Universitaires, environnementalistes, féministes, professionnels, artistes ou leaders autochtones, les indépendants ont éclaté comme un tsunami dans le paysage politique chilien. A l’image de Tía Pikachu ou d’Ignacio Achurra, un melting-pot de nouveaux visages – pour la plupart âgés de moins de 45 ans – qui a la responsabilité d’écrire les règles du jeu pour les prochaines décennies …
Au Chili, c’est une défaite électorale cinglante pour la droite du président Sebastián Piñera. Ce sont des candidats indépendants qui ont été plébiscités pour former l’assemblée chargée d’écrire la nouvelle constitution du pays. Elle devra, à terme, remplacer le texte hérité de la dictature Pinochet.
Chili : les visages d’une nouvelle représentation constituante
Article paru dans APK9to5 du 18 mai, 2021 International
Les indépendants seront fondamentaux dans la rédaction d’une nouvelle Constitution pour remplacer l’actuelle, en vigueur depuis la dictature. Dans un jalon sans précédent et avec un système qui a privilégié les listes des grandes coalitions, les citoyens sans affiliation politique à aucun parti ont remporté 48 des 155 sièges.
L’opposition du centre et de la gauche a remporté 53 sièges, tandis que la droite au pouvoir a été la grande perdante des élections, avec 37. En outre, 17 sièges sont réservés aux peuples autochtones.
Mais dans la Convention constitutionnelle, la première au monde à être composée d’un nombre équilibré d’hommes et de femmes, il y aura aussi des noms bien connus dans la politique chilienne.
Débâcle pour les « partis de l’ordre » au Chili
Surprise électorale, débâcle des partis traditionnels, « nuit des longs couteaux » au sein de la droite, début de la fin pour les héritiers de Pinochet, énorme défaite du président Sebastián Piñera — qui l’a reconnue lui-même —, victoire du mouvement populaire… Depuis hier soir, la presse chilienne multiplie les superlatifs pour cerner le séisme politique qui vient de secouer la cordillère des Andes, du désert d’Atacama jusqu’aux terres froides de la région de Magellan. Les Chiliens étaient appelés aux urnes samedi 15 et dimanche 16 mai pour quatre scrutins simultanés : maires, conseillers municipaux et gouverneurs régionaux devaient être renouvelés et une convention constitutionnelle élue afin de rédiger une nouvelle constitution de la République.
Personne, surtout pas les instituts de sondages, n’avait anticipé un tel bouleversement, même si l’isolement de l’exécutif était patent et le rejet de la « caste » politique massif depuis des années. Malgré la puissance de la révolte populaire d’octobre 2019 et son impact sur l’ensemble du paysage institutionnel, on pouvait être assez circonspect quant aux transformations provoquées par cette séquence électorale.
Lire aussi Franck Gaudichaud, « Au Chili, le pari de la Constitution », Le Monde diplomatique, avril 2021.
L’attention était particulièrement centrée sur les élections à la convention constitutionnelle, élections arrachées de haute lutte et destinées à mettre fin à la Carta Magna néolibérale édictée il y a 41 ans, durant la dictature. Nature du système électoral privilégié pour ces élections, unité de la droite et de l’extrême droite sous une seule bannière (celle de « Chile Vamos »), pacte signé au sein du Parlement pour s’assurer que la future constitution soit validée par une majorité qualifiée des deux-tiers, prédominance financière et médiatique des principaux partis qui ont gouverné le pays depuis trente ans, difficultés rencontrées par les militants issus du mouvement social pour légaliser leur candidature, grande fragmentation du camp indépendant et atermoiements de la gauche, sans parler de la pandémie et de la crise économique… : les obstacles étaient légions.
Les résultats électoraux d’hier changent profondément la donne au Chili
Néanmoins, les résultats électoraux d’hier changent profondément la donne. Tout d’abord, en ce qui concerne la constituante : la coalition de droite a du ravaler sa morgue. Ses dirigeants semblaient sûrs de réussir au moins à remporter un petit tiers des sièges (soient 52 sur 155), lui assurant ainsi une minorité de blocage et un droit de veto sur tous les articles de la future Constitution : c’est raté. Avec un peu plus de 23 % des voix, « Chile Vamos » devra se contenter de 37 sièges. C’est aussi un châtiment et une humiliation pour le président en exercice, M. Piñera, responsable de la crise que vit son pays depuis des mois.
Autre surprise, les rapports de force au sein de l’opposition de gauche se trouvent largement inversés. La liste qui regroupait le Parti communiste et le Front large (Frente amplio, nouvelle gauche issue des mouvements des années 2010) réussit son pari avec 28 élus constituants (18 % des suffrages exprimés). À l’inverse, les partis sociaux-libéraux de l’ancienne Concertation, qui ont gouverné de 1990 à 2010 sans remettre en cause l’héritage économique de la dictature, n’obtiennent que 25 sièges (dont 15 pour le Parti socialiste et seulement 2 pour la Démocratie-chrétienne).
Gauche et centre-gauche ne représenteront cependant qu’un tiers de l’assemblée. La véritable surprise vient surtout de l’ampleur du vote en faveur des « indépendants » qui raflent au total 48 sièges, marquant définitivement le rejet, massif, des partis politiques. Il s’agit d’un ensemble de candidatures très hétérogènes, incluant des complotistes et conservateurs notoires. Mais une majorité critique l’héritage autoritaire et néolibéral des dernières décennies. C’est particulièrement le cas des candidats de la « liste du peuple », qui regroupait des représentants des mouvements sociaux et de la société civile organisée, et qui avec 24 sièges fait entrer au sein de la constituante des figures de la révolte d’octobre, comme la « tante Pikachu » ou encore plusieurs dirigeantes du mouvement féministe, dont Mme Alondra Carillo. D’ailleurs, dans cette élection les femmes ont eu de bien meilleurs résultats que les hommes, certaines d’entre elles devant même renoncer à leur siège au nom du respect de la parité au sein de la convention constitutionnelle…
Ainsi, si la droite perd le droit de veto qu’elle espérait, des alliances entre des représentants de la gauche sociale et politique pourraient permettre de gagner les deux tiers de l’assemblée et commencer — enfin — à déconstruire le néolibéralisme chilien.
Lire aussi Armando Uribe, « Pinochet : esquisse d’un éloge funèbre », Le Monde diplomatique, août 1986.
La colère s’est aussi exprimée dans les urnes avec les élections municipales et celles des gouverneurs régionaux, dont il faudra analyser plus en détails les résultats. M. Jorge Sharp (gauche anti-néolibérale) est confortablement réélu à Valparaiso, ainsi que M. Daniel Jadue, maire communiste de la commune de Recoleta, dans la région métropolitaine (avec plus de 64 % des voix exprimées). Très populaire, M. Jadue est un candidat déclaré pour l’élection présidentielle qui aura lieu dans environ six mois. De quoi faire trembler un peu plus la droite et les sociaux-libéraux. À Santiago, Mme Irací Hassler, militante féministe et communiste trentenaire, l’emporte face à M. Felipe Alessandri (droite) qui s’était fait remarquer par ses déclarations misogynes et anticommunistes durant la campagne. Au niveau des gouverneurs, la victoire de M. Rodrigo Mundaca à Valparaiso, militant écologiste, défenseur de l’eau comme bien commun, a été célébrée dans l’euphorie et la joie par de nombreux militants d’organisation sociales et environnementales.
Quel Chili s’agit-il de construire pour tourner la page de la dictature ?
La crise de la représentation et de légitimité des partis et du système institutionnel ne se traduit pas seulement par le vote : lors de ce week-end d’élections, l’abstention aussi a été historique, à 61,4 % du corps électoral ! Elle l’est plus encore dans les communes populaires où elle pourrait dépasser 65 %, parfois 70 %. Ainsi, une majorité de citoyens ne s’est pas sentie concerné par ce moment politique (tandis qu’une partie des mobilisés d’octobre 2019 appelaient quant à eux à boycotter le « cirque électoral » pour continuer à lutter dans la rue). Dans leur majorité, les Chiliens continuent de marquer leur indifférence ou leur défiance envers ceux « d’en haut », qu’ils soient de droite ou de gauche, issus des partis ou encore indépendants.
Alors que la convention constitutionnelle doit siéger durant 9 mois à 12 mois, les élections présidentielles de novembre prochain viendront à nouveau poser cette question : quel Chili s’agit-il de construire pour tourner la page de la dictature ?
Au Chili, les candidats indépendants et «Tante Pikachu» créent la surprise
L’Assemblée constituante chilienne qui sort du scrutin du week-end sera dominée par les indépendants – dont certains hauts en couleur, fans de mangas et de dessins animés japonais – et les nouvelles forces de gauche alliées aux communistes. Un séisme politique dont la droite et le président, Sebastián Piñera, font les frais.
Santiago (Chili).– Cela avait commencé au Chili, dans la rue, le 18 octobre 2019. Des jeunes dénonçaient une hausse du prix du ticket de métro, ce qui, dans un pays marqué par les inégalités, leur semblait le comble de l’injustice. Un an et sept mois plus tard, leur colère a abouti à un processus de changement qui a donné lieu à deux jours de vote durant le week-end. De la révolte aux urnes.
Ce scrutin, destiné notamment à désigner les membres d’une Assemblée constituante, a consolidé les fruits de ce qui s’était transformé au fil des semaines en une vaste mobilisation nationale, malgré une répression féroce du pouvoir de droite. Un certain nombre d’héritages avaient été remis en cause : du plus récent – des textes laissés par le dictateur Augusto Pinochet – aux plus anciens et profonds – patriarcat et machisme, domination coloniale imposée aux peuples autochtones.
Une nouvelle Constitution est apparue comme la solution, ce qui a été approuvé en octobre dernier lors d’un référendum par près de 80 % des votants. Samedi et dimanche – sur deux jours en raison des précautions sanitaires imposées par la lutte contre le Covid-19 –, les Chiliens étaient donc appelés à élire les membres de cette Constituante, mais aussi des maires et des gouverneurs.
Une file d’attente devant un bureau de vote à Santiago le 16 mai 2021. © Rodriguo Arangua/AFP
Jusqu’au dimanche matin, un certain pessimisme a régné. En cette mi-automne australe, les rues de Santiago, la capitale, paraissent vides. La participation semble bien faible par rapport au référendum, soulignent les chaînes de télévision. Elles expliquent aussi que les communes, où le « non » à la Constituante avait gagné en octobre, se mobilisent beaucoup plus.
À l’extérieur d’un bureau de vote à Santiago, Isidora Olivares explique que les personnes âgées sont venues voter tôt. Bénévole, elle a décidé de donner son temps pour aider à l’organisation de ces deux jours historiques. « C’est très important. Encore plus que lors du scrutin précédent, car ça ne sert à rien d’avoir dit “oui” [à la Constituante – ndlr] si après nous n’élisons pas les représentants qui écriront la Constitution », dit-elle.
Au fil des heures, la nervosité devient évidente. Des visages emblématiques du mouvement social apparaissent sur les écrans pour appeler la population à se rendre aux urnes. Depuis des bureaux de vote, Gustavo Gatica et Fabiola Campillai, qui ont perdu la vue après avoir été blessés par la police, lancent un appel. Fabiola Campillai souligne l’importance du vote « pour que la lutte de nos jeunes ne soit pas vaine ». Gustavo Gatica : « Il est évident que l’Assemblée constituante ne peut pas apporter tous les changements, mais elle peut y contribuer grandement. »
En fin d’après-midi, les télévisions montrent les premières tables de dépouillement. Dans la région de Magallanes, la partie la plus méridionale du Chili, où l’horloge est en avance d’une heure par rapport au reste du pays, la première urne est ouverte et, avec elle, un vote chargé de symboles : Natividad Llanquileo, une femme mapuche de 36 ans, sera la première élue de la première Assemblée constituante paritaire au monde, qui a réservé 17 sièges aux peuples autochtones.
Ce n’est que le début d’une série de surprises pour les analystes, les instituts de sondage, mais surtout les partis traditionnels, de gauche comme de droite, et le gouvernement du président, Sebastián Piñera.
« Les éditocrates et les commentateurs doivent faire un mea culpa important. Nous n’avons pas su lire la réalité et les résultats frappent la plupart d’entre nous en plein visage. Le nouveau Chili doit reconnaître les défis qui l’attendent », écrit sur Twitter Lucia Dammert, sociologue, universitaire et spécialiste des questions de gouvernance en Amérique latine.
Au fur et à mesure de l’actualisation des données, les résultats donnent un avantage certain à l’opposition. La droite n’atteint même pas le tiers des sièges, ce qui la prive de tout droit de veto et de la possibilité de négocier en position de force. Mais, surtout, personne n’avait prévu l’irruption des indépendants et des blocs de gauche, comme le Front large (Frente Amplio) et le Parti communiste.
En décrochant 48 sièges, les indépendants ont réussi l’impensable : obtenir près d’un tiers à l’Assemblée, sans grandes structures politiques, avec des ressources réduites et seulement quelques secondes de propagande dans le créneau électoral.
Reflet fidèle du changement réclamé dans la rue, une candidate comme Giovanna Grandón, qui s’est fait connaître en animant des manifestations déguisée en Pikachu, l’un des personnages de Pokémon – d’où son surnom de « Tante Pikachu » –, a remporté un siège.
Giovanna Grandón en pleine campagne, déguisée en Pikachu, en compagnie de la candidate Mapuche, Juanita Millal, le 23 mars 2021 dans un quartier pauvre de Santiago. © Martin Bernetti/AFP
Autre rebondissement, Irací Hassler, jeune féministe et candidate du Parti communiste, a enlevé la mairie de Santiago, la municipalité la plus emblématique du pays, empêchant la réélection de Felipe Alessandri, candidat du parti de droite Rénovation nationale.
« Lors de ces élections, les citoyens nous ont transmis un message clair et fort. Au gouvernement et aussi à toutes les forces politiques traditionnelles : nous ne sommes pas suffisamment en phase avec leurs demandes et leurs désirs », déclare le président, Sebastián Piñera, entouré de ses ministres, lors d’une conférence de presse. Pour la première fois, il reconnaît, dans un discours public, à quel point son gouvernement est éloigné du processus que vit le pays.
« J’ai été surprise, surtout par le faible vote en faveur des partis de droite. Je ne m’y attendais pas vraiment, les sondages ne le prévoyaient pas non plus, et je pense que cela change absolument le scénario politique, non seulement pour la Convention constitutionnelle mais aussi pour toutes les élections à venir », témoigne Claudia Heiss, politologue et universitaire à l’université du Chili.
Pour elle, l’augmentation du nombre d’indépendants et le renforcement du Front large, un bloc de centre gauche formé il y a seulement quatre ans et qui s’est rapproché du Parti communiste, affaiblissent tous les autres partis traditionnels, notamment la Démocratie chrétienne, qui n’a plus que deux sièges à l’Assemblée constituante.
Elle évoque un « panorama intrigant », car généralement l’électeur assidu penche plutôt à droite, mais là, malgré une abstention forte, les indépendants et le Front large sortent vainqueurs.
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L’un des cas les plus symboliques de cette élection est sûrement celui de la « machi » Francisca Linconao. Cette cheffe spirituelle mapuche s’est fait connaître pour avoir été persécutée par l’État, accusée d’un crime avant d’être acquittée. Elle est la première femme mapuche à avoir gagné un procès au titre de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour la protection de son « rewe », qui, dans sa vision du monde, représente un objet cérémoniel.
Parmi les 155 personnes chargées de rédiger la nouvelle Constitution chilienne figureront également des représentants des peuples indigènes du nord et du centre du pays, des universitaires, des scientifiques, des juristes constitutionnels, des dirigeants sociaux, des militants écologistes et quelques personnalités de la télévision.
La Constitution actuelle – rédigée pendant la dictature par une commission nommée, composée de neuf hommes et deux femmes – devrait faire place à un texte rédigé par des représentants diversifiés et élus par le peuple. Le scrutin qui les a désignés est un bon baromètre du prochain qui aura lieu en novembre : l’élection présidentielle.
Et celle qui est donnée actuellement favorite dans les enquêtes d’opinion, l’ancienne journaliste Pamela Jiles, s’est fait remarquer en effectuant en plein Parlement un « Naruto run », une course les bras en arrière imitée d’un célèbre personnage de manga. Samedi, elle a suscité une polémique en insultant le président en direct à la télévision, le traitant également d’« assassin pire que Pinochet ». La politique chilienne des prochains mois réserve, en effet, plein de surprises.
Le Chili vote en faveur d’une réécriture en profondeur de la Constitution héritée de Pinochet
Les partis de gauche devancent la droite dans ce scrutin qui désignait les rédacteurs de la nouvelle Loi fondamentale, à l’issue duquel les candidats indépendants ont supplanté ceux des formations traditionnelles.
Les partis de gauche désireux de réécrire en profondeur la Constitution chilienne héritée de la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990) devançaient, dimanche 16 mai, ceux de la droite conservatrice, mais les formations indépendantes arrivaient en tête du scrutin pour désigner les rédacteurs de la nouvelle Loi fondamentale.
Les deux listes qui rassemblent des candidats allant du centre gauche au Parti communiste, qui entendent proposer un nouveau modèle pour le pays avec différents droits sociaux garantis, comme l’éducation, la santé ou le logement, recueillent 33,22 % des suffrages, après le dépouillement de 90 % des bulletins de vote.
Avec 20,80 % des voix, la droite au pouvoir, défendant le système actuel qui aurait favorisé, selon elle, la croissance économique du pays, ne dispose pas du contrôle des décisions de l’Assemblée constituante qui sera composée de 155 membres élus sur une base paritaire, dont dix-sept sièges sont réservés aux dix peuples autochtones.
Les candidats indépendants – acteurs, écrivains, professeurs, travailleurs sociaux, avocats –, dont beaucoup avaient participé au plus grand soulèvement social des dernières décennies, amorcé en octobre 2019 pour réclamer une société plus égalitaire, supplantent ceux des partis traditionnels et raflent le reste des votes.
« Les citoyens en ont assez des partis traditionnels »
Selon Marcelo Mella, politologue à l’université de Santiago, « la plupart [des candidats indépendants] sont des outsiders, sans étiquette et critiques envers les partis traditionnels ». Malgré l’absence de sondages et des prévisions électorales difficiles, aucun analyste n’avait anticipé une telle razzia de ces candidats ou le piètre résultat de la droite au pouvoir, unie avec l’extrême droite sur une seule liste, alors que se profile, en novembre, l’élection présidentielle.
Les résultats montrent clairement que « la force électorale des indépendants est beaucoup plus importante qu’on ne le pensait et cela confirme que les citoyens en ont assez des partis traditionnels », a estimé Mireya Davila, de l’Institut des affaires publiques de l’université du Chili. Selon elle, « le système politique est en train d’être reconfiguré ; il y a un air de changement au Chili, mais c’est aussi complexe, car il faudra négocier avec chacun des indépendants et composer avec chacune de leurs positions au sein de l’Assemblée constituante ». Daniel Jadue, candidat du Parti communiste à la présidentielle, s’est réjoui que « les secteurs qui cherchent à transformer le pays ont triomphé ».
Désaffection des électeurs
Autre enseignement majeur de ce scrutin étalé sur deux journées en raison de l’épidémie de Covid-19 : la désaffection des électeurs, qui n’ont été que 37 % à se déplacer. Le taux de participation était de 20,44 % des 14,9 millions d’inscrits, à l’issue de la journée de samedi, selon les données du service électoral. Javier Macaya, président de l’Union démocratique indépendante (UDI), le plus grand parti de droite du Chili, a déclaré que le pays « a donné un signal que nous devons être capables d’écouter. Les blocs politiques traditionnels ont été délaissés par les électeurs ».
Heraldo Muñoz, candidat du Parti progressiste pour la démocratie (PPD), a estimé que « la force des indépendants émerge de manière impromptue et donne une leçon à la classe politique ». Réécrire la Constitution était une des revendications issues du violent soulèvement social d’octobre 2019. Elle remplacera celle rédigée en 1980 sous le régime militaire d’Augusto Pinochet.
Le changement de la Loi fondamentale actuelle, qui limite fortement l’action de l’Etat et promeut l’activité privée dans tous les secteurs, notamment l’éducation, la santé et les retraites, est vu comme la levée d’un obstacle essentiel à de profondes réformes sociales dans un pays parmi les plus inégalitaires d’Amérique latine.
Selon les sondages, plus de 60 % des Chiliens estiment que cette Constitution a créé un système qui profite à un petit nombre de privilégiés. La nouvelle Loi fondamentale doit être rédigée dans un délai de neuf mois, prolongeable une seule fois de trois mois supplémentaires. Elle doit être approuvée ou rejetée en 2022 par un référendum à vote obligatoire.
L’article du Monde sous-estime ce qu’il vient de se passer au Chili, à l’occasion du vote pour élire une constituante. Malgré le covid et le confinement, malgré le manque délibéré de moyens de transport dans les secteurs populaires, nous assistons à un véritable tsunami. La droite ou plutôt les droites sont à la dérive, en perdition avec un cinquième des voix, et n’atteignent pas le tiers des sièges permettant de bloquer une décision. Mais surtout, les électeurs ont envoyé ad patres les partis traditionnels, choisissant des candidats issus du mouvement social. Des représentants des minorités indiennes ont été élus. Pinochet peut se retourner dans sa tombe : tout est prêt pour que l ‘ultra-libéralisme, dont le pays fut le laboratoire, soit enfin détricoté. El pueblo unido, etc.