RENCONTRE. Colin Chloé : « Pour cet album, j’avais envie de guitare » . Un article signé Frédérique Guiziou publié dans l’Ouest France du
Colin Chloé aime réfléchir, se confier, partager, en marchant à l’air libre. Ce lien avec la nature lui est essentiel. Tout en cheminant le long de l’Élorn, un endroit qui lui est cher, il raconte la genèse de ce nouvel opus. « J’ai commencé à écrire cet album il y a cinq ans avec le titre Vivant. Mais l’ensemble est prêt depuis un an. Il devait sortir au printemps 2020, mais j’ai reporté avec le confinement, regrette-t-il. Je pensais alors que ça serait pour l’automne. Mais comme la situation n’a pas évolué, j’ai attendu un peu. Arrive un moment, malgré tout, où il faut y aller. »
Vivant est une introduction pleine d’espoir. Un signe positif dans l’écriture de Colin Chloé aux thématiques plutôt sombres. Au fil des chansons, on dérive très vite. Son naturel reprend le dessus. Il en sourit lui-même, tout en se défendant de la seule noirceur. « Je fais toujours attention de garder une porte de sortie ouverte. Mes textes ne sont jamais fermés. »
Vivant s’achève d’ailleurs sur une montée grisante à la guitare à partir du mot désir qui nous jette littéralement vers un ailleurs. On aime aussi cet « homme des villes, femme des bois ».
Des textes intimement liés à la terre
Dans les textes de Colin Chloé, la passion s’écrit en lettres rouges, intimement liées à la terre, à cette nature, réelle ou fantasmée, qui explose à chaque phrase. Ses titres sont évocateurs. De Dead Horse Point à Chevreuil de feuilles. Son écriture, de plus en plus resserrée, à la manière d’un haïku, forme qu’il revendique volontiers, « Je suis un dingue de Bashō », va directement à l’essentiel. Il joue avec des images puissantes, comme – « Les racines creusent la pulpe de la terre » – nous rappelant qu’il est avant tout un poète… Mais aussi habité par la musique. « Quand je mets des verbes, je n’arrive pas à trouver de mélodie, alors que lorsque j’utilise des mots colorés, elle arrive immédiatement », évoque-t-il, surpris.
Colin Chloé aime le travail sur les sons, sur sa guitare, réel prolongement de ses mains. « Pour cet album, j’avais envie de guitare, parce qu’elle est intimement liée à ma musique, s’enflamme-t-il. Le son des guitares est quelque chose qui m’entête. »
Sa voix mate et presque chuchotante impose le silence, réclame l’écoute. Il saccade les mots, les cisaille pour mieux presser le jus de leur signification. Parfois en léger décalage avec la mélodie pour ne pas être redondant.
Des idées qui viennent souvent en marchant
« Cela commence toujours par quelques mots, une toute petite idée, qui me viennent souvent en marchant », détaille-t-il pour expliquer son processus de création. « Parfois, ça s’arrête là, et quelquefois, il me suffit de dérouler le fil pour que ça devienne un couplet, voire une chanson. J’ai toujours un petit carnet dans ma poche pour noter. »
S’il est attaché au mode mineur quand il compose ses mélodies, ce n’est pas uniquement pour être en osmose avec les nuances ténébreuses de ses textes, mais aussi « parce que le mode majeur me semble plus fade ». En ce moment, il s’essaie à casser ce mariage. « Souvent, des textes mélancoliques avec des musiques mélancoliques, c’est trop. » Affaire à suivre dans ses prochaines compositions.
En attendant, Où l’eau te mène guidera nos oreilles dès le 26 mars. Avec Xavier Guillaumin, son complice de toujours, et Pierre Marolleau.
« Où l’eau te mène », le troisième album du Brestois Colin Chloé, sort ce 26 mars
Un article signé Thierry Dilasser dans Le Télégramme du 22 mars 2021
Privé de scène et de live comme l’ensemble de ses semblables, le chanteur brestois Colin Chloé n’en sortira pas moins « Où l’eau te mène », son troisième album, ce vendredi 26 mars.
Il y a forcément quelque chose d’incongru à sortir un album en ces temps de pandémie. Colin Chloé, lui, a fini par s’y résoudre, comme tant d’autres avant lui. « C’est que ça commençait à faire long… », admet l’intéressé, car cet opus « est fini depuis octobre dernier déjà ». « J’ai repoussé, repoussé et encore repoussé, mais voyant que la situation ne s’améliorait pas beaucoup… Maintenant, j’ai simplement envie qu’il existe », indique-t-il encore. Une sortie sans salles ouvertes, cela veut donc dire pas de concerts pour célébrer cette naissance. Un crève-cœur, donc, que Colin Chloé pourra toujours soigner, en bon « païen panthéiste » qu’il est, en se réfugiant derrière « la force de la nature ». Et « plus précisément l’eau », élément se trouvant au cœur de son dernier projet artistique.
« Quelque chose de plus sobre, de plus dépouillé »
Fidèle à son goût pour la chanson française et sa culture rock, le Lorientais installé à Brest depuis plus de vingt ans signe toutefois, avec « Où l’eau te mène », l’un de ses projets les plus « intimes », comme il l’explique lui-même. Le fruit, aussi, des concerts à domicile qu’il donne depuis plusieurs années, chez des particuliers. « Je viens de la scène, j’aime toujours ça. Mais j’ai découvert quelque chose de très intéressant en allant jouer directement chez les gens. C’est une formule qui procure une écoute du public beaucoup plus forte, une interaction magnifique. Cela a complètement changé mon approche de la musique. J’ai rôdé mes chansons comme ça. Et le fait de tourner seul, juste en mode guitare-voix, m’a donné envie de revenir vers quelque chose de plus sobre, de plus dépouillé », glisse-t-il encore, tranquillement.
En « circuit court »
Comparant cette nouvelle position à celle d’un « marchand de légumes bio », venant vendre sa production « en circuit court » et ayant le temps d’expliquer sa démarche, Colin Chloé avance donc le pas léger, malgré le poids du contexte. Une approche qui se retrouve dans ses chansons, où seul Xavier Guillaumin l’accompagne (aux claviers analogiques). Pour le reste, « tout a été fait chez moi, jusqu’au mixage », indique encore l’artiste. Seul le mastering a été fait par Bruno Green, un vieux compagnon de route qui avait notamment permis à Colin Chloé d’assurer, il y a quelques années sur une dizaine de dates, la première partie de Detroit, formation où le Rennais évoluait aux côtés de Bertrand Cantat. Du temps des concerts debout, tout ça…
Pratique
« Où l’eau te mène », de Colin Chloé (Hasta Luego Recordings). Sortie le 26 mars, sur toutes les plateformes, et disponible aussi en format numérique sur Bandcamp.
Colin Chloé propose de participer directement à la fabrication d’ un tirage limité de disques vinyles de cet album. via la plateforme Kengo https://www.kengo.bzh/projet/3233/vinyle-ou-leau-te-mene-de-colin-chloe#projet
Colin Chloé poursuit son aventure poétique avec “Où L’Eau Te Mène”
Le breton Colin Chloé signe un troisième album qui combine des envies d’acoustique et d’électrique autour de chansons nées du granit et revenant à un état liquide. Nait de cette écoute une évidence, celle d’être tout à côté d’un grand disque.
Ami lecteur, si tu acceptes de perdre un peu de ton temps précieux à la lecture de mes élucubrations, assurément, tu commences à connaître mes petites marottes, mes possibles obsessions, ces petits tics d’écriture qui en disent long sur une perception des choses. Une critique qu’elle soit musicale ou autre en dit tout autant sur l’objet critiqué que sur le critique lui-même. Comme je l’ai déjà dit mille fois, la musique est avant tout un paysage né d’un esprit, un paysage imaginaire ou une terre que l’on peut aisément pointer sur une carte. Il serait trop facile de tirer le point cardinal de l’ouest pour le lorientais Colin Chloé exilé et adopté par la ville de Brest.
On retrouve bien sûr dans la musique de Colin Chloé quelque chose que l’on entend aussi dans celle d’Adrian Crowley, une capacité à saisir la ligne d’horizon dans ce qu’elle a de plus couchée, dans cette ligne qui jamais n’est brisée par l’obstacle. On ne peut retrouver cette sensation d’espace que chez ceux qui habitent les espaces qu’ils traversent, chez ceux qui ont compris qu’il y a une mémoire du paysage, que même la pierre peut être poreuse aux souvenirs. Qui croise le regard et la voix de Colin Chloé y voit et y entend la langue d’un Guillevic et la force éternelle de la pierre.
Où L’Eau Te Mène, son troisième album, se pose là comme une synthèse de ses deux envies de compositeur, celle d’une électricité qui ne dépareillerait pas chez Passion Fodder ou Sixteen Horsepower (Rappelez-vous que le brestois a collaboré avec Pascal Humbert sur Au Ciel, son second disque de 2014) sauf que chez Colin Chloé, il y a une soif de mots et d’écriture. Rien de surprenant donc à le voir adapter Eugène Guillevic le temps de Paysage.
Je m’aménage un lieu
Avec ce paysage
Assez lointain pour être
Et n’être que le poids
Qui vient m’atteindre ici.J’émerge de ce poids,
Je m’aménage un lieu
Avec ce paysage
Qui tournait au chaos.Dans ce qu’il deviendra
Je suis pour quelque chose.Peut-être j’y jouerai
Des bois, des champs, de l’ombre,
Du soleil qui s’en va.J’y régnerai
Jusqu’à la nuit.Eugène Guillevic – Paysage
Justement, ce morceau à lui-seul résume toute l’appréhension de la composition du Colin Chloé 2021. Il incorpore une grande base d’expérimentation et de brumes au sein de ses structures, en particulier au niveau rythmique avec l’apport essentiel de Pierre Marolleau à la batterie croisé déjà chez Fordamage, Fat Supper ou encore My Name Is Nobody. A l’écoute de cette nouvelle approche, on assiste à une mue, celle d’un auteur qui continue d’échapper aux étiquettes. On croit parfois entendre le Mendelson de l’album noir qui entretiendrait un dialogue avec le Neil Young de On The Beach (1974).
Colin Chloé chante la mort, la perte d’un être aimé, le deuil impossible à négocier. Il chante la terre après nous, l’empreinte de nous qui s’estompe inexorablement. Qui n’y fera pas attention y entendra une musicalité minimale alors qu’au contraire, les chansons de Colin Chloé multiplient les détails et les chausse-trappes, ces petits grésillements comme des craquements, un disque à la genèse douloureuse assurément ou l’on sent que le breton a cherché sa voie, ses orientations. On sent ici quelque chose qui relève de l’électronique, là du Blues mais tout cela volontairement frustré et contenu. Les paresseux continueront de tirer un lien avec Alain Bashung alors qu’il y a peut-être plus du Manset chez Colin Chloé pour cette même humeur .
vagabonde.
Quand il évoque Ouessant, Colin Chloé est bien au-delà de la couleur locale, de l’ethnocentrisme qui met mal à l’aise, la carte postale réductrice et maladroite. Non, ce que raconte Colin Chloé c’est la rugosité des êtres, le granit qui entoure les individus, la parole taiseuse, le corps qui se refuse. En bon orpailleur qui se respecte, Colin Chloé n’hésite pas à creuser la terre, à triturer entre ses doigts lourds le limon. A force de patience, de travail, de volonté, de doute parfois, de ce doute palpable qui font les créateurs en perpétuelle évolution, Colin Chloé creuse un filon, comme un mineur, il sculpte la pierre noire, comme un Germinal, il raconte l’obscurité.
Colin Chloé fait partie de cette famille de musiciens pareils à des ouvriers besogneux, à des artisans qui travaillent encore et encore la matière et la manière, une famille faite d’individualités tellement différentes qui font la richesse d’une scène. De Xavier Plumas en passant par Bruno Green, Pascal Humbert ou Jean-Louis Bergère mais aussi Colin Chloé.
A force de se chercher, Colin Chloé a fini par se trouver, à force de chercher des racines, il a su créer un paysage qui ne ressemble qu’à lui, à cet homme qui se cache derrière l’alias, à cet homme qui se cache de moins en moins bien derrière son nom de scène.
A force de chercher, il a fini par se trouver et nous à ses côtés.
Greg Bod
Retrouver Colin Chloé par ailleurs sur PrendreParti …
La veillée singulière de Colin Chloé et Claude Nougaro chez les Pouliquen …