est partout dans nos vies : écoles, musées, stades… La multinationale use de son immense pouvoir d’influence pour garantir la pérennité de son modèle économique basé sur les énergies fossiles. De manière plus ou moins discrète, la multinationale pétro-gazière Total s’incruste dans différentes sphères de la société et dans nos vies afin de biaiser notre perception de la réalité et ainsi accroître l’acceptabilité sociale de son modèle économique, alors qu’il engendre la destruction du climat. Comment s’y prend-t-elle et avec quels objectifs ?

Épisode 1 . Durée 18 min

La puissance n’est plus l’apanage des États. Total, en tant que multinationale de l’énergie, dispose d’une influence immense. Force d’attraction, pouvoir de séduction : Total se faufile insidieusement dans différentes sphères de la société et dans nos vies, pour assurer l’acceptabilité de son modèle économique et garantir sa rentabilité. C’est ce qu’on appelle le « soft power ».

Épisode 2 -Durée 21′

Non content d’être présent dans les musées, les stades, les cercles politiques et économiques, le groupe Total s’infiltre également dans les écoles, de la primaire à l’enseignement supérieur. Maintenir son attractivité auprès des cerveaux les plus brillants et des futur·es cadres de la nation est un enjeu stratégique. Sur cette question, Total ne laisse rien au hasard …

Épisode 3 -Durée 21′

Total se rend au musée bien plus souvent que vous ne le croyez. Souvent discrète, sa présence est pourtant loin d’être anodine. Total s’incruste, s’installe et se rend indispensable dans le monde de la culture. Pourquoi ? Pour se racheter une virginité, certes. Mais pas uniquement …

Épisode 4 -Durée 24′

Malgré ses efforts de communication sur son tournant vert, les publicités de Total peinent à convaincre de sa sincérité. Mobilisation des citoyen·nes et des investisseurs, justice climatique, régulation de la publicité sont autant de dynamiques qui font vaciller l’acceptabilité sociale du “modèle Total”, auxquelles nous pouvons donner de l’ampleur. Pour renverser la vapeur et nous libérer des carcans du géant du pétrole, des solutions existent …


Changement climatique : des documents internes prouvent que les pétroliers étaient au courant

Le magazine Complément d’Enquête du 20 octobre 2021  vient de révéler l’attitude fautive de Total au siècle dernier. Le pétrolier français aurait tenté de minimiser le rôle de l’exploitation du pétrole dans le réchauffement climatique alors qu’il était alerté dès 1971 … Extrait de 2’21 » dans le Journal de 20H

Changement climatique : Total était alerté depuis 50 ans

Un article signé Sandrine Feydel publié franceinfo / France Télévisions
Des documents confidentiels, auxquels l’émission « Complément d’enquête » a eu accès, révèlent que le groupe pétrolier français était au courant des conséquences de l’exploitation des énergies fossiles sur le climat dès les années 1970 …

La tour Total dans le quartier d'affaires de La Défense, le 1er juin 2019. (ELKO HIRSCH / HANS LUCAS / AFP)

Le scénario du réchauffement climatique est-il connu depuis longtemps ? Les entreprises pétrolières auraient été au courant de l’impact de la combustion des énergies fossiles sur le climat dès les années 1970, selon des documents inédits issus des archives des sociétés Elf et Total, que l’équipe de « Complément d’enquête » a pu consulter. Ces révélations sont le fruit du travail de trois chercheurs qui publient, mercredi 20 octobre, un article scientifique* sur « les réactions de Total et Elf face au réchauffement climatique ». Ces entreprises françaises auraient également nié l’impact des activités humaines sur le climat, jusqu’aux débuts des années 2000, comme le dévoile l’émission diffusée jeudi à 23 heures sur France 2.

Dès 1971, par exemple, dans Total information, le magazine interne de l’entreprise, un expert français de la recherche climatologique avertit sur les risques futurs de la combustion d’énergies fossiles. Il écrit qu’à cause de la combustion de ces énergies fossiles, une augmentation de la température serait à craindre : « La circulation atmosphérique pourrait s’en trouver modifiée, et il n’est pas impossible, selon certains, d’envisager une fonte au moins partielle des calottes glaciaires des pôles, dont résulterait à coup sûr une montée sensible du niveau marin. Ses conséquences catastrophiques sont faciles à imaginer… »

« Tous les modèles sont unanimes à prédire un réchauffement »

En 1986, un rapport confidentiel rédigé par la direction environnement de Elf (alors entreprise publique) reconnaît parfaitement le risque climatique. On peut y lire que « l’accumulation de CO2 et de CH4 [le méthane] dans l’atmosphère et l’effet de serre qui en résulte vont inévitablement modifier notre environnement. Tous les modèles sont unanimes à prédire un réchauffement ».

Pourtant, alors que la réalité de l’origine humaine du réchauffement climatique est connue, et donc reconnue en interne par les entreprises, elles la mettraient publiquement en doute, voire la nieraient. Christophe Bonneuil, l’un des auteurs de l’étude, historien et directeur de recherches au CNRS, parle même de « schizophrénie ».  « Il y a un décalage entre ce qui est dit en interne et le discours qui était porté vers l’extérieur, vers les décideurs politiques, les arènes internationales, le gouvernement français ou la communauté européenne. Là, au contraire, il y a l’idée de ‘ne pas agir trop vite puisqu’il y a beaucoup d’incertitudes’, en contradiction déjà avec les conclusions du premier rapport du Giec, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, publié en 1990. »

Les chercheurs citent ainsi plusieurs documents, comme la transcription du discours du président d’honneur de Total en 1992, lors d’une conférence sur l’énergie, qui affirme que « rien n’est aussi simple ni tranché. Ces phénomènes sont pauvrement compris, la corrélation n’est pas prouvée (…) Les chercheurs sont divisés ». Ou encore cette citation du directeur environnement de Total en 1992 affirmant dans une communication interne qu’« il n’existe aucune certitude sur l’impact des activités humaines, parmi lesquelles la consommation d’énergies fossiles ».

Insister sur « les doutes scientifiques »

Les entreprises auraient même planifié leur stratégie pour gagner du temps et ne pas prendre les mesures qui s’imposaient. L’un des documents dévoilés par « Complément d’enquête » date de 1993. Il s’agit d’« un plan d’action » concernant « l’effet de serre », présenté à la direction générale du groupe. Bien que la société Elf reconnaisse en interne le risque climatique, un haut cadre de l’entreprise conseille pourtant d’insister sur « les doutes scientifiques en matière d’effet de serre », de « montrer que contrairement à une idée à la mode, l’écologie est plus destructrice que créatrice d’emplois », ou encore de « développer le thème : les charges de l’environnement sont supportées par le contribuable et/ou par les consommateurs ».

« Complément d’enquête » a pu contacter l’auteur de cette note, qui persiste à dire que le débat scientifique n’était pas encore tranché à l’époque. Bernard Tramier, directeur environnement chez Elf de 1983 à 2000 avant d’officier chez Total jusqu’en 2003, commente ainsi ce document : « Les relations que j’avais dans le cadre de mon monde environnemental et scientifique me faisaient penser que c’était vrai, que ce problème [du réchauffement climatique] allait surgir. Et puis, il y avait une ligne qui était plus une ligne économico-financière qui disait ‘oui mais peut-être qu’on peut voir, il n’y a pas urgence’, qu’il fallait y aller doucement. »

Jusqu’au début des années 2000 (Elf et Total ont fusionné en 2000), « Total présente les dérèglements climatiques avec ambiguïté », écrivent les chercheurs. En 2002, dans le premier « rapport sociétal et environnemental », on peut encore lire que les émissions dues aux activités humaines « seraient à l’origine des changements climatiques ».

Contacté avant la publication de l’article dans la revue scientifique Global Environmental Change, le service de presse de Total nous a fait savoir qu’il était « faux de soutenir que le risque climatique aurait été tu par Total dans les années 1970 ou ensuite, dès lors que Total suivait l’évolution des connaissances scientifiques disponibles publiquement ». L’entreprise précise que, depuis 2015, la « compagnie est engagée dans une profonde transformation de ses activités avec l’ambition d’être un acteur majeur de la transition énergétique, (…) d’atteindre la neutralité carbone, de la production jusqu’à l’utilisation des produits énergétiques vendus à ses clients, à horizon 2050 ».

* Alertes précoces et émergence d’une responsabilité environnementale : les réactions de Total face au réchauffement climatique, 1971-2021, par Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet, Benjamin Franta pour Global Environmental Change