A la morgue des rêves se trouvent les cauchemars…

Jean Raymond Jacob raconte … « J’ai fait un rêve. C’était le 11 mai, je me réveillais… On y était.  Cette bon sang de journée je l’attendais : enfin je pouvais passer le seuil de la maison sans une laisse d’un kilomètre. Mon laisser-passer d’une heure dans la poche, celui-qui, à chaque fois, me donnait la sensation que je m’autodétruirais avant de pouvoir rejoindre mon domicile si je dépassais le temps qui m’était imparti … »

[7ème semaine de confinement]

« Moi qui aime la vie quand elle n’est pas trop facile…
Me v’là bien servi.
Je suis sur le toit de ma maison.
Il fait beau.

D’ici je vois,
flottant au vent comme le drapeau d’un vaisseau voguant sur un océan sans issue, le rideau rose de la fenêtre entrebâillée de la voisine d’en face…
Mon regard perché plonge dans la rue vide, travelling sur le bitume déserté par la vie comme après la bombe à neutron.
Où sont les gamins trottinettes et jeux de ballon ?
Et qu’aurait dit le môme Gavroche lui qui n’avait pas sa langue dans la poche ?
Il fait beau.

A la morgue des rêves se trouvent les cauchemars…
J’ai fait un rêve

C’était le 11 mai, je me réveillais… On y était.
Cette bon sang de journée je l’attendais : enfin je pouvais passer le seuil de la maison sans une laisse d’un kilomètre.
Mon laisser-passer d’une heure dans la poche, celui-qui, à chaque fois, me donnait la sensation que je m’autodétruirais avant de pouvoir rejoindre mon domicile si je dépassais le temps qui m’était imparti.

Je respirais, j’inspirais et expirais profondément et lentement.

Pour préparer mon esprit, mon corps à cette liberté nouvelle qui s’offrait à moi ce jour.

Ma tête carburait grave comme rarement à mon réveil.
Je n’avais même pas encore bu mon infusion du matin.
Je l’avais imaginée mille fois cette sortie, renouer avec notre vie d’avant, sauter de joie dehors, saluer d’autres voisins plus loin que ceux du bout de ma rue, prendre le vélo et foncer chez la fleuriste acheter autant de fleurs que mes bras pouvaient en contenir…

J’y étais, une dernière inspiration et je me lève… enfin j’essaye.
Mon cerveau le désire mais mon corps ne suit pas…
Je reste cloué sur mon lit, les bras en croix.

Je panique, pensant que la paralysie s’était installée en moi pendant la nuit.
J’appelle, aucun mot ne sort de ma bouche.
Je cauchemarde ? Mais non, je viens de me réveiller.

Je ne me pince pas, de toute manière j’étais paralysé.
Je sens l’angoisse couler dans mes veines.
Quand une lumière éblouissante envahit ma chambre.

La porte de mon dressing s’ouvre sur une céleste musique.
Apparaît une grande créature, de couleur bleue, fine et transparente, à la chevelure abondante. Elle ne marche pas, elle glisse jusqu’à mon lit et vient se pencher au-dessus de moi.

Qui êtes-vous ? lui demandai-je, ayant étrangement retrouvé ma voix, mais toujours les bras en croix.
Elle : Je suis Sainte-Confinée.
Moi : C’est à vous, qu’ici-bas, je dois d’être cloué ?
Elle : In fine oui me répondit-elle, je suis venue vérifier.
Moi : Vérifier quoi ? Dis-je d’une voix exaspérée mais pétocharde.
Elle : Vérifier que vous voulez vraiment vous lever.
Moi : Me lever ? Mais oui, bien sûr je le veux !
Elle : Si telle est votre volonté, je vous laisserai et disparaîtrai mais, avant cela, je voudrais vous poser à nouveau cette question : tenez-vous vraiment à vous lever ?

Je m’apprêtai à lui répondre une bonne fois pour toute, je n’en eus point le temps. Sainte-Confinée avait bel et bien disparu sans tambours ni trompettes, et sans flash éblouissant.

Non, elle n’était plus là, c’est tout… me laissant seul avec sa question.
Je mis quelques secondes à comprendre que tout cela n’était qu’un rêve ou un début de cauchemar, et qu’à l’instant T, je venais vraiment de me réveiller.

J’étais éveillé mais ne pouvais écarter de mon esprit cette question qui me revenait en écho : « veux-tu vraiment te lever ? ».
Et si ce rêve était prémonitoire, si Sainte-Confinée m’était apparue un peu comme la Vierge à Bernadette pour faire passer un message au reste de la France ?

Celui-ci : Le 11 mai, reste couché !!!
Ou bien, la révolution se fera au lit ou ne se fera pas…

Imaginez camarades, le 11 mai, toute la France reste au plumard, peinard, les doigts de pieds en éventail.

Un café dans la main droite, la zapette dans la main gauche pour regarder sur BFMerde, la ministre du travail Muriel Pénicaud nous dire « bon, ben, quoi ? alors, y‘a un mouvement ? qu’est ce qui se passe ? ».

Puis zapper sur CpasdesNews et voir la tronche défaite du patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, en direct de sa maison du Croisic, en short et en sandales, éructant devant la caméra que si on ne se lève pas, les congés payés Walou ! La semaine des 35 heures FINIE ! et les jours fériés terminés !!!

Et de notre pieu, nous leur ferons une seule réponse : qu’ensemble et de tous les foyers de France, de la ville à la campagne, fenêtres grandes ouvertes, on entendra monter un cri unanime et sans conteste !

« On reste au plumard ! on reste au plumard ! On reste au plumard ! »

Murielle Pénicaud : « ben non le peuple, ce n’est pas possible, il y a du boulot ! Il faut remonter la France, tout ça nous a coûté cher, les gens, allez au travail ! ».

Et si cette fois, on leur faisait vraiment le coup, celui de refuser le monde d’avant, le monde qui pue le pouvoir et le pognon, les gaz d’échappements, les pesticides et le consumérisme à outrance, et si on changeait de mode de gouvernance et si, et si, on le réinventait enfin, notre monde ?

Alors faites comme moi à qui la lumière est apparue dans son confinement.

Écoutez le chant des oiseaux et le 11 mai, restez couché·e·s !
Car ne vaut-il pas mieux être un confiné qu’un con in fine ? »

Jean-Raymond JACOB
Directeur artistique
Compagnie Oposito – Le Moulin Fondu (CNAREP)


Retrouvez le précédent cauchemar de confiné de Jean Raymond Jacob …

« On nous a volé le printemps … »