Construire du logement sans empiéter sur les espaces naturels …

Comment créer 400 000 nouveaux logements chaque année pendant 10 ans alors qu’il ne reste que près de 100 000 hectares disponibles pour répondre à l’ensemble des besoins de construction du pays d’ici à 2031 ? Dans un copieux rapport daté de mars 2024, la Fondation Abbé Pierre et la Fondation pour la nature et l’Homme viennent de proposer une large palette de leviers pour les collectivités …

18/03/2024 | © Sébastien Godefroy

Zéro Artificialisation Nette pour réduire le mal-logement …

En croisant témoignages de terrain et données statistiques, le rapport de la Fondation Abbé Pierre et la Fondation pour la nature et l’Homme suggère  de produire de nouveaux logements sans consommer de nouveaux espaces, de construire en minimisant l’artificialisation, et d’améliorer l’accès du plus grand nombre aux services et à la nature. Il souligne également l’importance de soutenir plus fortement les acteurs du logement social ainsi que les acteurs de l’économie sociale et solidaire engagés pour un urbanisme plus juste et plus résilient.
Il insiste enfin sur la nécessité de renforcer les outils de maîtrise des prix du foncier et des loyers, ainsi que les moyens des collectivités les plus démunies en matière d’ingénierie territoriale. Pour mobiliser pleinement l’ensemble de ces leviers sur les territoires et allier réduction de l’artificialisation et réduction des inégalités sociales, notre rapport livre ainsi 40 propositions touchant les politiques publiques.

À rebours des discours qui opposent ambitions écologiques et justice sociale, la Fondation Abbé Pierre et la Fondation pour la Nature et l’Homme publient un rapport qui démontre que l’objectif Zéro Artificialisation Nette offre l’opportunité de lutter contre l’artificialisation et le mal-logement.

À travers les témoignages de nombreux experts et de 16 collectivités territoriales engagées dans des démarches de sobriété foncière, elles identifient 3 modes d’action à activer, pointent le rôle clé du parcours résidentiel des seniors et du logement social dans la préservation des espaces naturels. Afin de faciliter le passage à l’action, elles formulent 3 modes d’action et une diversité de solutions pour réussir le ZAN

–      1 Créer des logements sans construire : des solutions pour mieux utiliser le bâti existant en résorbant la vacance des logements entre 2005 et 2023, le nombre de logements vacants a augmenté 2,3 fois plus vite que le nombre total de logements – et des bureaux pour des communes qui souhaitent redynamiser leur centre-ville/bourg ; en régulant les résidences secondaires – près de 10% (9,7%) du parc de logements en France sont des résidences secondaires – et les meublés de tourisme pour renforcer l’offre de biens à l’année, en réfléchissant au parcours résidentiel des seniors et des jeunes afin d’attirer de nouveaux ménages sans artificialiser les terres agricoles environnantes.

–     2  Construire en artificialisant moins : ces solutions visent à proposer des logements pas ou peu consommateurs d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF) en mobilisant les interstices de quartiers peu denses ; en s’appuyant sur le renouvellement urbain et le recyclage des friches tout en améliorant l’accès aux espaces verts et aux trames écologiques ; ou encore en renforçant l’offre de logement social, peu consommateurs d’espaces.

–   3   Maîtriser les prix de l’immobilier et du foncier : des solutions à activer pour soutenir le logement social, encadrer les loyers pour toutes les communes tendues qui souhaitent le mettre en place, lutter contre la rétention foncière…

La réduction de la sous-occupation présente un potentiel plus important encore que la réduction de la vacance et du nombre de résidences secondaires, en matière de réduction de l’étalement urbain. On estime à 8,5 millions le nombre de logements concernés.

84 % des 65 à 74 ans et 85 % des 75 ans et plus sont en situation de sous-occupation de leur logement. Face au double défi du vieillissement de la population et de la lutte contre l’artificialisation des sols, la question du parcours résidentiel et de l’offre de logements pour les seniors devient l’une des clés de la transition écologique et sociale.

En permettant à des seniors de passer de maisons de famille où elles sont souvent seules à des logements conçus pour répondre à leurs besoins pratiques et sociaux, on réduit d’autant le besoin de construire de nouveaux logements familiaux, les plus consommateurs d’espaces.  Pour répondre à ce besoin, il existe plusieurs solutions déjà expérimentées comme le béguinage ou les habitats partagés, participatifs ou intergénérationnels portés par un groupe de résidents et un acteur de l’économie sociale et solidaire. 

Le logement social, véritable levier de sobriété foncière

Ce rapport montre que la production de logement social est tout à fait compatible avec la sobriété foncière. D’abord parce qu’il est faiblement consommateur d’espaces. En effet, si l’habitat est le premier facteur d’artificialisation, c’est surtout l’habitat individuel qui est en cause. Entre 2006 et 2014, l’habitat collectif était responsable de 3 % de la consommation d’ENAF, contre 47 % pour l’habitat individuel. Or, 84 % des logements sociaux sont de l’habitat collectif. De plus, le logement social est majoritairement construit sur des sols artificialisés : en Île-de-France, 87 % de la production HLM est faite en densification, recyclage, renouvellement urbain ; dans les Hauts de France cela représente les deux tiers de la production HLM.

Il est aussi le seul outil pour assurer que les logements construits restent à long terme des résidences principales plutôt que des résidences secondaires. Enfin, la vacance et la sous-occupation sont plus faibles dans le parc social que dans le parc privé, et il y est plus aisé d’agir contre l’habitat indigne et dégradé puisque les travaux sont à la charge du bailleur (ce qui exclut les risques de blocage de travaux par certains copropriétaires comme dans le parc privé).

Des propositions pour accompagner les collectivités

Pour aider les collectivités à mieux mobiliser les leviers de sobriété foncière en intégrant une dimension de réduction des inégalités sociales, la FNH et la FAP formulent une série de propositions parmi lesquelles :
–       Accroître les moyens financiers et humains pour l’ingénierie territoriale en augmentant les crédits du Fonds Vert chaque année jusqu’en 2027 au moins, à rebours des coupes budgétaires récentes.
–       Créer un programme d’expérimentation à destination des collectivités sur le “parcours résidentiel” afin d’aider les collectivités à aller au bout de la réalisation de projets pilotes pour proposer une offre de logements qui soit séduisante, convaincante et abordable pour des séniors légitimement attachés à leurs biens.
–       Rendre la fiscalité sur les logements vacants et les résidences secondaires progressive en fonction du nombre de biens vacants/secondaires détenus par un propriétaire et cibler en priorité la multipropriété.
–       Permettre à toutes les communes de zones tendues qui le souhaitent de mettre en place l’encadrement des loyers.
–       Renforcer le soutien au secteur du logement social en renforçant la loi SRU, en rétablissant l’équilibre financier du secteur et en rendant possible le fait de réserver des hectares pour la production de logement social dans le cadre de la répartition des quotas d’artificialisation au niveau des SCoT (territorialisation de l’objectif ZAN).
Le travail conjoint mené par la Fondation pour la Nature et l’Homme et la Fondation Abbé Pierre remet ainsi en question le modèle d’aménagement des territoires, aujourd’hui basé sur l’extension urbaine et l’artificialisation des sols.
A la fois source de problèmes écologiques et sociaux, il aggrave le réchauffement climatique et contribue à l’effondrement de la biodiversité, sans pour autant répondre au mal-logement qui s’aggrave de façon alarmante.

Au cours de cette étude, menée auprès de nombreux experts et de 16 collectivités territoriales aux profils variés, nos recherches ont permis de rassembler une large palette de leviers que les différents acteurs (collectivités territoriales, Etat, acteurs du logement, etc.) peuvent actionner pour répondre conjointement au défi du ZAN et à la crise du logement :
–        Meilleure utilisation du bâti existant – réduction de la vacance des logements et bureaux, ainsi que de la sous-occupation des résidences secondaires et principales (amélioration du parcours résidentiel)
–        Intensification maîtrisée des espaces déjà urbanisés – densification douce horizontale et verticale, développement de l’habitat léger, etc …
–        Renouvellement urbain et renforcement des trames écologiques pour conjuguer meilleur accès au logement et meilleur cadre de vie pour tous
–        Soutien renforcé au secteur du logement social
–        Préférence pour des formes denses d’habitat sur les ENAF encore à consommer.

Sourcele rapport de la Fondation Abbé Pierre et la Fondation pour la nature et l’Homme


EDITO
Faire du logement sans empiéter sur les espaces naturels : c’est possible

C’est une expertise importante, résultat de deux années de travail, qui le dit : il est possible, en matière de logement, de répondre en même temps aux urgences sociales et aux urgences écologiques. Dans leur rapport présenté mardi 19 mars, la Fondation pour la nature et l’homme et la Fondation Abbé Pierre montrent ainsi que l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050, instauré par la loi « Climat et résilience » de 2021, estcompatible avec la nécessité de construire du logement et de concevoir autrement le bâti existant.

L’impératif est là : on compte plus de 4 millions de mal-logés en France, et la Fondation Abbé Pierre estime que la France a besoin de 400 000 nouveaux logements par an. Mais il faut le rappeler aussi : l’artificialisation des sols est la première cause de l’effondrement de la biodiversité, et elle nous rend plus vulnérables au changement climatique – elle aggrave les risques d’inondation et crée des îlots urbains de chaleur.Image EDITOÀ l’inverse, des pistes existent : favoriser l’occupation des logements vacants (3,1 millions, un chiffre en augmentation de 60 % depuis 1990), construire dans les interstices urbains, transformer les friches. C’est à un changement de modèle qu’appellent les deux fondations face à la l’urbanisation galopante. Elles donnent à voir, au passage, ce chiffre éloquent :« La superficie des espaces artificialisés a augmenté de 72 % entre 1982 et 2018 en France métropolitaine tandis que la population n’a crû que de 19 %. »

Et cette bétonisation continue malgré des circonstances atténuantes. C’est ce que montre l’exemple du Pas-de-Calais touché par les inondations, sur lequel s’est penché Manuel Magrez.

Le rapport arrive une semaine après celui, extrêmement fourni, de la Cour des comptes sur l’adaptation au changement climatique. La politique d’urbanisme et de logement y est particulièrement critiquée pour n’avoir pas pris en compte la multiplication et l’intensification des pics de chaleur, et pour manquer de cohérence et d’efficacité.

L’immobilier, font valoir les juges chargés de l’évaluation des politiques publiques, est un angle mort du plan national d’adaptation au changement climatique. Or, outre la lutte contre l’artificialisation des sols, une autre planification reste à mener : celle concernant les fronts de mer menacés par la montée des eaux. Là aussi, un chiffre fait froid dans le dos : moins d’une quinzaine de communes ou groupements de communes ont adopté une stratégie territoriale pour s’adapter au changement de la limite entre terre et mer.

Tel le large recours à la climatisation des logements, la politique du secteur reste dans une logique court-termiste et dans des formes de mal-adaptation, dénonce la Cour des comptes, alors que les risques augmentent. Et il manque toujours une donnée essentielle : l’évaluation des coûts de l’adaptation à ces nouvelles données climatiques.

Le pouvoir actuel va même à contre-courant de ce qu’il faudrait faire et préfère écouter le lobby du BTP, raconte Lucie Delaporte dans sa dernière enquête : la politique de rénovation énergétique, qui a été source de fraudes massives, est en train de revenir plusieurs années en arrière. Le mois dernier, le nouveau ministre du logement, Guillaume Kasbarian, présentait la « simplification » du secteur. Il reprenait la liste de courses des représentants du BTP.


Loger sans artificialiser les sols : un dilemme surmontable

Un article signé Lucie Delaporte dans Médiapart du

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Un chantier de construction dans un nouveau quartier pavillonnaire en Vendée, le 10 mars 2023. © Photo Mathieu Thomasset / Hans Lucas via AFP

En pleine crise du logement, l’objectif du « Zéro artificialisation nette » instauré par la loi Climat et résilience est-il encore tenable ? Un rapport conjoint de la Fondation pour la nature et l’homme et de la Fondation Abbé Pierre propose des pistes pour tenir ces deux impératifs. 

Répondre à la crise du logement sans grignoter toujours plus d’espaces naturels : les deux objectifs ne sont en rien incompatibles. Pour éviter d’opposer sans cesse urgences écologiques et urgences sociales, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) et la Fondation Abbé Pierre ont travaillé pendant deux ans à montrer qu’une voie existe entre ces deux impératifs.

« Réussir le ZAN tout en réduisant le mal-logement : c’est possible ! ». Le titre de leur rapport présenté mardi 19 mars est on ne peut plus explicite.

Le ZAN, pour « Zéro artificialisation nette », est instauré par la loi Climat et résilience de 2021. Il pose comme objectif d’atteindre zéro artificialisation nette d’ici à 2050, en diminuant de moitié le rythme actuel d’artificialisation des terres d’ici à 2030.

« L’artificialisation des sols est la première cause de l’effondrement de la biodiversité », relève Thomas Uthayakumar, directeur du plaidoyer à la FNH. Les sols – en bonne santé – ont un rôle trop souvent méconnu dans nos écosystèmes : ils stockent le carbone, absorbent et filtrent l’eau, abritent « une quantité phénoménale d’organismes vivants (faune et flore), permettent les activités agricoles et sylvicoles dont nous avons besoin ».  

À l’inverse, l’artificialisation des terres nous rend plus vulnérables aux changements climatiques, avec une aggravation des risques d’inondation et la création d’îlots urbains de chaleur.

Avec plus de 4 millions de mal-logés, et près de 15 millions de Français directement touchés par la crise du logement, la Fondation Abbé Pierre estime de son côté que la France a besoin de 400 000 nouveaux logements par an pour répondre à ses besoins. Citant la démographie, les décohabitations, le solde migratoire mais aussi les migrations à l’intérieur de l’Hexagone vers les métropoles et les littoraux, Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre, insiste sur la nécessité « d’anticiper les besoins des ménages ».

Le logement social consomme très peu de terres

Si les deux associations ont voulu mener ce travail conjoint, c’est que depuis l’adoption de la loi Climat et résilience, les maires ont fait remonter leurs craintes d’un ZAN qui les empêche de loger leur population.

Pour les auteurs du rapport, la loi ZAN doit servir d’opportunité pour changer notre modèle.

Car si la France est l’un des rares pays à avoir adopté une loi de cette nature, c’est aussi qu’elle s’illustre par une consommation hors norme des terres. « La superficie des espaces artificialisés a augmenté de 72 % entre 1982 et 2018 en France métropolitaine tandis que la population n’a crû que de 19 % », note ainsi le rapport. Le goût des Français pour la maison individuelle explique en partie ce modèle très consommateur.

« Il n’existe pas de solution miracle » pour concilier réponse au mal-logement et respect des espaces naturels, a d’emblée prévenu Thomas Uthayakumar pour la FNH, mais une quantité de leviers à actionner.

Le rapport préconise, pour commencer, une meilleure utilisation du bâti existant, en travaillant à réduire la vacance (3,1 millions de logements, un chiffre en augmentation de 60 % depuis 1990), ou en agissant sur le nombre, en constante augmentation, des résidences principales. Pour ce faire, le rapport propose sur ces deux points une fiscalité progressive, croissant avec le nombre de biens détenus.

Plus délicat socialement, le rapport pointe aussi le gisement de la « la sous-occupation des résidences principales », qui concerne pour l’essentiel des personnes âgées dans des logements devenus parfois inadaptés à leurs besoins. Financer des projets de résidences seniors abordables, notamment en béguinage, une forme d’habitat communautaire, est une piste à développer.

Pour concilier besoin de logements et respect des espaces naturels, il faudra aussi apprendre à construire autrement, à travers des formes de densification douce, relève le rapport. Une densification qui « consiste à construire de nouveaux bâtiments dans les interstices urbains, sur du foncier que l’on appelle parfois du “foncier invisible” ». Le rapport donne en exemple la ville de Périgueux (Dordogne), qui s’est lancée dans ce type d’urbanisme et où une centaine de logements vont être produits dans ce cadre.

L’autre piste consiste à densifier « en hauteur ». Le potentiel « net » de surélévation est « généralement situé autour de 3 à 5  % du bâti d’une ville ».  

Développer le logement social, en renforçant la loi SRU au lieu de la détricoter, est aussi une solution pour la sobriété foncière. Sur la période 2006-2014, le logement collectif n’a été responsable que de 3 % de l’artificialisation des sols, contre 47 % pour le logement individuel.