Au Chili l’extrême droite aux manettes pour rédiger la nouvelle Constitution !

Le dimanche 7 mai 2023, le Chili a opéré un virage à droite, lors de l’élection pour choisir les 50 personnes qui rédigeront une nouvelle Constitution. En 2020 la population chilienne avait voté à 80% pour changer la constitution et afin qu’elle soit écrite sans les partis politiques. Et aujourd’hui, on se retrouve avec la droite et l’extrême droite en charge d’écrire une constitution. Mais comment en sommes-nous arrivés à cette situation ?

La droite ultra-conservatrice est sortie gagnante du scrutin pour élire les rédacteurs d’une nouvelle constitution chilienne qui remplacerait celle héritée de la dictature de Pinochet. Une vidéo Euronews de 50″ …

Chili : l’extrême droite majoritaire pour rédiger une nouvelle constitution •

 Quelles seront les conséquences pour la future constitution ? Pourquoi la rédaction d’une nouvelle Constitution est-elle nécessaire dans le pays ? Éléments de réponse avec Olivier Compagnon, professeur d’histoire contemporaine à l’université Sorbonne-Nouvelle et directeur du Centre de recherche et de documentation des Amériques – CNRS/Paris 3.  Une vidéo audio de 3’45 » …


Au Chili, l’extrême droite obtient la majorité pour rédiger une nouvelle Constitution

Des sympathisants du Parti républicain, classé à l'extrême droite, célèbrent les résultats du scrutin, le 7 mai 2023 à Santiago.
Des sympathisants du Parti républicain, classé à l’extrême droite, célèbrent les résultats du scrutin, le 7 mai 2023 à Santiago. AP – Esteban Felix

L’extrême droite est arrivée en tête du scrutin de dimanche qui devait permettre d’élire les 50 personnes chargées de rédiger une nouvelle Constitution pour le Chili. Elle totalise 35% des voix, suivie de la coalition présidentielle de gauche qui remporte 28% des votes et de la droite traditionnelle qui arrive en troisième position à 21%.

L’histoire se répète donc mais dans le sens inverse, explique notre correspondante à Santiago du Chili, Naïla Derroisné. Lors du premier processus constitutionnel, la gauche et les indépendants étaient majoritaires. Cette fois, c’est la droite qui obtient une majorité de sièges au sein du Conseil constitutionnel. Et le grand vainqueur, c’est le Parti républicain, d’extrême droite, avec 22 élus. Ce même parti qui ne cache pas son admiration pour le dictateur Augusto Pinochet et qui n’a d’ailleurs jamais souhaité changer de Constitution.

Pas de droit de veto pour la gauche

Ironie de l’histoire, c’est aujourd’hui lui qui va mener le bal pour ce nouveau processus et avec l’appui de la droite traditionnelle, ils pourront rédiger un texte à leur convenance, sans nécessité de trouver de compromis avec le camp d’en face. Il est donc fort probable que la nouvelle Constitution soit très similaire à l’actuelle, voire encore plus conservatrice sur certains aspects.

La première proposition de Constitution, rejetée par un référendum en septembre 2022, devait instaurer de nouveaux droits sociaux, notamment en matière d’éducation, de santé ou de logement, reconnaître des droits aux peuples autochtones ou encore le droit à l’avortement.

Et la gauche n’aura pas son mot à dire puisqu’elle n’a pas décroché suffisamment de sièges pour faire jouer son droit de veto. Il lui sera également quasiment impossible de faire voter son agenda pour un État providence, pourtant l’une des fortes revendications de la population au moment de la crise sociale.

Le Conseil constitutionnel dispose de cinq mois pour rédiger sa proposition de nouvelle Constitution. Il recevra un avant-projet rédigé par un comité d’experts auquel il devra apporter des ajustements et amendements. Le texte comprend douze principes essentiels qui ne pourront néanmoins pas être modifiés, comme le fait que le Chili est une économie de marché. Il sera ensuite soumis à un référendum en fin d’année, le 17 décembre.

(RFI avec AFP)


Chili : un nostalgique de Pinochet aux manettes pour réécrire la constitution

José Antonio Kast 08/05/2023 Airault
José Antonio Kast, le leader de l’extrême droite, aura la main sur l’assemblée chargée de proposer une loi fondamentale au pays

Jair Bolsonaro défait à la présidentielle d’octobre dernier, la droite radicale populiste sud-américaine vient de se trouver une nouvelle figure de proue, le Chilien José Antonio Kast. Surfant sur l’impopularité du gouvernement et son incapacité à régler les crises économique, migratoire et sécuritaire, le chef du Parti républicain a remporté une éclatante victoire lors du scrutin pour élire les 50 membres du Conseil constitutionnel chargés de rédiger la prochaine loi fondamentale.

Le processus de réécriture de la constitution chilienne — adoptée sous la dictature d’Augusto Pinochet en 1980 — a débuté à l’issue du référendum de 2020 lorsque 78 % des électeurs ont voté pour sa refonte à la suite de la plus virulente crise sociale connue dans le pays depuis le retour du pays à la démocratie en 1990. Parmi les demandes des citoyens, de meilleurs systèmes de santé et d’éducation, des retraites plus dignes et la rédaction d’une nouvelle constitution. Elu en 2021 face à José Antonio Kast, le président de gauche Gabriel Boric a voulu introduire un texte progressiste dans les domaines de la fiscalité, des retraites et de la protection sociale. Mais il a été rejeté par les électeurs en septembre dernier.

Fils d’un officier de la Wehrmacht, José Antonio Kast est un nostalgique de l’ère Pinochet. Il a même eu comme porte-parole une nièce de l’ancien dictateur lors de la dernière campagne présidentielle. Largement majoritaire avec le reste de la droite, il a dorénavant tout loisir de modifier le texte constitutionnel à sa guise, d’autant que les partis de gauche ont perdu tout droit de veto.

La constitution sera soumise à un nouveau vote en décembre. Nombre d’analystes s’inquiètent des possibles évolutions de ce texte. José Antonio Kast est opposé à l’avortement, ouvertement hostile au mariage pour tous. Il défend aussi avec vigueur le droit de ses compatriotes à acquérir des armes à feu pour se défendre.


Constituante au Chili: la victoire de l’extrême droite est «un nouvel échec» du gouvernement Boric

Le président chilien Gabriel Boric, le 7 mai 2023 à Punta Arenas au Chili.
Le président chilien Gabriel Boric, le 7 mai 2023 à Punta Arenas au Chili. © Andres Poblete / AP

Avec 22 sièges sur 50, l’extrême droite du parti Républicain est arrivée en tête, au Chili, lors de l’élection des membres du Conseil constitutionnel, le 7 mai 2023. Les élus seront chargés de rédiger une nouvelle Constitution, en remplacement du texte actuel écrit sous la dictature d’Augusto Pinochet. Le 4 septembre 2022, les Chiliens avaient déjà rejeté, lors d’un référendum, un premier texte écrit par une assemblée composée de représentants de la société civile.

Analyse de ce nouveau revers dans ce long et fastidieux processus constituant avec Franck Gaudichaud, historien spécialiste du Chili, et professeur à l’Université Toulouse-Jean-Jaurès.

RFI : Le score de l’extrême droite dans ce scrutin est-il un échec pour le gouvernement de gauche de Gabriel Boric ?

Franck Gaudichaud : Après les promesses de grandes transformations progressistes portées par la gauche, c’est une sorte de retour de bâton, un nouvel échec et une nouvelle sanction après le référendum de septembre 2022. De nouveau, le président Gabriel Boric se trouve dans une position très difficile, avec une opposition qui va se radicaliser. Il a déjà beaucoup de mal à faire passer ses textes, comme sa réforme fiscale, bloquée depuis le début de son mandat. Un cycle politique semble ainsi se refermer pour les mouvements populaires et les mobilisations sociales, déjà affaiblis par la pandémie de Covid-19.

Malgré tout, il y a toujours une activité sociale importante,les féministes, par exemple, sont toujours très présentes. La question qui se pose à présent est de savoir s’il y aura un nouveau soulèvement populaire au Chili. De son côté, José Antonio Kast, chef du Parti républicain, se positionne comme le candidat des droites pour 2025. Il représente une sorte de « bolsonarisme » [en référence à l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro, NDLR] à la chilienne. Il a de bonnes chances d’être un compétiteur central dans les prochains mois et pour la présidentielle.

Comment expliquer le manque d’engouement de cette élection ? Le scrutin était obligatoire, mais de nombreux Chiliens se sont abstenus, ou ont préféré le vote nul.

L’abstention et le vote nul sont quasiment aussi importants que le vote pour les listes de Gabriel Boric. Ce projet constitutionnel est limité par diverses institutions, comités d’expert, etc. Il a déjà été pré-rédigé par des experts, donc sous contrôle des partis au Parlement. Et le Parlement est déjà très bas dans les sondages, en termes de légitimité. Le taux d’approbation risque donc d’être assez bas et l’on se demande si ce nouveau texte sera approuvé par référendum en décembre 2023. Rien n’est moins sûr. Les Chiliens ont aussi d’autres préoccupations et l’extrême droite a fait sa campagne dessus : migration, insécurité, crise économique… Ces thèmes sont au centre de l’agenda. C’est une difficulté pour Gabriel Boric, qui a été élu sur une promesse de droits sociaux, de reconstruire une sécurité sociale. Désormais, l’agenda s’est déplacé sur l’extrême droite et c’est là-dessus qu’une partie des Chiliens a voté.

L’extrême droite a la main sur la rédaction de cette nouvelle Constitution. Le texte sera-t-il vraiment différent de celui écrit sous la dictature de Pinochet ?

La force majoritaire qui va être amenée à rédiger ce texte est composée en partie des héritiers du régime autoritaire de Pinochet. Ils avaient d’ailleurs assez peu d’ambition de transformer cette constitution. On aura sûrement un texte a minima, très libéral ou néo-libéral, contre toutes les avancées proposées entre 2019 et 2021. Néanmoins, dans les discussions entre les experts et ce qui a été proposé au Parlement, il y a le fait que l’État chilien reste un État unitaire, pas plurinational, donc qui n’inclue pas de droits pour les peuples autochtones. Ces discussions évoquaient aussi un État de droit social. Là-dessus, le Parti républicain s’est opposé à cette idée. Il a une vision très libérale, même ultra-libérale, et estime que le marché doit réguler la société. Il y aura donc des tensions entre les propositions d’avancées sociales et la position très libérale et conservatrice du Parti républicain.


Élections au Chili : nouvelle défaite de la gauche, l’extrême droite pourra réécrire la Constitution

Ce dimanche au Chili l’extrême-droite a remporté les élections pour le « Conseil Constitutionnel », organe chargé de rédiger la nouvelle Constitution. Un succès qui renvoie aux échecs et trahisons du gouvernement de gauche, quatre ans après l’immense révolte de 2019 contre le régime hérité de la dictature. Un article signé Antoine Weil dans Révolution Permanente du 9 mai 2023 …

Nouveau séisme politique au Chili : l’extrême-droite remporte nettement les élections pour le « Conseil Constitutionnel », organe chargé de rédiger la nouvelle Constitution. Quatre années après l’immense révolte de 2019 contre le néolibéralisme et le régime, trois ans après la victoire du referendum pour en finir avec la Constitution héritée de la dictature de Pinochet et moins d’un an et demi après la victoire du gouvernement le plus à gauche depuis le retour de la démocratie, c’est finalement l’extrême-droite pinochetiste qui remporte le scrutin, et pourra rédiger le nouveau texte constitutionnel.

Victoire de l’extrême-droite, nouvelle gifle pour Boric et la gauche au pouvoir

Ce dimanche, les Chiliens étaient appelés aux urnes pour se prononcer sur la composition du Conseil Constitutionnel, une institution de 50 membres qui doit proposer une nouvelle Constitution, laquelle sera soumise pour approbation par un référendum en décembre prochain. A l’issue d’un scrutin marqué par un nombre important de vote nuls (plus de 20%, alors que le vote est obligatoire) le Parti Républicain (extrême droite) remporte un large succès, regroupant 43% des suffrages et 22 sièges sur 50, ce qui lui octroie un droit de veto au sein du Conseil.

La droite, menée par le parti Chile Vamos de l’ancien président Piñera sort affaiblie, avec un score de 21% des votants, mais obtient 11 sièges. La droite et l’extrême-droite disposent ainsi d’une large majorité au sein de cette chambre, bloquant la possibilité pour la gauche d’influer sur le contenu du texte constitutionnel à venir. En termes de sièges, elles dépassent la barre des 3/5, ce qui leur permet d’approuver seules chaque article et donc de diriger entièrement le processus de rédaction de la nouvelle constitution.

Dès lors, on peut s’attendre à ce que la nouvelle constitution comporte peu de changements par rapport au texte déjà existant et s’éloigne pour de bon des revendications ouvrières et populaires portées par la révolte de 2019. En effet, le Parti Républicain est un défenseur historique de la Constitution rédigée lors de la dictature avec a à sa tête José Antonio Kast. Ce dernier est un véritable nostalgique du général Pinochet et est notamment connu pour ses positions réactionnaires en défense de l’amnistie des militaires condamnés pour faits de tortures et assassinats sous la dictature, mais aussi pour son opposition au droit à l’avortement et contre le mariage pour tous.

Il s’agit d’un camouflet très important pour le Président Gabriel Boric et la coalition de gauche « Unidad para Chile » qui ne rencontre que 28% des suffrages malgré son alliance avec le Parti socialiste, formation de centre-gauche qui a gouverné le Chili à plusieurs reprises depuis le retour à la démocratie sans jamais remettre en question le néolibéralisme et la Constitution héritée de la dictature. Ce piètre score marque une nouvelle étape dans la crise du gouvernement Boric, qui accumule les revers depuis son élection en décembre 2021, entre concessions sans cesses plus importante à la droite et trahison de la révolte de 2019.

Comment expliquer la défaite de la gauche et du changement de Constitution ?

Ce revirement au Chili avec la victoire de l’extrême-droite peut sembler paradoxal puisqu’en octobre 2020 c’est 78% des votants qui approuvaient le referendum pour changer la constitution. En mai 2021 à nouveau, les partis de gouvernement de droite et de centre-gauche étaient balayés aux élections de la Convention Constituante, exprimant le rejet clair du régime.

Élu à la présidence d’une courte tête contre le leader d’extrême-droite Kast en décembre 2021, Gabriel Boric va pourtant s’évertuer à canaliser le phénomène de contestation né de la révolte de 2019. Tout en se revendiquant du mouvement social et en défendant le fait de mettre en place une nouvelle Constitution, il va dès son élection multiplier les gestes de conciliation, appelant à la responsabilité et à l’entente avec le patronat et intégrant des personnalités du régime dans son gouvernement, notamment l’ancien président de la banque centrale chilienne.

Conséquence de ces intentions initiales, ses premiers mois d’exercice du pouvoir ont été marqués par les promesses non tenues, la répression de manifestations, et une inflation d’une ampleur jamais vue. Autant d’éléments qui ont généré un mouvement d’hostilité contre le gouvernement, conduisant au large rejet de la réforme constitutionnelle « progressiste » de septembre 2022, par 61% des chiliens, notamment dans les milieux populaires.

Ce revers a conduit Boric à accélérer les concessions en direction de la droite, notamment à propos de la Constitution, enjeu central car le texte issu de la dictature entérine les aspects les plus néolibéraux de la société chilienne. Pour proposer une alternative au texte constitutionnel rejeté, un nouveau mode de révision est retenu : c’est désormais un Conseil Constitutionnel qui va devoir écrire la constitution. Ce conseil qui a été élu ce dimanche était d’emblée pensé pour éviter tout changement profond, ses membres étant contraints de travailler sur la nouvelle constitution à partir d’un avant-projet rédigé par des experts nommés par l’actuel Parlement, sans pouvoir remettre en cause plusieurs principes préétablis, notamment le fait que le Chili soit une économie de marché.

Dans ces coordonnées, la composition du Conseil Constitutionnel a été décidée au terme d’une campagne dictée par l’extrême-droite qui a pu profiter du climat réactionnaire polarisé sur les questions migratoires et sécuritaires. Un climat directement entretenu par la politique du gouvernement de gauche qui est allé jusqu’à militariser la frontière nord du pays pour empêcher l’arrivée de migrants vénézuéliens. Avec la victoire des nostalgiques de la dictature pour les élections censées réviser la constitution de Pinochet, l’espoir de changement issu de la révolte de 2019 apparait bien loin, étouffé à force de la démobilisation et des trahisons opérées par le gouvernement de gauche.

Face à la trahison de la révolte de 2019, construire une alternative sur la gauche au Chili

L’extrême-droite tire profit de la défiance contre le gouvernement de gauche, mais aussi contre les partis traditionnels, comme l’illustre le faible score de la droite anciennement au pouvoir. Pour autant, il s’est exprimé un important rejet du processus référendaire et des différentes listes candidates à travers les votes nuls et blancs. Alors que le vote est obligatoire, 2 millions d’électeurs ont choisi de voter nul et 500 000 d’entre eux ont voté blancs, un nombre considérable, flirtant avec le score obtenu par la coalition de gauche, qui a regroupée 2,8 millions d’électeurs.

Face à une réforme constitutionnelle d’emblée verrouillée de manière anti-démocratique, restant bien loin des aspirations de jeunes, des travailleurs et des populations indigènes qui en 2019 demandaient une Assemblée constituante libre et souveraine, la gauche révolutionnaire chilienne a défendu le vote nul.

Le Parti des Travailleurs Révolutionnaires (PTR), organisation sœur de Révolution Permanente au Chili s’est opposée à ce processus antidémocratique de réforme constitutionnelle et a appelé au vote nul aux côtés de plusieurs autres partis, d’intellectuels et de militants des droits humains. A la suite des élections, le PTR déclaraient ainsi :

« Nous devons réaffirmer, renforcer et élargir la campagne et la dénonciation du processus constitutionnel en cours, son caractère antidémocratique et antipopulaire. Cette campagne peut être un outil pour renforcer la coordination et l’organisation des secteurs qui cherchent à affronter la droite, à retourner dans la rue et à déployer les méthodes de la lutte de classe, comme la grève contre l’inaction des bureaucraties syndicales, sans faire confiance à ce gouvernement pour gagner sur les revendications ouvrières et populaires qui sont absentes de la discussion politique nationale, comme celles d’un salaire minimum de 750.000 pesos, mais aussi pour affronter le problème du chômage, du coût de la vie, la crise de l’éducation et de la santé et le pillage des ressources naturelles.

Ceci dans la perspective de reprendre la lutte pour une véritable Assemblée Constituante, qui soit libre et souveraine, qui puisse discuter sans restriction de la remise en cause de l’ensemble du Chili néolibéral des 30 dernières années, avec comme horizon la lutte pour un gouvernement des travailleurs, seul moyen de résoudre l’ensemble des besoins populaires dans leur globalité. »

À l’heure où la situation au Chili reste ouverte, seule une nouvelle entrée en scène de la classe ouvrière, de la jeunesse et des classes populaires pourra mettre un frein à ce processus antidémocratique et poursuivre le processus de lutte pour un nouveau régime initié en 2019. Mais, la canalisation de la révolte de 2019 dans les urnes et par les institutions poursuivie par le gouvernement de gauche chilien, qui débouche aujourd’hui sur le succès de l’extrême droite vient rappeler l’urgence de construire des organisations révolutionnaires et indépendantes, loin des illusions sur les gouvernements progressistes et leur capacité à changer le système de l’intérieur. Des organisations qui soient capables d’appuyer l’auto-organisation des travailleurs et de la jeunesse, et de lutter pour que les révoltes et les épisodes de lutte de classe se transforment en victoire.

Autant d’enseignements et de bilans qui peuvent être utiles dans le contexte français, à l’heure où se déploie un mouvement d’une ampleur historique contre la réforme des retraites et le régime de la Ve République, et où beaucoup à gauche ont revendiqué l’exemple chilien comme modèle pour réformer les institutions.


Chili-débat. «Après la victoire du Parti républicain, le Conseil constitutionnel sera un laboratoire pour l’extrême droite»

José Antonio Kast, le 7 mai, après la victoire électorale.

Entretien avec Arnaldo Delgado conduit par Cristian González Farfán (Valparaiso)

Derrière le triomphe écrasant du Parti républicain le 7 mai, explique Arnaldo Delgado à Brecha, l’énorme crise de représentation qui a donné naissance à la révolte de 2019 est toujours d’actualité. L’analyste estime que l’enjeu est encore important et que la puissance de la misère déclenchée il y a trois ans menace de ronger tout projet politique qui n’y répondrait pas.

Ceux qui ont manifesté contre une nouvelle Constitution auront même le pouvoir de la rédiger. Le Partido Republicano d’extrême droite – qui a refusé de signer l’Acuerdo por Chile [en décembre 2022] devant permettre un nouveau processus constituant au Chili – a remporté les élections dimanche 7 mai et disposera d’une majorité au sein du Conseil constitutionnel chargé d’examiner et d’approuver le projet de Constitution qui émanera de la commission d’experts.

Le parti d’extrême droite dirigé par José Antonio Kast a obtenu 35,4% des voix et 23 des 51 sièges du Conseil constitutionnel. En outre, 11 membres élus du pacte Chile Seguro (qui regroupait la coalition de droite Chile Vamos, avec 21% des voix) ont été élus. Cela donne à la droite un total de 34 sièges et dépasse le quorum requis (trois cinquièmes) pour approuver les dispositions du nouveau projet. Les forces de transformation au sein de cet organe n’ont donc pas de droit de veto : Unité pour le Chili, le pacte de la coalition gouvernementale (Frente Amplio, Parti communiste, Parti socialiste et autres), a obtenu 28,59% des voix et 11 sièges. Le Partido de la Gente [PdG, créé en 2019, dirigé par Louis Antonio Moreno], qui émergeait comme une nouvelle force électorale, n’a pas obtenu de représentants. L’ampleur historique du nombre de votes nuls lors du scrutin de dimanche, soit 16,98% du total, est remarquable.

Ainsi, la scène politique chilienne a radicalement changé entre la révolte sociale d’octobre 2019, qui a conduit à l’ouverture d’un processus constituant sans précédent avec la participation des peuples indigènes et des mouvements sociaux, et une année 2023 où l’extrême droite aura la mainmise sur le Conseil constitutionnel.

Pour analyser le cycle politique au Chili, Brecha s’est entretenu avec le chercheur Arnaldo Delgado, du Centro de Investigación Transdisciplinar en Estéticas del Sur (CITES), qui assure que le «pouvoir destituyente» – c’est-à-dire la contestation du pouvoir dans le contexte d’une crise aiguë de la représentation politique – se prolonge de 2019 à 2023. Il a même augmenté. Arnaldo Delgado est titulaire d’une maîtrise en philosophie de l’Université du Chili, auteur des livres Comunalización, Prolegómenos sobre el esteticidio et Abecedario para octubre, et chroniqueur pour le programme en ligne La Cosa Nostra, où ses analyses des structures du pouvoir politique sont remarquées.

Comment expliquez-vous le retournement de ce cycle politique au Chili?

Il y a un malaise social et un mécontentement qui se sont accrus au fil des ans. Derrière ce malaise, il y a une énorme crise de la représentation. Il ne s’agit pas seulement d’une méfiance à l’égard des représentants en place, mais aussi d’une manière d’habiter collectivement le monde. Nous cherchons à articuler une forme de représentation politique qui nous permette de dépasser ce malaise. Mais il y a un verbe central pour expliquer ce cycle: contester. Je crois que ce qui est transversal au cours de ces quatre années, c’est ce caractère contestataire, sur lequel la gauche a essayé de capitaliser à travers le processus constituant précédent, mais elle n’a pas réussi parce que les moyens de sortir de ce malaise étaient des promesses à très long terme.

De plus, lorsque Gabriel Boric est arrivé au gouvernement [le 11 mars 2022], les partis de gauche se sont vidés. Tous les cadres vont travailler pour l’Etat et avec cela, la destitution est mise de côté, et ceux qui ont mené bataille pour la destitution en 2019 commencent à s’intégrer au pouvoir. Boric est passé de challenger à challengé. Le sceptre de la destitution est lâché, et ce sceptre est repris par le Partido de la Gente et le Parti républicain.

Bref, il y a un cercle vicieux de la destitution. Il est lié à ce que j’appelle le pouvoir de destitution. Aujourd’hui, ce pouvoir de destitution s’est radicalisé parce qu’aucun secteur n’est capable d’avoir une proposition institutionnelle créative, capable de générer un nouvel ordre, pas même les Républicains.

Diriez-vous que ce pouvoir de destitution de la droite est aujourd’hui capitalisé par l’extrême droite?

Tout d’abord, il faut dire que la précédente Convention constitutionnelle (Assemblée constituante) a été immédiatement rongée par le pouvoir destituant. Les constituants sont devenus une partie de l’élite. Le néolibéralisme chilien est un projet très précieux pour la droite; il lui a fallu beaucoup d’imagination et de travail académique pour arriver au «paradis néolibéral» qui a été installé au Chili. La droite n’est pas intéressée par l’invention de quelque chose de nouveau. Elle est intéressée par la restauration. C’est pourquoi son slogan est «restituer», «restaurer», «récupérer», tout ce qui commence par «re». Mais re signifie aussi «répéter», «rétablir». La seule façon pour l’extrême droite de rendre viable un quelconque espoir – illusoire – est la réversion et la répétition d’un modèle qui est à l’origine du malaise social. En termes constitutifs, il n’y a pas de capacité à projeter le pays dans 30 ou 40 ans.

Vous avez également avancé que le «je peuple» présent lors de l’épidémie est désormais un «je nation». Comment cela s’exprime-t-il dans les résultats de dimanche?

Ce qui commande, c’est l’incertitude. En 2019, nous avons essayé d’y répondre par des solidarités partagées et la coordination entre les quartiers. Mais lorsque la crise économique s’intensifie en raison de la pandémie, l’incertitude s’individualise. Le discours du «moi, le peuple» ne correspond plus aussi bien à la manière dont l’incertitude est abordée. Et la droite entre alors en scène et, par le biais du discours de la sécurité publique, rétablit le «moi, la nation» comme élément d’articulation de la collectivité chilienne. De plus, la gauche n’a pas de langage pour aborder la question de la sécurité publique, sur ce terrain elle est peu convaincante.

Comment envisagez-vous la discussion au Conseil constitutionnel avec l’écrasante majorité des Républicains? Quel rôle jouera la droite plus modérée?

Il y a deux âmes au sein de la droite qui s’affrontent sur le type de refondation que le Chili aura dans les années à venir. Avant le 7 mai, l’une était menée par Chile Vamos et des secteurs de l’ex-Concertación [composée du PS, du PDC, du PPD…], et l’autre par le Parti républicain et le Partido de la Gente. Dans le premier cas, la refondation est une démocratie tutélaire avec un néolibéralisme «démocratique». Dans le second cas de figure, il s’agit d’une restauration des années 1980, avec une orthodoxie néolibérale et un régime sécuritaire autoritaire. Dès dimanche, le caractère de la restauration a commencé à se dessiner avec le triomphe des Républicains.

L’enjeu de cette élection n’était pas tant la question constitutionnelle, déjà à moitié réglée, que de savoir si le Conseil constitutionnel allait être un espace temporaire pour tester le programme de gouvernement du Parti républicain. Avec cette victoire écrasante, le Conseil constitutionnel sera un laboratoire, un espace de tests pour l’idéologie républicaine en ce qui concerne les prochains candidats aux élections municipales, législatives et présidentielles.

Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement Boric dans ce contexte?

Je pense qu’il n’a plus de marge de manœuvre. Il ne lui reste plus qu’à résister. Avec l’approbation de la loi Nain-Retamal [une loi conservatrice soutenue par le parti au pouvoir qui garantit aux carabiniers une légitime défense privilégiée en cas de délit grave, cela dans un contexte marqué par un climat d’«insécurité» largement diffusé], toute possibilité de manœuvre a été enterrée. Mais, plus encore, le péché capital du gouvernement est d’avoir renoncé à la destitution parce que, sur la base de la bonne foi démocratique, il évite l’antagonisme politique.

Malgré le triomphe, vous avez dit que le projet des Républicains se heurtera au pouvoir intact de destitution. Que se passera-t-il?

A un moment donné, le Parti républicain devra présenter ses références et ses origines. L’une des faiblesses du gouvernement de Boric est son incapacité à mettre en œuvre son programme et à améliorer les conditions de vie quotidienne des citoyens et citoyennes. En d’autres termes, les droits sociaux sont toujours négligés. Et la demande de sécurité sociale va frapper à la porte du prochain candidat à l’élection présidentielle, quel qu’il soit. Et tout comme la gauche n’a pas le langage pour parler de la sécurité publique, la droite n’a pas le langage pour parler de la sécurité sociale.

La droite sera touchée par le malaise à un moment donné. Le pouvoir de restauration sera rongé par le pouvoir de la misère. C’est pour cela que je n’attends pas la fin à l’issue des résultats du 7 mai, parce que c’est un long trajet. Objectivement, quatre ans dans l’histoire d’un pays, ce n’est pas si long. Il y a encore beaucoup d’enjeux. Mais en peu de temps, l’extrême droite peut provoquer d’énormes reculs.

Maintenez-vous l’idée que la société chilienne n’est ni de droite en 2023, ni de gauche en 2019?

Oui, il y a quelque chose de plus profond, qui est un changement civilisationnel. C’est l’incertitude qui est en jeu. Ce que nous voulons en tant que société, c’est un espace relativement sûr. Je ne peux pas dire que la société chilienne s’est droitisée. Il faudra voir cela dans les dix ou quinze prochaines années. Ce qui se passe, c’est que les exigences sociales d’aujourd’hui coïncident avec les revendications historiques de la droite. Mais ni les victoires ni les défaites politiques ne se jouent aujourd’hui sur des contenus/échéances précis. La défaite électorale du 4 septembre 2022 [le rejet de la précédente proposition constitutionnelle] n’était pas nécessairement une défaite politique, si ce n’est qu’elle a ouvert un espace que la droite a commencé à occuper. La droite a très bien profité de cet espace et, au cours des derniers mois, elle a gagné du terrain. Même si cette nouvelle proposition constitutionnelle était approuvée et si José Antonio Kast devenait président, j’hésiterai à dire que la société chilienne est devenue de droite.

Si le manque de dialogue du Parti républicain au sein du Conseil persiste, pensez-vous que le texte pourrait être rejeté et que cela pourrait être exploité par les forces de changement?

Aujourd’hui, il n’y a pas de pouvoir institutionnel apte à promouvoir un processus constitutionnel. Mais il n’y a pas non plus de forces de transformation élaborées. Aujourd’hui, la contestation a été capturée par les Républicains. Le Parti communiste et le Frente Amplio ont perdu cette capacité. Si eux et les mouvements sociaux ne la récupèrent pas, je ne sais pas s’ils seront en mesure de tirer profit de la situation qui s’ouvrira lorsque le pouvoir de démanteler la constitution rongera le pouvoir de restauration des Républicains. Nous sommes dans une période sombre, non pas parce que les Républicains ont gagné, mais parce que la gauche n’est pas capable d’articuler une force de contestation: les partis ont été vidés de leur pouvoir, il n’y a pas de syndicats, il n’y a pas de fédérations d’étudiant·e·s. Il serait bon de penser à une retraite stratégique en pensant aux dix ou quinze prochaines années.


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