La pandémie aura agi, pour lui, comme un révélateur. « Je m’en doutais un peu, mais j’en suis désormais sûr, la connerie est devenue l’idéologie dominante dans notre pays et il est temps de réagir« , énonce Christophe Alévêque. L’humoriste qui avait, en 2016, tenté de reconstruire la gauche en organisant chez lui des dîners de réconciliation entre socialistes, communistes et écologistes, publie un manifeste et vient de fonder un club d’un tout nouveau genre …
Christophe Alévêque recrute des « vieux cons »
ENTRETIEN. L’humoriste lance un club destiné à fédérer ceux qui ne se retrouvent pas dans la société actuelle. Il en détaille les raisons au Point.
Propos recueillis par Baudouin Eschapasse dans Le Point du
Le Point : Comment est née l’idée de votre association ?
Christophe Alévêque : Cela fait longtemps que j’y réfléchis. Depuis une quinzaine d’années, je ne me sens plus trop en phase avec mon époque. Je réalise que tous les idéaux que je défendais – la justice, la tolérance, le partage, l’égalité – sont tombés dans l’escarcelle de groupuscules qui ont dévoyé ces beaux principes. Ces mouvements promeuvent, de fait, un nouvel ordre moral et entretiennent des milices pour ne pas dire une police de la pensée.
Vous faites désormais partie de ceux qui prétendent qu’on ne peut plus rien dire ?
Certains sujets ne peuvent plus être abordés sans qu’automatiquement on nous tombe dessus. Disney est poursuivi en justice parce que La Belle au bois dormant est embrassée sans son consentement. On ne vend plus de « tête de nègre » dans les boulangeries. Est-ce parce que la recette indique qu’il faut fouetter des blancs (en neige) ? C’est assez effrayant quand on y pense. Si j’ai le malheur de critiquer un peu ma famille politique [Christophe Alévêque se revendique de gauche, NDLR], si je pointe que certains mouvements antiracistes sont devenus intolérants, si je dis que je m’inquiète du « wokisme » et de la « cancel culture », alors on m’accuse d’avoir basculé à droite comme si j’avais contracté une maladie. Je me surprends à faire attention à ce que je dis. On me dit que je ne dois pas parler des Noirs, des gros, des femmes ! Le champ de la liberté d’expression ne cesse de se réduire comme peau de chagrin. Au point qu’il devient de plus en plus difficile d’exercer mon métier d’humoriste. Comme je ne suis pas adepte de l’autocensure, j’ai décidé de réagir.
Par ce club ?
Oui, en réunissant tous les hommes et les femmes de bonne volonté : celles et ceux qui ne se résignent pas à l’émergence d’une société où existerait un couvre-feu moral.
Après Zemmour, vous vous lancez donc en politique ?
Pas du tout. C’est un cercle d’échange, pas un parti. Je veux créer un endroit où nous allons nous réunir pour discuter, rigoler, boire un coup mais sûrement pas accoucher d’une nouvelle idéologie. Je suis vacciné contre la politique.
Pourquoi ?
J’ai beaucoup donné dans ce domaine. Notamment lorsque j’ai organisé dans la plus grande discrétion des réunions chez moi, dans l’espoir que la gauche arrêterait avec ses guéguerres intestines et se placerait en ordre de marche derrière une candidature unique pour 2017.
Qu’est-ce qui n’avait pas marché à l’époque ?
Deux choses : Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas rendu à mon invitation et Christiane Taubira a finalement choisi de ne pas se présenter. Tant que François Hollande n’avait pas indiqué clairement ses intentions, elle se refusait à se lancer dans la bataille. Hollande ayant tergiversé et tardé à dire s’il y allait ou non, elle a renoncé. Mais cela s’est joué à un cheveu. Autour de la table, tout le monde était prêt à s’engager derrière elle.
Pour revenir à votre « club des vieux cons », ne craignez-vous pas de coaliser tout ce que la France compte de réactionnaires ?
Non. Le bulletin d’inscription est très clair : « Intolérants de tout bord, racistes, antisémites, ségrégationnistes, complotistes, conspirationnistes, passez votre chemin… » J’ajoute que nous ne voulons réunir que les « vieux cons modernes », c’est-à-dire des gens qui interrogent notre époque sans nostalgie des temps anciens. En clair des libres penseurs, conscients que les nombreuses crises (sociétale, économique, civilisationnelle) que nous traversons ne se résoudront pas en cherchant des boucs émissaires.
Quel est votre modèle en matière de libre pensée ?
Le marquis de Sade. Cet homme était un génie. S’il revenait parmi nous, il ne pourrait publier aucun de ses livres, il se ferait massacrer par le tribunal de l’opinion. Je ne me résous pas à l’idée que la défense de nos libertés ait été préemptée par l’extrême droite. J’étais à Avignon cet été. Après mon spectacle, nous avons vu passer une manifestation dénonçant les atteintes à la liberté liées à l’adoption du pass sanitaire. J’étais sur le point de me lever pour rejoindre le cortège quand j’ai vu passer un drapeau à fleur de lys. Il était suivi par un petit groupe de têtes rasées. Je me suis rassis. Je me suis dit que j’avais raté un truc. Quand c’est l’extrême droite et les monarchistes qui défilent dans la rue au nom de la liberté, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Comme on dit au rugby, il est plus que temps de revenir aux fondamentaux.
Qu’attendez-vous du club que vous créez ?
Qu’il redonne aux gens le goût du dialogue, mais aussi, pourquoi pas, de la transgression ; que ses membres y partagent un esprit critique qui nous fasse sortir de cette spirale folle qui nous a installés dans une société que je qualifie « de l’effet inverse ». Aujourd’hui, plus on promeut la laïcité, plus elle est en danger. Plus on diabolise la violence, plus brutales sont les réactions. Quand on appelle à plus de justice sociale, les inégalités progressent. La société multiraciale s’est transformée en société multiraciste. C’est terrifiant. Mais le pire, c’est que nous sommes collectivement responsables de cette dérive. Ce n’est pas la faute du système. Le système, c’est nous. Je veux réunir tous ceux qui, comme moi, en ont marre d’être encadrés, recadrés, entravés partout, tout le temps. Ceux qui revendiquent le droit de se tromper, mais qui veulent pouvoir le faire dans la joie et la bonne humeur. On ne veut pas des gens qui arrivent avec des solutions, mais surtout des personnes qui acceptent de se poser des questions.
Quel est le profil type du « vieux con » ?
Comme le précise l’article 1 de ma charte : « Le Vieux Con moderne n’a pas d’âge. Il a le sexe qu’il veut. Il n’a pas de couleur de peau définie, d’orientation politique, sexuelle ou religieuse particulière. Et il t’emmerde. »
La première réunion se tient ce soir dans un café du 11e à Paris. Comment s’inscrire ?
Les coordonnées sont dans mon livre. Mais nous allons bientôt créer un site Internet.
Peut-on citer quelques membres célèbres ?
Je ne suis pas trop adepte du name dropping. Viendront ceux qui voudront venir. Je ne cherche pas à rassembler des célébrités, mais j’ai de bonnes raisons de penser que plusieurs de mes amis auront envie de s’encarter. Je pense à Laurent Ruquier, au chanteur Renaud, à Patrice Leconte ou encore à Jean-Michel Ribes.
Jean-Michel Ribes, chez qui vous allez jouer un spectacle qui s’intitulera justement Vieux con moderne.
Oui. Ce spectacle est en rodage. Je tourne actuellement en province mais nous serons au théâtre du Rond-Point, à Paris, en mars 2022. Le rire est un antidote efficace par les temps qui courent. C’est parfois même un acte de résistance.
Est-ce un hasard si votre spectacle parisien se tient juste avant la présidentielle ?
Oui, c’est une pure coïncidence. Quand nous avons arrêté les dates, nous sortions tout juste de confinement, nous n’avons pas pensé une minute à l’élection. Mais du coup, je consacrerai deux revues de presse exceptionnelles lors du premier et du deuxième tour.
« Vieux Con », le nouveau spectacle de Christophe Alévêque fait étape à Montceau-les-Mines, la ville de son enfance
L’humoriste est de retour sur scène avec sa revue de presse improvisée qui décortique l’actualité. Sa nouvelle tournée, ironiquement intitulée « Vieux con », passe dans toute la France.
Un « vieux con moderne », c’est ainsi que se définit Christophe Alévêque, dans son dernier livre. Malmené comme ses collègues deux années durant par la pandémie, l’humoriste originaire de Montceau-les-Mines en Saône-et-Loire, retrouve avec plaisir le public. Un nouveau spectacle, des revues de presse sans cesse renouvelées avec en ligne de mire la campagne présidentielle, il aborde sa saison 2021-2022 comme un marathon. Sa tournée passe dans toute France et à Paris où il sera sur les planches du Théâtre du Rond-Point du 10 mars au 3 avril 2022.
Le « monstre médiatique » Zemmour et la fête des voisins en Afghanistan
Avant de monter sur scène, le rituel est toujours le même. Christophe Alévêque s’installe dans sa loge pour éplucher les journaux et les sujets d’actualité. « J’essaie de repérer dans les infos ce qu’il y a entre les lignes », révèle-t-il. Un travail long et méticuleux qui lui permet ensuite d’écrire les grandes lignes de sa revue de presse. « C’est un spectacle d’improvisation où il n’y a pas de structure pour ne pas pratiquer l’autocensure », dévoile-t-il.
Mais contrairement aux revues de presse traditionnelles, l’humoriste revient sur des sujets trop vite tombés dans l’oubli. « L’Afghanistan dont on ne parle plus du tout, on a l’impression que le dossier est plié. Tout va bien là-bas, ils organisent la fête des voisins ». Depuis qu’il a commencé à se produire à la fin des années 1980 dans les cafés-théâtres, Christophe Alévêque n’hésite pas à étriller les idéologies qui l’agacent. « Je pense que je parlerais du monstre médiatique qu’est devenu Eric Zemmour », révèle-t-il.
Mémoires d’un « Vieux con moderne »
À force de taper tous azimuts sur ses contemporains, Christophe Alévêque s’est rangé dans la catégorie des « vieux cons modernes ». L’humoriste en fait son étendard qu’il défend fièrement dans un livre paru au mois d’octobre 2021. « Le nouvel ordre moral a transformé le vieux con en résistant. C’est quelqu’un qui lutte contre le bien parce que tout ce qui est liberticide en ce moment est fait pour notre bien », affirme-t-il avec ironie.
Christophe Alévêque a même créé un club des Vieux cons modernes sur internet. L’inscription est gratuite mais pas ouverte à tous. « Intolérants de tout bord, racistes, antisémites, ségrégationnistes, complotistes, conspirationnistes ; passez votre chemin », prévient en préambule le site.
Christophe Alévêque est tournée dans toute la France avec sa revue de presse jusqu’en février 2022. « Vieux con » prend ses quartiers au théâtre du Rond-Point du 10 mars au 3 avril 2022. Une série « Spéciales présidentielles » est prévue en avril 2022.
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