La planète brûle : au Brésil et en Bolivie, la forêt amazonienne qui assure à elle toute seule de l’absorption de 14% du CO2 mondial, est en proie à de très importants incendies. À tel point que São Paulo a vu ce lundi 19 août, son ciel s’obscurcir en pleine journée. Fragilisée par 75 000 feux depuis janvier 2019, l’Amazonie pâtit de la politique du président Jair Bolsonaro et du réchauffement climatique …
En quelques semaines seulement, des dizaines de milliers d’hectares du « poumon de la planète » ont succombé aux flammes et ceci , dans l’embarrassante indifférence du gouvernement brésilien …
Pour se rendre mieux compte de l’étendue des feux en Amazonie, la Nasa a posté des images satellites datant du mois d’août. Selon les données de l’institut national de recherche spatiale (INPE), 72.843 départs de feu ont été enregistrés au Brésil sur les sept premier mois de 2019, contre 39.759 sur la totalité de l’année 2018, soit une hausse 83%, faisant du Brésil le pays d’Amérique du Sud le plus touché par les incendies. C’est l’équivalent de « la surface du territoire français » qui a été déforesté, a estimé Paulo Moutinho, chercheur à l’Institut de recherche environnementale sur l’Amazonie (Ipam), auprès de l’AFP
Pourquoi l’Amazonie brûle-t- elle ?
Quelles sont les causes et les conséquences de ces feux en Amazonie ? Les explications dans le Quotidien Le Monde de Catherine Aubertin, économiste de l’environnement et directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement.
G7 : l’Amazonie s’invite au sommet
À quelque 8 000 km de la forêt amazonienne, les incendies qui ravagent le « poumon de la planète » ont déjà percuté le G7 qui commence ce samedi, à Biarritz, de l’autre côté de l’Atlantique …
Les incendies en Amazonie ont fini par mettre le feu aux relations diplomatiques entre la France et le Brésil. La France estime que le Brésil ne tient pas ses promesses.
L’Élysée s’oppose à l’accord UE/Mercosur
Tout a commencé jeudi 22 août. Face aux incendies qui ravagent l’Amazonie, Emmanuel Macron appelle sur Twitter à la mobilisation du G7, déclenchant la colère du président brésilien. « La suggestion du président français évoque une mentalité colonialiste dépassée au XXIe siècle« , a tweeté Jair Bolsonaro. Quelques heures plus tard, l’Élysée riposte et suspend l’accord signé fin juin après 20 ans de tractation. Le texte prévoyait le libre échange entre les pays de l’Union européenne et le Mercosur …
A suivre … y compris du côté Anti G7
Des milliers de militants ont marché d’Hendaye à Irun pour faire entendre leur opposition au G7
Les manifestants ont rejoint dans le calme la ville frontière espagnole alors que les dirigeants de sept pays industrialisés sont réunis pour deux jours à Biarritz.
Une foule éclectique de plusieurs milliers d’opposants au G7 de Biarritz, dans le sud-ouest de la France, a pacifiquement défilé samedi 24 août d’Hendaye à la ville frontière espagnole d’Irun. Dans une ambiance bon enfant, les manifestants – 15 000 selon les organisateurs, 9 000 à 13 heures à Hendaye selon la police – ont parcouru dans le calme ces quatre kilomètres, démentant les craintes des autorités qui redoutaient des débordements pour cette seule manifestation autorisée …
Pendant que l’Amazonie brûle, des volte-face en trompe-l’œil au G7 de Biarritz …
Il aura fallu plusieurs semaines de feux dans l’Amazonie pour que le président français réagisse. Emmanuel Macron s’affiche désormais contre le traité de libre-échange européen conclu avec le Mercosur, et a dit au cours du G7 sa volonté d’organiser une aide internationale pour sauver le poumon vert de la planète. De son côté, le président brésilien, sous pression, a dépêché l’armée sur place.
Il aura donc fallu plusieurs semaines d’incendies en Amazonie pour que le président français réagisse. Vendredi 23 août, Emmanuel Macron a menacé de ne pas signer l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, entériné fin juin par la Commission sortante. Il s’oppose « en l’état », a-t-il dit, à cet accord négocié avec les quatre pays du Mercosur que sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.
Derrière l’Élysée, l’Irlande et l’Allemagne ont affiché des positions similaires, puis Donald Tusk, le président sortant du Conseil européen, leur a emboîté le pas : invité au G7 qui commençait samedi à Biarritz, il a déclaré juste avant l’ouverture du sommet, au sujet de l’accord UE/Mercosur, qu’il était « difficile d’imaginer un processus de ratification » tant que le gouvernement brésilien permettait « la destruction » de l’Amazonie.
Ce dimanche sous le soleil basque, Emmanuel Macron est allé jusqu’à annoncer « des moyens économiques et financiers » pour lutter contre la déforestation – mais sans être plus précis. La France, avec la Guyane française, « est l’un des neuf pays amazoniens », a-t-il dit. « Nous sommes en train de travailler à un mécanisme de mobilisation internationale pour pouvoir aider de manière plus efficace ces pays. » Sur ce sujet comme sur les multiples autres abordés pendant ce G7 (nucléaire iranien, Brexit, guerre commerciale Chine/États-Unis…), la détermination est de mise, mais les effets se feront attendre.
De son côté, le président brésilien a fini par réagir aussi en cette fin de semaine. Alors qu’il laissait jusqu’ici le poumon vert de la planète s’embraser sans vouloir intervenir, considérant dans un premier temps les incendies comme « naturels » alors qu’ils sont d’origine criminelle, puis accusant les ONG de les avoir provoqués afin de toucher des financements, Jair Bolsonaro a annoncé, dans une allocution destinée à « la campagne de désinformation construite contre la souveraineté » de la nation brésilienne, le déploiement de l’armée.
Par décret, il a autorisé à partir de samedi et pour une durée d’un mois les gouverneurs des États concernés à recourir à aux moyens militaires pour « l’identification et la lutte contre les foyers d’incendie », ainsi que pour « des actions préventives et répressives contre les délits environnementaux ». Des Canadairs ont commencé à intervenir sur les feux au cours du week-end, tandis que les incendies s’étendent depuis quelques jours à la Bolivie voisine. Donald Trump y est allé de son tweet à son tour, assurant Brasilia de son soutien pour lutter contre les feux de la forêt tropicale.
« Bolsonaro s’exprime au niveau national, mais n’annonce aucune mesure concrète pour lutter contre la déforestation », a réagi l’antenne brésilienne de Greenpeace. Il faut dire que depuis l’arrivée au pouvoir du leader d’extrême droite, en janvier dernier, les autorités brésiliennes ferment les yeux sur la déforestation du poumon amazonien, provoquée depuis des années par les lobbies de l’agriculture industrielle et de l’exploitation minière.
L’Institut national de recherche spatiale brésilien, l’INPE, a pourtant publié le 6 août des chiffres alarmants : au cours du mois de juillet, 2 254 km² dans le pays ont été déboisés, contre 596,6 en juillet 2018 – soit une augmentation de 278 % sur un an. La réaction politique a été immédiate : le directeur de l’Institut, Ricardo Galvão, a été limogé dans les jours qui ont suivi…
Cette politique criminelle vis-à-vis de la forêt amazonienne et des populations qui l’habitent n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une série déjà lourde de conséquences de mesures climato-sceptiques et anti-écologiques prises par le président d’extrême droite depuis son accession au pouvoir.
Bolsonaro a commencé par refuser d’accueillir la COP 25, la prochaine conférence internationale sur le climat qui doit se tenir en décembre prochain (et qui aura finalement lieu au Chili). Il a ensuite dissous le Conseil national pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, qui constituait un espace de discussions entre les autorités brésiliennes et différents secteurs de la société. Puis il a confié au ministère de l’agriculture – où il a placé une représentante du lobby de l’agrobusiness – la délimitation des terres indigènes, qui relevait jusque là de la Fondation de l’Indien – ce qui permettait de sanctuariser des espaces de forêt vierge. Il a également mis sous sa coupe la protection des forêts.
Comme notre correspondant au Brésil le racontait déjà au mois de juin, Bolsonaro a également abaissé toutes les normes environnementales du pays et s’est livré à une chasse aux sorcières à l’intérieur des administrations. Les budgets du ministère de l’environnement sont allés dans le même sens : certains secteurs comme celui de la lutte contre le changement climatique ont accusé une baisse de 95 %. L’Ibama (Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles, qui dépend du ministère) a subi en moyenne 24 % de coupes budgétaires – une chute qui atteint 38 % pour la prévention des incendies. Cette mesure « devrait faire des ravages en Amazonie, alors que la saison des incendies s’étale entre juin et octobre, et que beaucoup de départs de feu sont intentionnels, permettant de valoriser des terrains aux yeux d’éleveurs ou de grands fermiers », écrivait alors Jean-Mathieu Albertini, le correspondant de Mediapart à Rio de Janeiro…
Il n’y a pas de hasard. La politique menée depuis le début de l’année par Jair Bolsonaro va clairement dans le sens des lobbys agroalimentaires. Un chiffre : en six mois, 239 pesticides ont été homologués dans ce pays qui est l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires au monde.
« Nous constatons que les institutions de protection environnementale sont de plus en plus affaiblies par les mesures du gouvernement. Concrètement, les organes de contrôle, comme l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles, ont vu leurs subventions coupées, et disposent donc de moins d’agents sur le terrain pour travailler », expliquait ce samedi au journal La Croix Julia Cruz, avocate brésilienne spécialisée en droit environnemental.
Tout au long du week-end, de multiples rassemblements ont eu lieu dans les villes du pays pour appeler à la protection de la forêt amazonienne et à la fin de la politique criminelle de Bolsonaro.
L’intervention de Macron sur ce dossier, si elle contribue à la pression internationale exercée sur le pouvoir brésilien, ne doit cependant pas faire illusion. Paris, avec son département d’outre-mer sud-américain, n’est pas la mieux placée pour faire la leçon. Certes, le projet Montagne d’or, cette vaste mine d’or au cœur de la forêt amazonienne en Guyane française, est pour le moment suspendu. Mais d’autres permis de recherche minière ont récemment été accordés par l’administration française. Dernier en date, le 3 août : la société Sands Ressources s’est vu accorder un permis portant sur 5 000 hectares de forêt.
Quant aux partenaires commerciaux de Paris et de Bruxelles, et au premier rang desquels le Canada avec qui l’UE a contracté un accord de libre-échange validé côté français par l’Assemblée nationale le 23 juillet dernier, le Ceta, ils ne font pas mieux : eux aussi sont impliqués dans la déforestation qui touche l’Amazonie depuis des années. Plusieurs sociétés canadiennes exploitent ainsi les minerais amazoniens, et l’une d’entre elles, Belo Sun Mining Corp., a désormais la main sur l’une des plus grandes réserves d’or du Brésil, située à côté du barrage de Belo Monte. Pour l’instant, les opposants ont réussi à interrompre le projet (retrouver le reportage de notre correspondant), mais nul ne sait combien de temps cela tiendra.
La prise de conscience du président français est pour le moins tardive et sans grande cohérence. En suspendant l’accord commercial avec le Mercosur après avoir accepté celui du Ceta, Emmanuel Macron contredit la position française. Car l’un et l’autre reposent sur une même philosophie – l’export de l’industrie européenne, en échange de produits agroalimentaires issus du continent américain sur lesquels on est beaucoup moins regardant qu’en Europe. L’agro-industrie européenne elle-même est liée à la déforestation amazonienne, car la monoculture de soja qui se développe sur une grande partie de ces nouvelles terres agricoles est, aussi, destinée aux élevages occidentaux. D’après un rapport de Greenpeace publié en juin dernier, près de la moitié du soja consommé à l’échelle mondiale est produit au Brésil et en Argentine, et l’Union européenne est le deuxième importateur mondial de soja.
Amélie Poinssot pour Médiapart