L’immortelle « Lettre à Kissinger » de Julos Beaucarne …

Le chemin pour obtenir justice est décidément très long pour la famille du musicien chilien Victor Jara. Trop long pour Joan, son épouse décédée le 12 novembre à l’âge de 96 ans . A quelques jours près, elle n’aura connu ni  l’extradition de Pedro Barrientos, l’un des assassins de son mari, ni l’annonce du décès de Henry Kissinger, architecte américain de la dictature de Pinochet. Reste la fameuse « Lettre » de Julos Beaucarne …

« La poésie n’est pas que belle, elle est rebelle. Il y a des centaines de silences qui assassinent pendant des siècles et des siècles. Nos oreilles sont là pour nous tenir éveillés. Il y a des réveils-matin qui sonnent comme des clairons … » La chanson de Julos Beaucarne écrite en 1973 et adressée au Prix Nobel de la Paix Henry Kissinger.  Une vidéo de 2’36″…

« J’veux te raconter Kissinger
L’histoire d’un de mes amis
Son nom ne te dira rien il était chanteur au Chili

ça se passait dans un grand stade
On avait amené une table
Mon ami qui s’appelait Jara
Fut amené tout près de là

On lui fit mettre la main gauche
Sur la table et un officier
D’un seul coup avec une hache
Les doigts de la gauche a tranché

D’un autre coup il sectionna
Les doigts de la dextre et Jara
Tomba tout song sang giclait
6000 prisonniers criaient

L’officier déposa la hache
Il s’appelait p’t’être Kissinger
Il piétina Victor Jara
Chante dit-il tu es moins fier

Levant les mains vides des doigts
Qui pinçaient hier la guitare
Jara se releva doucement
Faisons plaisir au commandant

Il entonna l’hymne de l’U
De l’unité populaire
Repris par les 6000 voix
Des prisonniers de cet enfer

Une rafale de mitraillette
Abattit alors mon ami
Celui qui a pointé son arme
S’appelait peut-être Kissinger

Cette histoire que j’ai racontée
Kissinger ne se passait pas
En 42 mais hier
En septembre septante trois « 


Chili : Décès de Joan Jara, artiste et veuve de Víctor Jara

L’artiste anglo-chilienne, militante des droits de l’homme et veuve du musicien Víctor Jara, Joan Turner Jara, est décédée dimanche dernier à Santiago à l’âge de 96 ans. C’est ce qu’a annoncé la Fondation Victor Jara, qu’elle a fondée.

La danseuse, née à Londres le 20 juillet 1927, est arrivée au Chili au milieu des années 1950 pour interpréter des pièces solos en tant que membre du Ballet national. Elle devient ensuite professeur de danse à l’Université du Chili et y fonde le premier cours pédagogique de danse pour enfants. Après son divorce avec le chorégraphe et danseur Patricio Bunster, elle épouse Víctor Jara en 1960, avec qui elle aura sa deuxième fille, Amanda Jara. L’assassinat de son mari par l’armée quelques jours après le coup d’État de 1973 contre le gouvernement socialiste de Salvador Allende a marqué le début de son travail de militante des droits humains. À ce jour, justice et clarification sont toujours en cours devant les tribunaux dans le cas de la torture et du meurtre de Víctor Jara.
Durant son exil en Grande-Bretagne dans les années 1980, elle a joué un rôle majeur en attirant l’attention internationale sur les crimes du régime militaire d’Augusto Pinochet. Avec son travail, elle est devenue un symbole de résistance contre la dictature. Sa fille, Amanda Jara, était présente en septembre de cette année dans le cadre d’une série de conférences en Europe, notamment dans six villes allemandes, dans le cadre de la commémoration du 50e anniversaire du coup d’État militaire au Chili.
De nombreuses personnalités du monde politique, artistique et culturel ainsi que des médias se sont joints aux condoléances et ont rendu hommage à la vie de Joan Jara en tant qu’artiste et militante des droits de l’homme. Des groupes et des personnalités célèbres comme Inti-Illimani, Jorge González et Manuel García lui ont rendu rendu hommage et souligné l’héritage culturel qu’elle laisse.
Source  : la Fondation Víctor Jara


Chili: un ancien militaire accusé d’avoir assassiné Victor Jara extradé des États-Unis

Un ancien militaire accusé d’avoir torturé et assassiné l’emblématique auteur-compositeur-interprète chilien Victor Jara il y a cinquante ans a été extradé au Chili vendredi 1er décembre depuis les États-Unis. Un article publié le

Des Chiliens brandissent le portrait du chanteur Victor Jara lors de ses funérailles à Santiago, le 5 décembre 2009. Sa famille avait organisé une cérémonie six mois après l'exhumation de sa dépouille, dans le cadre de l'enquête sur sa mort.
Des Chiliens brandissent le portrait du chanteur Victor Jara lors de ses funérailles à Santiago, le 5 décembre 2009. Sa famille avait organisé une cérémonie six mois après l’exhumation de sa dépouille, dans le cadre de l’enquête sur sa mort. CLAUDIO SANTANA / AFP

Le chemin pour obtenir justice est décidément très long pour la famille de Victor Jara. Trop long pour sa veuve, Joan, décédée le 12 novembre dernier.

Pedro Barrientos, 75 ans, est arrivé à l’aéroport de la capitale Santiago à bord d’un vol en provenance de Miami, a confirmé la police à l’Agence France presse. L’ex-militaire, qui vivait depuis 1989 aux États-Unis dont il a été expulsé, a perdu sa citoyenneté américaine en juillet après qu’un tribunal a déterminé qu’il avait dissimulé des informations relatives à son service militaire. Il était réclamé depuis 2013 par la justice chilienne, qui l’accuse d’être l’un des assassins de Victor Jara au début de la dictature d’Augusto Pinochet. Membre du Parti communiste chilien et fervent partisan du président Salvador Allende, renversé par Pinochet, Victor Jara se trouvait parmi les prisonniers transférés dans le stade qui porte aujourd’hui son nom. Il y a été interrogé, torturé, tué, et son corps retrouvé criblé de 44 balles.

Le chanteur et militant de gauche Victor Jara a été assassiné au Stade Chili qui a été depuis rebaptisé à son nom.
Le chanteur et militant de gauche Victor Jara a été assassiné au Stade Chili qui a été depuis rebaptisé à son nom. Reuters/Fondation Victor Jaration

Arrivé à Santiago, M. Barrientos a été transféré en hélicoptère vers une zone militaire dans l’est de la capitale, où il sera détenu et interrogé par le juge Guillermo de la Barra. Le 28 août, sept autres militaires à la retraite ont été condamnés à des peines de huit à 15 ans de prison pour l’assassinat du musicien. L’un d’entre eux, le général chilien à la retraite, Hernan Chacon, 85 ans, s’est suicidé en août, peu avant son incarcération, en retournant une arme contre lui lorsque la police se rendait chez lui pour le conduire en prison.


Le Chili se souvient de Kissinger, « architecte » de la dictature Pinochet

Les puissants du monde entier ont célébré la mémoire de l’ancien diplomate américain, décédé mercredi à l’âge de 100 ans. Mais au Chili, c’est son rôle dans le coup d’État sanglant d’Augusto Pinochet qui a été mis en avant, ravivant les divisions. Un article signé Yasna Mussa dans Médiapart du 1er décembre 2023

Santiago (Chili).– Dès l’annonce du décès d’Henry Kissinger, à l’âge de 100 ans, dans la nuit du mercredi 29 au jeudi 30 novembre, les réactions au Chili n’ont pas tardé. Car il ne s’agit pas d’un homme politique ordinaire pour ce pays d’Amérique du Sud.

L’ancien secrétaire d’État des États-Unis, salué, à l’annonce de sa mort, par tous les puissants du monde, dont Emmanuel Macron, qui a évoqué un « géant de l’histoire », a occupé un rôle clé sous deux présidents, Richard Nixon et Gerald Ford. Mais il a surtout joué un rôle actif en fournissant des ressources et un soutien au coup d’État qui a renversé le gouvernement démocratique et socialiste de Salvador Allende en septembre 1973. À partir de ce moment, une persécution sanglante a été déclenchée contre les opposants à la dictature civilo-militaire.

« Un homme est mort dont l’éclat historique n’a jamais réussi à cacher sa profonde misère morale », a écrit sur son compte X (ex-Twitter) Juan Gabriel Valdés, ambassadeur du Chili aux États-Unis. Son message a été repris par le président Gabriel Boric lui-même, suscitant immédiatement une vague de critiques de la part de l’opposition, mais indiquant clairement que La Moneda, siège de la présidence à Santiago, soutenait les propos du représentant chilien à Washington.

Peu après l’élection du président Salvador Allende en 1970, Kissinger avait déclaré : « Nous ne laisserons pas le Chili tomber dans les égouts. » Il a alors lancé un plan visant à renverser le gouvernement socialiste par une campagne constante de harcèlement et de pression sur différents fronts, connue sous le nom de « Track I » et « Track II ». Malgré ce bilan, il a reçu en 1973 un prix Nobel de la paix, conjointement avec Le Duc Tho, le négociateur nord-vietnamien, « pour avoir négocié ensemble un cessez-le-feu au Viêt Nam en 1973 ». Le Duc Tho avait refusé le prix.

« L’un des plus grands criminels de l’histoire meurt en toute impunité. « Lorena Pizarro, députée communiste, ancienne présidente de l’Association des familles de détenus disparus

La sénatrice Carmen Hertz, militante du Parti communiste, avocate des droits humains et veuve de Carlos Berger, disparu pendant la dictature, a également utilisé les réseaux sociaux pour exprimer son rejet de l’homme politique américain. Dans une publication, elle a détaillé son héritage : renversement du gouvernement chilien, soutien des États-Unis à la dictature d’Augusto Pinochet, bombardements au Cambodge et au Laos, soutien à l’invasion du Timor oriental, assassinats au Bangladesh, terrorisme d’État en Argentine, et coût humain de la guerre du Viêt Nam.

Lorena Pizarro, députée communiste et ancienne présidente de l’Association des familles de détenus disparus (Agrupación de Familiares de Detenidos Desaparecidos), a également eu des mots très sévères : « L’un des plus grands criminels de l’histoire meurt en toute impunité. Son sinistre passage dans le monde a fait des milliers et des milliers de victimes dans le monde entier. Avec lui, la misère humaine a été incarnée. »

La droite en soutien

« L’ambassadeur Valdés a porté un jugement historique sur le fait qu’il ne fait aucun doute que le personnage n’a pas été positif pour le Chili et il a le droit d’exprimer son opinion. Il s’agit d’un jugement historique et non d’une opinion politique. L’influence des États-Unis dans le coup d’État est reconnue », a déclaré le président de la commission des affaires étrangères du Parlement, Tomás de Rementería, indépendant mais affilié au Parti socialiste au pouvoir.

Malgré les archives qui prouvent la responsabilité de Kissinger dans l’intervention américaine, sa figure suscite encore aujourd’hui la division. Face aux réactions de la gauche, la droite a répliqué pour défendre son allié durant les années sombres de la dictature d’Augusto Pinochet.

« La gauche que représente l’ambassadeur n’a pas le droit de porter un jugement moral sur une figure de l’histoire américaine, l’une des plus influentes du XXe siècle. Un homme politique qui a vu le danger que représentait Salvador Allende, mais qui a eu la lucidité d’entrevoir l’importance de la Chine à l’époque de la guerre froide […]. Monsieur l’ambassadeur, vous n’avez rien à faire dans le rôle de commentateur. Vous feriez mieux de vous consacrer à attirer les investissements américains », a déclaré Iván Moreira, sénateur du parti de droite Union démocratique indépendante (UDI), défenseur de la dictature de Pinochet et membre de la commission des relations extérieures du Congrès.

Il n’est pas le seul à défendre la mémoire de l’ancien diplomate. D’autres parlementaires se sont joints à la critique. Le député Stephan Schubert a souligné que « M. Valdés, malgré son expérience, oublie qu’il représente et travaille pour le Chili aux États-Unis. Le gouvernement devrait réglementer l’utilisation des réseaux sociaux, afin de signaler à ses employés, fonctionnaires et représentants qu’ils ne peuvent pas continuer à exprimer leurs opinions personnelles ».

L’ambassadeur Valdés s’est justifié par la suite au micro de la radio Cooperativa, soulignant que Kissinger « a commis un certain nombre de crimes absolument hors du commun », même si « c’était un homme brillant intellectuellement ». « Mais il avait la mégalomanie de prétendre gérer l’histoire, comme l’ont fait d’autres tyrans au XXe siècle. Il a toujours pensé qu’il allait résoudre les problèmes. »

Les archives de Kissinger

Le 3 novembre 2020, à l’occasion de l’anniversaire commémorant le jour où Salvador Allende a accédé à la présidence de la République, les archives nationales de sécurité des États-Unis et le chercheur Peter Korbluhn avaient publié un ensemble de documents expliquant en détail comment et pourquoi le président Nixon et son conseiller Henry Kissinger ont mis en œuvre une politique agressive de déstabilisation du Chili. Des opérations secrètes qui, comme le dira plus tard Kissinger, ont « créé les meilleures conditions » pour le coup d’État de 1973.

« Henry Kissinger a été le principal architecte de la politique américaine qui a contribué au démantèlement de la démocratie et à l’avènement de la dictature au Chili », a écrit Peter Kornbluh, directeur de la section Chili des archives de la sécurité nationale de l’université George Washington, dans le journal La Tercera.

Le travail méticuleux de Kornbluh a mis en évidence chaque étape de la stratégie d’intervention de Kissinger pour détruire la démocratie chilienne. « Ses sinistres efforts au Chili, consignés dans ses propres documents secrets, seront toujours le talon d’Achille de son héritage », relève-t-il.

En 1976, Kissinger s’est rendu au Chili, trois ans après le putsch de Pinochet, pour afficher son soutien au régime, malgré les violations des droits humains. « Nous sympathisons avec ce que vous essayez de faire ici. Vous avez rendu un grand service à l’Occident en renversant Allende », a-t-il alors déclaré à Pinochet, ajoutant : « Vous êtes une victime de tous les groupes de gauche dans le monde et votre plus grand péché a été de renverser un gouvernement qui était en train de devenir communiste. »

Le discours officiel

Dès 1974, le New York Times avait dévoilé, grâce à une enquête du journaliste Seymour Hersh, les opérations secrètes de la CIA visant à saper le gouvernement Allende, déclenchant un énorme scandale.

Le rôle clandestin joué par les États-Unis au Chili a été révélé au grand jour, ce qui a donné lieu à la première enquête de fond du Congrès sur les opérations secrètes américaines, aux premières auditions publiques sur les opérations de la CIA et à la première publication d’une étude majeure sur ce chapitre sombre, « Covert Action in Chile, 1963-1973 », rédigée par la commission spéciale du Sénat américain et présidée par le démocrate Frank Church.

« La nature et l’étendue du rôle joué par les États-Unis dans le renversement d’un gouvernement chilien démocratiquement élu sont des questions qui préoccupent profondément et en permanence l’opinion publique », a alors déclaré le sénateur Church.

Toutefois, l’administration du président Gerald Ford a gardé secrètes certaines des informations (finalement publiées en 2020 par les Archives nationales de sécurité), s’appuyant sur ce que l’on appelle le « privilège de l’exécutif ». Alors que les responsables américains cherchaient à cacher l’objectif de l’intervention américaine au Chili, les enquêteurs du Sénat n’ont pas eu accès à l’historique complet des délibérations et des décisions de la Maison-Blanche sur le Chili dans les jours qui ont précédé et suivi l’investiture d’Allende.

Immédiatement après les révélations de Hersh, le président Ford a publié une reconnaissance sans précédent, quoique fallacieuse, des opérations secrètes de la CIA dans ce pays d’Amérique du Sud. Dans le même temps, son administration continuait à accorder des prêts à la dictature. Et Washington rassurait le régime chilien face aux menaces du Congrès.