En ce mercredi 28 août, Paris s’est métamorphosé en scène vibrante pour célébrer le sport et ses athlètes venus du monde entier. Sous un soleil radieux se sont ouverts les XVIIe Jeux paralympiques d’été, avec le concours de 168 délégations sportives et de 500 artistes ou performeurs … RFI analyse ce regard nouveau du grand public sur le handicap qui peut parfois véhiculer des stéréotypes …
Les Jeux paralympiques provoquent un buzz ambigu sur les réseaux sociaux
Les vidéos diffusées sur les réseaux des exploits durant les Jeux paralympiques font le buzz, parfois avec plus de 40 millions de vues sur certains comptes. Ces épreuves méconnues représentent un moment unique pour ces athlètes, fiers d’être exposés aux yeux du monde entier. Un regard nouveau du grand public sur le handicap qui peut parfois véhiculer des stéréotypes. Explications avec le Dr Stéphanie Hahusseau.
Un article signé Thomas Bourdeau publié par RFI le
La cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques, place de la Concorde, a réuni plus de 10 millions de téléspectateurs en France durant près de quatre heures. Admiré dans le monde entier, ce spectacle a réalisé une audience certes moins importante que la cérémonie des Jeux olympiques, mais a rassemblé 10 fois plus de téléspectateurs que celle de Tokyo. Les jeux paralympiques permettent une représentation du handicap inespéré dans les médias. Des corps mutilés qui très souvent dans la société sont masqués se retrouvent exposés, en plein effort, aux yeux d’un grand public, souvent médusé. Avec comme exceptionnel tremplin pour relayer ces images : les réseaux sociaux.
Andrew Parsons, président du Comité international paralympique, explique dans le journal Le Monde que capter l’intérêt des jeunes est l’une des priorités. « Parler d’inclusion et d’accessibilité aux enfants est très important, ils sont les futurs décideurs, les futurs entrepreneurs ou propriétaires de restaurant qui auront un menu en braille, une rampe à l’entrée de leur établissement… » Il ajoute : « Nous voulons sensibiliser les publics jeunes pour qu’ils adoptent une approche plus inclusive. Les sociétés ne s’en porteront que mieux. »
Le clip qui fait mouche sur TikTok
Deux sportifs main dans la main, un guide et un aveugle, se lancent dans une course sur 100 m qui semble folle ; avec la chanson Bitter sweet symphony de The Verve en fond sonore, c’est le type de clip qui fait mouche, en satisfaisant l’algorithme TikTok pour devenir viral.
Des contenus plus viraux encore quand il s’agit du couple olympique formé par Tara Davis-Woodhall et Hunter Woodhall qui célèbre la médaille d’or de la championne sur les paroles d’Alchemy de Taylor Swift. Les fans (les swifties) adorent (tout comme l’algorithme). Hunter Woodhall a plus de 3 millions d’abonnés sur TikTok et court quant à lui chez les paralympiques.
Amputé des deux jambes dès le plus jeune âge, il explique sur la plateforme en ligne Front Office Sports que les réseaux sociaux sont le parfait porte-voix pour le handicap : « Chacun peut regarder ce que l’on fait et se dire : Hey, moi aussi, je peux le faire aussi ! » Il ajoute que les réseaux sociaux aident « à 100 % les athlètes en situation de handicap à être mieux représentés et ce n’est jamais “par pitié”. »
En France, le comédien Artus, fort du succès en salle de son film Un p’tit truc en plus, s’est retrouvé ambassadeur des sportifs paralympiques français. En FaceTime, il dialogue avec des champions comme Axel Bourlon, haltérophile de petite taille, Cédric Nankin joueur de rugby fauteuil ou l’archer Guillaume Toucoullet qui a perdu l’usage de son bras gauche suite à un accident. Des échanges joyeux, caustiques aussi autour du handicap, de sa représentation et d’une envie d’exister médiatiquement. Sans condescendance aucune, ni malaise, Artus ose aborder chaque athlète avec humour, faisant fi de la difficulté du regard des autres sur le handicap.
« Mais c’est quoi ça ? » « Ok j’aime bien ça Picasso ! »
Plus de dix millions de vues sur des doigts de pied qui enserrent une balle de ping-pong, une voix dit : « Mais c’est quoi ça ? » Puis un gros plan sur Ibrahim Hamato athlète pongiste égyptien qui, raquette en bouche, envoie avec talent la balle sur la table : « Ok, j’aime bien ça Picasso ! » conclut la voix.
Avec près de 5 millions d’abonnés, le compte TikTok Paralympics relate les exploits des athlètes paralympiques. Pourtant, certains contenus résolument humoristiques, aux codes bien connus du réseau social – musique recommandée, bruitage de circonstances et montage approprié, exposent le handicap avec un humour radical qui peut embarrasser. Certains clips totalisent parfois plus de 20 à 40 millions de vues, c’est exceptionnel, mais cela a fait grincer les dents de certains en commentaires sur les réseaux sociaux. Car peut-on rire d’images d’un paralympique dans l’effort et comment ? C’est la question que pose Front office Sports et Craig Spence du Comité paralympique de répondre : « C’est OK de s’amuser avec une personne en situation de handicap, car maintenant, on rit avec eux, on ne rit pas d’eux, il y a une vraie distinction à faire. »
« On a tendance à réduire le handicap à son apparence »
Le docteur Stéphanie Hahusseau, spécialiste des émotions, explique : « Ce qu’il faut savoir, c’est que le handicap prime sur tout. On catégorise tout le temps, sans même s’en rendre compte, les gens : sur leur sexe, leur âge, leur ethnie, etc. Et en fait, le handicap prime sur toutes les autres catégorisations. Ça efface toutes les étiquettes, ça passe avant d’être homme ou femme, ça passe avant d’être noir ou blanc. C’est ce qui désigne le plus la personne. Et on a aussi tendance, un peu comme on l’a fait pour les femmes, à désigner les personnes porteuses de handicap en termes d’écart par rapport aux normes. Pour les femmes, c’est en termes d’écart par rapport aux normes masculines, pour les handicapés, c’est en termes d’écart par rapport aux valides. Donc, quand on dit, les hommes sont violents, on va dire que les femmes sont moins agressives. Donc, le moins agressif est par rapport à la norme qui serait la violence masculine. Et donc, pour les handicapés, pareil, on définit des normes par rapport aux valides. »
Elle ajoute : « Une des choses qui me frappe le plus, c’est que l’on a tendance à réduire le handicap à son apparence. C’est-à-dire qu’on va facilement essentialiser la personne handicapée. On va lui accoler des caractéristiques, des stéréotypes, plutôt positifs d’ailleurs, mais des stéréotypes, comme quoi ce seraient des personnes attentives aux autres, volontaires, imaginatives. On imagine la situation de handicap toujours en fauteuil roulant, alors que c’est 4 % le fauteuil roulant et on les imagine comme moins capables et aussi facilement comme malheureux. Par rapport à ça, les réactions émotionnelles sont de l’ordre de la gêne, répulsion, essentialisation et une tendance à adopter des conduites un peu rigides. »
« Pourriez-vous m’aider à traverser la rue sans me plaindre ? »
Les responsables du compte TikTok Paralympics expliquent en guise de conclusion : « Ceux qui critiquent sont bien souvent valides et ne sont pas au courant que les posts sont réalisés par des paralympiens qui eux comprennent le handicap. »
Car les réactions des athlètes paralympiques vis-à-vis de ces vidéos virales sont globalement positives : « Si on veut fêter les exploits, on peut aussi s’amuser de nos erreurs. » Brad Snyder, athlète handisport américain, grièvement blessé lors d’une opération militaire en Afghanistan, est multimédaillé d’or et d’argent. Il a réagi très positivement à une vidéo humoristique le concernant et a rebondi sur la National Public Radio (NPR) américaine en déclarant : « Et maintenant, discutons de ce à quoi pourrait ressembler mon expérience et de quels pourraient être mes défis, et de la façon dont vous, en tant que personne valide, pourriez être en mesure de me comprendre ou de m’aider à traverser la rue sans me plaindre et ce genre de choses… » À méditer en scrollant les vidéos sur TikTok ou Instagram.
Jeux paralympiques : à l’athlète inconnu
Il profite de l’actualité et des Jeux paralympiques pour évoquer, plus largement, la place du handicap dans notre société.
« C’est beau et c’est juste. Ces jeux de l’inclusion sont une formidable revanche pour des gens magnifiques, estropiés de la vie ou de naissance, et qui nous révèlent leur énergie, leur talent, leur combativité. Hier, les salles où ils se produisaient étaient aux trois quarts vides. Elles sont aujourd’hui remplies d’un public enthousiaste qui s’emballe, qui pleure de joie, qui se laisse gagner par l’émotion. C’est nouveau, ça vient de sortir, on applaudit de tout cœur.
Mais j’aimerais aussi célébrer l’athlète inconnu. Je veux dire la personne en situation de handicap qui doit se lever, se laver, s’habiller, se mouvoir, communiquer, travailler, se nourrir. Notre monde, notre monde qui l’applaudit aujourd’hui dans les stades, lui est farouchement, obstinément hostile dans la vie quotidienne. C’est affaire de regard, c’est affaire d’organisation, c’est affaire de conviction et d’idéologie. Le droit à la différence, légalement reconnu, est constamment bafoué.
Dans les grandes villes, on préconise les « mobilités douces », on nous incite à faire du vélo (ce qui est assurément louable), mais prendre le métro quand on est enceinte, accompagnée de nouveau-nés, vieux, quand on a le plus banal des maux, l’ostéoporose, est un exploit. A fortiori lorsqu’on est en fauteuil. Où sont les ascenseurs adaptés, les bus à niveau, les voies sans obstacle ? Il en existe, mais peu. L’Onu a interpellé la France pour son retard en matière d’équipements.
Mais ça, c’est du pratique, c’est de l’argent. Il y a pire. Toutes les enquêtes montrent qu’à l’embauche, les personnes en situation de handicap sont discriminées. Il est certes des entreprises qui, l’incitation légale et financière aidant, font un effort. Effort louable, mais très très insuffisant. La fraternité est inscrite dans notre devise nationale, mais elle s’estompe quand la différence explose. En France, on n’aime voir qu’une seule tête. Les déviants sont regardés de haut, méprisés, voire niés.
Il n’est que de considérer l’école républicaine. Longtemps, elle a purement et simplement écarté les enfants « dérangeants ». À présent, malgré la loi, les jeunes qui présentent une difficulté psychologique ou intellectuelle, ainsi que leurs accompagnants, sont inégalement traités, et souvent rejetés. »
Hervé Hamon