« De Béart à Béart(s) » : le double album hommage des filles Béart à leur père Guy …

Esprit libre et maître de la ritournelle dont certains succès s’inscrivent au panthéon de la chanson française, Guy Béart avouait être « de gauche » quand il méditait mais « de droite » quand il agissait et plaidait pour la tolérance, « la seule chose capable de nous sauver ». En 2020 , ses deux filles, Emmanuelle et Eve ont pris l’initiative d’un double album joliment baptisé « De Béart à Béart(s) ».Malgré une longue carrière et plus de 300 chansons, Guy Béart ne semblait pas être un artiste de référence pour les générations suivantes. Ses filles ont pourtant réussi à réunir des jeunes (Clara Luciani, Hollydays, Vianney, Pomme), des moins jeunes (Akhenaton, Angélique Kidjo, Brigitte, Carla Bruni, Ismaël Lo, Raphaël, Vincent Delerm, Thomas Dutronc, Yaël Naïm) et des vraiment plus très jeunes (Souchon, Voulzy, Le Forestier, Julien Clerc, Catherine Ringer, le regretté Christophe) pour lui rendre hommage dans un double album « tribute » … Voir la bande-annonce de 4’56 » …

À l’occasion de la sortie de ce double album, Emmanuelle Béart répond aux questions de Jean-Philippe Balasse  pour Europe 1 … Une vidéo de 3’56 »


Critique

La Béartitude

Un article signé  Patrice Bardot  dans Libération du 26 juin 2020. Le troubadour populaire et excentrique est disparu il y a cinq ans.

Joliment baptisé De Béart à Béart(s) car initiée par ses filles, Emmanuelle et Eve, un album sorti en 2020 rend hommage à Guy Béart, disparu en 2015. Un drôle de troubadour d’une chanson française à la naïveté de façade, résolument hors mode, déjà hier et encore plus aujourd’hui.

1 – Béhart avant Béart

Comme tant d’autres grandes figures de la chanson française (de Dalida à Claude François en passant par Georges Moustaki), Guy Béhart-Hasson (son vrai nom) est né au Caire en 1930. Un enfant du monde qui bourlingue, dès son plus jeune âge au fil de la carrière d’un père expert-comptable. Il effectue ainsi une grande partie de sa scolarité au Liban, avant d’entrer à Paris au lycée Henry IV en classe préparatoire (math sup, math spé). A priori plus chiffres que lettres. Même s’il est inscrit à l’Ecole nationale de musique, rien ne semble diriger le jeune Guy vers une carrière artistique. Il obtient ainsi en 1952 un diplôme d’ingénieur des ponts et chaussées, spécialisé dans la fissuration du béton. Diantre ! Mais deux ans plus tard, sa guitare le démange – et pas qu’un petit peu. Dorénavant il va préférer construire des chansons plutôt que des ponts.

2 – Des tubes

Devenu simplement Béart, le chanteur suit la filière classique de l’époque, sautant entre les cabarets (la Colombe de Michel Valette et l’incontournable Trois Baudets de Jacques Canetti) de la rive droite à la rive gauche. Le succès est immédiat, ce qui lui fera dire plus tard qu’il n’a «jamais connu de vaches maigres» (même si ses dernières années seront plus délicates). Du milieu des années 50 à la fin des années 60, il aligne les tubes accompagné par sa sempiternelle guitare, chantés de sa voix particulière, un peu haut perchée, légèrement voilée. Un répertoire atypique et ludique qui jongle, souvent avec humour, entre mélancolie (Bal chez Temporel), naïveté enfantine (l’Eau vive), kermesse populaire (Vive la rose), diatribe politique (la Vérité) ou revendication écologique (le Grand Chambardement). Au total, plus de trois cents chansons à son palmarès, pour lui, mais aussi pour les autres, comme les fameuses Il n’y a plus d’après et Chandernagor, imaginées pour «la» Gréco. Pas un égoïste, Guy.

3 – La parenthèse Bienvenue

C’est l’un des paradoxes de Béart, qui n’a jamais cessé pendant toute sa carrière de vitupérer contre le business de la musique et de la télévision – la charge Télé Attila sur son dernier album en 2010 -, alors qu’il en fut l’un des premiers héros à travers l’émission Bienvenue, lancée en 1966 sur la première chaîne. Un programme où l’artiste se mue en producteur-animateur en recréant l’atmosphère fiévreuse des cabarets de sa jeunesse. Tout est filmé en direct, pas de play-back. Guy Béart invite des collègues, mais également des hommes politiques, des sportifs. Une sorte de talk-show à la Ardisson-Ruquier avant l’heure. On y entend surtout des artistes étrangers pour de rares passages à la télévision française comme Duke Ellington ou Simon & Garfunkel. Tout ça sur l’ORTF. Dingue.

4 – Béart vs Gainsbourg

Un moment que chérissent les rétrospectives télévisuelles de fin d’année. Celles qui bégaient sur Bukowski titubant à Apostrophes ou Loana dans la piscine du Loft. C’est justement dans l’émission littéraire de Bernard Pivot, en décembre 1986, qu’a eu lieu cette célèbre passe d’armes entre Guy Béart et Serge Gainsbourg. Le premier défend la composition à la guitare, tandis que le second ne jure que par le piano. Serge en mode Gainsbarre total lance à la face de son aîné des «qu’est-ce qu’il veut le blaireau ?» ou «ta gueule» de légende. Une querelle où l’ancien pianiste de bar enfourche son thème favori, maintes fois ressassé sous effet éthylique : la chanson est un art mineur. Ce qui n’est pas du goût de l’ancien ingénieur, qui en appelle à Bob Dylan, Brassens et Woody Guthrie. Ça doit barder là-haut, au paradis des chanteurs.

5 – L’ultime Olympia

Avec seulement deux albums en quasiment vingt-cinq ans (Il était temps en 1995 et le Meilleur des choses en 2010), Guy Béart est, au fil du temps, devenu une sorte de fantôme excentrique de la chanson française, dont les quelques interviews révèlent surtout de drôles de manies. Comme celle de recevoir ses amis dans le plus simple appareil, c’est-à-dire nu comme un ver. Il effectue son ultime tour de piste en janvier 2015 à l’Olympia à Paris, six mois avant sa disparition, lors d’un concert au long cours de quatre heures (un record pour un chanteur de 85 ans), où il est rejoint sur scène par sa fille Emmanuelle. Les deux entonneront ensemble Il n’y a plus d’après. Prémonitoire. Il n’y eut plus d’après pour Guy Béart.


Guy Béart, il n’y aura plus d’après…

Guy Béart a imprimé sa marque grâce à un style limpide et simple porté par un grand talent de mélodiste … Un article paru dans L’Humanité du 17 septembre 2015

Guy Béart a imprimé sa marque grâce à un style limpide et simple porté par un grand talent de mélodiste

Le chanteur est mort à Garches, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Il laisse derrière lui des centaines de chansons, à la poétique intemporelle, dont la célèbre « Eau vive ». Patrick Le Hyaric, Bernard Vasseur , Roland Leroy… Ils réagissent à la disparition du chanteur.

Il était considéré comme le troisième B après Brel et Brassens. Guy Béart était l’un des derniers grands, un maître de la ritournelle dont les succès s’inscrivent au panthéon de la chanson française. L’auteur de l’Eau vive est mort hier à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, à Garches (Hauts-de-Seine) où il résidait : « Il est décédé en allant chez le coiffeur, a indiqué son attaché de presse, Fabien Lecœuvre. Il est tombé sur le trottoir, il n’a pu être ranimé. » Né le 16 juillet 1930 au Caire, il s’inscrit à l’École nationale de musique à son arrivée en France, en 1947, avant d’intégrer l’école nationale des Ponts et Chaussées, dont il ressort avec un diplôme d’ingénieur. Attiré par la chanson, il écrit pour Patachou (Bal chez Temporel), Zizi Jeanmaire (Il y a plus d’un an, Je suis la femme) ou encore Juliette Gréco (Qu’on est bien). Le soir, alors qu’il travaille dans des bureaux où sur différents chantiers, il se produit dans les cabarets parisiens comme La Colombe, Les Trois Baudets, Le Port du Salut ou Bobino. On est en 1957 quand le producteur Jacques Canetti le remarque et lui fait enregistrer son premier disque, aussitôt couronné du prix de l’Académie du disque français, ce qui lui vaudra de se produire pour la première fois à l’Olympia en 1957. Mais, c’est le titre l’Eau vive, composé pour le film du même nom, de François Villiers, qui lui permettra de rencontrer son public et de connaître son premier succès populaire.

Un style limpide et simple, porté par un grand talent de mélodiste

Guy Béart disait être chanteur pour sonder ses pensées, faire part de ses émotions pour mieux envisager l’avenir. Il était un saltimbanque au style intemporel, de l’ordre de ces poètes qui touchent le plus grand nombre. Auteur de centaines de titres incontournables, il aura charmé plusieurs générations, enfants et adultes confondus, qui se régalaient de son écriture tout en nuances. Des chansons habitées par une merveilleuse poésie, qui sont comme autant de trésors que l’on continue de fredonner avec bonheur. La Vérité, À Amsterdam, Il n’y a plus d’après, le Grand Chambardement, l’Espérance folle, Chandernagor, Couleurs vous êtes des larmes, les Souliers, Poste restante, les Grands Principes et, bien sûr, l’Eau vive sont au hit-parade de ses œuvres qui ont le plus touché le public.
Guy Béart a imprimé sa marque grâce à un style à la fois limpide et simple porté par un grand talent de mélodiste. Un style, à la fois léger et grave dont les chansons étaient empreintes d’humanisme. En 1978 à l’Olympia, Louis Aragon n’avait pas caché son admiration et était venu féliciter Béart, dont le tour de chant avait séduit de nombreux amoureux de poésie. L’auteur du Fou d’Elsa avait ainsi déjà écrit en 1967 dans les Lettres françaises d’octobre que le chanteur possédait « cet étrange pouvoir de saisir l’instant qui durera ». Grand amateur de poésie, Guy Béart avait écrit Je dis la paix, chanson créée en 1992 sur un poème d’Aragon. « Un homme beau, lumineux, chantant », nous avait-il confiés en 2003 à l’occasion d’un spectacle donné au Moulin de Saint-Arnoult (Yvelines) en hommage à Elsa Triolet et à Aragon : « Souvent, il me disait avec humour : “Pourquoi ne composes-tu pas sur mes poèmes ?” Je lui rétorquais que d’autres déjà s’y étaient attelés et non des moindres : Ferré, Ferrat, Brassens… » Guy Béart aimait la scène et les grands rassemblements, telle la Fête de l’Humanité où il se produisit en 1971 sur la grande scène. La Fête, où en 2010, aux côtés de Roland Leroy, ancien directeur de l’Humanité, il évoqua la figure littéraire et politique d’Aragon qui marqua, de part son engagement le XXe siècle.

Éternel rebelle, il ne se reconnaissait plus dans la société actuelle

Chroniqueur de son époque, il fut aussi producteur d’émissions de télévision, à l’image de Bienvenue, réalisée par Raoul Sangla, prélude au Grand Échiquier, qui réunissait artistes et personnalités de tous horizons. Il aimait le débat d’idée et s’accommodait mal d’une époque où la notion d’idéal avait tendance à disparaître, comme en témoigne sa chanson la Grève du rêve, qui évoque la perte des grands idéaux : « Une époque qui n’a pas de visionnaire est une époque très mal foutue », nous avait-il dit. Éternel rebelle, Guy Béart ne se reconnaissait plus dans la société actuelle, trop empreinte de vulgarité à ses yeux, à l’instar des talk-shows où les invités se doivent de répondre n’importe quoi à une vitesse folle. Il n’était plus dans les médias et s’en réjouissait, préférant se réfugier dans sa maison de Garches entre ses chats et ses livres.

« Le peuple se souvient, pas les médias »

Guy Béart disait volontiers qu’il aspirait à devenir « un anonyme du XXe siècle », selon le mot de Jean-Louis Barrault : « C’est ma volonté ; en tout cas mon désir, mon orgueil, nous avait-il avoué : “Je voudrais que mes chansons soient connues, mais qu’on ne sache pas qui les a faites, comme les vraies grandes chansons, dont on est obligé de chercher l’origine pour en connaître l’auteur. Le peuple se souvient, pas les médias. Je dis avec fierté que mes chansons ne sont pas oubliées”. » Le chanteur, qui n’avait plus de maison de disques, avait dû créer sa propre structure phonographique. « Elles ne sont plus dans les bacs des disquaires, précisait-il, mais tout le monde se souvient de mes chansons comme Il n’y a plus d’après. C’est sympathique. » La dernière fois qu’on l’a vu chanter, c’était en janvier, à l’occasion de ses adieux à la scène. Il laisse derrière lui l’image d’un artiste qui aura donné à la chanson ses lettres de noblesse en portant haut la poésie dans chacun de ses refrains.

Les réactions à la disparition de Guy Béart :
  • Roland Leroy, 
ancien directeur de l’Humanité :
    « Je l’avais connu et avais établi des relations amicales, étroites et prolongées. Cela avait commencé quand il était tout juste connu. J’allais le voir dans son petit appartement de l’époque. Il venait me rencontrer au siège du Parti communiste, nous déjeunions, dînions souvent ensemble. Il me faisait état de ses relations avec Georges Pompidou, dont il précisait qu’il s’agissait de relations amicales et non politiques. Il vint chanter à la Fête de l’Humanité avec un succès énorme. Il le dit dans des déclarations très élogieuses : « Elle a su devenir une fête populaire (…), quand je n’y chante pas, je vais m’y promener (…). La joie est simple, j’apprécie la grande diversité des plaisirs. C’est tout à la fois les nourritures terrestres et les rencontres culturelles ». À l’une des Fêtes, il chanta avec Joan Baez et Mikis Theodorakis la Ballade de Sacco et Vanzetti. Par ailleurs, nous nous rencontrions souvent chez lui, là où la mort vient de le frapper. Avec mon épouse et lui, nous passions de longues soirées, très amicales. Sa disparition m’attriste, me bouleverse profondément. »


 Bernard Vasseur, directeur du Centre de recherche et de création Elsa Triolet-Louis Aragon, à Saint-Arnoult-en-Yvelines.
«C’est un monument de la chanson française qui disparaît. Il avait mis en musique Je dis la paix, un poème d’Aragon tiré de les Yeux et la Mémoire. En 2003, je lui avais demandé de venir chanter au Moulin de Saint-Arnoult. Il avait accepté très gentiment. Il m’avait dit qu’il était désormais hors des circuits médiatiques et que plus personne ne le connaissait. Il en souffrait. Il devait chanter quatre ou cinq morceaux mais il a fait une prestation de plus de deux heures. Le public ne voulait plus le lâcher. Pour préparer sa venue, j’étais allé chez lui à Garches. Il a beaucoup compté pour Aragon qui l’admirait. C’était réciproque. Ils avaient fait connaissance, étaient devenus amis. Aragon allait régulièrement l’écouter. Je me souviens que Guy Béart était lié au président de la République de l’époque, Georges Pompidou. Elsa Triolet avait toujours dit qu’elle souhaitait être enterrée au Moulin de Villeneuve, à Saint-Arnoult, autrement dit en dehors d’un cimetière. Quand elle est morte, le 16 juin 1970, c’est par Guy Béart qu’Aragon est intervenu auprès du président de la République pour obtenir cette autorisation. Béart a toujours été proche du couple Aragon-Elsa. À Saint-Arnoult, on a retrouvé dans l’une des bibliothèques d’Aragon des programmes des spectacles qu’Elsa et lui allaient voir, dont des annonces de récitals de Guy Béart. »

  • Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité
    « Guy Béart, le poète, le musicien passionné, l’une des belles et grandes voix de la chanson française vient de nous laisser dans la tristesse. Artiste populaire, il ciselait des mélodies inoubliables au service de textes lumineux, portés par un grand désir de liberté. Il savait aussi s’engager pour défendre la création et l’exception culturelle, au moment des débats sur le projet d’accord sur les investissements menacé encore aujourd’hui avec le néfaste projet de marché transatlantique. Nous nous souvenons toujours de sa gentillesse et de sa délicatesse. Avec plaisir nous l’accueillions à la Fête de l’Humanité. Il était venu nous rendre visite en 2012 pour évoquer Louis Aragon avec lequel il avait tissé des liens d’estime et d’amitié. Aragon, justement, disait de lui qu’il possédait “Cet étrange pouvoir de saisir l’instant qui durera”. À toute sa famille, à ses proches, nous présentons nos condoléances attristées et les assurons de notre affectueux soutien. »
  • Francesca Solleville, chanteuse
    « J’ai connu Guy Béart à la Colombe, un cabaret de la rive gauche. C’était au tournant des années 1960, nous enchaînions deux ou trois cabarets dans la soirée. Il y avait Guy Béart, Boby Lapointe, Maurice Fanon…. Guy est vite devenu célèbre. Comme compositeur, il possédait un remarquable sens de la mélodie. J’aimais l’ambiance de ses chansons, sa tendresse profonde. Il s’est forgé un style : la marque des plus grands, comme Brassens, Nougaro, Ferrat. » 
  • Dominique Grange, chanteuse et collaboratrice de Guy Béart
    « Homme d’une grande loyauté, Guy Béart a souffert de l’exil auquel l’ont contraint les gros médias, qui ne diffusaient plus beaucoup son œuvre. Je ressens de la colère face à cette mise à l’écart, encore plus douloureuse quand elle frappe un artiste exceptionnel, aussi inspiré comme interprète que comme compositeur et parolier. Ce qui me chagrine aussi, c’est qu’il ait été catalogué de droite. Fidèle en amitié, il continuait de voir Pompidou, son ancien prof en khâgne, mais Guy était un esprit libre. Il a écrit nombre de textes sur la justice, la liberté. Je garderai le souvenir d’un immense professionnel (j’ai été son assistante de 1964 à 1968 pour l’émission télévisée Bienvenue chez Guy Béart), d’un artiste intègre. »