Le bilan à mi-parcours des maires Verts élus en 2020 …

À mi-mandat, les attaques sur les nouveaux maires écolos semblent s’être atténuées.« Il y avait une présomption d’incompétence et d’amateurisme contre nous mais, trois ans après, notre fonction s’institutionnalise : on montre qu’on tient la route, on s’attache moins aux petites phrases qu’aux actions. » D’autant plus qu’aujourd’hui, la conscience des conséquences concrètes du réchauffement climatique monte en puissance …

Passé les polémiques, les maires écolos s’acclimatent à l’exercice du pouvoir

Les nouveaux maires écologistes ont résisté aux tentatives de déstabilisation. À mi-mandat, le dérèglement climatique s’accentuant, leurs politiques de transition sont davantage comprises, même si la vague verte doit encore convertir au-delà des centres urbains. Un article signé Mathieu Dejean dans Médiapart du 13 juillet 2023

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Pierre Hurmic, Léonore Moncond’huy, Grégory Doucet, lors de la conférence de presse des maires et présidents des métropoles écologiques à Lyon, le 5 avril 2023. © Photo Julien Reynaud / APS-Medias / Abaca

Trois ans, est-ce le temps nécessaire pour qu’une idée iconoclaste apparaisse raisonnable ? C’est un peu ce que l’expérience des maires écologistes élus en 2020 permet de jauger, tant certaines de leurs déclarations avaient fait disruption dans la foulée de leur élection. Pour rappel, aux dernières élections municipales, une « vague verte » a déferlé sur une quinzaine de villesLyon, Strasbourg, Bordeaux, Poitiers, Besançon, Tours, Annecy, Colombes… – sur fond de désertion des urnes (l’abstention avait atteint 59 % au second tour).

Si seulement 3 % de Français·es vivent désormais dans une ville administrée par un·e écologiste, le parti vert entamait alors « l’un de ses moments les plus décisifs », comme le rappelle la politiste Vanessa Jérome dans Militer chez les Verts. Dans plusieurs villes, il remplaçait le grand frère socialiste, dans d’autres il supplantait des décennies de gouvernance de droite, comme à Bordeaux (Gironde) – un tournant. D’où le front anti-écologique qui s’est levé immédiatement après leur élection, des journalistes influents aux partis traditionnels.

L’expression « Khmaires verts » (détournement de « Khmers rouges ») était alors à la mode – à Lyon (Rhône), le battu Gérard Collomb l’avait précocement utilisée. Un mois après le scrutin, Le Point titrait en une « Les clowns de l’écologie », Le Monde raillait les « thèses ésotériques » des maires écolos, et Bernard-Henri Lévy dénonçait dans Le Parisien des élus possédés par le « démon anti-humaniste ».

Ces critiques se sont accentuées en réagissant sur les prises de position des nouveaux maires, souvent primo-élus et venus des mouvements sociaux (et ne disposant donc pas des réseaux et relais intellectuels suffisants pour construire des contre-réponses).

L’épreuve du feu de la « vague verte »

Grégory Doucet, l’édile de Lyon (jamais élu auparavant, il menait une carrière dans l’humanitaire), met le premier les pieds dans le plat en déclarant que le Tour de France est « machiste et polluant ». Puis son homologue bordelais, Pierre Hurmic, refuse qu’un sapin de Noël – un « arbre mort » – soit installé sur l’une des places de la ville.

À Poitiers (Vienne), Léonore Moncond’huy, 30 ans, justifie enfin son « choix difficile » de ne plus subventionner les aéroclubs de la ville, entre autres, pour « protéger l’avenir des enfants » : « L’aérien, c’est triste, mais ne doit plus faire partie des rêves d’enfants aujourd’hui », déclare-t-elle.

Autant de prises de position qui conduisent à un important retour de bâton médiatique. « Les polémiques qui ont suivi l’arrivée des Verts au pouvoir municipal correspondent à ce que Stanley Cohen appelait une panique morale. Il s’agit de ces moments où des anecdotes issues de pratiques ou de discours encore minoritaires sont amplifiées par la presse et les médias de masse pour mieux les délégitimer – et conserver ainsi l’ordre établi », analyse le professeur de science politique Simon Persico, qui codirige le projet « Promesses et bilans des municipalités écologistes », en partenariat avec la Fondation de l’écologie politique et la Fondation Heinrich-Böll (Allemagne) (lire la Boîte noire).

« Cela montre qu’au niveau national, la classe politique n’est pas à la hauteur », abonde la députée écologiste du Rhône Marie-Charlotte Garin, proche de Grégory Doucet. « Dire que le Tour de France est machiste et pollue ne devrait pas générer un tel tollé. Mais il y a clairement une cible dans notre dos pour récupérer nos villes : nous discréditer au niveau national, c’est nous discréditer au niveau local », estime-t-elle.

Pour le président écologiste de la métropole de Lyon, Bruno Bernard, cette levée de boucliers s’explique aussi parce que, souvent, « les écologistes ont des priorités plus différenciantes que d’autres alternatives de droite ou de gauche classiques : pour des corps intermédiaires, y compris médiatiques et économiques, ça fait des changements importants ».

À mi-mandat, les attaques sur les maires écolos, taxés d’amateurisme et de dogmatisme, semblent toutefois s’être atténuées. Les erreurs de communication sont désormais évitées, celle-ci étant plus verrouillée. L’expérience pionnière de Grenoble (Isère), où Éric Piolle est élu depuis 2014, a aussi compté : des hauts fonctionnaires locaux se sont déployés ailleurs, faisant profiter de leurs compétences à de nouvelles villes. « Il y a eu une diffusion par dispersion des cadres administratifs et politiques », explique Simon Persico.

Et puis, après des étés caniculaires marqués par les mégafeux, où des terrains de golf ont bénéficié de dérogations aux restrictions d’eau, l’absurdité a en partie changé de camp dans l’opinion publique. La maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, veut en tout cas le croire.

Après avoir reconnu une « maladresse » dans son expression sur l’aviation, elle a engagé un débat qui a selon elle porté ses fruits : « J’ai tenté de faire du judo avec cette polémique, j’ai échangé avec le secteur de l’aviation car il est important d’expliquer notre projet de transition. Je pense que ça a fait évoluer les approches. » 

« Les écologistes enfoncent des coins dans le débat public, abonde Simon Persico. Les positions qui leur ont valu les polémiques apparaîtraient peut-être comme moins choquantes trois ans après. À l’époque, c’était une manière de se payer le nouvel entrant. Aujourd’hui, la conscience des conséquences concrètes du réchauffement climatique est un peu plus forte et partagée et la sobriété n’est plus un gros mot dans les politiques publiques, même s’il reste polysémique. »

L’écologie de la vie quotidienne

Léonore Moncond’huy estime aussi que la pratique du pouvoir des maires écolos, à la tête de majorités plurielles et citoyennes (sa liste était composée à 50 % de non-encarté·es), a fait ses preuves : « Il y avait une présomption d’incompétence et d’amateurisme contre nous mais, trois ans après, notre fonction s’institutionnalise : on montre qu’on tient la route, on s’attache moins aux petites phrases qu’aux actions. » 

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Éric Piolle, Léonore Moncond’huy, Grégory Doucet, Pierre Hurmic lors de la signature du traité de non-prolifération des énergies fossiles à Grenoble, le 26 août 2022. © Photo Isa Harsin / Sipa

Simon Persico confirme que, sur leur « cœur de métier », les engagements des édiles écologistes sont tenus : « Sur les transports, les cantines, les politiques visant à favoriser la déminéralisation et la végétalisation, les mobilités douces, ils avancent rapidement dans la plupart des villes, en investissant et transformant leur espace urbain. Un bon nombre de leurs promesses dans ces secteurs a été respecté ou est en passe de l’être. » 

À la métropole de Lyon, cas particulier où les compétences sont extraordinaires et où les grandes villes (Lyon, Vénissieux, Vaulx-en-Velin) sont alignées politiquement, les avancées sont significatives : pour lutter contre la canicule, 25 000 arbres et arbustes ont été plantés pendant l’hiver 2022-2023, l’objectif étant que 30 % du territoire soit couvert d’arbres d’ici à 2026 ; la publicité dans l’espace public a été réduite de façon drastique (finis les écrans numériques, les publicités sur bâches de chantier, les vitrines éclairées la nuit) ; 1 300 bornes à compost seront installées au pied des immeubles d’ici à la fin 2023, pour servir les terres agricoles ; les alternatives à la voiture sont renforcées, avec le doublement du budget des transports en commun dans le mandat – l’extension du métro B et la prolongation du tramway verront le jour en 2026…

L’enjeu est de taille pour les écologistes : alors qu’EELV passait pour la force politique montante après les européennes de 2019 et les municipales de 2020, la contre-performance de la présidentielle de 2022 (4,7 % des suffrages exprimés) a brisé leur élan. Les maires et les député·es écologistes sont désormais l’atout sur lequel le parti compte pour prétendre à une place plus centrale dans le rassemblement encore précaire de la gauche et des écologistes, et se constituer des bastions.

Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’EELV élue en décembre 2022, affirmait ainsi, en clôture du congrès du parti : « Il y a aujourd’hui des élu·es écologistes partout dans notre pays, c’est une grande fierté. […] Oui, l’écologie au pouvoir, ça change la vie ! […] Nos élu·es sont deux fois plus nombreux et nombreuses qu’il y a trois ans. » « Notre objectif premier est de faire la démonstration de ce que peut être l’écologie dans notre territoire, car c’est là qu’on peut embarquer les citoyens, dans les changements effectifs », abonde Léonore Moncond’huy.

Grégory Doucet ne disait pas autre chose, sur le plateau de Mediapart en 2020 : « Ce sont les villes qui tirent la transition écologique, qui peuvent montrer l’exemple, car elles peuvent être dans le quotidien des habitantes et des habitants. » Ces villes étant dirigées en coalition avec d’autres forces de gauche, Simon Persico précise que les écologistes « n’ont pas l’apanage de la transition écologique territoriale, même s’ils contribuent à la construction et à la diffusion des bonnes pratiques en la matière ».

Objectif : extension des bastions écologistes

Pour l’instant, aux yeux de Bruno Bernard, président de la puissante métropole de Lyon et fin connaisseur de la géographie électorale d’EELV, la tendance est à l’adhésion – même si dans certaines villes, comme Annecy (Haute-Savoie) et Bordeaux, la majorité est fragile. « Depuis 2020, on a eu des élections, notamment législatives, qui confirment nos implantations. Quand on prend les scores, il n’y a pas d’effondrement, ni aucun signe de cassure », remarque-t-il.

S’il se garde de tout triomphalisme, il constate aussi que deux enjeux montent en puissance dans la société, qui légitiment les politiques de transition écologique. D’une part, la question de la sobriété énergétique. « Il y a deux ans, quand on en parlait, le président moquait encore ceux qui voulaient “revenir à la bougie”. À la métropole, on a diminué la consommation électrique de 10 % cet hiver, seulement avec de la pédagogie », se félicite-t-il.

D’autre part, sur le sujet de l’eau, « il y a une prise de conscience du grand public », juge-t-il. La gestion de l’eau est passée en régie publique au 1er janvier 2023, pour les 1,5 million d’habitant·es de la métropole de Lyon, afin de protéger une ressource précieuse. « C’est beaucoup plus facile d’expliquer ce qu’on fait aujourd’hui », déclare Bruno Bernard.

D’autres villes écologistes sont toutefois plus isolées que Lyon, et doivent cependant gérer « de grosses tensions inter-institutionnelles qui font que les projets n’avancent pas aussi vite que prévu », rapporte Simon Persico. « On aimerait aller plus vite, plus loin, mais la politique est une question de compromis permanent entre institutions », convient Léonore Moncond’huy, qui regrette d’être freinée tant par l’échelon régional que par des divergences de ligne avec l’État, notamment sur le contrat d’engagement républicain.

C’est dans le domaine des mobilités – et donc, de la réduction de l’espace accordé aux voitures – que les écologistes se heurtent encore aux résistances les plus tenaces. Sur les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), par exemple, Bruno Bernard constate que « c’est mieux vécu au cœur de l’agglomération qu’en dehors », ce qui correspond à la base électorale encore urbaine d’EELV.

Plus largement, la révolution des mentalités sur l’écologie n’est pas non plus un long fleuve tranquille, le consumérisme et le productivisme étant bien enracinés. « La population est ambiguë, comme nous tous. Elle a conscience que le dérèglement climatique est irréversible, et qu’il va bouleverser notre quotidien, mais en même temps, elle n’est pas prête à renoncer à certains de ses comportements », analyse Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV.

Pour autant, les écologistes ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin après ces premières conquêtes municipales. Aux élections municipales de 2026, ils lorgnent déjà sur des grandes villes de droite qu’ils convoitent de gagner, comme Toulouse (Haute-Garonne) et Saint-Étienne (Loire), où la droite a été percutée par l’affaire Perdriau.

Les maires Verts défendent leur « écologie d’action »

Un article signé Moran Kerinec dans Reporterre du 6 avril 2023

Réunis à Lyon, les maires écologistes ont présenté leur bilan de mi-mandat. « Notre action n’est pas aussi caricaturale que ce que voudrait faire croire le gouvernement », résume Léonore Moncond’huy, maire de Poitiers.

L’exercice à l’allure d’un grand oral. En trois minutes, chaque candidat doit comprimer trois années de mandat et s’astreindre à une thématique : santé, social, sécurité, mobilité ou éducation… Neuf maires écologistes venus de Poitiers, Tours, Annecy, Besançon, Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Saint-Égrève et Arcueil s’étaient donné rendez-vous mercredi 5 avril à Lyon pour dresser leur bilan de mi-mandat.

Objectif : convaincre l’auditoire — une grosse vingtaine de journalistes — que les Verts sont des gestionnaires responsables et contrecarrer les discours anti-écolos qui montent crescendo. « Ce qu’on démontre aujourd’hui, c’est que notre action n’est pas aussi caricaturale que ce que voudrait faire croire le gouvernement », souligne Léonore Moncond’huy, nommée à la tête de Poitiers en 2020. Aux manettes de la Métropole de Lyon, Bruno Bernard abonde : « Nos maires sur l’ensemble des territoires sont dans l’écologie d’action. »

Cours d’école végétalisées, circulation des voitures en baisse, revenu de solidarité jeunesse… C’est par les actes que les élus entendent façonner l’écologisme municipal. © Moran Kerinec / Reporterre

C’est par les actes que les élus entendent façonner l’écologisme municipal. À Lyon, grâce au déploiement d’une politique vélo, l’amélioration de l’offre de transports en commun et les prémices d’une ZFE (zone à faible émission), « la circulation automobile a baissé de 8 % [par rapport à 2019], la fréquentation des transports en commun a augmenté de 8 % et le vélo explose », se félicite Bruno Bernard. La maire de Strasbourg Jeanne Barseghian assure être « en première ligne de l’urgence sociale ». Sous son mandat, le budget du centre communal d’action sociale de sa ville a augmenté de 40 %. La Métropole de Lyon a, elle, établi un revenu de solidarité jeunesse pour soutenir les 18-25 ans précaires.

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Léonore Moncond’huy met, elle, l’accent sur l’adaptation des équipements éducatifs au dérèglement du climat : cours d’école végétalisées et bâtiments scolaires à énergie positive. L’assiette des écoliers est également au cœur des politiques écologistes. Depuis la rentrée 2022, celles des petits Lyonnais est « 50 % bio et 50 % locale sans en augmenter le tarif », pointe leur maire Grégory Doucet. Sur le volet santé, le maire de Saint-Égrève, en Isère, Laurent Amadieu, vante le « contrat local de santé » que sa collectivité a élaboré avec l’Agence régionale de santé pour fertiliser le désert médical de sa région : « Pour redevenir attractif, nous avons accompagné une maison de santé avec trois médecins libéraux. »

Les édiles assurent maintenir des échanges réguliers entre leurs services. « Nous formons un réseau qui vit. C’est essentiel pour partager nos solutions de politique publique et parfois, nos difficultés », dit Grégory Doucet. Car derrière les succès présentés, les élus Europe Écologie-Les Verts se confrontent également aux limites de leur mandat. Covid-19, crise énergétique, inflation… Les collectivités de tout bord ont été financièrement fragilisées. « Ça nous impose d’avoir un rythme moins rapide que ce qu’on souhaiterait. Dès qu’on veut faire du plus, il faut se questionner sur où faire moins », regrette Léonore Moncond’huy.

« À Lyon, le vélo explose »

Les difficultés s’accumulent également quand les mairies écologistes ne s’alignent pas sur les politiques gouvernementales. À Strasbourg, Jeanne Barseghian a annoncé attaquer l’État pour sa « défaillance » à mettre à l’abri les personnes vivant à la rue : « On est le dernier rempart quand l’État précarise les politiques publiques nationales. Ces questions d’hébergement d’urgence relèvent de sa compétence et il y a des carences. On a des campements qui fleurissent parce que le 115 est saturé et que le nombre de places d’hébergement est sous-dimensionné. » Dans la Vienne, Léonore Moncond’huy a « de fortes divergences d’interprétation avec la préfecture sur le contrat d’engagement républicain et donc sur la liberté associative » concernant un atelier de formation à la désobéissance civile d’Alternatiba. Ces relations houleuses avec les représentants de l’État sont « parfois un frein à notre action », admet l’élue.