L’élévation du niveau de la mer tient une place toute particulière dans le second volet du 6e rapport d’évaluation du GIEC publié en février 2022 . Le gouvernement vient de publier cette semaine une liste de 126 communes qui vont devoir s’adapter en priorité face à la montée des eaux et l’érosion du trait de côte. De nouvelles contraintes d’urbanisme pouvant aller jusqu’à des interdictions de construire …
La science du niveau des mers : une vidéo de 4’53 » qui aide à comprendre le phénomène en cours …
Élévation du niveau de la mer : quels littoraux voulons-nous pour demain ?
L’élévation du niveau de la mer tient une place toute particulière dans le second volet du 6e rapport d’évaluation du GIEC publié en février 2022. Contrairement à d’autres variables climatiques telles que les températures et les précipitations, le niveau de la mer continuera à s’élever bien après la stabilisation des températures globales, puisque les glaciers de montagne et les calottes de glace en Antarctique et au Groenland mettront des siècles à s’ajuster aux nouvelles températures.
Ainsi, s’il reste aujourd’hui possible de limiter le taux d’élévation du niveau de la mer autour de 4mm/an, il n’est plus possible de stabiliser le niveau de la mer lui-même.
Le rapport alerte donc sur le caractère singulier de l’adaptation à l’élévation du niveau de la mer. Alors que nous commençons tout juste à percevoir l’augmentation de la fréquence des submersions chroniques sur certains sites tels que Venise ou la côte est des États-Unis, nous connaissons déjà les étapes suivantes : une généralisation et une intensification des submersions à marée haute, lors de tempêtes ou de cyclones, la salinisation d’estuaires et de nappes côtières, et enfin, la submersion permanente ou l’érosion de littoraux bas ou sableux.
Ces enjeux ont motivé la rédaction, au sein du rapport de février 2022, d’une synthèse sur les risques liés à l’élévation du niveau de la mer.
Cette synthèse énonce clairement que notre capacité à nous adapter aux risques côtiers actuels et futurs dépendra de deux actions immédiates : un respect des accords de Paris afin de stabiliser le réchauffement climatique en deçà de 2 °C au-dessus des périodes préindustrielles ; une adaptation aux effets inéluctables de l’élévation du niveau de la mer.
Stabiliser le climat en deçà de 2 °C pour donner du temps à l’adaptation
Les observations des marégraphes et des satellites altimétriques montrent que l’élévation du niveau la mer s’accélère. De 1,4mm/an au XXe siècle, elle est aujourd’hui d’environ 4mm/an. Limiter le réchauffement climatique, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, accorde davantage de temps à l’adaptation.
Au-delà de 2 °C, la vitesse de l’élévation du niveau de la mer pourrait atteindre 1cm/an en moyenne globale après 2050, et peut-être davantage dans le cas d’une fonte rapide des calottes de glace au Groenland, et surtout en Antarctique. Un tel scénario ne peut malheureusement pas être totalement exclu aujourd’hui. Il pourrait nous mener à 1,7m d’élévation du niveau marin global en 2100, 4 ou 5m en 2150 et 15m en 2300. Même si ce scénario ne se réalise pas, les projections pour 2300 vont de 3 à 7m pour un scénario à fortes émissions de gaz à effets de serre, suffisamment pour rendre très difficile la protection de nombreux littoraux dans le monde, dans un contexte où l’accès à l’énergie et aux matériaux sera très différent de la situation actuelle.
S’adapter à l’élévation du niveau de la mer
S’adapter relève désormais de l’urgence. Certes, on observe aujourd’hui des progrès en matière d’adaptation. C’est le cas par exemple en France depuis au moins 25 ans avec les évolutions progressives des politiques de prévention des risques littoraux ou de la stratégie de gestion du trait de côte.
Cependant, quel que soit le pays considéré, l’adaptation n’est jamais complète. En France, elle se focalise sur l’échéance de 2100, alors que des submersions à marée haute interviendront bien avant, et que les développements actuels peuvent avoir des conséquences à plus long terme, et mener en dernier recours à des impasses. Par ailleurs, l’adaptation côtière demande beaucoup de temps, parfois plusieurs décennies. À Venise, il a fallu plus de 40 ans pour mettre en place le système MOSE permettant de prévenir les phénomènes d’aqua alta de plus en fréquents.
C’est l’un des résultats importants des derniers travaux du GIEC : l’adaptation à l’élévation du niveau de la mer met très longtemps se mettre en place, parfois plusieurs décennies. Du point de vue de l’adaptation, le risque est donc d’être pris de vitesse, et de ne plus avoir le temps d’organiser la protection ou la relocalisation d’enjeux.
Une adaptation au détriment des écosystèmes côtiers ?
Parmi toutes les mesures d’adaptation disponibles actuellement, la plupart ont des bénéfices supplémentaires, notamment pour la qualité de vie ou les écosystèmes. C’est le cas par exemple du verdissement des villes afin d’atténuer les vagues de chaleur.
Néanmoins, pour les écosystèmes littoraux, l’adaptation présente un risque si elle est principalement fondée sur des solutions d’ingénierie telles que la construction de digues, d’enrochements ou de barrières estuariennes. Le risque est que cette adaptation ne se fasse au détriment des écosystèmes côtiers tels que les marais ou les mangroves.
Les solutions dites « fondées sur la nature » peuvent consister à laisser de l’espace pour les sédiments et les écosystèmes côtiers tels que les dunes ou les marais, afin d’atténuer les pics de niveau d’eau lors de tempêtes et de limiter les risques pour les vies humaines et les infrastructures lors de tempêtes. Il s’agit alors d’éloigner les enjeux exposés des aléas maritimes, tout en utilisant l’espace rendu libre pour restaurer et des écosystèmes sains et ainsi contribuer à limiter les pertes de biodiversité.
Cette approche a ses limites. On ne dispose pas toujours de l’espace nécessaire pour implanter des solutions fondées sur la nature. Par ailleurs, les écosystèmes côtiers sont souvent eux-mêmes vulnérables au changement climatique. C’est le cas notamment des coraux qui subissent des blanchissements de plus en plus fréquents du fait du réchauffement des eaux de surface. Pour les coraux qui abritent 25 % de la biodiversité marine, dissipent l’énergie des vagues et fournissent des sédiments aux plages, des impacts irréversibles sont projetés au-delà de 1,5° de réchauffement climatique.
Quels littoraux voulons-nous pour demain ?
Les travaux du GIEC montrent qu’il est possible d’adapter les littoraux à l’élévation du niveau de la mer tout en préservant les écosystèmes côtiers.
Le rapport met également en évidence que l’adaptation se met en place de manière plus efficace lorsqu’elle est accompagnée d’un processus d’engagement inclusif des communautés concernées, prenant en compte leurs valeurs socioculturelles et leurs priorités de développement.
La question de l’adaptation à l’élévation du niveau de la mer ne se limite donc pas à des mesures techniques telles que la protection du littoral, la relocalisation d’enjeux, ou la construction de maisons sur pilotis.
Elle nous invite à réfléchir aux littoraux que nous souhaitons pour demain. Si les transformations décrites dans le rapport du GIEC sont extrêmement importantes, elles s’accompagnent de nombreux bénéfices bien au-delà de la seule question de l’élévation du niveau de la mer. Ne pas utiliser ces solutions proposées par la science, c’est compromettre l’avenir.
CARTE. Quelles sont les 126 communes classées prioritaires face à l’érosion côtière ?
Le gouvernement vient de publier une liste de 126 communes qui vont devoir s’adapter en priorité face à la montée des eaux et l’érosion du trait de côte. Le texte prévoit des nouvelles contraintes d’urbanisme, qui peuvent aller jusqu’à des interdictions de construire.
Un article publié dans l’Ouest France du 4 mai 2022
Le gouvernement a publié au Journal Officiel les noms des 126 communes françaises qui auront l’obligation de s’adapter en priorité à l’érosion du littoral aggravée par le réchauffement climatique et la pression humaine, une liste de nouvelles contraintes d’urbanisme qui ne font pas l’unanimité.
Avec le recul du trait de côte sur environ un cinquième du littoral français (hors Guyane) selon l’indicateur national de l’érosion côtière, la loi Climat et Résilience de 2021 prévoit de nouvelles dispositions pour les communes en première ligne face à la montée du niveau de la mer et la multiplication des tempêtes et des submersions marines.
126 communes concernées pour l’instant
Les maires devront réaliser des cartes du risque de recul du littoral à 30 ans et 100 ans, carte qui servira de base à de nouvelles règles d’aménagement du territoire, allant jusqu’à des interdictions de construire.
Dans un premier temps, 126 communes sont concernées, en métropole et dans les Outre-mer, selon la liste publiée samedi au Journal officiel, qui sera révisée au moins tous les neuf ans. La majorité sont situées sur les côtes atlantique et de la Manche (notamment 41 en Bretagne, 16 en Normandie, 31 en Nouvelle Aquitaine).
Voici les communes de métropole concernées :
Et les communes de Martinique, Guadeloupe et Guyane :
864 communes particulièrement vulnérables
Ces 126 soi-disant prioritaires sont ridicules par rapport aux 864 communes menacées
, regrette auprès de l’AFP Élodie Martinie-Cousty, de l’ONG France Nature Environnement.
Selon les chiffres officiels, 864 communes sont plus particulièrement vulnérables
aux submersions marines, phénomènes d’inondation temporaire des zones côtières par la mer, notamment lors des tempêtes, qui vont augmenter avec la hausse Codu niveau de la mer provoquée par le réchauffement climatique. Et 1,5 million d’habitants vivent dans ces zones inondables littorales.
Mais on a laissé beaucoup trop construire sur le littoral
et les nouvelles dispositions ne sont pas adaptées aux enjeux
, estime Élodie Martinie-Cousty.
Celles des 126 communes n’ayant pas encore de plan de prévention des risques littoraux
devront réaliser la cartographie de l’évolution du trait de côte à 30 et 100 ans.
Ça m’intéressait de connaître les points de vulnérabilité de la commune et de pouvoir dire à la population attention on est sur des zones très sensibles
, commente le maire de Trégastel (Côtes-d’Armor) Xavier Martin, saluant le financement par l’État de 80 % du coût de ces cartographies qu’il voit comme un outil pour anticiper le risque
.
Si on dit qu’on rénove (le centre-ville) et que dans 20 ans il est sous les eaux, est-ce que c’est utile de le rénover aujourd’hui, est-ce qu’il ne faut pas réfléchir à le voir autrement ?
, dit-il à l’AFP.
Lire aussi : « Il y a des risques à habiter en front de mer. » À Trégastel, la délicate gestion du trait de côte
Relocalisations ?
Dans les zones exposées à l’horizon de 30 ans, les nouvelles constructions seront interdites, mais avec des exceptions pour l’extension de bâtiments existants ou l’installation de services publics et de nouvelles activités économiques nécessitant la proximité immédiate
de la mer.
Les zones à l’horizon 100 ans restent constructibles, avec à terme une obligation de démolition quand la menace se rapprochera.
Pour permettre aux autorités locales de lancer ce nouvel aménagement du territoire, une ordonnance publiée début avril précise les moyens d’acquisition par les pouvoirs publics de biens menacés et crée un nouveau type de bail octroyé par l’État ou les communes pour des terrains, locaux commerciaux ou encore parcs de loisirs dans la bande concernée (bail de 12 à 99 ans avec résiliation anticipée en fonction de l’érosion).
Lire aussi : « Si on ne fait rien, il y a des communes qui ne seront plus assurables »
Question du financement
Mais l’Association nationale des élus du littoral regrette certains flous juridiques
qui laissent présager de nombreux contentieux, susceptibles de nuire à l’atteinte des objectifs affichés
.
Certains responsables locaux s’interrogent aussi sur les nouvelles contraintes imposées aux plans locaux d’urbanisme et pointent du doigt des questions de financement.
Les avancées qui découlent (de l’inscription sur la liste) en restent principalement au niveau du porté à connaissance du risque
, estime Vincent Bawedin, chargé de la gestion du trait de côte à la Communauté de communes des Grands Lacs, qui inclut la commune côtière de Biscarosse (Landes). Il s’inquiète du financement de la relocalisation des biens menacés.
Des questions se posent sur qui prend en charge le déplacement de la population des habitations touchées
, ajoute Pascal Laporte, adjoint à l’urbanisme à Plérin (Côtes-d’Armor), notant également le problème de dépréciation des biens
dans la bande menacée.
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