L’IVG est désormais inscrite dans la Constitution française…

Réunis en Congrès à Versailles le 4 mars 2024, les parlementaires français ont largement voté en faveur de l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution : c’est une première mondiale, à la portée symbolique considérable. C’est le dénouement d’une longue bataille politique initiée par la gauche et les assos féministes et finalement portée par le gouvernement après plusieurs initiatives parlementaires …

Revivez l’émotion des militantes rassemblées sur l’esplanade du Trocadéro à Paris lors de l’annonce des résultats du scrutin . Un  vidéo-reportage de 3′ 27″ signé Aliénor Lions et publié dans L’Humanité du 5 mars 2024 …

La Tour Eiffel scintille, les fumigènes lancent des nuages violets et la joie explose : des centaines de personnes ont célébré lundi le vote au Congrès pour l’inscription de l’avortement dans la Constitution française.

« Pour l’adoption : 780 voix», déclare Yael Braun Pivet, depuis l’écran géant installé sur l’esplanade du Trocadéro à Paris.  Enfin, c’est la libération : les députés et sénateurs ont approuvé à une large majorité l’inscription de l’avortement dans la Constitution, une première mondiale. «Dans le monde, il y a 40% des femmes en âge de procréer qui vivent dans un endroit où l’IVG leur ait interdit, et c’est pour elles qu’on se réunit et pour leur envoyer de la force», précise à notre micro Floriane Volt, directrice des affaires publiques de la Fondation des Femmes.

Des résultats sous le signe de l’émotion

Une explosion de joie salue l’annonce du résultat, tandis qu’est diffusé à plein régime le tube de la chanteuse Beyoncé «Run the world (Girls)» (Dirigez le monde, les filles) et que la Tour Eiffel se met à scintiller.
Des inscriptions lumineuses en plusieurs langues apparaissent au premier étage du célèbre monument, comme #AbortoLegal (“avortement légal” en portugais) ou #MyBodyMyChoice (“mon corps mon choix” en anglais).

Dès 15H30, des dizaines de personnes ont commencé à se rassembler sur cette place emblématique de l’ouest parisien. Parmi la foule, des personnes de tout âge, dont une majorité de femmes. Elles ont écouté, debout, en silence les discours des représentants des différents groupes politiques, en attendant le vote.

La comédienne Anna Mouglalis, présente à la tribune, lit avec émotion un extrait du manifeste des 343 : «L’avortement libre et gratuit, c’est ne plus avoir honte d’être une femme. Un égo qui fout le camp en petits morceaux, c’est ce qu’éprouve toutes les femmes qui doivent pratiquer un avortement clandestin.»

Après les discours politiques, les 925 parlementaires du pays ont voté en faveur de l’inscription dans la Constitution de «la liberté garantie» des femmes à avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse. «Le cintre, plus jamais», “4 mars on écrit l’histoire” ou encore «V comme victoire»: quelques militantes brandissaient des pancartes.

Le fruit d’une longue bataille politique

Le vote au Congrès est le dénouement d’une longue bataille politique initiée par la gauche et portée par les associations féministes et finalement embrassée par le gouvernement après plusieurs initiatives parlementaires. Après un début de rassemblement dans une ambiance solennelle, l’ambiance est devenue plus festive, les hauts parleurs diffusant une musique entrainante.

«Solidarité ! Avec les femmes du monde entier !», scandent de nombreuses personnes réunis sur la place. « Si en France et c’est historique, on aboutit à cette étape, on lance dès demain en Slovénie, une grande campagne européenne afin que chaque citoyenne puisse avorter gratuitement.», souligne la conseillère écologiste de Paris Alice Coffin.

Pour Katell, étudiante en sciences politiques, c’est une formidable occasion de fêter l’évènement : « Encore merci à toutes ces associations féministes qui luttent depuis des années pour les droits des femmes ».


Constitutionnalisation de l’IVG : deux signataires du manifeste des 343 témoignent

Les militantes Claudine Monteil et Anne Zelensky ont accepté de revenir, dans le 20 Heures du vendredi 8 mars, sur le chemin parcouru depuis le manifeste des 343, qu’elles ont signé en 1971, jusqu’à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Durée de la vidéo : 4 min
Un article rédigé par France 2 – A. Guery, S. Thiebaut, D. Chevalier pour France Télévisions. Publié

Des cortèges de soutien ont défilé en France pour la journée internationale des droits des femmes, vendredi 8 mars, commencée par le scellement dans la Constitution de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Deux des 343 femmes qui avaient signé en 1971 un manifeste, déclarant avoir eu recours à l’IVG, témoignent dans le 20 Heures. L’une était la plus jeune des signataires, l’autre, la plus expérimentée en militantisme.

« On ne va pas emprisonner 343 femmes »

Claudine Monteil, 74 ans, avait tout juste 21 ans lorsqu’elle a participé à cette tribune, publiée dans un journal qu’elle a conservé. « Notre urgence, c’était déjà que l’on prononce le mot ‘avortement’ en public. C’était un mot tabou », se rappelle-t-elle.
À 88 ans, Anne Zelensky, fondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF), se souvient avoir pensé cette action avec Simone de Beauvoir. « On ne va pas emprisonner 343 femmes, (…) on a bien médité l’affaire », se souvient-elle. 53 ans plus tard, l’inscription de l’IVG dans la Constitution est aussi un peu leur victoire.


IVG : un vote pour l’histoire, mais pas sans mémoire …

L’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution française est une première mondiale. Sa portée symbolique est considérable. Mais elle n’efface ni les difficultés à accéder réellement à l’IVG, ni l’instrumentalisation politique qu’en fait Emmanuel Macron. Le point de vue de Lénaïg Bredoux paru dans Médiapart du 4 mars 2024

« Ils ne décideront plus pour nous. » Le slogan orne une affiche de 1971 du Mouvement pour la liberté de l’avortement (MLA). On y voit une femme allongée et enceinte sur laquelle se tiennent un médecin, un prêtre, un homme d’affaires et un juge. Un an plus tard, devant le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), l’avocate Gisèle Halimi lancera : « Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes… Et pour parler de quoi ? De sondes, d’utérus, de ventres, de grossesses, et d’avortements ! »

© Mediapart

C’est pour que les femmes n’aient plus jamais à se défendre (devant des hommes) de la maîtrise de leurs corps que les féministes ont cherché à sacraliser le droit à l’avortement. Depuis qu’elles l’ont conquis, elles craignent de le perdre. Elles savent la dureté des luttes et la fragilité des acquis. L’histoire est faite, pour les femmes, d’une alternance de victoires et de défaites cruelles.

Sur l’IVG, le rappel, brutal, est venu des États-Unis avec la remise en cause par la Cour suprême, en juin 2022, de l’arrêt Roe vs. Wade qui garantissait l’accès à l’avortement depuis 1973. En Europe, la Pologne et la Hongrie ont suivi le même chemin.

La France a radicalement pris, lundi 4 mars, une autre voie. Les parlementaires réuni·es en Congrès ont décidé d’inscrire une phrase à l’article 34 de la Constitution : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

Ce vote est historique. La France devient le premier pays au monde à évoquer l’avortement dans sa Constitution. L’événement est d’autant plus saillant que le vote des député·es, des sénateurs et des sénatrices est extrêmement massif : 780 voix pour et seulement 72 voix contre.

Il est le produit d’un consensus patiemment tissé au Parlement, d’abord à l’initiative des gauches (Mathilde Panot, de La France insoumise) et des écologistes (Mélanie Vogel), puis avec le soutien des femmes de la majorité (Aurore Bergé), puis d’Emmanuel Macron, avant de convaincre finalement Les Républicains (LR).

Ceux-ci ont été bousculés par le puissant soutien à cette proposition dans la population. Ainsi, le sénateur LR de Seine-Saint-Denis Thierry Meignen a d’abord voté contre, avant d’approuver la dernière version. Entre-temps, a-t-il expliqué, il a « été interpellé par [sa] compagne mais aussi par [ses] neveux, nièces, belles-filles… ». Le premier ministre Gabriel Attal a aussi, devant le Congrès, parlé « du fils, du frère, de l’ami » qu’il est.

Ce vote du Congrès ne doit pas être gâché par l’apparat des cérémonies versaillaises : il est à la fois l’aboutissement d’un travail parlementaire exemplaire et d’une volonté profonde dans la société. Le fait est suffisamment rare pour être salué.

Une « révolution copernicienne »

Il ne faut pas non plus en minimiser la portée : le combat pour le droit à l’avortement et à la contraception est relativement récent. À l’exception de figures telles que Madeleine Pelletier, internée de force pour avoir défendu et pratiqué l’avortement en 1939, cette lutte date de la deuxième vague du féminisme, entamée dans les années 1970.

« Sans négliger de combattre les inégalités, particulièrement dans le monde du travail, les militantes déclinent la liberté dans de nouveaux registres, que seules les plus radicales, notamment les néomalthusiennes, avaient autrefois osé aborder. Être libre exige, désormais, d’être maîtresse de son corps, de sa capacité de reproduction et du plaisir sexuel qu’il procure », rappelle un ouvrage qui vient de sortir, Les Féminismes. Une histoire mondiale, 19e-20e siècles (dir. Yannick Ripa et Françoise Thébaud, Textuel, 2024).

Cette bataille, inscrite dans la loi Veil de 1975, n’est pas une lutte parmi d’autres : elle est, à l’aune de l’histoire de l’humanité, une rupture anthropologique théorisée par Françoise Héritier et une « révolution copernicienne », selon l’expression de l’historienne Geneviève Fraisse. Ce que nous vivons ces dernières années, avec le puissant mouvement #MeToo, en est la continuité. Il continue à bouleverser les rapports femmes-hommes, l’idée même qu’on se fait de soi, la notion de sexe et de genre.

Glissons aussi, au passage, que la conquête du droit à l’IVG est une victoire de la laïcité, comme l’a souvent écrit le chercheur Jean Baubérot – celle qui s’émancipe des cultes pour édicter la loi commune, bien au-delà de la vision étriquée de celles et ceux qui ne l’agitent que pour s’en prendre aux musulman·es dans notre pays.

Droit formel, droit réel

Une fois tout cela énoncé, rappelons que le vote du lundi 4 mars ne garantit pas l’accès réel à l’avortement pour les femmes. Il reste inégal sur le territoire, et parfois très difficile.

L’effondrement partiel du système de santé, la fermeture de centres IVG, la clause de conscience de médecins refusant de pratiquer des avortements, la précarisation grandissante d’une partie de la population et la fragilisation du statut des migrantes ou des trans : autant d’obstacles qui pourrissent la vie des personnes souhaitant avorter. Dans certaines régions plus que d’autres, dans certains quartiers plus que d’autres.

Ni la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (qui a souligné, à raison, qu’elle était la première femme de l’histoire à présider le Congrès après avoir traversé la galerie des bustes, « des bustes d’hommes exclusivement »), ni le premier ministre, Gabriel Attal, n’ont pris le moindre engagement à ce sujet.

Au quotidien, celles et ceux qui œuvrent pour le droit à l’IVG subissent aussi des attaques, souvent venues de l’extrême droite. C’est le cas du Planning familial, dont les locaux sont régulièrement pris pour cible. Ce même lundi, un tag « Planning assassin » a été signalé, selon Bénédicte Paoli, membre du bureau de l’association, interrogée sur France TV-Info. Elle a évoqué des « antichoix de plus en plus visibles et décomplexés ».

Ces dernières années, le gouvernement a souvent été silencieux sur le sujet, quand certain·es ministres s’en prenaient, sous couvert du off, aux positions du Planning sur le voile ou la transidentité.

Une instrumentalisation des droits des femmes

Il y a surtout une part d’instrumentalisation politique insupportable de la part du pouvoir. La cause mérite mieux que les petits arrangements tactiques d’Emmanuel Macron. Il n’a pas réellement souhaité la constitutionnalisation de l’IVG ; il a fini par s’y résoudre quand il a compris qu’elle pourrait nourrir son illusoire « en même temps », après la loi immigration et celle sur les retraites.

Le président de la République l’a d’ailleurs annoncé l’an dernier, de manière opportuniste, après avoir organisé à la dernière minute un hommage à Gisèle Halimi, à l’époque boycotté par de nombreuses organisations féministes. La cérémonie officielle de scellement du vote du 4 mars aura lieu, quant à elle, vendredi 8 mars, Journée internationale des droits des femmes…

Penser que l’on puisse inscrire l’IVG dans la Constitution et s’en prendre au « tribunal public », à la « société de l’inquisition » à propos de #MeToo, comme l’a fait le président de la République, est un contresens. Comme faire de Gérard Depardieu une « fierté française », ou défendre les ministres mis en cause pour violences sexuelles au terme d’une discussion « d’homme à homme ».

Depuis les années 1970, la bataille pour l’accès à l’IVG s’est accompagnée d’une critique, parfois féroce, du patriarcat. Depuis #MeToo, il est encore plus manifeste que la maîtrise du corps des femmes ou des personnes LGBTQI+ ne se découpe pas en tranches.

Le vote historique du Congrès n’efface pas le virilisme venu de l’Élysée. Heureusement, la Constitution reste, les présidents changent.