Les danseuses de l’Opéra sont dans la rue

À quelques heures de Noël, une vingtaine de danseuses de l’Opéra de Paris, toutes vêtues de tulle et de blanc interprètent un extrait du « Lac des cygnes », sous les yeux ébahis d’une foule massée sur le parvis du Palais Garnier. Ces danseuses refusent de voir disparaître leur régime spécial  qui leur permet de partir à 42 ans … Sur les réseaux sociaux les vidéos de ce ballet improvisé dépassent allègrement la centaine de milliers de vues…

Opéra de Paris en grève : un ballet gratuit sur le parvis de Garnier en guise de protestation

L’Opéra de Paris est touché par la grève contre la réforme des retraites depuis 15 jours. Ce mardi, des danseuses ont trouvé une façon originale de marquer leur opposition.

Le 24 décembre 2019

Un orchestre symphonique, des danseuses toutes de blanc vêtues, une foule compacte qui applaudit. Quelque chose de la magie de Noël ? Une représentation gratuite et populaire du « Lac des cygnes », ballet de Piotr Ilitch Tchaïkovski, sur le parvis de l’Opéra Garnier, du jamais-vu! L’Opéra de Paris en grève depuis le 5 décembre dernier ne manifeste décidément pas comme les autres. Le 17 décembre dernier, le chœur de l’Opéra de Paris avait déjà chanté une vibrante « Marseillaise » sur les marches de l’Opéra Bastille. Sur les réseaux sociaux les vidéos de ce ballet improvisé dépassent allègrement la centaine de milliers de vues.

À quelques heures du réveillon de Noël, sous le ciel gris parisien, c’est une quarantaine de danseuses du corps de ballet de l’Opéra qui ont donné un mini-spectacle improvisé devant des affiches « Opéra de Paris en grève » et « La culture est en danger », sous les applaudissements des badauds.

« Même si on est en grève, on a voulu offrir pour le 24 décembre un moment de grâce », a déclaré à la presse le danseur et élu à la caisse des retraites Alexandre Carniato. « Malgré un temps extrêmement frais, les filles ont voulu relever le défi et les musiciens les accompagner », a-t-il ajouté.

L’Opéra est touché par la grève depuis 15 jours, ce qui a entraîné l’annulation de nombreux spectacles – dont celle prévue mardi du ballet « Le Parc ». « On nous inculque depuis l’âge de 8 ans qu’on a une mission régalienne et qu’on va danser pour l’Opéra de Paris qui représente la France », souligne Alexandre Carniato, 41 ans.

15 ans de sacrifices

« L’ensemble de l’Opéra est touché » par la réforme des retraites, déclare pour sa part Eloïse Jocqueviel, 23 ans, danseuse du corps de ballet qui a participé au spectacle. « C’est notre art qui est mis en danger ». Les danseuses ont choisi l’acte 4 du Lac des Cygnes, « l’un des ballets les plus difficiles » qu’elles ont dansé « sur du marbre dans le froid ».

LE PARISIEN/olivier Corsan
LE PARISIEN/olivier Corsan  

« Ce que les filles vous ont montré, c’est 15 ans de sacrifices, et c’est du travail quotidien. Et pour arriver à ça, il y a une limite, une contrainte. Si on veut continuer à voir de jolies danseuses ou de jolis danseurs sur scène, on ne pourra pas continuer jusqu’à 64 ans, ce n’est pas possible », a souligné Alexandre Carniato.

« Je suis entrée à l’école de danse à 8 ans, j’ai quitté ma famille et aménagé ma scolarité. Avec 5 heures de danse par jour, à 17-18 ans, on est nombreux à avoir des blessures chroniques, des tendinites, fractures de fatigue, douleurs aux genoux […] On est nombreux à ne pas avoir notre baccalauréat », énumère Eloïse Jocqueviel.

« Pour en arriver à toutes ces annulations, il faut vraiment que nous soyons poussés à bout »

L’Opéra, comme la Comédie-Française, sont les seules institutions culturelles concernées par la réforme du gouvernement. Le régime spécial de l’Opéra est l’un des plus anciens de France, puisqu’il date de 1698, sous Louis XIV. Ce régime permet de tirer sa révérence à 42 ans, compte tenu de la « pénibilité » du métier, des risques de blessure, et du fait que la majorité des danseurs peut difficilement continuer à danser les grands ballets au-delà de cet âge avec le même niveau d’excellence. « Croyez que pour en arriver à toutes ces annulations, il faut vraiment que nous soyons poussés à bout », a déclaré le ballet de l’Opéra de Paris dans un communiqué.

« L’élimination de notre Caisse de Retraite, qui incarne l’union entre toutes les générations de nos plus de 70 métiers, pour nous faire rentrer de force dans un régime qui ne nous correspond pas du tout, achèverait de détruire l’équilibre fragile de notre collectif de travail », soulignent les danseurs.

Depuis le début de la grève contre la réforme des retraites le 5 décembre dernier, l’Opéra de Paris a perdu près de 8 millions d’euros de recettes de billetterie, selon l’institution. Par exemple, à l’affiche lundi soir, le spectacle « Le Prince Igor » à l’Opéra Bastille et le ballet « Le Parc » à l’Opéra Garnier, ont été à nouveau annulés in extremis.