Ricardo Montserrat tire sa révérence …


Ricardo Montserrat
est parti le 18 octobre 2020. Kevin avait prévu de passer lui rendre visite à Concepción ce prochain dimanche après avoir voté pour la première fois dans ce nouveau Chili que Ricardo regardait avec amour et persévérance. Ça allait être un 25 octobre, une journée populaire de plébiscite … « Vole, haut maître. »

Nous l’avions recroisé pour la dernière fois en mars 2018 à Valparaíso. Il était remonté spécialement de  Concepción pour assister à l’inauguration du festival Teatro Container ...

Ricardo Montserrat, le 1er avril 2000. Cédric Martigny/Opale/Leemage

Ricardo Montserrat, le 1er avril 2000. Cédric Martigny/Opale/Leemage

Disparition. Ricardo Montserrat, le cœur à l’ouvrage collectif

L’écrivain et dramaturge s’est éteint ce week-end à Concepcion, au Chili, à l’âge de 66 ans. Homme engagé, au singulier comme au pluriel, il avait animé des dizaines d’ateliers de création, afin que ceux à qui on ne donne jamais la parole prennent la plume et s’expriment.

« Mon ami, mon camarade, écrivain et dramaturge Ricardo Montserrat avec qui j’ai tant fait et tant échangé est décédé (…) d’un arrêt cardiaque à Concepcion au Chili, où il était parti vivre depuis trois ans », écrit Babouse dans l’hommage que rend le journaliste et dessinateur à celui qui, souligne-t-il, « était de ceux qui redonnent un peu de foi en cette vacharde putassière Humanité. »

Né en 1954 à Saint-Brieuc de parents antifascistes espagnols catalans exilés en Bretagne, Ricardo Montserrat Galindo se rend au Chili en pleine dictature pour, en tant que professeur de langue à l’Alliance française de Concepcion, s’engager par le théâtre et l’écriture contre le régime de Pinochet.

De Lorient à Roubaix, avec les chômeurs

De retour en France au début des années 1990, il poursuit son engagement par la littérature, le théâtre et le cinéma, avec des œuvres abordant aussi bien le thème de la mémoire politique et historique que celui des résistances sociales …  Suite de l’article réservée aux abonnés.


Saint-Brieuc. Ricardo Montserrat, l’enseignant devenu un écrivain engagé, est décédé au Chili

Il était né à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), en 1954. Ricardo Montserrat, qui a commencé comme instituteur, est devenu un auteur et un dramaturge engagé. L’artiste est décédé brutalement au Chili, après un accident vasculaire cérébral, le week-end dernier.

Un article de Soizic Quéro publié dans l’Ouest France St Brieuc du

« Ricardo Montserrat était très dénonciateur, il ne craignait pas de bousculer les choses. Il portait, en lui, une sorte de blessure, la douleur de ses parents après la guerre d’Espagne », confie son ami Michel Guyomard.
« Ricardo Montserrat était très dénonciateur, il ne craignait pas de bousculer les choses. Il portait, en lui, une sorte de blessure, la douleur de ses parents après la guerre d’Espagne », confie son ami Michel Guyomard. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

« C’est terrible, c’était un très grand ami », réagit Michel Guyomard d’une voix empreinte de tristesse, en apprenant le décès de Ricardo Montserrat, à l’âge de 66 ans. L’ancien enseignant, domicilié à Pordic, connaissait le Briochin né de parents antifascistes espagnols catalans, exilés en Bretagne, depuis l’École normale d’instituteurs, où ils étaient dans la même classe, « dans les années 1970 ».
Sa première anecdote caractérise déjà la personnalité de celui qui sera d’abord « un remarquable instituteur » à l’école Jean-Nicolas, puis maître d’application, à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor)  : « Quand il y a eu le coup d’État de Pinochet en 1973, nous sommes allés ensemble à La Poste pour envoyer un télégramme à l’ambassade du Chili. Nous faisions partie de la Ligue communiste… » La graine du militantisme germe chez le jeune passionné les lettres, qui avait trois frères et deux sœurs.

Un écrivain engagé et libre

Au début des années 1980, il quitte l’Hexagone pour le Chili et devient professeur de langue à l’Alliance française de Concepción. C’est là qu’il s’engage « par l’écriture et le théâtre » contre le régime de Pinochet. Pour résister. Ricardo Montserrat est un homme engagé. Libre. L’artiste passera aussi par le Brésil. Quand il rentre en Bretagne, vers 1990, il prend la plume et sort une trilogie romanesque sur Pinochet, Là-bas, la haine. « Et ça n’a pas arrêté… » Plus d’une cinquantaine d’œuvres au total.

« La culture pour tous »

L’écrivain s’installe en résidence à Tréguier. « Il était venu dans ma classe, à l’école Mazier », se souvient Paul Recoursé, président de la Société des amis de Louis Guilloux, qui s’entretenait encore avec lui, via Skype, il y a un mois. « Je pleure », confie son ami fidèle, aussi enseignant. Ils partageaient « les mêmes valeurs, la culture pour tous… » L’association Les Bistrots de l’histoire, présidée par Pierre Fenard, est « bouleversée ». Elle l’avait accueilli à deux reprises dans les années 2000.

« Il portait une blessure en lui… »

Ricardo Montserrat animait des ateliers d’écriture auprès des publics en difficulté. Ceux qu’on peut appeler les opprimés. Comme ce collectif de chômeurs, à Lorient (Morbihan). « Il était très dénonciateur, il ne craignait pas de bousculer les choses. Il portait en lui une sorte de blessure, la douleur de ses parents après la guerre d’Espagne », poursuit Michel Guyomard.

« Il n’avait de cesse d’arpenter le monde »

À Saint-Malo, où il a longtemps vécu avant de s’installer au Chili il y a trois ans, les projets s’enchaînent et l’emmènent par monts et par vaux. Le Chili, c’était « l’endroit où il sentait que les choses pouvaient encore changer ». C’est le pays qui l’a vu disparaître le week-end dernier, après avoir été victime d’un accident vasculaire cérébral.

Sur sa page Facebook, le dessinateur Alain Goutal lui rend hommage : « La littérature, le théâtre et la conscience humaine révoltée viennent de perdre l’un de leurs plus indispensables ferments… Espagnol, Chilien, Marocain, Sénégalais, Corse, Breton, Malouin, Ricardo n’avait de cesse d’arpenter le monde, de l’ensemencer de son effervescente écriture. »

Les personnes souhaitant participer à un hommage peuvent contacter Michel Guyomard, tél. 06 77 68 56 72 ou michel.guyomard22@sfr.fr


Réaction à chaud de Yves Leroy, directeur de communication au Quartz de Brest pendant huit ans, puis directeur fondateur de la Maison du Théâtre de 2000 à 2013

« Tristesse immense, notre ami Ricardo Monserrat a quitté ce monde ce dimanche 18 octobre… Alors qu’il était à Conception, au Chili, un AVC l’a emporté…

Au milieu de la nuit du samedi 17 octobre, sur son fil Facebook , Ricardo, ce fils d’antifascistes catalans émigrés en Bretagne où il avait vu le jour en 1954, réagissait à la barbare décapitation de son ami Samuel Pety : « La démocratie agonise. Elle a perdu la tête. Il y a tant d’années que nous, Samuel, mon ami, mon camarade, et tant d’autres, avons dénoncé l’abandon de la laïcité, avons battu, combattu la bureaucratie de la neutralité, de la censure… En vain. Je me souviens de Conflans-Sainte-Honorine, son université toute neuve et ses deux salles de professeurs, une pour les agrégés, les nantis, et l’autre pour ceux qui n’ont jamais renoncé. Je te pleure Samuel. »

Et le soir même, tel un cri, il transmettait le texte de “Jaurès“ de Jacques Brel, avec ce commentaire : « Magnifique interprétation par Erik Marchand d’une des plus belles chansons de Jacques Brel, en Breton et en larmes. »

Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s’appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grands-parents
Entre l’absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d’être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître …

 Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès? …
 Si par malheur…

Et puis, dans la nuit, par malheur… il s’est effondré…

Repose en paix, Ricardo, nous te pleurons.
N’oublions pas ton combat pour la Justice, pour que les plus humbles d’entre nos frères humains y accèdent… »

Yves


Réaction à chaud de Leonor Canales Garcia

« Ricardo…
Tu nous a quittés, toi, ami, camarade, frère de lutte et de lumière dans nos jours sombres.
Tu as laissé, derrière toi, tes mots qui sont autant un bouquet de magnolias qu’une épée tranchant le silence. Ce silence que notre peuple, l’Espagne, a vécu dans sa chair…
Ce silence imposé aux modestes, aux sans toit, aux femmes, aux migrants, à tous ceux et celles que l’on opprime pour mieux les tenir (nous tenir) en laisse…en masque.
Tu as su nous ouvrir les yeux, nous ouvrir les cœurs, nous rappeler le sens du mot : Justice !
Dimanche 18 octobre, tu nous as quittés, je me sens orpheline, je me sens et je ne me sens plus…Tu faisais partie de moi, de mon histoire, de ma vie. Mais je sais que je ne suis pas la seule, tu as su donner avec la générosité qui te caractérise un petit bout de toi à nous tous.tes.
Tu as su te donner sans concession, toujours en proclamant haut et fort, avec chapeau et passion ton désir de justice pour le peuple…les peuples !
Aujourd’hui tu n’es plus…et tu es en chacun-e de nous. Un petit bout de toi, un tout de toi nous habitent. Alors, je m’accroche, je m’accroche et je relis tes mails, tes posts sur facebook, je revisite tes œuvres, je me regarde dans ton sourire…
Et je me souviens de tes mots de la pièce « Mon père ma guerre »
« Quand la guerre est finie
Les pauvres en meurent encore
Des années après, les pauvres en meurent encore.
Quand la guerre est finie
Les pauvres racontent l’histoire des mots
Dans leur cœurs, dans leur âme, ils la racontent encore.
Les enfants la récitent : Encore ! Raconte
Encore ! Encore ! Encore les morts !
Les morts n’ont pas la paix
Tant qu’elle n’est pas racontée
Les morts n’ont pas la paix
Tant que les pauvres sont pauvres
Pauvres d’histoires et pauvres de vérité
Pauvres d’avenir et pauvres de passé
Pauvres de haine et riche d’amour »
Ricardo Montserrat
Nous continuerons à raconter l’histoire, pour toi, pour nous et tu vivras encore, toujours !
Te quiero Compañero ! Te queremos…
Courage et Amour à tes enfants et ta famille !

Exil, territoire impossible (extrait 1 : l’identité perdue des réfugiés espagnols)

Dans « Exil, territoire impossible », l’auteur Ricardo Montserrat revient sur le voyage douloureux entrepris par les réfugiés espagnols victimes de la guerre civile. Parmi eux, son père et son grand-père. L’écrivain souligne la perte d’identité des exilés.
Documentaire de Rolland Savidan et Florence Mahé. Durée : 1’35

Exil, territoire impossible (extrait 2 : la mémoire du père)

Devenu écrivain, le fils d’exilé s’empare du silence de son père. Documentaire de Rolland Savidan et Florence Mahé. Durée : 1’24


RICARDO MONTSERRAT. LE COMBAT PAR LES MOTS

Un article paru dans Le Télégramme du 11 juillet 2004
Ricardo Montserrat, fils d'exilés espagnols, écrit des romans et des pièces de théâtre, anime des ateliers d'écriture pour les blessés de la vie. Un tourbillon d'activités qui constitue toute sa passi
Ricardo Montserrat, fils d’exilés espagnols, écrit des romans et des pièces de théâtre, anime des ateliers d’écriture pour les blessés de la vie. Un tourbillon d’activités qui constitue toute sa passion. (Photo d’archives Yves Loisel)

Romancier, homme de théâtre et de cinéma, éditeur.

Romancier, homme de théâtre et de cinéma, éditeur… Ricardo Montserrat est de tous les combats. Ce Malouin, né à Saint-Brieuc, est aussi réputé pour faire parler et écrire ceux que la société a laissés de côté. Le moteur de son existence, c’est peut-être de ne pas savoir s’arrêter.La maison est à l’image de l’homme. Sous des dehors calmes et ordonnés, la vie tourbillonne. Ricardo Montserrat, entouré de son épouse et de ses cinq enfants, cache sous une sérénité nonchalante une énergie débordante. En ce moment, il achève un roman dont l’intrigue se déroule en Bretagne, peaufine une comédie musicale, parfait une pièce de théâtre et trouve encore le temps de consacrer plusieurs mois à un atelier dédié aux enfants abandonnés et à leurs parents. «C’est une première en France et j’espère que le livre qui va sortir de ces échanges fera changer le regard de professionnels comme du public. Quelle que soit la situation, on a besoin d’un espace de liberté pour montrer que l’on n’est pas cantonné à ce qui est écrit dans notre dossier. Il ne faut pas réduire les histoires», laisse échapper Ricardo d’une voix nette.

La dictature en France

Pour ce fils de Catalans espagnols qui avaient fui le fascisme de Franco, la liberté d’expression n’est pas une sentence creuse. Né à Saint-Brieuc, cet enfant d’exilés quitte la maison familiale de Saint-Malo pour vivre au Chili. Pour combattre la dictature, Ricardo «entre en écriture». C’est la religion qu’il avoue avoir trouvée pour garder la foi en l’espèce humaine. Il récolte des témoignages et grâce à ses pièces de théâtre, aux livres qu’il édite, les Chiliens réapprennent à sourire. De retour en France en 1992, celui qui n’a toujours écrit qu’en espagnol se retrouve accueilli à Tréguier pour créer au calme des romans en français. «Dès que je suis arrivé en Bretagne, j’ai entendu les hommes politiques parler du chômage en terme de traitement, j’ai vu les gens poussés dehors et je me suis rendu compte que c’était les mêmes méthodes qu’au Chili. La France était devenue une dictature économique qui fabriquaient des morts en vie», avoue l’artiste, sans craindre l’outrance. Comme en Amérique du Sud, le Malouin décide de se battre contre la fatalité en allant à la rencontre des exclus. Cela débouchera, par exemple, sur l’écriture d’un polar vendu à plus de 20.000 exemplaires : «Zone mortuaire», engendré sous sa houlette par une dizaine de chômeurs lorientais, apparaît comme une renaissance. «A travers le vécu des autres et l’écriture, chacun d’eux a pu faire le deuil de sa vie passée et se reconstruire. Une est devenue bibliothécaire, l’autre a ouvert son entreprise, un troisième travaille pour une association. Je ne dis pas que c’est une recette miracle mais en se donnant les moyens de prouver qu’on est capable, on évolue toujours et, dès que le regard change, on a gagné un combat», se réjouit celui qu’on a appelé le porte-voix des silencieux.

Des rencontres explosives

Ses ateliers et ses créations se suivent et ne se ressemblent pas. On le retrouve avec Robin Renucci pour un film qui laisse parler les Corses, sur la scène du théâtre de Quimper avec «La foire aux paysannes» où les agricultrices bretonnes racontent leur vie. Il sera bientôt dans les Ardennes pour rassembler autour d’une oeuvre commune les sans-papiers qui fuient leur pays en guerre. «C’est toujours des rencontres explosives puisque les gens sont dans la douleur. Je ne sais jamais au début d’un atelier si on va pouvoir réussir à entreprendre quelque chose ensemble mais c’est tellement important de montrer qu’on existe », constate en toute simplicité Ricardo Montserrat. Pour cet humaniste, fabriquer ensemble et fabriquer pour tous c’est la base de la culture populaire. «L’intelligence collective est un levier formidable. Aujourd’hui en France, la multitude d’initiatives réalisées par les micro-sociétés et les associations montre que le système change. Les gens ne se laissent plus ranger dans des cases sans rien dire et ça c’est très encourageant», assure cet engagé citoyen en frappant la table du plat de la main. Même s’il se donne corps et âme dans toutes ses actions, ce père de famille ne veut pas tomber dans le sentimentalisme.

>Un pessimiste actif

«Je revois très peu de celles et ceux avec qui j’ai fait les ateliers. Si on veut que les gens pensent par eux-mêmes et soient indépendants, il faut donc savoir tourner la page. La culture est un travail comme un autre. Quand un projet est abouti, je m’en vais et chacun suit son chemin», analyse avec pudeur cet homme de lettres. Pourtant, il reconnaît qu’il lui est impossible de fermer la porte. «J’aurais adoré vivre dans un monde en paix mais en moi il y a un avis de tempête constant. Je suis toujours sollicité pour signer une pétition, participer à un débat… Cela m’use mais c’est ma vie», constate celui qui se dit pessimiste actif. On le croyait plutôt optimiste avec son envie de toujours voir l’espoir même dans le plus noir. «Je me sens héritier d’une Histoire et de mille histoires où la tristesse et la violence sont omniprésentes mais je me dois de vivre heureux pour tous ceux qui ne sont plus là pour témoigner. J’ai, malgré tout, une confiance ardente et patiente car je crois que l’on finit toujours par gagner», conclut dans un sourire combatif Ricardo Montserrat.

 


Ricardo Montserrat,
accoucheur de romans
« Créer des lieux où l’on peut reconstruire son identité »

Extraits de Périphéries / Janvier 2001
Version longue d’un entretien paru dans Charlie Hebdo du 20 décembre 2000. Propos recueillis par Mona Chollet

Quand Ricardo Montserrat lui a annoncé qu’il partait à Roubaix écrire un roman policier avec des chômeurs, Patrick Raynal, le directeur de la Série noire, l’a prévenu : « Si c’est bon, je ne prends pas. Si c’est génial, je verrai. » Quelques mois plus tard paraissait Ne crie pas, roman très noir, parfois insoutenable, mais prenant et poignant. Un peu plus tard sortait sur les écrans Sauve-moi, un film adapté du livre par le cinéaste Christian Vincent, qui avait participé à l’atelier. Ricardo Montserrat, écrivain d’origine espagnole qui a longtemps vécu au Chili, raconte comment les histoires de chacun et les tensions qui traversent un groupe humain se traduisent et se transcendent dans la fiction, et comment son propre parcours a nourri sa conception de l’atelier d’écriture.

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Le collectif Roseback (ancien nom de Roubaix), auteur de Ne crie pas

– Comment écrit-on un roman à dix-huit ?

Ricardo Montserrat : Chacun a amené ses textes, ses fantasmes, ses histoires, et s’en est retrouvé dépossédé par les autres. La cohérence est souterraine : l’unité se fait au montage, aux ciseaux et à la colle. Les premiers textes servent d’étalonnage. Dans l’équipe, il y avait un SDF, à l’écriture brouillonne, hachée : des phrases sans verbe, sans adjectifs, sans points… Il a alimenté tout le roman en notes prises sur le vif : il connaissait la ville café par café, trottoir par trottoir. Cette écriture apparemment sans structure a intéressé ceux qui avaient eu des problèmes scolaires, des problèmes de concordances des temps, par exemple… Ils ont sauté sur l’occasion. Une autre, Florence, qui de toute évidence avait eu d’énormes problèmes scolaires, écrivait dans une langue presque illisible, entre le français, le roubaisien et l’arabe ; mais c’était une écriture enlevée, qui lui ressemblait, qui allait vite… Ses textes ont d’abord été refusés par le groupe : « On n’y comprend rien ! » Mais ils étaient musicalement très forts ; si bien que je lui ai demandé de reprendre et de retraduire « dans sa langue » les textes des autres, plus classiques, pour leur donner une foulée, une violence qu’ils n’avaient pas.

On a toujours la vision de l’écrivain solitaire, alors que c’est un métier qui comprend plusieurs métiers : le paysagiste, le dialoguiste, le croqueur, le repéreur, le scénariste… Ainsi, chacun trouvait peu à peu son rôle et son métier. Je pense aussi à Marie-Jeanne, une femme exceptionnelle, qui avait été licenciée quatorze fois, je crois, au fur et à mesure que les filatures fermaient. Elle travaillait à l’atelier comme on travaille sur un métier : le matin, elle s’asseyait, elle écoutait, elle participait, puis elle se mettait devant sa table, et elle grattait. Elle faisait chaque jour sa production : huit, douze, vingt pages… Les autres reprenaient certaines de ses idées, ses enchaînements ; à l’intérieur de ça, ils faisaient leur nid de coucou. Cela leur servait beaucoup, parce qu’elle avait déblayé tout le terrain, toutes les voies possibles. Certains travaillaient tout seuls : c’est mon personnage, mon truc, et je veux que personne d’autre n’y touche. D’autres travaillaient à deux, ou prenaient le personnage des autres pour le modifier – pour le tuer, par exemple… Certains ont apporté leur propre histoire, comme Christine. Elle était kabyle, la quarantaine, mariée à un Kabyle. Ils avaient travaillé dans la même filature pendant dix ans, jusqu’à ce qu’elle ferme. En six mois, ils se sont rendu compte qu’ils ne retrouveraient pas de travail sur Roubaix. Alors ils sont repartis en Kabylie, et avec leurs indemnités de licenciement, ils ont ouvert une entreprise d’hydraulique. Après huit ans, ils avaient dix employés. Puis le GIA est arrivé…

– … Et son mari a été tué, comme celui de Karima dans le roman ?

R.M. : Non : ça, c’est la fiction ! Quand le GIA les a menacés, ils sont partis avec deux valises, et ils sont revenus à Roubaix. Dans le roman, pour des raisons mystérieuses, parce que la littérature permet de tout dire et de tout mentir, Christine a choisi de tuer son mari, et d’amener ce personnage de veuve avec deux enfants… C’était une femme modèle, vive, élégante, sérieuse, un peu donneuse de leçons. Dans l’atelier, il y avait aussi des fils de harkis, assez rancuniers, assez amers. Et l’un des fils de harkis en avait tellement marre de ce personnage qui la ramenait, qu’il l’a massacrée. Il l’a littéralement massacrée ! C’est-à-dire que dans le roman, le tueur rencontre cette femme, et il la massacre… Lors de la lecture du matin, Christine a hurlé, en désignant l’auteur du passage en question : « Je n’ai pas traversé tout ce que j’ai traversé pour me faire tuer par le premier pervers venu ! » Je lui ai alors proposé, si elle le souhaitait, d’écrire une autre fin pour son personnage – parce qu’il était temps de se poser la question de la fin de chaque personnage. Elle s’est mise au travail. Et, très vite, il est apparu qu’il n’y avait pas moyen d’écrire un texte « positif » qui soit à la hauteur de celui qui existait déjà. Elle est venue me voir pour me demander de l’aide : « Ricardo, j’y arrive pas… » Ensemble, on a mis le personnage à plat, et on a essayé de voir depuis quel moment il s’était présenté comme une victime. On a tout redémonté, et on s’est aperçu que ce personnage, depuis le début du roman, ne vivait pas. Il était toujours dans le souvenir : son mari, son enfance en Kabylie… Mais jamais dans la vie, dans le présent.

Il y avait eu une suggestion d’un autre membre du groupe de faire coucher ensemble Karima et Léo. Christine avait refusé violemment : « Pas question ! Mon personnage ne couche pas ! » Karima refusait même l’amour, elle était déjà morte. J’ai donc dit à Christine : soit on réécrit tout le personnage du côté de la vie, soit on le laisse mourir. Ça lui a fait un choc. Elle est restée une semaine sans écrire, ou à écrire autre chose, parce qu’il y avait toujours du travail disponible ; puis elle a repris son personnage juste avant la mort, depuis le moment où Karima est licenciée du supermarché jusqu’au moment où elle croise le chemin du tueur. Elle sort, et elle se prépare à mourir : elle fait le deuil de tout ce qu’elle n’aura jamais plus, le mari, la jeunesse, le travail…, tout ça sur fond de neige au bord du canal… C’est très, très beau. Je l’ai lu aux autres, et tout le monde était ébloui. Dans la foulée, elle a repris le personnage après la mort, pour une scène étonnante où Léo retrouve son cadavre, le monte dans sa chambre, le lave, le coiffe, le maquille, et lui passe la robe de mariée de sa propre femme. Cette scène post mortem, rare dans un polar, est restée. Ces deux scènes, en prenant en tenaille la scène du massacre, l’effaçaient, en quelques sorte ; elles la rendaient anecdotique.

Une autre participante, qui était une grande lectrice, était venue à l’atelier pour écrire de la « belle » littérature, de la littérature « blanche ». Au début, elle était très choquée, elle essayait de censurer tout ce qui se passait. Puis elle s’est jetée à l’eau, comme pour dire : « Ah ! C’est ça que vous voulez, hein ? » Elle s’est emparée du personnage du tueur, et elle lui a écrit une soixantaine de textes très lyriques, poétiques, magnifiques. Ce qui ne l’a pas empêchée de rejeter violemment le roman quand il a été terminé : « Ce n’est pas de la littérature ! » Et ce n’est pas faux… Si je travaille sur le roman noir, c’est justement parce qu’il est considéré sur le marché comme une sous-littérature, et que, du coup, on peut y parler de tout, en utilisant tous les styles.

« La première scène amoureuse
a mis trois semaines à venir.
On avait une fille formidable
qui était arrivée dans le roman,
et personne ne la touchait »

J’avais annoncé dès le départ que tout était permis, du moment que c’était par texte interposé : « On est Dieu ! » Tout est possible, mais tout et son contraire, attention : j’ai dû beaucoup lutter pour permettre aux uns et aux autres d’oser les premiers certaines choses. La première scène amoureuse a mis trois semaines à venir. On avait une fille formidable qui était arrivée dans le roman, et personne ne la touchait ! Et puis enfin, quelqu’un a osé l’asseoir, l’embrasser sur la bouche… Et, du coup, à sa suite, les autres ont osé aussi…

– Dans quel cadre s’est déroulé l’atelier ?

R. M. : Les participants étaient en CES [contrat emploi-solidarité, ndlr], et touchaient donc un salaire, plus les droits d’auteurs. L’atelier a duré au total cinq mois. Nous avions des horaires de travail, 9 heures-17 heures ; au-delà, certains se retrouvaient parfois pour continuer. Nous les avons recrutés comme pour un casting. Jusqu’alors, pour mes ateliers, je ne choisissais pas : je faisais confiance aux intermédiaires associatifs. Christian Vincent et moi avons d’abord rencontré les associations de lutte contre le chômage à Roubaix, la CGT-chômeurs, AC !… Il y en avait une foule, tellement il y a de problèmes dans le Nord. Nous nous sommes donc retrouvés autour d’une immense table ronde. Nous leur avons exposé ce que nous avions envie de faire. Nous n’étions pas capables de leur raconter l’histoire, ni de leur dire ce que serait le film. Nous proposions seulement de venir aider les gens à accoucher de quelque chose de différent. Les associations ont servi de relais.

A la première réunion d’information, il y avait les gens qu’elles nous avaient adressés, et les gens du quartier, qui étaient venus voir, par curiosité. On a lancé un appel à candidatures, et on a ensuite trié ceux qui pouvaient être salariés. Il est resté cinquante personnes, que nous avons reçues tour à tour. Je voulais travailler non pas avec des gens en fin de parcours, n’en pouvant plus, comme je l’ai fait souvent ; mais avec des gens en colère, qui avaient une rage, un rapport costaud à la vie. A part cela, c’était très hétérogène : des jeunes, des vieux ; je cherchais un choc des expériences, des histoires. Il y avait par exemple un travailleur, militant, syndicaliste à la CGT, qui, jusqu’à son licenciement, n’avait jamais eu de problèmes. Lors de l’entretien, il a raconté qu’il avait fait son service militaire à Mulhouse, que ça avait été très dur, et que, pendant toute cette période, il avait écrit une lettre d’amour par jour à sa femme. Cela dénotait un rapport à l’écriture étonnant… Au début de l’atelier, il faisait des fiches, des rapports, mais il ne se lançait pas en littérature. Et, tout à coup, sur une histoire d’huissier, il s’est mis à écrire, à écrire comme je suppose qu’il écrivait à l’époque…

Bien sûr, certains ont menti lors de l’entretien : on peut toujours mentir. Ils voulaient venir pour une raison, et, pour faire plaisir à leurs interlocuteurs – nous -, ils ont dit qu’ils venaient pour une autre raison. Mais même ceux-là ont joué un rôle dans le groupe. Ils en ont pris plein la gueule, et voilà. Chacun a fini par trouver sa place dans la création.

– Vous êtes très chatouilleux sur le vocabulaire : vous ne travaillez pas avec des « chômeurs », mais avec des « privés d’emploi »…

R. M. : A Lorient, lors d’un atelier précédent, les journalistes me disaient : « Alors, c’est vous qui travaillez avec des SDF ?… Avec des analphabètes ?… Avec des jeunes ?… » C’est fou, cette manie de changer le sens des mots ! En espagnol, on a un joli mot pour ça : on dit « trastocar »… Alors qu’on travaillait justement dans ces ateliers à élargir l’image, on nous renvoyait une image encore plus restreinte ! C’était une idée irritante et réductrice. Je me souviens d’un article de journal qui célébrait la transformation de « ces yeux qui ne savaient pas voir, ces mains qui ne savaient pas écrire »… [Rires.] Alors qu’on travaille justement sur le savoir que possèdent les gens. Pas forcément un savoir-écrire, mais un savoir-vivre. Je suis un écrivain et un auteur dramatique qui partage ce que je sais de l’écriture et du monde, un rapport politique au monde, aussi, avec des gens qui ont accumulé une série de savoirs : savoir divorcer, savoir être licencié, savoir survivre avec 3000 balles par mois, savoir être battue par son mari… Des savoirs positifs et négatifs, mais qui, du moins quand on n’est pas passé par la fenêtre, donnent une certaine force. Ce sont ces savoirs que fait apparaître le champ de l’atelier.

– Vous n’aimez pas non plus qu’on dise que vous « animez » des ateliers d’écriture.

R. M. : Il y a beaucoup d’ateliers d’écriture en France, mais ils visent le plus souvent à favoriser l’expression, sous une forme proche du journal intime, et ce n’est pas cela que je veux. Mes ateliers sont des ateliers de création : il y a l’écriture, mais je fais aussi venir des professionnels du regard, des peintres, des dessinateurs de BD, des photographes, des grands reporters, des affichistes, des cinéastes…, qui apprennent à regarder le monde autrement. A Lorient, j’ai eu un grand reporter qui travaillait pour Match, pour National Geographic. Il a montré aux participants combien leur ville était exotique, et qu’on pouvait la regarder comme une ville étrangère. A Roubaix, ChristianVincent a apporté Raining Stones, de Ken Loach, pour montrer que les grandes histoires ne se font pas forcément avec des superhéros, que l’on peut raconter une histoire toute bête et avoir un film immense.

« On partait toujours enquêter.
Ce va-et-vient constant
entre le réel retransposé
et le réel tel qu’il est
provoque une surenchère
dans la cohérence »

Le rôle de Christian Vincent était aussi de dire, en écoutant le texte : « Là, je ne vois pas. » On partait toujours enquêter : dès que vous écrivez sur quelque chose que vous pensez bien connaître, cela exige que vous alliez voir dans la réalité, pour éviter les fantasmes, les clichés. Par exemple, tous connaissaient des cafés, et en même temps, quand les scènes de café sont arrivées, je n’avais rien. Une équipe est donc partie enquêter toute une matinée dans les cafés autour de la prison de Loos, et elle a ramené un café splendide. C’était un café avec un tigre dans une cage au milieu de la salle, les familles des prisonniers, et, à l’heure de midi, les petites jeunes filles de l’institut d’esthétique qui arrivaient… Ils sont revenus avec d’immenses sourires.

Même chose pour la courée. Certains habitaient dans des courées, mais je voulais qu’on en trouve une, qu’on aille la visiter. Christine nous a dit que son oncle habitait tout près de là. C’était un Algérien, veuf, et sa maison était envahie par la misère. Vous voyez ce que c’est, la misère ? Une petite plante, avec de toutes petites feuilles, qu’on trouve beaucoup dans les maisons des petites vieilles. Ça pousse comme un rien, par simple bouture. Il y avait aussi un escalier de bois, et, en haut, la chambre de sa femme était fermée – comme dans le livre, vous allez me dire ! Il nous l’a ouverte, et il nous a dit : « Servez-vous, prenez tous les vêtements que vous voulez. » On a parlé un peu, et il nous a raconté une histoire épouvantable… C’est ça qui est instructif dans les enquêtes : on invente des histoires épouvantables, mais les histoires de la vie sont encore plus épouvantables. Dans l’un de ses premiers boulots, il était apprenti dans une fabrique, et son patron avait engrossé une employée qui avait avorté là, dans l’usine ; le patron lui avait donné une boîte à chaussures, il avait mis le foetus dedans et lui avait dit « Va jeter ça ». Cela rejoint toutes ces histoires de bébés, de maternité, qui courent dans le roman.

Tout ce qui vient de l’extérieur prend sa cohérence avec le roman. Chaque jour, on faisait une revue de la presse régionale – La Voix du Nord, Nord-Eclair – et on relevait les faits divers qui avaient à voir avec le roman. Si bien que lorsque l’épisode de l’accident d’usine est arrivé, on avait le choix entre plusieurs accidents d’usine bien réels. Ce va-et-vient constant entre le réel retransposé et le réel tel qu’il est, provoque une surenchère dans la cohérence. Cela permet d’aller de plus en plus dans la fiction. Les sapins en plastique qui chantent Happy Christmas, on a vraiment essayé de les revendre ! Impossible à fourguer… Saloperie…! Avec tout cela, on construit à la fois l’identité de son personnage et sa propre identité. Peu à peu, on constate que sa propre histoire a à voir intimement avec l’histoire des autres, l’histoire du quartier, les histoires anciennes. On comprend qu’on n’a pas été touché par le doigt de Dieu, que le chômage n’est pas une punition, mais que sa petite histoire individuelle rentre dans l’histoire collective et dans la grande histoire : l’histoire de la ville, l’histoire du pays… Cette occupation progressive de l’espace est l’un des acquis essentiels de l’atelier.

La fiction permet de raconter mieux, plus loin, de façon plus complexe et plus « réelle » que le simple compte-rendu de la réalité. Elle permet surtout de dire tout ce qui est de l’ordre du souterrain, du sentimental. Mes ateliers ne sont pas des ateliers d’expression, mais de déconstruction et de reconstruction d’une histoire par la fiction. Ils offrent la possibilité aux gens de dire qu’ils ne sont pas ce qui est écrit sur leur CV à l’ANPE, qu’ils sont bien plus que ça, bien plus complexes, bien plus riches. Leur vécu nourrit l’atelier, mais je ne pose jamais de question sur ce dont ils ne parlent pas spontanément. Je me suis battu pour que ne soit jamais posée la question de savoir si les choses qui sortaient étaient vraies ou non. La fiction, c’est justement le droit de dire à peu près la vérité, ou d’être très loin de la vérité, ou de se faire plaisir…

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Ricardo Montserrat – photo de Jacques Sassier (Gallimard)

– Quel est votre propre parcours ?

R. M. : Je suis arrivé en France en 1991. Je suis espagnol, et j’ai vécu au Chili une dizaine d’années. Je suis parti là-bas regagner la guerre que mes parents avaient perdue en Espagne : c’est un peu ingénu dit comme ça, mais en gros, c’est ça. Au Chili, à l’époque, c’était toujours la dictature, mais avec une petite ouverture : il y avait de nouveau une presse, un théâtre, à l’intérieur du carcan de la dictature ; pas de censure directe, mais beaucoup de censure indirecte et d’autocensure. Il y avait toujours des morts, des enlèvements, des disparitions, des grèves qui se terminaient mal…

A l’époque, j’étais metteur en scène. Je dirigeais des spectacles, professionnels ou non, je créais des ateliers de théâtre avec des veuves de disparus, des dockers, avec le syndicat des femmes de ménage, les fédérations étudiantes… La dictature disait « taisez-vous ou vous mourrez » ; alors on s’est créé un espace où exister. On montait les pièces, on les éditait, on les faisait circuler… On faisait de l’agit-prop, de la contre-propagande. On inventait des histoires, des blagues ; on lançait des rumeurs… On me raconte toujours aujourd’hui des histoires qu’on tient pour vraies, alors que je me rappelle encore très bien qui était autour de la table le soir où on les a inventéees… C’était une manière de répondre à la dictature qui manipulait l’information, au point qu’on ne savait plus où était la réalité : quand un militant disparaissait, par exemple, on disait à sa femme qu’il était parti avec une autre…

« En France, les journaux, les ministres,
parlaient du chômage
avec le même vocabulaire
que les fonctionnaires de la dictature au Chili.
Je suis passé de la dictature réelle
à la dictature économique »

Au départ, je suis venu en France pour écrire tout seul. Cela avait été de lourdes années, beaucoup de gens étaient morts autour de moi : une démocratie, même pourrie, vaut forcément mieux que la plus propre des dictatures. Et j’ai été bouleversé par ce qui se passait en France avec le chômage. Les journaux, les ministres, en parlaient avec le même vocabulaire que les fonctionnaires de la dictature au Chili : un vocabulaire médical – on parlait de « traitement » du chômage, comme si c’était une maladie. Comme au Chili, on disait aux gens : « Ne bougez pas, contentez-vous de ce que vous avez : vous êtes vivants, ce n’est déjà pas si mal. » Ce fameux RMI était pour moi un scandale : vous touchez vos indemnités, mais vous ne bougez plus. Vous ne travaillez pas, vous ne militez pas dans une association ; on s’occupe de tout, on pense à votre place, on vous dit ce qui est bon… Cela produit des situations aberrantes, comme celle de Pascale Fonteneau, la romancière belge de la Série noire, condamnée à reverser les indemnités de chômage qu’elle avait perçues pendant qu’elle écrivait son premier roman…

En arrivant en France, je suis passé de la dictature réelle à la dictature économique. J’ai retrouvé la même « culture de la mort ». Au Chili, nous étions des morts en vie. On nous disait : soit vous êtes du bon côté, soit vous ne l’êtes pas, et alors vous êtes morts, ou vous le serez bientôt, ou on vous fera disparaître. De la même manière, en France, si on n’est plus jeune, travailleur et en bonne santé, on est un mort en vie. On est cliniquement mort. Et la société se contente de vous faire quelques transfusions pour vous aider à durer jusqu’à la retraite, ou jusqu’à la mort, ou jusqu’au suicide – jusqu’à toutes les formes de suicide et d’autodestruction qui se mettent en œuvre. Parce qu’on retourne sa colère contre soi.

Je suis arrivé en France les mains dans les poches, j’avais perdu beaucoup d’argent au Chili, et j’ai obtenu une résidence d’écriture d’un an à Tréguier, en Bretagne. On m’a proposé de prendre en charge un atelier d’écriture à caractère social. Tout de suite j’ai décidé qu’on n’écrirait pas pour soi, mais en vue d’une publication. J’ai eu une expérience bizarre dans un hôpital gériatrique à Tréguier, où je devais aider à renouer le fil avec des patients qui ne parlaient plus. Ils me racontaient des choses, et moi j’écrivais, puis je leur lisais en retour ce que j’avais écrit. Finalement, les textes ont été lus publiquement, et le personnel de l’hôpital a découvert par exemple que, derrière la vieille chieuse – au sens propre -, il y avait eu une grande amoureuse, ou une femme qui avait survécu là où d’autres se seraient jetés par la fenêtre… Le personnel était très dévoué, il faisait tout pour les patients, mais en même temps, il leur disait tout ce qu’il fallait faire ou ne pas faire : il gérait leur argent de poche, refusait les cigarettes à une femme atteinte d’un cancer en phase terminale… J’ai été frappé parce cette façon de penser à la place des gens. Ce faisant, on les enferme, on les réduit, on finit par les faire ressembler à ce qu’on veut qu’ils soient. Ils ne sont plus rien d’autre que chômeurs, divorcés, dépressifs… D’où l’idée de créer – d’occuper – des espaces où ils puissent revendiquer et reconstruire leur identité.

Quand vous êtes au chômage aussi, on vous dit ce qui est bon pour vous, sans vous écouter. Or, quelqu’un qui a travaillé quinze ans dans une filature, si on le renvoie dans une filature, risque de se retrouver en situation d’échec : il vaut parfois mieux l’autoriser à rejoindre un domaine dans lequel, a priori, il ne connaît rien, mais où il pourra utiliser un savoir particulier, insoupçonné. A l’ANPE, on vous dit : « D’après votre CV, pour vous, c’est ça, et pas ça, ce n’est pas la peine, ne rêvez pas. » Pour une fille, ce sera caissière ; pour un homme, manutention ou bâtiment… Moi, je travaille dans le domaine du rêve, justement, du virtuel, du possible. Les participants à mes ateliers se découvrent un potentiel. Parmi les gens qui ont travaillé avec moi, l’une a passé son bac, puis le concours de bibliothécaire ; une autre fait un tabac dans la photo, alors qu’elle n’était jamais sortie de chez elle… A l’atelier de Brest, il y avait un marinier qui avait perdu sa péniche lors des inondations, il n’avait pas été aidé, il était devenu très amer. Il est arrivé en disant : « Moi je ne sais pas écrire, demande-moi de faire les tables et les chaises de l’atelier, mais pas d’écrire. » Et en fait, on lui doit les plus belles pages de descriptions, parce qu’il avait une connaissance unique des paysages qu’il contemplait chaque jour sur sa péniche. Après l’atelier, il a eu le courage de vendre sa maison d’écluse. Il l’a vendue très cher à des Allemands, et il s’est installé en bord de mer, où il a acheté une ruine, qu’il a retapée – une merveille, avec vue sur la baie de Brest… Il a pris un an pour réfléchir, et maintenant, il se lance dans une entreprise de tourisme rural. Un autre, sur l’atelier du livre Pomme d’amour, a repris un boulot qui lui pesait, aux abattoirs ; il rêvait depuis toujours des Etats-Unis, et, grâce à cela, il a déjà pu se payer deux voyages là-bas… Une autre s’est coupé les cheveux, a quitté sa mère…

« L’essentiel est de retrouver une manière
originale et personnalisée d’avancer »

Quelque chose a bougé, simplement parce qu’ils sont allés voir ailleurs. Avec l’atelier, ils ont occupé un espace qui leur était a priori interdit. Certains apprennent ne serait-ce qu’à dire non, à refuser un boulot humiliant et indigne. A Roubaix, l’un des auteurs de Ne crie pas a récemment refusé d’être titularisé dans une entreprise de déménagement spécialisée dans les expulsions. Pour l’ANPE, c’est un échec ; mais pour moi, que les gens sachent ce dont ils ne veulent plus jamais, c’est déjà une belle victoire. L’essentiel est de retrouver une manière originale et personnalisée d’avancer.

– On doit vous poser souvent la question de savoir ce que deviennent les participants une fois l’atelier terminé…

R. M. : Oui : « Une fois les projecteurs éteints, que vont devenir ces pauvres gens ?… » C’est agaçant. Comme si les gens qui galèrent n’avaient pas droit aussi de temps en temps à la culture, à la fête, au plaisir, à la lumière… C’est un peu comme si on disait : aujourd’hui, les statistiques le prouvent, deux ménages sur trois se cassent la gueule, alors surtout, ne tombez pas amoureux ! Mais je ne veux pas dire que l’atelier est la panacée : parmi les gens qui ont travaillé avec moi, je sais que certains vont mal – de ceux-là, je n’ai en général pas de nouvelles directes : quand ça ne va pas bien, ils ne m’appellent pas. Il n’y a pas que des réussites. Il faut dire que tous ces romans vont très loin dans la douleur, dans la mort ; on n’en sort pas indemne. Moi-même, j’accuse le coup. Je sors toujours des ateliers bouleversé, bousculé par ce qui s’est passé. Il faut quelque temps pour que les effets positifs se manifestent. En outre, l’atelier est une structure où chacun se sent intelligent, apprécié, écouté ; quand cela prend fin, au début, c’est épouvantable. Il y a des moments assez rudes. Certains s’en prennent à moi, ils sont encore en attente. Il faut du temps pour qu’ils acquièrent une indépendance, et qu’ils utilisent cette expérience pour continuer seuls.

– La Scène nationale de Fécamp vient de créer La femme jetable, une pièce que vous avez écrite…

R. M. : Je l’ai écrite à partir des témoignages de femmes licenciées par un grand supermarché du Havre. Je voulais parler de la façon très particulière qu’on a de jeter les femmes dans ce pays. On ne les jette pas de la même façon que les hommes, même si c’est toujours humiliant, toujours terrible. Dans ce cas-là, la direction voulait se débarrasser d’elles pour les remplacer par des plus jeunes. Et comme c’est impossible légalement, on les a poussées dehors. Le DRH ne s’est pas gêné pour le leur dire : « Trop vieilles, trop moches, trop chères. » Elles étaient là il y a vingt ans, à l’ouverture du supermarché. Tous les moyens ont été bons pour les jeter, de la petite avanie au coup monté : on les a humiliées, accusées de vol, interrogées, harcelées… Une femme du groupe a raconté qu’elle avait résisté à un interrogatoire de cinq heures pendant lequel ses supérieurs hiérarchiques s’étaient relayés pour lui faire avouer qu’elle avait commis une malhonnêteté. Elle a tenu bon. Après des heures et des heures d’entretien avec moi, tout à coup, elle s’est souvenue d’un autre épisode, beaucoup plus ancien : quand elle avait dix-huit ans, elle avait la permission de sortir avec son amoureux, mais seulement jusqu’à minuit. Un jour, elle est rentrée à deux heures du matin. Sa mère l’attendait et l’a questionnée jusqu’à l’aube. Elle a refusé d’avouer qu’elle avait couché, parce que, de fait, elle n’avait pas couché – elle le regrettait bien, d’ailleurs, si elle avait su… Enfin, toujours est-il qu’il y avait une cohérence formidable dans le parcours de cette femme, à vingt ans d’intervalle. Quand on parle de construction d’une identité… Elle est sortie de cet atelier beaucoup plus forte.

« Je voulais parler de la façon très particulière
qu’on a de jeter les femmes dans ce pays »

Ensuite, les textes ont été lus par des comédiennes et enregistrés pour France-Culture. A cette occasion, les femmes qui avaient témoigné ont été interviewées, et là encore, elles ont dit des choses qu’elles avaient passées sous silence au cours de l’atelier. L’une d’entre elles a ainsi révélé qu’elle était issue de la grande bourgeoisie, et qu’avant de devenir caissière, elle avait été cadre. Moi, je savais seulement que c’était une employée modèle qu’on avait poussée dehors. Elle a parlé de l’époque où elle était de l’autre côté de la barrière : « Pour moi, toutes vos histoires de licenciements, c’était parce que c’était bien fait pour votre gueule. »

Ne crie pas est écrit dans un style très haché, elliptique.

R. M. : Oui, c’est au lecteur de remplir les blancs, de faire la moitié du travail. Cinquante-cinquante : c’est un principe fondamental dans l’écriture, mais qu’on apprend assez tard. Il y a dix ans, je ne sais pas si j’aurais été capable de l’amener. Quand on est un écrivain débutant, on ne lâche pas facilement ses personnages. On ne les laisse pas vivre, on explique tout au lecteur. Puis, plus on avance, plus on fait confiance à la fois au personnage et au texte, et donc au lecteur, qui va inventer son propre personnage, boucher les trous, compléter, construire sa propre histoire à l’intérieur. Mise au service de l’écriture collective, cette technique est formidable. Il faut donner suffisamment au lecteur, mais pas trop, le moins possible, au bout du compte. Ça hurle, parfois : « Le sens de l’ellipse, chez vous, ça va loin ! On a du mal à rentrer dans le roman ! » C’est vrai. Mais, passé les dix premières pages, ça fonctionne. Et ainsi le lecteur apporte aussi quelque chose à l’auteur.

– Quels sont vos projets, maintenant ?

R. M. : D’abord un atelier dans un village corse. Puis un autre avec des femmes isolées en Ardèche, qui fera l’objet d’une publication sur Internet. On créera un site où les participantes mettront des textes à tiroirs : elles présenteront leur association, donneront leurs recettes de cuisine, proposeront d’autres textes plus personnels…

Version longue d’un entretien paru dans Charlie Hebdo du 20 décembre 2000. Propos recueillis par Mona Chollet


RICARDO MONSERRAT EN CHILE: UNA HISTORIA DE CULTURA Y RESISTENCIA

Fue una semana intensa en materia de Derechos Humanos, sendas entrevistas de personeros del oficialismo entregando casi un “contexto” de justificación al golpe militar de 1973, que significó la muerte de compatriotas y cruentos delitos de lesa humanidad. Sólo por azar acordamos una entrevista el martes 11 con alguien que vivió la resistencia a la tiranía desde el arte, la educación popular y el activismo político, años en que los tres conceptos iban de la mano.

El café de la Alianza Francesa fue el espacio de la conversación de La Ventana Ciudadana con Ricardo Monserrat Galindo (64), destacado profesor de idiomas, que muchas generaciones recuerdan por su trabajo en el colegio francés. Pero ahora queríamos conocer su trayectoria y su paso por Chile en los años difíciles.

Hijo de exiliados catalanes anarquistas que lucharon en la Guerra Civil Española, nació en un hogar cargado de ideas libertarias y donde desde muy temprano se inspiró en el teatro para expresar.

Llega a Chile en plena dictadura con la intención de aportar a la resistencia a Pinochet desde lo que él sabe hacer, mientras otros se recomponían políticamente, otros tantos empezaban a salir a la calle y también algunos resistían subversivamente al régimen. Años de servicios de inteligencia, dolor, pero también de mucha alegría, juventud y solidaridad, que quedan graficados en la siguiente conversación.

Sabemos la historia de tus padres, pero ¿Cómo nace tu compromiso político y social con lo que pasaba en nuestro país?

Sonríe… “si soy muy comprometido, no tengo muchos méritos, porque nací en un ambiente muy político, la casa siempre estaba llena de comunistas, socialistas, algo parecido a lo de Chile, cada uno culpaba al otro de lo que había pasado”, en este caso la derrota en la Guerra Civil Española.

¿Con la llegada de la dictadura chilena, cuál fue tu reflexión, tomando en cuenta lo que ustedes vivieron con España?

“Yo tenía la intuición que los que se habían ido exiliados no tenían la razón, que los que se habían quedado para pelear, ellos si podían cambiar el destino de su país (…) Por eso vine a Chile para ver de adentro como el pueblo estaba luchando a su manera, resistiendo, lo hice y tuve razón porque desde adentro es que la dictadura se cayó, se cayó adentro de la corrupción del régimen, pero también de la fuerza de resistencia de la juventud”. A fines de los 80 lo que volvían al país “los llamábamos los dinosaurios”, gente cuyo reloj había parado el día del golpe. “Yo tenía la certeza que se podía vencer a la dictadura desde adentro y no saliendo, como lo hicieron mis padres y tantos miles de españoles”.

Al llegar a Chile, ¿qué pasó?

“Llegué sin problemas, tenía doble nacionalidad y era especialista en aprendizaje de los idiomas, así tuve un puesto de profesor en la Alianza Francesa de Concepción, ello me daba protección diplomática, un buen sueldo y la posibilidad de desarrollar lo que yo quería como profesor y director de teatro”.

Tú decidiste aportar desde la educación popular a la resistencia, ¿cómo fue esa experiencia?

“Fue más rápido de lo que yo pensaba, pensé que sería más difícil con lo de la dictadura. Trabajé con grupos profesionales, El Telón de Radrigán, él mismo trabajaba con pobladores, El Rostro, El Caracol, y con grupos de estudiantes, tenía un grupo decempleadas que venía el domingo conmigo a trabajar. Esto se daba en Concepción y Santiago”.

Empezaste a conocer gente ¿Había mucho miedo?

“Había mucha auto censura, hubo gente que dijo sin ningún problema (participar), artistas famosos, Nemesio Antúnez, dijo que sí cuando volvió, Eduardo Meissner, con quien he sido un gran amigo y otros que decían sí, sí, sí… y de repente… (con su rostro expresa temor). Cuando quise montar Las Troyanas de Sartre, es una obra feroz sobre mujeres durante la dictadura, comenzamos a ensayar y de repente decían vamos demasiado lejos”.

¿Qué buscabas con estas obras provocadoras?

“Yo siempre pensé y funcionó en la época: que primero había que tocar la emoción y después, cinco, seis meses después esa emoción subiría hasta el cerebro y ahí en otra ocasión se transformaría en una reflexión. (…) En esa época como todo había sido arrasado, habían desaparecido y exiliado a los mejores de la cultura, teníamos que inventar y pucha que inventamos. Recuerdo el año 1983 decidimos en Concepción conmemorar los 10 años del golpe, nos preguntábamos qué hacer en público sin que lleguen los pacos, no era posible hacer una manifestación y entonces hicimos la conmemoración del décimo aniversario de la muerte de Picasso y reunimos en el Aula Magna a mucha gente, todos los artistas, Meissner, Mestre, Ramirez que volvió de Barcelona, había actores, Sandra Santander, Ester Fierro, mucha gente, la sala llena, 700 personas y un vidrio inmenso de 15 metros cuadrados y durante toda la obra las intervenciones no eran sobre Picasso sino sobre el golpe. Ahí se pintó un mural increíble en el vidrio y estaba mi actor fetiche, Adolfo Azor, que representaba esa noche la rebeldía y cuando termina la pintura, quedó hermoso, había música de los Millar y Los Estrada, todo era hermoso, la gente emocionada, lloraba… y en ese momento el actor toma una piedra enorme, toma impulso y rompe el vidrio. Caen 15 metros de belleza y la gente se levanta y grita nooooooo y yo digo: 10 años de dictadura, recoge los pedazos. Y estoy seguro que aún hay gente que tiene guardado un trozo de ese mural”.

Y sabemos que en el Colegio Médico había también muchas intervenciones ¿Qué nos puedes contar?

“El mejor que hicimos fue Golpe de Estado. La obra era lo siguiente: durante 40 minutos yo insulto al público, los trato de cobardes, tenía el cuerpo pintado y al final no dejamos salir al público, había toque de queda. Eso era para mostrar lo que por ejemplo significaba estar en tu casa y que no apareciera tu hijo o tu esposo. Al día siguiente el Diario El Sur, en un artículo dice que fue un acto indiscutible de terrorismo teatral”.

Tuviste una maravillosa experiencia de teatro con mujeres que habían perdido a sus familiares, incluso llevando una obras por Europa ¿Qué querías lograr?

“Yo no quería que la gente que vivió esos años sean siempre representados como víctimas de una historia, yo afirmaba al contrario, que podía ser actores y autores de su propia historia, y eso lo hicimos muy bien”.

A tu juicio, ¿cómo se logró derrotar a la dictadura?

“Si la logramos vencer es porque hubo eventos culturales, pero también políticos que liberaron la emoción, lo de Carmen Gloria Quintana, la muerte de Frei que la gente sospechaba que no era natural, me acuerdo en Concepción veinte mil personas manifestándose por primera vez, hoy día sería nada, pero en la época (era mucho) (…) en el Ictus en Santiago, recuerdo Lo que está en el Aire de José Donoso, y estaba el Parada (Roberto) y de repente corre adentro de la sala una mujer (se emociona), sube al escenario y habla al oído de Parada, y pensamos que estaba dentro de la obra, era para anunciar la muerte de su hijo. Hubo eventos así que liberaron la emoción”.

¿Y esta historia fue así hasta el final de la dictadura para ti?

No. Cambia a causa de mi mujer, Margarita Suárez, que era cantante y portavoz del CODEM. Un día la detuvieron y al final cuando la liberaron -por suerte, teníamos mucho miedo- estaba negra de golpes, sólo quiso contar que había una fila de pacos con bastones, las mujeres pasaban entre ellos y las apaleaban”.

Dentro de la tragedia has señalado hubo momentos de alegría ¿Algún ejemplo?

“Cuando robamos la gorra de Washington Carrasco (máxima autoridad militar en la zona) y era soltero el huevón y adentro tenía los nombres de sus amantes y durante un mes en cada esquina estuvimos leyendo el alta voz los nombres, luego se fue y nunca más volvió”.

¿Por qué decidiste salir del país, luego de la detención de tu pareja?

“Tuve muchas amenazas, a mi tratan de matarme un día. Yo vuelvo a Nonguén y ahí un tipo en medio de la calle me dispara. Luego nos cambiamos a Santa Juana, ahí me llama la nana diciendo que los pacos habían ido diciendo que había bombas escondidas y las habían buscado. Nosotros sabíamos que cuando intervenían así no era para encontrar algo, sino que para esconder algo. Así, yo me mudé de casa 8 veces, con Margarita decidimos que el cerco era demasiado (…) nos fuimos a Santiago, salimos del país y al día siguiente allanaron la casa de Santiago”.

Tras esta historia Ricardo Monserrat se radicó cuatro años en Brasil, inició un fecundo camino de obras propias hasta que fue contactado por el gobierno francés para volver a Europa. Ahí desarrolló una interesante carrera en el teatro y el cine, siempre de la mano de quienes necesitan una ayuda para resistir.

Hoy está de vuelta en Concepción, trabajando en la Alianza Francesa y con varios proyectos que involucran la memoria y el presente.


 Un hommage rendu par l’association  « Colères du Présent » au micro de Radio PFM …

Une émission de 65′ à écouter par ici …