À Brest, le nouveau stade de foot menace une précieuse « trame verte » …
Étonnant, même, alors qu’une zone commerciale grouille d’activité à une centaine de mètres à peine. Un vieux mur envahi par les ronces et les fougères révèle l’existence d’un manoir en ruine où dorment régulièrement plusieurs espèces de chauve-souris. Loin au-dessus de nos têtes tournent trois buses.
« Tout ça, ça dégage ! » La sentence est lâchée avec amertume par Béatrice Touarin, membre du Collectif contre le nouveau stade de football de Brest. Telle est la menace qui plane sur cette zone de dix-huit hectares, faite de terres agricoles et naturelles au Froutven, sur la commune de Guipavas (Finistère), limitrophe de Brest.
Une demande de permis de construire a été déposée fin juin à Brest Métropole, propriétaire de ces terres, pour les transformer en « Arkéa Park », la nouvelle arène footballistique dont veut se doter le Stade brestois 29 (SB29).
Le club qui évolue en Ligue 1, l’élite du football français, joue actuellement ses matchs à domicile sur la pelouse du stade Francis Le Blé, au cœur de la ville de Brest. Mais l’enceinte est vieillissante. Alors que le club brestois vit actuellement la plus glorieuse épopée sportive de son histoire, enchaînant les surprenantes victoires européennes en Ligue des champions, les normes drastiques de l’UEFA, l’instance qui gère le football européen, l’oblige à se délocaliser dans le stade de Guingamp.
Perte du milieu, de la nuit et du silence
Pour les opposants au projet, l’effervescence sportive ne justifie toutefois aucunement ce nouveau stade « destructeur de terres agricoles, de la faune et de la flore locales ». La zone est, certes, déjà fortement urbanisée mais cela rend la préservation du peu d’espaces sauvages restants d’autant plus primordiale pour les militants.
Les animaux ont besoin d’une « trame verte », une continuité de lieux refuges leur permettant de circuler. Le projet risque de fragiliser encore davantage la connexion entre le vallon de Stang Alar et la vallée du Costour, deux cours d’eau garnis de bois précieux pour la faune en bordure de la métropole.
Sur son site dédié, le porteur du projet assure tenir compte des enjeux écologiques du lieu : depuis 2018, les surfaces artificialisées ont été revues à la baisse dans les plans, passant de 65 % à 18 % des 18 ha. Un hêtre remarquable, la zone humide attenante et 72 % des haies seront également préservés, est-il promis. Pour restaurer la continuité écologique entre les deux vallons, des « solutions techniques » seraient aussi à l’étude pour rénover ou restaurer des fossés et « passages à faune » sur la zone du Froutven.
« Une zone naturelle de 6,7 hectares sera créée, au plus près de la zone humide. Alternant praires, fourrés et haies, cette zone sanctuarisée sur 30 ans servira de refuge à l’ensemble de la faune présente aux alentours. Elle accueillera notamment une cabane aménagée pour les hirondelles et les chauves-souris », nous précise également Clément Le Belleguy, responsable RSE du Stade brestois.
La destruction du milieu ne se mesure pourtant pas uniquement en termes de superficie : « La préservation de la trame noire, c’est-à-dire d’une nuit dénuée de pollution lumineuse, est aussi primordiale car énormément d’espèces se déplacent la nuit. Il faut aussi tenir compte de la trame blanche : le besoin de silence, peu compatible avec ce genre d’activités », déplore Pascal Le Roux, membre du Groupe national de surveillance des arbres et de l’association Costour Poumon Vert en Finistère (CPVF). Celle-ci est membre, au même titre que les branches locales d’Extinction Rebellion ou Youth For Climate, entre autres, du collectif d’opposition au nouveau stade.
« Quelles conséquences si le projet pollue la zone humide à côté ? »
« Les craintes sur la pollution de l’eau sont ce qui lie toutes nos associations », dit Béatrice Touarin. Au cœur de la vallée du Costour, à l’aval, un large réservoir artificiel au milieu du bois fournit une part conséquente de l’eau potable de Brest. Jusqu’à 20 % selon le collectif. « Quelles conséquences si le projet pollue la zone humide à côté ? Comment être sûr que la phase de travaux, ou les huiles de moteur et pollutions des voitures par la suite, n’affectent pas l’eau du Costour ? » interroge Hubert Person, président de CPVF.
Autant de questions qui restent sans réponses. Au-delà des déclarations d’intention, les porteurs de projet n’ont fourni aucun document officiel plus détaillé que les plaquettes de communication. Aucune étude d’impact ni analyse préalable environnementale n’a été portée à la connaissance du public, alors même que la métropole vote d’ores et déjà des aménagements relatifs au projet.
La source du ruisseau se situe juste au nord du projet de stade mais il ne passe pas directement sur la zone. L’Arkéa Park n’aura donc « aucun impact sur le ruisseau du Costour » et « pas d’incidence sur l’écoulement souterrain », nous assure simplement Clément Le Belleguy.
Les défenseurs des terres du Froutven tiennent à ne pas opposer l’écologie au sport. Ni à l’engouement populaire pour « la magie du football », qui accompagne l’aventure européenne du Stade brestois. Ce qui fait rager les militants, c’est qu’une alternative à la destruction du milieu serait possible : la rénovation de l’actuel stade Francis Le Blé.
Denis Le Saint, président du Stade brestois, rejette en bloc cette option, au motif notamment que « le foncier et les règles d’urbanisme ne nous permettent pas de faire évoluer l’enceinte », plaidait-il à Ouest France en 2020.
Une pré-étude de faisabilité, commandé par la ville de Brest en 2023 et que Reporterre a pu consulter, affirme pourtant l’inverse : la mise en conformité du stade avec les exigences des institutions du football est possible, moyennant, selon les scénarios, un investissement de 50 à 60 millions d’euros.
Une situation « étriquée » dans le centre-ville
Mais cela ne réglerait pas la situation « étriquée » en centre-ville, fait valoir le Stade brestois, le stationnement des équipes et supporters nécessitant pour chaque match la mobilisation d’espaces publics, dont une cour d’école.
Les réticences du club sont en réalité plus économiques que techniques. Le stade Francis Le Blé appartient à la ville, et Denis Le Saint refuse de payer « un centime » pour sa rénovation. L’Arkéa Park, à l’inverse, est un projet privé pensé pour être très lucratif : il doit comprendre des loges VIP mais aussi une « halle gourmande » avec des restaurants et des bars, 2 000 m² dédiés aux loisirs, une crèche, un musée du club, et même une tyrolienne et un escape game, pour faire du stade une industrie fonctionnant « 365 jours par an ».
Un projet ambitieux et bien plus coûteux que la rénovation de Francis Le Blé : un budget de 85 millions d’euros était évoqué en 2022. Celui-ci a ensuite été réévalué à 106,5 millions d’euros et est même estimé à 130 millions d’euros par Thierry Fayret, ancien 1ᵉʳ adjoint et vice-président de la ville et la métropole de Brest.
Un argument initial du club pour privilégier cette option plutôt que la rénovation était de dire que l’effort financier serait 100 % privé. Mais les plans ont rapidement évolué : le montage comprend aujourd’hui au moins 30 millions d’euros de subventions publiques, sans compter les plus de 10 millions d’euros d’aménagement nécessaires autour du stade.
Des millions d’argent public pour compléter un projet privé
« Les aménagements extérieurs coûteront probablement 20 à 30 millions d’euros aux collectivités. Je m’insurge contre l’injection d’autant d’argent public, en absence totale de transparence démocratique sur un projet qui dérapera sans doute à 150 millions d’euros ou plus alors que la rénovation de Francis Le Blé coûterait à peine 60 millions d’euros », s’agace Thierry Fayret.
L’équipe de François Cuillandre, maire de Brest et président de Brest Métropole, n’a pas souhaité répondre à nos questions mais l’édile affiche un soutien sans faille au projet de Denis Le Saint. En plus de diriger le SB29, ce dernier est également, avec son frère Gérard, à la tête de l’entreprise Le Saint de distribution de produits frais. Un réseau de plus de 3 000 salariés et qui revendique la place de « 2ᵉ distributeur de fruits et légumes en France ». Une contribution au rayonnement du pays brestois qui pèse inéluctablement au niveau politique.
« On repart vers le tout voiture »
Au conseil municipal, les Écologistes comptent parmi les rares élus à s’opposer au projet. « C’est un gâchis de terre, d’énergie et d’argent », soupire Glen Dissaux, président du groupe des élus écologistes de Brest ville et métropole. « L’impact écologique concerne également le mode de vie véhiculé par ce genre de projets. Le tram ne pourra jamais amener les 15 000 spectateurs, on repart vers le tout voiture, un congestionnement du trafic et un bilan global totalement sous-évalué », dénonce-t-il.
Artificialisation des sols, bilan carbone, promotion des déplacements carbonés et d’infrastructures en zones commerciales périphériques qui risquent de dévitaliser le centre-ville : les opposants dénoncent à l’unisson un projet « anachronique » et « à rebours de l’urgence écologique et de nos engagements climatiques ». « Et puis, je suis moi-même supporter et abonné du Stade brestois mais rationnellement, le club ne pourra pas surperformer comme ça longtemps. Un tel projet nous engage pour des décennies. Qu’est-ce qu’on en fera quand le club connaîtra des années de vache maigre ou lorsque la transition écologique nous obligera à réduire la voiture et les transports dans nos vies ? » interpelle Glen Dissaux.
Ce projet, pour l’élu écologiste, est emblématique de notre inertie à prendre conscience de l’urgence de « changer de logiciel ». Ses arguments et ceux de tous les opposants auront encore une chance d’être entendus au cours de l’enquête publique qui doit examiner ce projet de nouveau stade. Elle devrait être lancée au premier semestre 2025, selon Le Télégramme. Une étude d’impact du projet doit être rendue publique à ce moment-là. Le Stade brestois espère quant à lui inaugurer l’Arkéa Park fin 2027.