Le Chili annonce un plan national de recherche des disparus sous Pinochet …

« La justice a trop tardé ». Le président chilien Gabriel Boric a lancé ce 30 août 2023 un Plan national pour la recherche de la vérité et de la justice, visant à retrouver 1 162 personnes disparues pendant la dictature du général Augusto Pinochet. C’est la première fois que l’État prend part aux recherches. On apprend par ailleurs que les 7 assassins du chanteur Victor Jara viennent d’être, 50 ans après, définitivement condamnés …

Chaque année la mère de Mauricio vient jeter des fleurs dans le port de Valparaiso… Un récit vidéo de  1’53 » signé Nicolas Chamontin pour

Le Chili annonce un plan national de recherche des disparus de la dictature

Le président chilien Gabriel Boric se tient près d'une proche d'un disparu pendant que le gouvernement annonce un plan national de recherche des disparus de la dictature, le 30 août 2023 à Santiago.
Le président chilien Gabriel Boric se tient près d’une proche d’un disparu pendant que le gouvernement annonce un plan national de recherche des disparus de la dictature, le 30 août 2023 à Santiago. © Présidence chilienne via Reuters

Pendant des décennies, ces recherches ont presque exclusivement été du ressort des familles, et seules 307 dépouilles ont été retrouvées. Le sort de 1 162 autres reste inconnu.

« La justice a trop tardé », a déclaré le président Boric, en lançant le Plan national pour la recherche de la vérité et de la justice, première initiative officielle de ce type. « La seule façon de construire un avenir plus libre et plus respectueux de la vie et de la dignité humaine est de connaître toute la vérité », a-t-il ajouté lors d’une cérémonie organisée à l’extérieur du palais présidentiel, à laquelle les forces d’opposition de droite n’ont pas assisté.

Reconstituer la trajectoire des victimes

Financé par l’État, ce plan vise à reconstituer la trajectoire des victimes après leur détention et leur disparition. La plupart des disparus étaient des ouvriers et des paysans âgés en moyenne d’une trentaine d’années.

« Aucun autre gouvernement n’a eu la volonté politique nécessaire pour faire en sorte que cette épreuve ne concerne pas seulement les proches, mais la société dans son ensemble et l’État qui a fait disparaître nos proches », a réagi Gaby Rivera, présidente de l’Association des proches des détenus et des disparus lors de la cérémonie. Le 11 septembre 1973, Augusto Pinochet a organisé avec le soutien de la CIA un coup d’État militaire au Chili contre le président socialiste Salvador Allende, démocratiquement élu trois ans plus tôt, et a imposé jusqu’en 1990 une dictature militaire marquée par une répression sanglante. Environ 40 000 personnes ont été torturées et 3 200 ont été assassinées ou sont toujours portées disparues.

Manque de coopération des forces armées

Jusqu’à présent, le principal obstacle à la recherche des disparus a été le manque de coopération des forces armées. Les associations des familles les accusent de détenir toutes les informations mais de refuser de les donner au nom d’un « pacte de silence ». À la fin des années 1990, les militaires ont fourni des informations sur quelque 200 détenus dont les corps auraient été jetés à la mer. Cependant, certains de ces corps ont été retrouvés dans des fosses communes.
Augusto Pinochet est mort en 2006 sans jamais avoir été condamné pour les crimes commis par son régime. Avec AFP

Commémoration de la Journée internationale des disparus, organisée au 30 août de chaque année à Santiago du Chili, 2023. (JAVIER ARAOS / EPA / MAXPPP)

On a appris par ailleurs en début de semaine que la Cour suprême chilienne vient de condamner définitivement sept anciens militaires pour le meurtre du chanteur populaire Victor Jara. Six d’entre eux écopent de 25 années de prison pour enlèvement et homicide …

Chili : sept ex-militaires condamnés pour le meurtre du chanteur Victor Jara sous la dictature

Des proches du chanteur chilien Victor Jara, assassiné en 1973, et leur avocate devant le tribunal floridien à Orlando, le 27 juin 2016.
Des proches du chanteur chilien Victor Jara, assassiné en 1973, et leur avocate devant le tribunal floridien à Orlando, le 27 juin 2016. Les Neuhaus / AFP

Le verdict de la justice chilienne tombe quelques jours avant les commémorations des 50 ans du coup d’État et marque la fin de plusieurs décennies d’impunité pour la famille du chanteur. C’est en 1978, en pleine dictature, que la veuve de Victor Jara dépose plainte pour la première fois. Mais à cette époque, aucune enquête n’est ouverte… 24 ans plus tard, l’avocat de la famille reprend le dossier et mène l’affaire devant les tribunaux.

Les accusés feront appel à plusieurs reprises mais ce n’est qu’hier, 50 après l’assassinat du chanteur, que les sept anciens militaires ont définitivement été condamnés.

Le 12 septembre 1973, un jour après le coup d’État, Victor Jara, membre du Parti communiste chilien et soutien du président Salvador Allende, avait été arrêté, puis torturé, avant d’être tué. Son corps sera retrouvé le long d’une voie ferrée, criblé de 44 balles et avec 56 fractures.

Les juges de la Cour suprême ont considéré que le traitement qui lui avait été réservé était « étroitement lié à son activité artistique, culturelle et politique. Les coups les plus sévères qu’il avait alors reçus se situaient au niveau du visage et des mains. »

Son avocat Nelson Caucoto salue une décision quasi inespérée, après tant d’années : « Au sein de la société chilienne, les avis sont partagés au sujet de ces condamnations. Mais je pense que personne ne pensait que nous arriverions à un tel résultat. Personne ne croyait que la justice ne parviendrait à ces condamnations exemplaires, même si, à mesure que les années passaient, on voyait bien que les différents tribunaux en appelaient fondamentalement au droit international. Ils ont fini par trouver le chemin pour arriver à cette issue et aujourd’hui, on ne pouvait pas espérer mieux, après tous les obstacles qu’ont rencontré les enquêtes pour la résolution de ces crimes auxquels l’État a lui-même participé. Et l’on peut considérer qu’en étant lui aussi coupable de ces crimes, l’État a pu se sentir contraint de ne pas participer à leur résolution. On a pu le constater dans d’autres affaires à l’échelle nationale ou internationale. Nous assistons aujourd’hui à la réalisation du destin de tous les procès concernant les droits humains avec ces peines très lourdes, à la hauteur de la gravité des faits commis, condamnation de l’homicide mais aussi des enlèvements. Et de ce point de vue, les familles sont satisfaites. »

Au Chili, l’affaire Victor Jara est un exemple de la lenteur des procédures judiciaires en ce qui concerne les cas de violation des droits de l’homme commis sous la dictature.



Un des officiers de Pinochet meurtriers du chanteur Victor Jara se suicide avant la prison

Un officier chilien à la retraite, condamné lundi pour le meurtre du chanteur populaire Victor Jara durant la dictature Pinochet, s’est donné la mort peu avant d’être conduit en prison. Un article rédigé par franceinfo Culture publié
Des personnes brandissent un portrait du chanteur Victor Jara durant ses funérailles posthumes, à Santiago du Chili le 5 décembre 2009, plus de trente ans après sa mort durant la dictature du général Pinochet. (CLAUDIO SANTANA / AFP)

Un général chilien à la retraite, condamné définitivement lundi 28 août avec d’autres officiers pour le meurtre en 1973 du chanteur populaire Victor Jara au lendemain du coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet, s’est suicidé mardi peu avant son incarcération, a annoncé le ministère public.
Lorsque la police s’est rendue chez lui pour le conduire en prison, le général Hernan Chacon, 85 ans, « a pris une arme à feu qu’il a retourné contre lui ce qui a provoqué sa mort », a expliqué à la presse le procureur Claudio Suazo.

Sept militaires condamnés pour le meurtre du chanteur

La veille, la Cour suprême avait confirmé les peines d’emprisonnement, allant de 8 à 25 ans, prononcées à l’encontre du général Chacon et de six autres anciens militaires pour le meurtre du chanteur. Les sept anciens officiers, âgés de 73 à 85 ans, étaient libres jusqu’à cet arrêt définitif.
Selon cet arrêt, le général à la retraite a participé à la sélection et à l’interrogatoire des 5 000 prisonniers politiques transférés dans le stade de Santiago après le coup d’Etat sanglant contre le président socialiste Salvador Allende, élu en 1970.

Victor Jara, icône de la musique latino-américaine

Victor Jara, membre du parti communiste chilien et fervent partisan du président Allende, se trouvait parmi les prisonniers transférés dans le stade qui porte aujourd’hui son nom. Il y a été interrogé, torturé et tué. Son corps a été retrouvé criblé de 44 balles. Il avait 40 ans.
Le corps d’un codétenu, Littre Quiroga, 33 ans, directeur national des prisons et militant lui aussi du parti communiste, a été retrouvé avec des traces de torture près de celui de Victor Jara et de trois autres prisonniers lors de l’exhumation ordonnée en 2009.

Chanteur pacifiste, Victor Jara est une icône de la musique populaire latino-américaine avec des chansons comme « Le droit de vivre en paix ». Il a inspiré des musiciens tels Bob Dylan. Lors d’un concert donné en 2013 à Santiago, Bruce Springsteen lui a notamment rendu hommage.
Augusto Pinochet, auteur du coup d’Etat militaire au Chili il y a 50 ans, est mort en 2006 sans jamais avoir été condamné pour les crimes commis par son régime, soit quelque 3 200 victimes, entre morts et disparus, selon les organisations de défense des droits humains.


Justice

Au Chili, 50 ans pour condamner les assassins du chanteur Victor Jara

La Cour suprême de Santiago a rendu définitives les peines prononcées en 2018 contre sept militaires qui avaient torturé et tué l’artiste après le coup d’Etat de Pinochet, en 1973. Un dernier accusé est réfugié aux Etats-Unis.
Un article signé François-Xavier Gomez publié dans Libération du 29 août 2023

Un long marathon judiciaire a pris fin lundi 28 août au Chili, avec la confirmation par la Cour suprême des condamnations prononcées en 2018 à l’encontre de sept anciens soldats jugés coupables de l’assassinat, en 1973, du chanteur Victor Jara, au lendemain du coup d’Etat militaire du général Pinochet. Ces militaires à la retraite, aujourd’hui âgés de 73 ans à 85 ans, purgeront des peines de huit à vingt-cinq années de détention. Libres jusqu’à présent, ils devront entrer en prison. Trois autres accusés sont morts avant la fin de la procédure, et le dernier, réfugié aux Etats-Unis, est suspendu à une demande d’extradition.

Chanteur engagé proche du Parti communiste, Victor Jara était un symbole de l’Unité populaire, la coalition de gauche qui avait porté au pouvoir en 1970 le socialiste Salvador Allende. Il fut arrêté à Santiago après le putsch du 11 septembre 1973, et transféré comme 5 000 autres suspects de sympathies de gauche à l’Estadio Chile, une salle de sport couverte transformée en centre de détention. Le corps supplicié de l’artiste, les doigts broyés à coups de crosse de fusil, a été retrouvé quelques jours plus tard. Il avait alors 40 ans.

En 2009, les aveux d’un ancien soldat

Victor Jara avait été enterré clandestinement par sa femme, Joan Turner-Jara, une chorégraphe britannique installée au Chili. En 2009, ses restes avaient quitté la niche où ils reposaient pour une sépulture du même cimetière de Santiago. A la cérémonie avait participé la présidente de gauche Michelle Bachelet, dont le père, militaire arrêté près le coup d’Etat, était mort en 1974 des suites des mauvais traitements subis en prison.

Après le retour à la démocratie en 1990, plusieurs enquêtes ont été ouvertes pour connaître la vérité sur la mort du chanteur le plus populaire du pays. Mais faute de pistes, seul le responsable militaire de l’Estadio Chile avait été inculpé, au titre de sa «responsabilité morale». En 2009, coup de théâtre : José Paredes, un marginal alcoolique, déclare avoir fait partie du groupe qui avait interrogé et torturé l’artiste. Et donne les noms des autres participants. Appelé du contingent, il avait alors 18 ans.

Selon le récit de Paredes, le plus haut gradé du groupe, Pedro Barrientos (qui vit actuellement en Floride), avait joué à la roulette russe avec le détenu, lui logeant une balle dans la tête. Les subalternes reçurent l’ordre de cribler le cadavre de balles : l’autopsie réalisée au moment de l’exhumation a dénombré 44 impacts.

Un dernier accusé en Floride

Lors des différents procès, les sept condamnés ont plaidé non coupable et assuré qu’ils n’ont pas participé à l’exécution de Jara. Plusieurs ont fait de belles carrières dans l’armée chilienne, sous Pinochet et après la dictature. Ils sont aussi condamnés pour un autre assassinat, celui de Littré Quiroga, 33 ans, codétenu de Victor Jara, à l’époque directeur national des prisons.

La mort tragique de Victor Jara et son aura de martyr ont fait connaître ses chansons à travers le monde. Joan Baez a été la première à revendiquer son héritage, en reprenant dès 1974 Te recuerdo Amanda («je me souviens de toi, Amanda»). El Derecho de vivir en paz («le droit de vivre en paix») ou Manifiesto ont accompagné nombre de manifestations, au Chili et ailleurs. En 1977, le chanteur américain Dean Reed, acquis à la cause communiste, avait réalisé en Allemagne de l’Est le biopic El Cantor, où il se réservait le rôle du Chilien. Julos Beaucarne, Zebda, Gilles Servat ou Philippe Cohen Solal lui ont dédié des chansons. Et, en 2013, au Stade national de Santiago, Bruce Springsteen avait (maladroitement) interprété Manifiesto, accompagné à la guitare par Nils Lofgren.

A 96 ans, Joan Turner-Jara (1) a enfin la satisfaction de savoir que l’assassinat de son mari ne restera pas impuni. Reste à régler le cas de Pedro Barrientos, l’auteur matériel présumé de la mort du chanteur. Redoutable tortionnaire, surnommé par ses victimes «le Prince», il s’est enfui aux Etats-Unis en 1988, au moment où Pinochet avait perdu le référendum qu’il avait organisé comme un plébiscite. Barrientos a vendu des voitures pendant trente ans à Deltona, en Floride, où il était à l’abri des poursuites engagées par la justice chilienne grâce à sa nationalité américaine acquise par mariage. En juillet, un juge de Daytona Beach a révoqué sa citoyenneté américaine pour avoir menti sur son passé lors de ses démarches de naturalisation. A 74 ans, l’ancien militaire a ainsi perdu sa principale protection contre l’extradition que réclame le Chili.

(1) Autrice de Victor Jara, un chant inachevé (Aden Editions, 2007).


Lire par ailleurs sur PrendreParti à propos de Salvador Allende et Victor Jara …

11 septembre 1973, Salvadore Allende …

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