Cristina Calderón, appelée au Chili affectueusement « Grand-mère Cristina », était la dernière locutrice de la langue non-écrite du peuple Yagan, habitant les régions glacées de l’extrême sud du Chili. L’Unesco avait choisi en 2009 de l’ajouter à la liste des « trésors humains vivants ». Sa disparition, à l’âge de 93 ans, suscite de nombreuses réactions au Chili et à l’étranger …
Chili : la dernière locutrice de la langue autochtone yagan a disparu
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L’annonce du décès a été faite, mercredi 16 février, par un de ses neuf enfants sur Twitter : « Ma mère, Cristina Calderon, est décédée. Je suis profondément attristée de ne pas avoir été avec elle au moment de son départ. C’est une triste nouvelle pour les Yagans », a écrit sa fille, Lidia Gonzalez Calderon, vice-présidente adjointe de l’Assemblée chargée de la rédaction d’une nouvelle Constitution pour le Chili.
« Tout le travail que j’accomplis actuellement [au sein de l’Assemblée constituante, NDLR], je le fais en son nom », a-t-elle ajouté.
Les Yagans sont considérés comme les habitants les plus australs du globe après avoir peuplé, il y a plus de 6 000 ans, le cap Horn et la Grande île de la Terre de feu, à la pointe sud du continent américain. Ce peuple de navigateurs aguerris a longtemps été nomade.
Leur population atteignait 3 500 personnes avant l’arrivée des Européens dans cette zone, au XIXe siècle. Elle a ensuite chuté brutalement en quelques décennies, notamment à cause des maladies véhiculées par les colons. Celle que ses proches appelaient « grand-mère Cristina » était devenue un symbole de la résistance culturelle des peuples indigènes du Chili.
« Je suis la dernière oratrice yagan. D’autres comprennent encore, mais ils ne parlent pas et ne savent pas comme moi », avait déclaré Cristina Calderon en 2017 à un groupe de journalistes qui lui rendaient visite dans le village d’Ukika.
C’est là que vivent la plupart des quelque 100 descendants des Yagans qui survivent encore, à un kilomètre de Puerto Williams, la ville la plus au sud de la planète, au sud d’Ushuaïa (Argentine).
« Une perte irréparable »
Le président élu du Chili, Gabriel Boric, originaire de Punta Arenas, dans le sud du Chili, a dit sur Twitter déplorer la mort de Cristina Calderon, mais a souligné que « son amour, ses enseignements et ses luttes depuis le sud du monde, là où tout commence, vivront à jamais ».
Après la mort de sa sœur Ursula, Cristina Calderon avait été reconnue en 2009 par l’Unesco comme un « trésor humain vivant », notamment pour son rôle de diffusion de la langue et des traditions de son peuple.
Jusqu’aux dernières années de sa vie, elle s’est consacrée à l’artisanat et a réussi à transmettre à l’une de ses petites-filles et à une nièce une partie de son savoir sur cette langue non-écrite et mélodique en voie d’extinction.
« D’autres générations connaissent également la langue yagan mais pas au niveau de Cristina, il y aura donc une perte irréparable », avait averti il y a cinq ans l’anthropologue Maurice van de Maele.
Avec AFP
Cristina Calderón Harban, dernière locutrice du peuple Yagan
Grand-mère Cristina nous a laissé un grand héritage. En son nom, nous continuerons à travailler et à maintenir vivante la culture de notre peuple.
Hala Yella kuluana Cristina. Aujourd’hui, alors que nous pleurons ton départ, nous nous rassemblons en tant que communauté pour allumer trois bougies en ton honneur.
J’ai « connu’ Cristina Calderón grâce à l’article sur le peuple Yaghan qu’a généreusement offert à ce blog, il y a plusieurs années, Robert Lechêne dont je reprends ici une partie de l’article. Rédigé par caroleone :
CRISTINA , LA DERNIERE DES YAGHANS
Si totalement les Aushs et les Onas et presque totalement les Alakalufs ont à ce jour disparu comme ethnies, se diluant silencieusement dans le métissage, l’histoire des Yaghans aura été un peu différente.
Il semblerait que dans les premières décennies du 20e siècle, pour échapper aux missionnaires et aux colons , les survivants aient cherché refuge dans les canaux voisins du Cap Horn, pour finalement s’établir au nord de l’île Navarino, sur les rives de la baie Mejillones bordant le canal Beagle.
De cette période subsiste un cimetière de 79 tombes datées de 1928 à 1959, l’une d’elles indiquant 1916 comme date de naissance du défunt à Mejillones.
En créant en 1953 la base navale de Puerto Williams, l’état chilien décide d’y placer sous sa surveillance en un lieu-dit Villa Ukika ce qui reste des Yaghans, essentiellement ceux de Mejillones qui y sont de 1955 à 1958 transplantés par l’armée.
Presque tous sont métissés, sauf exceptions d’ADN yaghan pur : Felipe Alvarez, le dernier des Yaghans mâles qui mourra en 1977, Rosa Yagan Lakutaia mourra en 1983, Ursula Calderon qui mourra en 2003 et sa soeur Cristina Calderon.
Dans ces dernières décennies du 20e siècle, les progrès de communication des transports font que des relations et des images de la Terre de Feu touchent le monde entier. L’évolution des mentalités fait qu’on prête plus attention au sort des peuples premiers, dont les fuégiens. Ayant pratiquement fini de les faire disparaître, le Chili se découvre des avantages sans aucun rique à maintenant les honorer.
En 1976, le cimetière yaghan de Mejillones est déclaré monument national, en vertu d’une loi qui inclut également les conchales. Les obsèques d’Ursula Calderon en 2003 y sont vidéo-enregistrées. En 2007, un musée portant le nom de Martin Gusinde, consacré à la connaissance des Yaghans, est construit aux frais de l’état à Puerto Willaims.
En 2009, Cristina Calderon, dernière yaghane de souche et parlant encore la langue est déclarée » trésor vivant de l’humanité » par le comité national de la culture et des arts.
Martin Gonzales, fils de Cristina, est envoyé à Washington par le gouvernement pour une rencontre internationale des peuples indigènes.
Mais ces évolutions n’ont pas non plus laissé sans réagir les quelques dizaines de yaghans d’Ukika-Puerto-Williams, même métissé sauf Cristina Calderon.
En 2003, constitués en « groupe de travail du peuple yaghan » ils publient un manifeste demandant des mesures qui traduisent la reconnaissance de leur existence historique et actuelle ( qu’ainsi ‘l’île Navarino et la mer adjacente soient déclarées territoire du peuple yaghan) et présentant des revendications intéressant leur communauté dans une série de domaines, économie, santé, éducation, culture etc…
Ils demandent au gouvernement chilien rien moins qu’un nouveau traité ( il ne leur sera concédé que la propriété de la surface d’Ukika).
Cette même année, âgée de 75 ans , Cristina Calderon participe à Codpa à la première rencontre du réseau chilien de femmes des peuples d’origine ( aymaras, mapuches, atacamas, kollas). Sa fille Lidia Gonzalez Calderon anime le jardin d’enfants Ukika, créé en 1990, dédié à la valorisation de la culture yaghane. Cristina Zarraga, petite fille de Cristina Calderon, s’emploie à recueillir de la bouche de sa grand-mère contes, récits, choses de la vie yaghane : elle publie en 2005 son premier livre « Hai kur Mamashu shis » ( Je veux vous raconter une histoire) puis » hooa Usi Mitsana « ( Remède de ma terre), consacré à la médecine naturelle yaghane.
Quand Cristina Calderon s’éteindra et sera conduite au cimetière ancestral de la baie Mejillones, les télévisions de tous pays en diffuseront des images. A la différence de celle des Aushs, des Onas et des Alakalufs, la fin génétique des Yaghans ne sera pas une disparition mais un évènement d’audience mondiale.
L’humanité saura qu’elle aura perdu une part d’elle-même, minuscule, mais depuis 6.000 ans la plus résolue à exister dans la plus inhumaine extrémité du globe.
Robert Lechêne