Olivier Grossetête sur la place Sotomayor de Valparaíso

On a ramené tous les modules le jour précédent sur l’historique place Sotomayor de Valparaíso,  on a fait 22 aller retours de camions, pour rapatrier les 1200 cartons.

Auparavant, on aura passé une semaine, à assembler, couper aux dimensions, mis à l’échelle les fameuses boîtes en carton, offertes par une entreprise pour le festival Puerto de Ideas, Valparaíso, 2018. L’association Gerópolis, anciens de l’université de Valparaíso, et les 80 étudiants de première année d’architecture réunis autour d’un défi commun : réaliser une réplique à l’échelle 1 ou presque de la maison de Pablo Neruda, la Sebastiana, sur la place principale de Valparaíso, la Plaza Sotomayor.

On a construit tout cela dans une école désaffectée, chez les « Pères Français », los Padres Franceses. Don Hernan, le gardien concierge, n’en revient pas, il n’a jamais vu autant d’activités dans ce lieu normalement sans vie, le site est fermé et interdit au public, pour cause de vétusté, de fragilité sismique, de frissons d’histoires. Ici a étudié Augusto Pinochet, et dans la rue d’en face, il y a le collège Eduardo de La Barra où a étudié Salvador Allende. Le croisement de la rue Colón avec la rue Freire de Valparaíso, est peut-être le lieu le plus emblématique et fébrile du Chili, une sorte de concentré d’histoire résumé sur quelques mètres carrés, deux idéologies qui s’entrechoquent sur un passage clouté. Une ancienne élève s’approche, je l’observe, elle rentre dans la cour de l’école. Elle a les larmes aux yeux, première fois que la porte est entrouverte depuis 2006. Elle admire les coursives, rentre à petit pas comme un chat sauvage, la caméra du téléphone cellulaire à la main. Je l’aborde: « Cette université est la plus vieille de toute l’amérique latine, c’est la première! », me dit elle. Ici c’est l’école des curés, en face, c’est l’école des nonnes, la rumeur dit qu’il y a des souterrains, qui rejoignent les deux établissements, à l’époque les écclésiastiques se réunissaient dans les tunnels, vous imaginez bien pour quelle raison. Valparaíso est aussi connue pour avoir reçu le premier Cirque , pour avoir publié le premier Journal et créée la première compagnie de pompiers d’amérique du sud.

Aujourd’hui les élèves d’architecture de l’université de Valparaíso transitent dans ce lieu, cette école abandonnée, réouverte pour l’occasion, un vaste vase clos d’une histoire endormie et fragile aux répliques sismiques et politiques. Ils vont passer une semaine avec l’équipe d’Olivier Grossetête, leur pari est de réaliser à l’échelle la maison de Pablo Neruda, la Sebastiana, qui surplombe fièrement, nostalgique? le Port de Valparaíso.

Pudú, chef d’atelier, gère chaque jour les différentes tâches inhérentes à la construction d’un tel édifice, 9 mètres x 9 mètres de base x 18 mètres de haut. Des dizaines de pièces à former, à modeler, à rendre matière, à assembler et préparer pour le jour J. Celui de la construction collective. Les élèves se trompent, recommencent, l’ambiance se détend, durant 5 jours, plus d’une centaine de personnes nous aideront à modéliser les pièces, ce samedi, le jour de la construction dans la rue, sur la place, face aux habitants et passants, nous serons tous embarqués devant la folie que représente cette construction.

Folie peut être, ou seulement résilience, coup de génie ou survie, finalement cet acte est bien commun dans nos villes d’aujourd’hui. L’ambiance sonore de Valparaíso se caractérise à coup de klaxons, d’aboiements, de coups de meuleuse ou de marteau, ce port sonne quotidiennement au rythme de ses habitants constructeurs devant l’éternel, naviguant entre les lignes d’horizons de la réthorique et les courbes croissantes de l’oscillation terrienne.

Coïncidence, je démménage à l’aube, la tête dans mes propres cartons, mes propres contenants d’histoires, le coeur mouvant, avant de rejoindre Olivier, Jean-Marie, Murielle et Pudú, on est samedi matin, il est temps de construire.

Arpenter la Place Sotomayor, c’est comme marcher sur un album photo vivant, c’est comme la place de la Mairie à Aurillac, sans les bouquins édités et les analyses universitaires, c’est notre terre sillonnée de théâtre de rue locale, c’est notre rencontre avec les habitants. Je suis ravi et exalté de réaliser cet acte de construction commun, j’aiderai les marins de fortune, mégaphone à la main, à réaliser leur périple.

Kevin Morizur, Samedi 17 novembre 2018, Valparaíso, Chili

Pour la suite je laisse à Jack Souvant la parole, il a vêcu la construction et la destruction collective d’Olivier Grossetête à Villeurbanne un 24 juin 2017, voici ce qu’il racontait à l’époque sur la liste rue :
« Vivre un temps constitutif du commun un soir à Villeurbanne.
Je me souviendrai longtemps de ce que j’ai vécu samedi 24 juin 2017 aux Invites à Villeurbanne. Je m’en souviendrai comme un des plus grands moments collectifs joyeux et constitutifs du commun dans la rue.
Ils sont rares ces moments joyeux qui nous font vivre du possible et qui symboliquement fondent le politique.
Ils sont rares ces moments car le plus souvent nous nous rassemblons pour manifester notre opposition ou notre souffrance.
Qu’est-ce qu’on construit ensemble finalement ?
Ce jour-là aux Invites, j’ai découvert dans le cœur de la ville, déjà singulier, de Villeurbanne et de sa cité gratte-Ciel, des édifices en cartons géants, des portes, des tours, des éléments architecturaux comme des protubérances, des rajouts qui débordent, émergent, s’additionnent sur les trottoirs au milieu des carrefours entre les arbres, à l’entrée des rues.
La ville s’est transformée. Une impression d’Asie, de Viêt Nam où je n’ai jamais mis les pieds…L’imaginaire se déploie.
Je finis par apprendre que c’est un concept d’Olivier Grossetête et son équipe. Ils ont fabriqué avec les habitants ces éléments de décor, cette ville imaginaire qui va disparaître.
Dans la ville, les passants touchent les structures, ils passent en dessous, montent dessus. Essayent la nouvelle ville. Ils sont émus du résultat, touchés par les fragiles éléments gigantesques qui jonchent le boulevard. Tout le monde prend des photos et souhaite conserver une trace.  On commémore, on garde la trace collectivement et individuellement.
Vers 19h tout le monde s’est rassemblé pour l’effondrement de ces monuments éphémères. Les habitants sont conviés à une grande demolition party avec découpage et empilage des cartons usagés dans des camions-compacteurs qui avalent sans répit la ville en carton. La clameur de la foule au moment où la construction s’effondre. Les voix des enfants et parents confondues qui courent et grimpent et se jettent sur la masse au sol. Les bras qui s’activent, les mains qui tirent, arrachent, se passent, déposent, portent, attrapent les yeux qui rient pour faire et défaire ensemble.
Merci pour cet instant.
Oui nous devons réinventer et vivre des gestes comme celui-ci, constitutifs du commun dans l’espace public qui réunissent par des actes symboliques, au delà de la consommation et de la célébration. Nous devons nous placer devant les catastrophes, les désastres, les troubles, qui nous lieront fatalement les uns aux autres mais uniquement dans l’urgence et la réaction.
Plaçons nous avant ! »
Jack Souvant

Pour en savoir plus :

Collectif Olivier Grossetête
Le collège des Padres Franceses de Valparaíso
Le Festival Puerto de Ideas
L’association Geropolis
Un article dans le journal El Mercurio
Reportage vidéo de Felipe Parker