1er Congrès européen des Chiliens « à la recherche de leurs origines »…

Ce week-end se tient à Stockholm le premier congrès européen des Chiliens « à la recherche de leurs origines ». Des années 1960 à 1990, plus de 20 000 enfants ont été adoptés illégalement, sans l’accord de leurs parents. Une pratique encouragée par le régime de Pinochet. Depuis plusieurs années, les mères biologiques chiliennes tentent de retrouver la trace de leurs enfants …

Chili: la quête des mères biologiques d’enfants adoptés illégalement sous Pinochet

Plusieurs mères ayant eu un enfant adopté illégalement sous la dictature de Pinochet font des tests ADN dans l'espoir de retrouver leur trace.
Plusieurs mères ayant eu un enfant adopté illégalement sous la dictature de Pinochet font des tests ADN dans l’espoir de retrouver leur trace. © CLAUDIO REYES/AFP

À l’âge de 17 ans, Cecilia Ottone a accouché prématurément d’un petit garçon. C’était le 18 septembre 1975. « Ils m’ont montré le bébé, je l’ai vu, il a pleuré. Et puis, ils l’ont emmené pour lui faire des examens. Le lendemain, j’ai demandé où il était et ils m’ont dit qu’il avait des problèmes de santé. Ensuite, plus personne ne m’a rien dit, ni ne répondait à mes questions. Deux jours après, ils m’ont annoncé que mon bébé était mort. »

Cecilia n’a jamais reçu d’acte de naissance, ni de décès de son enfant. Et elle a toujours eu un doute, jusqu’au jour où elle a consulté une voyante. « C’était une femme âgée et elle m’a demandé combien j’avais d’enfants. Je lui ai répondu que j’en avais deux. Mais elle m’a dit qu’elle en voyait trois. Je lui ai expliqué que ça devait être mon enfant mort-né et elle m’a rétorqué que « non », cet enfant était vivant. »

Un test ADN et un espoir avec ce congrès

À plusieurs reprises, Cecilia s’est rendue à l’hôpital où elle avait accouché pour obtenir des informations, qu’elle n’a jamais eues. Elle s’est alors fait un test ADN en espérant que son fils en fasse un aussi et que leurs données soient croisées : « J’ai encore l’espoir de retrouver mon fils et je suis sûre qu’il est toujours vivant. »

Cecilia a envoyé sa photo pour qu’elle soit affichée ce week-end à Stockholm au congrès des Chiliens « à la recherche de leurs origines » …
A suivre …


Scandale mondial : un historien révèle le réseau d’enlèvement et d’adoption illégale de la dictature de Pinochet et des politiciens nazis suédois

Le journal suédois Dagens Nyheter a publié les conclusions de la chercheuse chilienne Karen Alfaro, qui démontrent une opération visant à s’attirer les bonnes grâces de la dictature de Pinochet auprès des Suédois, tout en fournissant au pays nordique au moins 1 700 enfants à donner en adoption.

Dans un reportage publié hier, le média suédois Dagens Nyheter rend compte d’un réseau illégal d’enlèvement et d’adoption d’enfants chiliens sous la dictature d’Augusto Pinochet, qui, grâce à l’aide d’une association d’extrême droite – dirigée par des politiciens nazis – a amené le centre d’adoption de la société suédoise pour la protection internationale de l’enfance à fournir des informations positives sur le régime chilien aux familles cherchant à adopter.

L’enquête menée par Dagens Nyheter (DN), l’un des principaux journaux suédois, se fonde sur les conclusions et la documentation réunies par Karen Alfaro, docteur en histoire et universitaire à l’Universidad Austral, et José Luis Morales, professeur d’histoire et doctorant à l’université de Barcelone. Les chercheurs ont examiné la « documentation diplomatique correspondant à l’ambassade du Chili en Suède » pendant cette période, ainsi que les archives du « Fonds suédois des archives historiques générales du ministère chilien des affaires étrangères » et du « Fonds du ministère de la justice des archives de l’administration nationale », entre autres sources d’information ». (Voir ici l’article universitaire d’Alfaro et Morales).

En Suède, la ministre des affaires sociales, Lena Hallengren, a annoncé qu’une enquête sera menée à l’échelle nationale pour vérifier les éventuelles « irrégularités » dans les adoptions.

Alfaro a expliqué au média chilien INTERFERENCIA que la Société Suède-Chili était l’entité chargée de « générer la campagne en faveur de la dictature », faisant office de pont entre le régime de Pinochet et le Centre d’adoption suédois. DN décrit cette organisation comme « d’extrême droite », son directeur étant un membre important du parti suédois « pro-nazi », l’Union nationale, et son secrétaire étant à l’époque un militant du mouvement fasciste Nouvelle Suède.

Ulf Hamacher, selon Alfaro, était l’un des dirigeants de la Société Suède-Chili, un fasciste suédois bien connu qui, sur la photo suivante, est représenté faisant le salut hitlérien.

Photo de Ulf Hamacher

« La junte militaire au Chili a utilisé l’adoption internationale en Suède dans le cadre d’une campagne d’influence politique », explique DN dans son reportage. Cependant, la vague d’adoptions n’aura lieu que bien après le début de la dictature civilo-militaire chilienne, la chute du Premier ministre social-démocrate Olof Palme en 1975 étant un moment politique clé pour promouvoir le réseau. (Voir le reportage de DN en suédois ici).

L’arrivée d’un nouveau gouvernement de tendance centre-droite, selon la correspondance analysée d’abord par Alfaro et ensuite par DN, signifiait la présence d’ « amis » de la dictature chilienne dans le gouvernement suédois. « Ensemble, le consul chilien [dans le pays nordique] et le comité Chili-Suède ont travaillé ‘avec le plus grand soin pour ne pas éveiller les soupçons’ », menant une campagne visant à promouvoir une image plus favorable de la dictature et utilisant comme « marchandise » l’adoption d’enfants chiliens, donnant un sentiment d’ « humanité » au monde. « Une des marchandises qui forcerait les relations diplomatiques entre les pays : les enfants à adopter », détaillent-ils.

Au total, DN a recensé au moins 2 100 adoptions, une petite partie des enfants adoptés pendant la politique humanitaire du Premier ministre Olof Palme, et environ 1 700 correspondant au réseau de Pinochet et de l’ultra-droite suédoise.

Enfants chiliens donnés irrégulièrement en adoption en Suède. Source : Dagens Nyheter

L’adoption irrégulière d’enfants chiliens pendant la dictature fait l’objet d’une enquête judiciaire depuis 2018, sous la charge du juge spécialisé dans les affaires de droits humains, Mario Carroza. Tant l’étude d’Alfaro que diverses enquêtes journalistiques – dont une thèse écrite par la journaliste Ana María Olivares en 2004, que l’universitaire souligne – ont contribué à une enquête approfondie sur cette question.

L’étude chilienne de Karen Alfaro et José Luis Morales

Intitulé « Enfants chiliens adoptés par des familles suédoises. Proximité diplomatique en temps de Guerre Froide (1973-1990) », l’article universitaire d’Alfaro et Morales propose comme hypothèse que « l’adoption transnationale d’enfants chiliens pauvres en Suède était valorisée par la dictature militaire comme un mécanisme de proximité diplomatique et politique, car elle permettait d’établir des liens avec des institutions et des secteurs de l’extrême droite ».

L’objectif était de « créer des alliances politiques pour mettre fin à la « campagne anti-chilienne », menée principalement par la communauté des exilés chiliens qui dénonçaient les violations des droits humains commises par la dictature militaire », explique l’étude.

Cette alliance, avant le coup d’État militaire de Pinochet, existait déjà avec le pays nordique, selon le texte universitaire. Le gouvernement du premier ministre au pouvoir depuis 1969, Sven Olof Joachim Palme, « s’est caractérisé par un rapprochement avec les pays du tiers monde, comme le Chili sous le gouvernement de Salvador Allende, ainsi que fournir de l’aide humanitaire et contribuer à la coopération internationale ». C’est dans ce contexte initial que « le gouvernement suédois a condamné la guerre du Vietnam, la dictature de Franco et plus tard celle de Pinochet, entre autres régimes politiques ».

La même ligne a été suivie par l’ambassadeur de Suède au Chili, Harald Edelstam, « qui a joué un rôle central pendant la dictature militaire en sauvant la vie de centaines de Chiliens et de Chiliennes auxquels il a facilité l’asile et les conditions d’exil ». Ce rôle a conduit Edelstam à être considéré par la dictature comme « persona ‘non grata’ et à devoir quitter le pays », une situation qui incitera la Suède à ne pas nommer « un autre ambassadeur au Chili jusqu’au retour à la démocratie en 1991 ».

Dans ce cadre et « dans le but de contrecarrer la ‘campagne anti-chilienne’ » dans le pays nordique, » le régime militaire a entrepris de développer en Suède un plan visant à améliorer l’image du pays, ce qui a été possible grâce à des liens avec des secteurs d’extrême droite, des hommes d’affaires et des fondations suédoises composées de secteurs conservateurs ».

Cela a donné naissance à la Société Suède-Chili, « qui collaborait avec le régime militaire par le biais de la propagande politique et la diffusion d’informations sur les activités des exilés chiliens », expliquent Alfaro et Morales dans l’article. La conséquence de cette alliance sera déterminante « pour les relations diplomatiques entre les deux pays et pour le lien que la dictature a établi avec le Centre d’adoption suédois », dont le système d’adoption d’enfants chiliens sous la dictature ne convenait pas initialement à Pinochet.

Les communications confidentielles auxquelles les enquêteurs ont eu accès entre Odlanier Mena, alors directeur du Centre national de renseignement (CNI) et la ministre de la Justice de l’époque, Monica Madariaga, rendaient compte de l’effet de l’adoption d’enfants sur l’opinion publique avant l’appareil de propagande mis en place par la dictature et la Société Suède-Chili.

« Il semble que des enfants soient adoptés au Chili par des étrangers, qui sont ensuite emmenés hors du pays avec une fréquence inhabituelle. Outre les possibles implications politiques que ces événements pourraient avoir, il y a la possibilité que nous ayons affaire à un trafic d’êtres humains », assure Mena Madariaga selon les registres.

La position du régime dictatorial sur l’adoption d’enfants chiliens a changé après les efforts du consul du régime, Ricardo Benavente Holley, qui, avec la Société Suède-Chili, a réussi à obtenir des brochures et des documents donnant une image positive du Chili aux familles adoptives.

« Il n’existe pas de chiffres officiels au Chili concernant le nombre total d’enfants arrivés en Suède pour y être adoptés » : telles sont les conclusions de l’article.

« Ces adoptions ont fonctionné, dans un premier temps, de manière irrégulière dans la période 1973-1977 et étaient principalement associées à une aide humanitaire, en raison de la situation difficile des enfants chiliens », expliquent les conclusions de l’article universitaire.

« Cela a contribué à fomenter la soi-disant campagne anti-chilienne en Suède et a alerté les militaires sur la portée politique du traitement des enfants à l’étranger », une question qui sera inversée entre 1978 et 1988, lorsque « les adoptions ont été acceptées par le régime et que leur régularisation et leur promotion sont devenues des stratégies diplomatiques et politiques pour aplanir les différences avec la Suède et ainsi améliorer son image à l’étranger ».

Dans ce sens, les auteurs soulignent qu’ « il n’existe pas de chiffres officiels au Chili sur le nombre total d’enfants arrivés en Suède à des fins d’adoption », « beaucoup de ces cas étant des adoptions forcées d’enfants pauvres, développées grâce à l’utilisation du pouvoir civil-militaire, qui réglementait la prise en charge des enfants et disqualifiait judiciairement les mères célibataires et les familles de la prise en charge de leurs fils et filles ».

C’est pourquoi Alfaro a souligné l’importance de la publication de ces résultats, « car cela nous permet de reconnaître les personnes dans ces histoires et de voir ainsi si elles ont des origines biologiques au Chili ».

En ce qui concerne la motivation de son travail, Karen Alfaro a indiqué qu’ « elle cherche à générer la justice, la réparation et la compréhension pour les victimes ; fondamentalement des mères des secteurs populaires, beaucoup d’entre elles des filles, âgées dès 14 ans ».

Article publié par Diego Ortiz  in Interferencia.cl le 28.10.2021 / Traduction libre NGChili


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Adoptions forcées au Chili, mères et enfants à la recherche de la vérité