En finir avec le rêve d’une « maison avec jardin » ?

De nouveaux pavillons individuels sont construits chaque année et grignotent les espaces naturels. Pour préserver le climat et la biodiversité, des alternatives aux maisons neuves existent : utiliser les logements vacants, promouvoir les habitats collectifs… Une enquête en quatre volets sur l’étalement urbain, l’habitat et l’urbanisme signée Héloïse Leussier pour Reporterre …

Volet 1 : Le rêve français de la « maison avec jardin » détruit les terres agricoles

En France, plus de la moitié des logements sont des habitations individuelles. Et les constructions de maisons neuves continuent, malgré le coût écologique de l’étalement urbain.

« Le modèle à l’ancienne du pavillon avec jardin dont on peut faire le tour n’est plus soutenable et nous mène à une impasse » ; « Ce modèle d’urbanisation qui consacre à chaque espace une fonction unique, qui dépend de la voiture pour les relier, constitue une impasse écologique, économique et sociale. » Avec ces mots, prononcés en octobre 2021 lors d’un discours consacré à la consultation citoyenne « Habiter la France de demain », Emmanuelle Wargon — la secrétaire d’État à la Transition écologique, chargée du Logement — a provoqué des réactions agacées chez certains professionnels de la construction. Elle a sûrement également contrarié de nombreuses Françaises et Français, qui aspirent pour la plupart à vivre dans une maison individuelle. Selon la consultation en ligne organisée par le gouvernement en 2021, plus de 80 % des répondants souhaiteraient habiter dans une maison individuelle s’ils avaient le choix, contre 15 % en appartement.Selon la Fédération française du bâtiment, entre le premier semestre 2019 et le premier semestre 2021, les ventes de maisons neuves ont progressé de 16,3 % et les délivrances de permis de construire ont augmenté de 18,3 %. Sachant qu’aujourd’hui, plus de la moitié des logements en France sont déjà des logements individuels, faut-il continuer à en construire ?

Surfant sur la polémique, plusieurs personnalités politiques se sont transformées en ardents défenseurs de la maison individuelle. Marine Le Pen avait opportunément twitté : « Présidente, je ferai tout pour que chaque Français qui en rêve puisse accéder à une maison individuelle avec jardin. »

Vue aérienne de Saint-Sébastien-sur-Loire, commune limitrophe de Nantes. Géoportail

Chaque année, 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers sont artificialisés

L’« impasse écologique » dont parlait la ministre du Logement est pourtant une réalité. Selon les chiffres de l’établissement public Cerema, chaque année, entre 2009 et 2017, 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers ont en moyenne changé d’usage. 68 % d’entre eux ont été transformés pour de l’habitat et 25 % pour de l’activité. Cette artificialisation se constate très fortement autour du littoral, notamment sur les littoraux de l’Atlantique et de l’arc méditerranéen, et autour des agglomérations. Au-delà de l’emprise des bâtiments sur le sol, l’étalement urbain, c’est-à-dire l’extension des surfaces urbanisées, nécessite d’étendre les réseaux pour l’eau, l’électricité, et le ramassage des ordures. Cela a de nombreuses conséquences négatives sur l’environnement. Le groupe de réflexion La Fabrique Écologique les a listées dans une note, en octobre 2021 : « Diminution des espaces naturels, agricoles et forestiers », « pollution accrue de l’air et de l’eau liée aux activités et aux écoulements », « rupture des continuités écologiques indispensables à la vie de la faune et de la flore »… De plus, l’imperméabilisation des sols augmente les risques d’inondation.

David vient de faire construire sa maison dans un nouveau lotissement à Notre-Dame-des-Landes. © Héloïse Leussier/Reporterre

À cela, il faut ajouter la multiplication des déplacements en voiture. Dans les espaces peu denses, les alternatives à l’autosolisme — le fait d’être seul dans sa voiture — sont quasi inexistantes. « Une étude de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] considère que, au-dessus du seuil de 1 500 habitants par kilomètre carré, il est assez rentable de faire du transport collectif. En France, plus de 65 % de la surface de nos villes est en dessous de ce seuil-là », rappelait Alice Colsaet, doctorante en économie, dans un entretien avec Reporterre en 2019.

Les élus misent toujours sur la construction de logements neufs

Malgré les effets néfastes connus de l’étalement urbain, de nombreux élus continuent de miser sur des constructions pour attirer de nouvelles populations. « 70 % de l’artificialisation des terres a lieu dans les communes où aucune tension n’existe entre l’offre et la demande de logement, 20 % de l’artificialisation se fait même dans des communes dont la population décroît », observe La Fabrique Écologique. La tendance à l’artificialisation tient aussi au fait que « les agriculteurs ont trop souvent intérêt à vendre un petit bout de leurs terres lorsqu’ils partent à la retraite », explique Julien Fosse, biologiste, qui a participé à la rédaction du rapport de cette association. Quand les terres deviennent constructibles, leur coût grimpe en flèche, multiplié parfois jusqu’à par dix. « Il faudrait remettre à plat la question de la transmission du foncier agricole », estime-t-il.

« 70 % de l’artificialisation des terres a lieu dans les communes où aucune tension n’existe entre l’offre et la demande de logement. » © Héloïse Leussier/Reporterre

Du côté des acheteurs, le rêve de la maison avec jardin est alimenté par de nombreuses incitations financières et sociales. « Le désir d’habitat pavillonnaire est façonné par l’environnement familial, la classe sociale, mais aussi les politiques publiques », rappelle Anne Lambert, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined), autrice de l’ouvrage Tous propriétaires ! L’envers du décor pavillonnaire (Seuil, 2015). « La politique de soutien à l’accès à la propriété individuelle passe par des prêts aidés, des dispositifs de défiscalisation, des subventions directes aux particuliers, mais elle est aussi portée par des enjeux d’emploi car le secteur du BTP est un grand pourvoyeur d’emplois non délocalisables », explique-t-elle à Reporterre. « La filière de la construction neuve est bien organisée pour produire des maisons individuelles à grande échelle, avec des matériaux qui ne sont pas haut de gamme, mais permettent de proposer des prix attractifs. » Parmi les habitants de maisons neuves en zones périurbaines qu’elle a interrogés, la sociologue a constaté que ce type d’habitat n’était pas forcément un premier choix. Certains ménages modestes font d’abord des demandes pour des logements sociaux, mais les files d’attente dans les quartiers les plus demandés les rendent inaccessibles. Comme les appartements en ville coûtent cher, la maison individuelle neuve en zone péri-urbaine apparaît alors comme une solution moins onéreuse. Un moindre coût à première vue, car les transports peuvent contribuer à augmenter le coût de ce mode de vie. La crise des Gilets jaunes a d’ailleurs montré que l’augmentation des prix du carburant pouvait avoir des conséquences sociales importantes.

Les transports s’allongent d’autant plus que les lieux d’habitation des particuliers sont de plus en plus loin de leurs lieux de travail, souvent pour des raisons de budget. C’est le cas par exemple autour de Nantes, où les constructions de maisons neuves se multiplient désormais dans la deuxième couronne de l’aire urbaine, comme l’a observé l’urbaniste Sylvain Grisot. « Les communes les plus proches de la métropole ont une politique d’attractivité en disant : “Venez chez nous, vous aurez une maison moins chère et vous paierez moins d’impôts” », explique l’auteur du Manifeste pour un urbanisme circulaire (Apogée, 2021) dans un article. Mais cela montre aussi que les familles à revenus moyens parviennent de moins en moins à se loger dans la métropole. « Elles ne peuvent plus se payer une maison à Nantes et on construit peu d’appartements de taille suffisante. La production neuve, faite à des fins locatives avec des dispositifs de défiscalisation, porte majoritairement sur des T2 et T3 », souligne-t-il.

Au nord de Nantes, par exemple, les communes rurales de la communauté de communes d’Erdre-et-Gesvres ont accueilli 6 770 nouveaux habitants entre 2013 et 2019. La commune de Notre-Dame-des-Landes (2 400 habitants) a ainsi a vu se construire « 15 à 20 nouvelles maisons par an depuis 2008 », selon son maire Jean-Paul Naud. Il précise que ces constructions ont été faites « en renouvellement urbain » sur des zones déjà ouvertes à l’urbanisation et non pas en transformant des espaces agricoles ou forestiers. Les nouveaux arrivants sont principalement « des jeunes couples avec enfants » qui ne « peuvent pas construire plus près de l’agglomération », explique-t-il à Reporterre. Il constate une hausse continue des prix des terrains dans son coin, surtout depuis l’abandon du projet d’aéroport.

Un nouveau lotissement à Notre-Dame-des-Landes. © Héloïse Leussier/Reporterre

Dans un nouveau lotissement d’une centaine de maisons à Notre-Dame-des-Landes, nous avons ainsi rencontré David, 27 ans, paysagiste, qui a choisi de faire construire une maison de 77 m² car il voulait « avoir un jardin ». « Je travaille à Orvault, commune voisine de Nantes. J’ai cherché dans les communes accessibles à mon budget », explique-t-il. De leur côté, Alexandre 28 ans, responsable de chantier dans la fonction publique et sa compagne Émilie, 27 ans, psychologue, parents de deux jeunes enfants, originaires de Nantes, expliquent avoir voulu quitter la ville pour une vie « plus calme à la campagne ». « Nous avions repéré une maison dans le bourg mais les travaux coûtaient trop cher. Un notaire nous a ensuite mis en contact avec le propriétaire du terrain où nous avons fait construire », explique Alexandre. Pour ces nouveaux propriétaires, impossible de se passer de la voiture. Mais leur mode de vie ne leur semble pas forcément anti-écologique. « Ici, je pourrai faire un compost, du potager et élever des poules, ce qui ne serait pas possible en ville », note David.

Depuis plusieurs années, différentes lois tentent de freiner la consommation d’espaces naturels. La dernière en date, la loi Climat, fixe un objectif de zéro artificialisation nette des sols en 2050. Reste à savoir comment va se mettre en place cette nouvelle réglementation. Dans l’article L101-2-1 de la loi Climat, l’artificialisation « est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Ce n’est pas le même sens que celui retenu par le Cerema, qui considère comme artificialisés tous les espaces agricoles et forestiers transformés en espaces urbanisés, qu’on y construise des parcs ou des maisons. « Un flou a été introduit par la loi et cela piège le débat politique. Construire dix maisons sur un hectare d’espace d’agricole sera comptabilisé comme moins d’artificialisation qu’en construire cinquante, donc cela ne va pas empêcher l’étalement urbain », estime Sylvain Grisot.

Qui remportera la mise, la version la plus protectrice des sols ou la plus laxiste ? Selon la loi Climat, les conférences régionales des schémas de cohérence territoriale (SCoT), chargées de décliner l’objectif de réduction par deux de la consommation d’espaces agricoles et forestiers à l’horizon 2030, avaient jusqu’au 22 février pour se réunir. Las, le gouvernement a prêté l’oreille à l’Association des maires de France et à l’institution Régions de France : l’échéance est repoussée de six mois.


Volet 2 : Logements vacants : retaper du vieux plutôt que construire du neuf …

Réhabiliter les milliers de logements vides en France, plutôt que d’en construire de nouveaux, l’idée fait son chemin auprès d’opposants à des projets immobiliers. Problème : il est bien moins coûteux de construire du neuf.

Fini « le modèle du pavillon avec jardin », place à « l’intensité heureuse ». Voici, en quelques mots, la philosophie défendue par la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, dévoilée à l’automne 2021. Si elle prend soin d’éviter le mot « densification », tant il est repoussoir politiquement, il s’agit bien en réalité de mettre plus d’habitations par kilomètre carré, afin d’éviter l’extension infinie des zones urbanisées. Pourtant, dans les villes où la densification s’est accélérée ces dernières années, des projets de construction sont contestés. Certains habitants n’ont tout simplement pas envie d’avoir de nouveaux voisins. Mais des défenseurs du patrimoine, ou encore de collectifs qui veulent préserver des espaces verts en ville, peuvent aussi donner de la voix. Les jardins de l’Engrenage à Dijon, le jardin des Ronces à Nantes ou encore les jardins Joyeux à Rouen sont autant d’exemples de mobilisations portant des revendications écologiques contre des projets immobiliers.

À Rennes par exemple, la densification passe mal auprès des habitants. Le Pays de Rennes (76 communes) devrait accueillir 130 000 habitants supplémentaires d’ici à 2040, selon l’agence d’urbanisme de la ville. Une quinzaine de collectifs, réunis au sein du groupe R’Math, s’oppose à différents projets immobiliers. « Je suis née à Rennes et je ne reconnais plus ma ville », déplore Françoise, 43 ans, membre du collectif Non au nouveau site du siège d’Aiguillon (Nanssa). Elle et ses voisins s’opposent à un projet immobilier d’une centaine de logements qui comprend une tour de douze étages, dans le quartier de la Poterie, majoritairement constitué de petits immeubles et de maisons. « Nous ne sommes pas contre la densification, elle est inéluctable car nous sommes toujours plus d’habitants. Nous sommes contre la surdensification et les projets réalisés sans consultation », précise-t-elle. En plus du projet d’Aiguillon, le collectif a recensé dans le quartier « plus de 1 500 logements livrés ou imminents depuis 2018 ». Il a dressé une liste de propositions pour freiner ce type de construction, dont les premières sont « réhabiliter les logements vacants » et « changer la destination des bureaux pour les transformer en logements ».

Logements vacants à réhabiliter, à Lille. © Héloïse Leussier/Reporterre

La question des logements vacants revient régulièrement dans la bouche des opposants à des projets immobiliers. Pourquoi continuer à construire plutôt que d’occuper les logements vides ? Selon l’Insee, les logements vacants augmentent nettement depuis 2006, à un rythme supérieur à celui de l’ensemble du parc immobilier. En 2021, on dénombrait 3 millions de logements vacants en France (hors Mayotte), soit 8,3 % du parc. 726 000 logements vacants se trouvent dans des communes de moins de 2 000 habitants, 1 million dans des secteurs urbains de moins de 100 000 habitants, et 1,188 million dans des unités urbaines de plus de 100 000 habitants. Il y avait également 9,9 % de résidences secondaires ou logements occasionnels.

Parmi les raisons expliquant la vacance, l’Insee cite notamment « une inadéquation de l’offre avec la demande en matière de taille, localisation, prix ». De fait, une partie importante des logements vacants se trouvent dans des communes où les Français ne cherchent pas à habiter. Mais ils peuvent aussi se trouver dans des villes où le marché de l’immobilier est tendu. Les chiffres du ministère de la Transition écologique montrent que certains quartiers de Paris, Marseille ou encore Lille affichent des taux de vacance longue durée supérieurs à 10 %.

Logements vacants à Roubaix. © Héloïse Leussier/Reporterre

Il faut « beaucoup d’ingénierie et de courage politique »

La Métropole de Lille a décidé de s’attaquer aux problèmes de vacance et d’habitats anciens dégradés, avec la création en 2010 d’une société publique locale, La Fabrique des quartiers. Ses actions permettent de mieux comprendre ces phénomènes et ce qui peut être mis en place pour y remédier. « Il y a 40 000 logements vacants dans la métropole, soit 8 % du parc immobilier. Nous sommes à peu près dans la moyenne nationale, mais avec des poches de forte vacance dans le centre de Lille et les anciennes villes ouvrières, Roubaix, Tourcoing et Armentières », explique Vincent Bougamont, architecte de profession et directeur de la structure. D’anciennes maisons ouvrières sont laissées à l’abandon dans les quartiers populaires, tandis que dans les beaux quartiers de Lille, où les prix de l’immobilier sont très élevés, il n’est pas rare de voir des espaces inoccupés au-dessus de boutiques chics.

Logements vacants à réhabiliter, à Lille. © Héloïse Leussier/Reporterre

« S’attaquer à la question des logements vacants demande beaucoup d’ingénierie et de courage politique, car on s’attaque au sujet très sensible de la propriété privée en France », estime M. Bougamont. La Fabrique des quartiers a mené une étude parue en 2019 sur les logements vacants dans la métropole. « Nous avons fait des diagnostics sur certains logements, parfois en allant jusqu’à chercher dans des généalogies pour retrouver des ayants droit », précise-t-il. Les raisons qui font que des logements restent vides sont variées : « Il y a des logements qui ne sont pas réellement vacants ou du moins ne vont pas le rester, des cas d’indivision avec des héritiers qui ne sont pas tous d’accord pour vendre, des propriétaires qui n’ont pas les moyens ou la volonté d’entretenir leur bien, des appartements situés au-dessus de commerces qui ne sont plus accessibles », dit-il. La structure s’attaque à chaque situation au cas par cas, par exemple en accompagnant les cas d’indivision, en orientant les propriétaires vers les aides à la rénovation ou en les incitant, avec les mécanismes prévus dans la loi, à faire certains travaux. « Nous pouvons aller jusqu’à lancer des procédures d’expropriation », précise-t-il.

Maisons à 1 euro

Pour la réhabilitation des habitats anciens, l’implication de la puissance publique apparaît comme incontournable. « Les statuts de La Fabrique des quartiers permettent d’intervenir sur des terrains qui n’intéressent pas les opérateurs privés, car le risque financier y est jugé trop important, explique Vincent Bougamont. Dans l’habitat ancien, il faut acheter, reloger et on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Notre particularité est d’intervenir sur des petits projets qui prennent du temps, avec une dimension humaine. » La structure emploie des travailleurs sociaux qui interviennent notamment auprès des personnes à reloger. Un fonctionnement bien différent de celui d’un promoteur qui part d’une feuille blanche sur un terrain vide. La Fabrique des quartiers peut acheter des biens avec l’établissement public foncier, pour les réhabiliter et en faire des logements sociaux ou en accession à la propriété.

C’est ce qu’elle a fait par exemple à la Cité des Postes, dans le quartier de Wazemmes, à Lille. Cette impasse était constituée de très petites maisons ouvrières abandonnées ou en mauvais état, occupées par des familles défavorisées locataires. Ces occupants ont été relogés dans le parc social. La Fabrique des quartiers a fait de gros travaux de réhabilitation qui ont duré une dizaine d’années. Certaines maisons ont été regroupées, des extensions ont été réalisées et les intérieurs ont été remis au goût du jour. Les habitations ont ensuite été revendues à des bailleurs sociaux.

Appartement vendu à Roubaix. © Héloïse Leussier/Reporterre

La Fabrique des quartiers a aussi organisé une opération très médiatisée : des maisons vendues à 1 euro à Roubaix. Il s’agissait en fait de maisons en état très dégradé, appartenant à des acteurs publics locaux, dans le quartier très pauvre du Pile. Dix-sept maisons ont été proposées à la vente en accession sociale à la propriété. Les candidats devaient s’engager à faire des travaux de rénovation et rester dans leur logement pendant plusieurs années. Finalement, neuf maisons ont été vendues dans ce cadre. Certaines n’ont pas trouvé preneurs, notamment parce qu’elles étaient jugées trop petites, tandis que dans d’autres cas, ceux qui voulaient les acheter n’ont pas trouvé de financements auprès des banques. « Remettre des propriétaires occupants permet d’avoir des personnes qui se projettent de manière positive dans la ville », estime Vincent Bougamont. Selon lui, les rénovations effectuées sont « très réussies », car les acheteurs se sont beaucoup investis pour faire des habitats à leur goût. « Ce n’est pas avec des maisons à 1 euro que l’on sauvera Roubaix, mais cela peut faire partie d’un panel de solutions », dit-il. Ce dispositif doit faire l’objet d’une évaluation au niveau national, pour éventuellement le répliquer ailleurs.

Réhabiliter les logements existants plutôt que d’en construire de nouveaux, cela peut sembler aller de soi, mais pas pour les professionnels de la construction. Car aujourd’hui, cela coûte beaucoup moins cher de faire du neuf. Dans la mesure où « les dispositifs de taxation des logements vacants sont techniquement difficiles à mettre en place, car il faut pouvoir prouver l’absence d’occupation pendant au moins un an », il faudrait surtout créer « un fonds de soutien public de transformation et de réhabilitation beaucoup plus important », estime Julien Fosse, biologiste, qui a participé à la rédaction d’un rapport de La Fabrique écologique sur l’artificialisation. Et en parallèle, il faudrait revoir les soutiens financiers à la construction qui sont « mal adaptés ». Une autre idée pourrait être d’intégrer le coût environnemental des constructions dans la balance. « Construire un immeuble nécessite 70 fois plus de matériaux et produit 5 fois plus d’émission de gaz à effet de serre qu’une réhabilitation », observe l’urbaniste Sylvain Grisot. Selon lui d’ailleurs, « 80 % de la ville de 2050 est déjà autour de nous, c’est l’ensemble de cette ville qui doit être adaptée à nos besoins de 2050 ». En ces temps de pénuries de matériaux, faire avec l’existant pourrait de toute façon devenir une nécessité.


Volet 3 : Bâtir dans son jardin, une alternative aux gros projets immobiliers ...

Construire sur son terrain, dans son jardin ou à la place de son parking. Partir d’espaces déjà urbanisés pour bâtir de nouveaux logements est une autre manière d’envisager les projets immobiliers. Et de lutter contre l’artificialisation des terres.

Densifier, c’est n’est pas seulement construire de gros projets dans des Zones d’aménagement concerté (Zac) ou des grandes tours. Cela peut aussi passer par des plus petits projets.
C’est en tout cas ce que prône Villes vivantes, avec des solutions de « densification douce avec les habitants », comme l’explique son directeur et fondateur, David Miet. Cette entreprise créée en 2013 développe notamment le concept Bimby, pour « build in my backyard » (« construire dans mon jardin »). Cela consiste à accompagner des particuliers dans des projets de logements sur des terrains leur appartenant, dans des quartiers pavillonnaires, pour éviter d’urbaniser de nouveaux espaces. Les architectes, urbanistes et paysagistes de Villes vivantes accompagnent également des propriétaires dans la reconfiguration de bâtiments existants ou la création d’extensions pour faire de nouveaux logements. Ces actions se font en partenariat avec des collectivités. « Nous venons d’achever une première opération à Périgueux [Dordogne], qui, en cinq ans, a permis la création de 250 nouveaux logements, soit l’équivalent d’un gros lotissement », relate-t-il.Une dizaine d’autres projets ont été réalisés ou sont en cours un peu partout en France. Comme à une quarantaine de kilomètres de Rennes, avec le Syndicat d’urbanisme du Pays de Vitré, qui réunit les collectivités Vitré Communauté et Roche aux fées Communauté. Dans ces territoires où il y a une forte demande en logements, « les élus se préparaient depuis plusieurs années aux enjeux autour du foncier que l’on voit arriver avec la loi Climat [qui fixe des objectifs de réduction de l’artificialisation], explique Laurie Limoux, responsable de l’organisation. Après avoir recensé les dents creuses du territoire [c’est-à-dire les espaces non construits entourés de parcelles bâties], une enquête de terrain auprès des habitants avait permis d’identifier des propriétaires de grandes parcelles en centre-bourg, qui ne pouvaient plus forcément entretenir leurs jardins, qui pouvaient être intéressés par la démarche ». C’est ainsi qu’est venue l’idée de faire appel à Villes vivantes pour mettre en place une opération Bimby.

« Cela nous fera un espace de moins à entretenir »

À Retiers, dans le Pays de Vitré, Maryvonne et Marcel ont par exemple bénéficié de l’accompagnement de l’entreprise pour vendre une partie de leur terrain, et leur garage de 150 m², qui sera transformé en maison. Retraités depuis 2008, ils n’avaient plus usage de ce bâtiment qui servait surtout pour l’entreprise d’électricité de Marcel. Ils vont faire construire un autre garage plus petit pour ranger leur voiture. L’entreprise les a aidés en modélisant les différents scénarios de travaux possibles, et dans la réalisation du plan de leur futur garage, afin de le rendre cohérent avec le projet de future maison.

Elle les a accompagnés dans les démarches administratives et l’organisation de la vente. S’ils avaient déjà le projet en tête au moment de se décider en 2021, ils rapportent que cette aide a été très utile. « Cela nous fera un espace de moins à entretenir et moins de travail dans le jardin », explique Maryvonne, qui nous reçoit avec son mari dans leur grande maison coquette. Il leur restera tout de même 320 m² de terrain, et une partie de leur résidence où se trouvait la boutique d’électricité tenue par Maryvonne, qui sert aujourd’hui de lieu de stockage.

Maryvonne et Marcel ont bénéficié d’un accompagnement pour vendre une partie de leur terrain, qui sera transformé en maison. © Héloïse Leussier/Reporterre

« Quand nous avons ont fait construire dans les années 1980, nous étions seuls au milieu des champs », raconte le couple. Aujourd’hui, leur habitation est entourée d’autres maisons. L’arrivée de la 2×2 voies Rennes-Angers dans les années 2000, ainsi que l’attractivité de la métropole de Rennes, qui se trouve à 35 minutes en voiture et 40 minutes de train, ont fait grimper le nombre d’habitants de Retiers. Ils étaient environ 3 200 dans les années 1970. Ils sont aujourd’hui 4 600. Maryvonne et Marcel voient d’un bon œil l’installation de jeunes ménages qui viennent « dynamiser » la commune. L’arrivée d’un voisin supplémentaire, qui plus est qu’ils ont choisi, ne leur pose donc pas de problème. Ils comprennent l’intérêt environnemental de cette forme densification. « C’est toujours mieux que d’aller construire sur des terrains agricoles », pointe Marcel. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils accueillent à bras ouverts tous les projets de construction. « Un square qui se trouvait en face de notre maison a été détruit pour y construire des petites maisons en logement social. La perte de cet espace vert est lamentable », rapporte l’ancien électricien.

Selon David Miet, il y a un potentiel important de développement de la démarche Bimby, dans tous les secteurs urbains où « les voiries et réseaux de ramassage et traitement des déchets sont déjà présents ». « Cela va dans le sens des politiques nationales de réduction de l’étalement urbain et de construction de nouvelles infrastructures », affirme-t-il. Il estime que « de nombreux Français sont prêts à faire évoluer leurs habitats », et que les projets de construction réalisés avec des habitants sont souvent mieux acceptés que ceux décidés sans consultation par des élus et des promoteurs.

Ces projets peuvent par ailleurs permettre d’anticiper des évolutions de vie. « Certaines personnes âgées font réaménager le rez-de-chaussée de leur maison pour mettre un étage en location. D’autres font construire un bâtiment dans leur jardin, pour accueillir des proches dépendants », explique David Miet. Mais pour développer ce potentiel, il faut proposer « une offre de service alternative à la promotion immobilière pour les collectivités » et créer « de nouveaux métiers de la densification avec les particuliers », estime-t-il. « Pour les communes, aujourd’hui, il est plus facile de trouver un aménageur ou un promoteur qui part d’un terrain vierge que des professionnels qui sont capables de développer et de coordonner des centaines de micro projets, comme l’ajout d’un étage à une maison. »

Maryvonne et Marcel prêts à bâtir sur leur terrain. © Héloïse Leussier/Reporterre

« Quand on construit, il y a une perte de végétation »

Si l’on comprend bien l’intérêt de construire dans les zones peu denses pour préserver des terres cultivables, la destruction des espaces verts investis dans des projets de type Bimby n’est toutefois pas sans conséquence sur l’environnement. « Le quartier pavillonnaire, au premier rang des accusés responsables de l’étalement urbain, ne manque pas de terres fertiles à valoriser. Celles-ci accueillent une nature qui joue un rôle spécifique dans l’armature verte des agglomérations », souligne ainsi la géographe Ségolène Darly dans un article. Elle rappelle que la végétation occupe jusqu’à 42 % de la superficie de certaines communes de la première couronne parisienne comme Stains ou Villetaneuse. « On ne peut pas nier que quand on construit, il y a une perte de végétation et de terres non imperméabilisées », reconnaît David Miet. Mais selon lui, cette densification est préférable à un « étalement urbain généralisé », d’autant qu’une « ville dense bien compacte raccourcit la distance à faire pour trouver de la nature ».

Tout en étant convaincu qu’il faut poursuivre la recherche et développement sur des solutions de densification douce, le chef d’entreprise se veut aussi lucide concernant la demande en logement. Selon lui, ce type de solution pourrait ne pas suffire dans les agglomérations où il y a une forte demande, comme Rennes, Nantes, Montpellier, Bordeaux, Toulouse ou Lyon. « Il faudra peut-être réfléchir à ce que certaines villes aient le droit de grandir en faisant du bon étalement urbain en cœur d’agglomération, de manière à ne pas éjecter des populations toujours plus loin de leur lieu de travail. »


Volet 4 : Le pavillon est dépassé, ils choisissent l’habitat collectif …

Jardin et buanderie partagés, chambre d’amis en commun… Reporterre a rencontré les habitants de deux habitats partagés pionniers à Lille : « C’est comme une vie de quartier ! »

Ne pas grignoter trop de sols, ni multiplier les grandes tours… Comment satisfaire les besoins en nouveaux logements – entre 2,7 millions à 3,9 millions sur la période 2017-2030 [1] – tout en préservant l’environnement ? D’autant que chaque ménage occupe de plus en plus d’espace, en raison de la recomposition des familles et du vieillissement de la population. Selon l’Insee, on est passé d’un peu plus de trois personnes par ménage, en 1968, à 2,3 en 2016. Le nombre de mètres carrés par personne est passé de 31 en 1984 à 40 en 2006.

La réponse pourrait passer par la mutualisation : c’est ce que permet l’habitat participatif, qui consiste à partager sous diverses formes des espaces d’un logement collectif. On dit aussi habitat partagé ou habitat groupé. Ce mouvement se développe progressivement depuis les débuts des années 2000, et intéresse de plus en plus de citoyens et de collectivités. Il reste toutefois timide en France. Il y a aujourd’hui près de 270 habitats de ce type ayant abouti, 170 en travaux et 500 à l’étape de la réflexion ou d’étude, selon le mouvement Habitat participatif France.

Dans l’habitat partagé Les voisins et caetera, cette famille réside dans un appartement de 80 m² environ, et partage d’autres espaces avec sept autres ménages. © Héloïse Leussier/Reporterre

La ville de Lille, par exemple, avait lancé dès 2011 un appel à projets pour créer deux habitats participatifs dans le quartier de Bois-Blancs, en plein renouvellement. Ces deux premiers projets, créés par des groupes d’habitants avec des bailleurs sociaux, sont sortis de terre il y a quelques années. L’un s’appelle Les voisins du quai et est constitué de onze logements ; l’autre, Les voisins et caetera, rassemble huit ménages. Les habitants, locataires ou en accession à la propriété, ont chacun des appartements de différentes tailles, mais partagent, en plus, un jardin et d’autres pièces comme un salon, une buanderie, un atelier et une chambre d’amis.

« Un mode de vie urbain moins consumériste »

Chez les habitants que nous rencontrons, si l’entraide et le partage sont les motivations premières pour se tourner vers ce type d’habitat, les avantages écologiques sont aussi bien identifiés. Pour Camille, 36 ans, auteur et metteur en scène, habitant des Voisins et caetera, cela permet d’avoir « un mode de vie urbain moins consumériste ». Dans leur salon partagé ouvert aux habitants du quartier, ils accueillent des ateliers de réparation de vélo, du brassage de bière, une livraison d’Amap et également des commandes alimentaires groupées, en vrac, pour réduire les emballages et éviter d’acheter dans la grande distribution. Les espaces sont aménagés avec du matériel de récupération, les jardins et composts sont entretenus collectivement. Les voisins du quai ont même choisi de faire de la permaculture. « Un jardinier vient nous aider à faire des chantiers participatifs », raconte Sophie, 63 ans, retraitée. Plusieurs résidents des Voisins du quai partagent par ailleurs une voiture avec des habitants des Voisins et caetera.

L’habitat partagé Les voisins du quai, à Lille. © Héloïse Leussier/Reporterre

Tout le monde pourrait-il vivre comme cela ? « Il faut avoir des aspirations à vivre un peu autrement », estime Éric, habitant des Voisins du quai. Ce responsable associatif, qui résidait auparavant dans une grande maison, qui « n’était plus adaptée et nécessitait des travaux », a opté pour l’habitat participatif afin « d’anticiper son vieillissement », mais aussi pour des valeurs de « solidarité ». Les Voisins du quai ont d’ailleurs décidé, au moment du montage de leur projet, qu’un studio au sein de leur immeuble serait proposé en location très sociale. Kévin, 30 ans, a ainsi rejoint l’habitat par le biais d’une association œuvrant pour les personnes en situation de handicap, les Papillons blancs. « Je trouve ça mieux que d’avoir un appartement tout seul », dit-il. Junie, 47 ans, elle, a choisi de rejoindre cet habitat pour que ses deux enfants côtoient d’autres jeunes, mais ils avaient déjà bien grandi quand le projet a finalement abouti.

« Ce n’est pas comme une colocation »

« Des projets pour lesquels il faut six ans de montage, cela peut en décourager certains », observe Éric. « Le bailleur avec lequel nous avons créé notre habitat a trouvé que c’était très compliqué », explique Junie. « Il y a un mouvement assez structuré qui émerge, mais l’habitat participatif est beaucoup plus développé chez nos voisins en Belgique, en Allemagne, en Suisse, ou encore au Danemark. En France, on est plus individualistes », souligne Sophie. Il existe actuellement une dizaine de projets d’habitats partagés dans la Métropole européenne de Lille, aboutis ou en cours. « Pour la métropole, l’habitat participatif permet de densifier sur des parcelles dont les promoteurs ne veulent pas. Ce qui n’empêche pas la multiplication de constructions sur d’anciennes terres agricoles autour de la ville. Nous restons marginaux par rapport à l’extension de l’étalement urbain », regrette Camille. Pourtant, selon lui, tout le monde pourrait vivre en habitat partagé. « C’est comme une vie de quartier, ce n’est pas comme une colocation. On a tous nos appartements privés avec, en plus, des choses qu’on partage avec nos voisins ».

Aujourd’hui, des projets d’habitats participatifs se construisent partout en France, en ville comme en zone rurale, sous des formes très variées. Certains sont réalisés à l’initiative de collectivités, et/ou avec des bailleurs sociaux, d’autres rassemblent uniquement des particuliers. De plus, il ne s’agit pas forcément d’appartements. Certains projets sont constitués de petites maisons regroupées autour d’espaces partagés. Il peut même s’agir de villages composés d’habitats légers, qui ont l’avantage d’avoir peu d’emprise au sol.

Des appartements de plus en plus petits

Pour l’instant, l’engouement pour les habitats collectifs reste minoritaire. Pour lutter contre la hausse de construction de maisons neuves néfaste pour le climat, l’urgence est, déjà, d’améliorer l’offre de « grands » logements classiques. Une étude de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal) portant sur des logements construits en Île-de-France entre 2000 et 2020 fait également le constat d’une diminution de la taille des appartements : « Les T4 réalisés avant 2010 sont en moyenne près de 10 m² plus grands que ceux livrés depuis dix ans » [2]. Par ailleurs, les appartements actuels sont mieux isolés, mais 27 centimètres plus bas de plafond qu’il y a soixante ans, selon l’enquête Qualitel de mai 2021. Il y a par ailleurs de moins en moins d’appartements traversants : 32 % pour ceux construits après 2009, contre 50 % des appartements de plus de dix ans.

Cette baisse de qualité s’explique en partie par les politiques actuelles, basées sur des dispositifs de défiscalisation de type Pinel, qui incitent des particuliers à investir dans des logements qu’ils n’habitent pas. Dans l’ouvrage Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires (Apogée, 2022), l’urbaniste Sylvain Grisot et la présidente du Conseil national de l’ordre des architectes Christine Leconte concluent : « Les promoteurs disparaissent une fois les logements livrés et les propriétaires le restent rarement après la période de défiscalisation. Ne subsistent que des locataires habitant des logements dessinés sans eux et des bâtiments pas vraiment conçus pour durer. »