Bâtir des lieux, une manière de reprendre le pouvoir sur nos vies …

Juliette de Montvallon / Reporterre

« Il faut des lieux pour habiter les luttes. Des murs entre lesquels cultiver des rêves et bâtir dans la joie, l’autonomie. Des espaces où se retrouver, construire et fomenter de futures batailles. » Ce constat est celui de nombreuses organisations et collectifs engagés dans le combat écologique et la justice sociale… » Un reportage signé Gaspard d’Allens dans le magazine en ligne Reporterre qui constate la naissance d’une « quinzaine d’alternatibases » sur l’ensemble du pays …

Bâtir des lieux, la nouvelle stratégie des luttes

Bâtir des lieux de rassemblements, « c’est une manière de reprendre le pouvoir sur nos vies », assurent les militants. L’ article signé Gaspard d’Allens paru dans Reporterre du 9 juin 2023 …

© Juliette de Montvallon / Reporterre

 Base, café associatif, centre autogéré. Ces dernières années, les militants multiplient les lieux d’accueil et d’organisation des luttes écologistes. Une action « indispensable pour gagner la bataille culturelle », selon eux. L’acquisition foncière, la location de locaux ou l’ouverture de squats est devenue une stratégie politique à part entière. Une manière d’ancrer les luttes dans la durée et de les faire vivre au quotidien, au-delà des actions éphémères et du numérique, trop souvent désincarné.

Au sein du mouvement climat, on s’active désormais à l’écart des projecteurs, préparant patiemment la suite. Le temps des grandes marches a cédé la place à une vaste campagne d’implantation de lieux, moins visible mais tout aussi décisive pour « accélérer la métamorphose écologique et sociale de nos territoires », comme l’écrit sur son site, l’association Alternatiba.

Ce travail de longue haleine porte déjà ses fruits. Après Bayonne, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nevers, Nice, Rouen ou encore Toulouse, la quinzième « Alternatibase » a été inaugurée le 14 mai à Grenoble, avec fête et concert. Le lieu doit permettre aux militants écolos de mieux s’organiser localement. Il accueillera en son sein des alternatives concrètes, des espaces d’entraide, une friperie, une Amap, un atelier de réparation de vélo.

« S’enraciner sur le territoire »

« Faire fleurir partout en France ce type d’espace est indispensable si nous voulons gagner la bataille culturelle, estime la porte-parole d’Alternatiba, Juliette Caroulle. Ces lieux sont de véritables portes d’entrée vers le mouvement climat. Ils permettent de recruter de nouveaux militants, de s’enraciner sur le territoire, d’accompagner les luttes locales. »

À Paris, la Base a été un puissant catalyseur pour les mobilisations climat de 2019 à 2022. © L-A.C / Reporterre

Le phénomène est en pleine expansion même s’il prend du temps. « Il faut entre un ou deux ans pour ouvrir un lieu », précise la militante. Un groupe affinitaire doit d’abord se constituer, apprendre à se connaître, prospecter et chercher des financements. Le coût, non plus, n’est pas négligeable. Il faut compter plusieurs centaines de milliers d’euros pour acheter un lieu, et des dizaines de milliers d’euros chaque année pour le louer.

De premières expériences servent d’exemples. À Paris, la Base a été un puissant catalyseur pour les mobilisations climat de 2019 à 2022. Pendant trois ans, le lieu a fourmillé d’activités rassemblant près de 18 000 adhérents qui se retrouvaient autour d’un verre, d’une conférence, d’un atelier de fabrication de banderoles ou d’une formation en désobéissance civile. Le bâtiment servait autant de bureau que de lieu de stockage ou d’espace convivial. C’était une vitrine et une base arrière pour des actions d’envergure, comme le blocage de « la République des pollueurs » au printemps 2019 lorsque 2 000 activistes ont envahi La Défense.

« Il nous fallait un lieu collectif pour porter notre voix »

« La Base a clairement marqué une étape, se souvient Victor Vauquois, de l’association Terres de lutte. Elle a contribué à donner au mouvement climat une présence permanente. À l’époque, avec l’arrivée massive de néomilitants, on ne pouvait plus se réunir de manière informelle dans nos apparts ou dans les cafés, il nous fallait un lieu collectif pour porter notre voix. »

Historiquement, c’est au Pays basque que cette stratégie a été éprouvée par les écologistes. Dès le début des années 2010, l’association Bizi avait repris et acheté Le Patxoki, un bar à Bayonne qu’elle avait transformé en QG. « Au Pays basque, c’est une tradition courante dans le mouvement alternatif et indépendantiste, raconte le militant Txetx Etcheverry. Chaque parti, syndicat et collectif possède des bars-tavernes avec lesquels il se finance et récupère un peu d’argent pour ses luttes. Ces lieux sont les dernières survivances d’un mode de vie communautaire. »

Au début du XXe siècle, avec l’exode rural, de nombreux paysans basques ont dû migrer vers la côte. Pour conserver leur sociabilité villageoise, ils ont acheté en commun des « peñas », de grands espaces partagés où l’on peut se retrouver, se restaurer, chanter, danser et, évidemment, faire de la politique. « Ces lieux ont structuré le militantisme local. En toute logique, les écologistes se sont nourris de cette histoire », explique le membre fondateur de Bizi.

« Reprendre le pouvoir sur nos vies »

Le besoin de créer des lieux dépasse aujourd’hui largement le mouvement strictement écologiste. Tout le camp émancipateur (la gauche, les autonomes, les syndicats) y voit une évidence pour prolonger son combat. Alors que la lutte contre la réforme des retraites s’essouffle dans la rue, des militants s’échinent à ouvrir des Maisons du peuple qui pourraient servir de « point d’appui pour diverses formes d’action ». À Toulouse, un ancien local de la SNCF a été squatté après la manifestation du 1er Mai. Un bâtiment de Rennes a aussi fait office de base de ralliement, mais les occupants ont vite été expulsés par la police.

La Talvère, dans le Lot, se définit comme un tiers-lieu autogéré et laboratoire des communs. Facebook/La Talvère

Même la gauche institutionnelle s’y met. Alors qu’elle avait précédemment parié avant tout sur le numérique, La France insoumise vient de lancer sa première campagne d’achat de locaux. « C’est une attente qui nous est remontés des groupes sur le terrain, confie le député Antoine Léaument. L’objectif est d’ouvrir d’ici à la prochaine campagne présidentielle des dizaines de lieux dans des territoires qui pourraient basculer en notre faveur, ajoute-t-il. C’est une façon pour nous de structurer le mouvement et d’accroître notre visibilité dans des circonscriptions abandonnées par les politiques néolibérales et gagnées à l’extrême droite. » Un premier local va être inauguré à Perpignan cet été au cœur d’un fief du Rassemblement national.

De manière plus souterraine, le courant municipaliste, libertaire et autogestionnaire tisse sa toile avec une constellation de lieux sur le territoire. Depuis quatre ans, la foncière Antidote rachète des bâtiments et des terrains pour en faire des espaces collectifs ouverts sur l’extérieur, et défend une éthique résolument anticapitaliste et antipatriarcale. Il s’agit de favoriser partout les communs. « L’objectif n’est pas de recourir à la propriété privée mais au contraire de la neutraliser pour créer des lieux que personne ne possède mais qui sont utiles à beaucoup dans nos luttes et aspirations politiques », affirme l’un de ses membres.

Dans l’ouest de la France, le collectif Nantes en commun s’est aussi constitué autour de l’acquisition de lieux pour bâtir son autonomie et résoudre les enjeux liés à la subsistance. Après avoir fait 9 % aux municipales en 2020, le groupe de militants a acquis un bar, le Chapeau rouge, des terres en périphérie de la ville pour des cultures vivrières et un moulin hydroélectrique.

« Faire exister ici et maintenant le monde auquel on aspire »

« C’est une manière de reprendre le pouvoir sur nos vies et de répondre à nos besoins fondamentaux, l’énergie, l’alimentation, le lien social, explique une de ses porte-paroles, Margot Mekdour. Ces lieux sont des contre-institutions, des espaces que l’on arrache à l’embourgeoisement et au marché. Grâce à eux, nous menons une politique du quotidien », dit-elle.
Des initiatives similaires, ou proches idéologiquement, s’épanouissent également ailleurs. À Commercy, par exemple, dans la Meuse, l’immeuble de la Convive a été transformé en centre social autogéré. Le lieu est né de la rencontre entre des militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), des Gilets jaunes et des habitants du quartier. « Évidemment, on a une visée de transformation sociale, raconte un de ses membres, Joël. On est nourri de la pensée de (Murray) Boockchin et du communalisme. Mais, dans ce lieu, on ne va pas l’affirmer haut et fort ni le dire, on va simplement l’expérimenter, le vivre très concrètement, en créant une permanence d’accès au droit, une bibliothèque ou des cantines populaires. »

Pour les un an des Gilets Jaunes, une vingtaine de collectifs avaient ouvert en 2019, une Maison des Peuples à Paris. © NnoMan / Reporterre

Pour le sociologue Laurent Jeanpierre, après des décennies d’échec de la « politique confrontative » et des luttes frontales, ces lieux sont justement des espaces où l’on peut mener « une politique préfigurative ». C’est-à-dire « le fait de faire exister ici et maintenant le monde et les formes de vie auquel on aspire ».

Un manque criant

Ce besoin a été particulièrement visible lors de la révolte des Gilets jaunes. « La construction de cabanes et l’occupation des ronds-points ont été l’expression d’un manque criant de lieux et d’un besoin réel de se retrouver », souligne le chercheur. À l’époque, un appel à créer partout des maisons du peuple avait déjà circulé et le gouvernement avait redoublé d’efforts pour réprimer ces velléités de construction, envoyant les bulldozers à la périphérie des villes pour raser cette « gigantesque zad (zone à défendre) ».

« Dans les années 2010, on a d’abord cherché des points d’ancrage dans l’espace public avec le mouvement des places, Nuit debout ou encore les Gilets jaunes. Mais cela ne tient pas sur le long terme, précise Laurent Jeanpierre. Alors que de nouvelles luttes sur l’écologie ou contre l’aménagement prennent de l’essor, « il paraît désormais indispensable de créer des espaces plus autonomes, moins fragiles et neutralisables ». Des nouveaux chez-soi militants pour attiser la révolte.

Ceci est la Première partie de l’enquête « Des lieux pour la lutte ». Pour ne pas rater la suite, abonnez-vous à la Lettre d’info de Reporterre.


En savoir plus sur les « Alternatibases »

Aujourd’hui, plus de citoyen·nes que jamais cherchent un moyen de lutter contre le dérèglement climatique et ses impacts. Pour faire face à cette situation d’urgence, nous créons des lieux qui nous permettent de nous organiser, nous rassembler, travailler, créer du lien… et construire dès aujourd’hui le monde de demain ! Ce sont les Alternatibases !

Les Alternatibases sont des espaces d’organisation collective pour lutter contre le dérèglement climatique et retrouver un ancrage dans nos territoires tout en valorisant les alternatives. Ce sont aussi des outils pour relocaliser l’économie et fédérer les acteur·ices qui construisent concrètement un monde de demain plus solidaire, plus convivial et plus juste.

Chaque Alternatibase agit pour la transformation sociale et écologique en développant des activités concrètes qui s’insèrent dans l’agenda local : conférences, ateliers, accueil d’une AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), rencontres entre acteurs et actrices à l’échelle locale… Au menu pour la suite : formations, temps de partage d’expérience, rencontres, tout ça afin de créer encore plus de lieux afin d’accélérer la lutte contre le dérèglement climatique !

Intéressé·e par le projet ? Les portes des Alternatibases sont ouvertes.
Début 2023, il en existe déjà 15 en France : à Auch, deux à Bayonne, deux à Grenoble, La-Roche-sur-Foron, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Nevers, Nice, Rouen et Toulouse. Et ce n’est que le début ! D’autres groupes Alternatiba travaillent sur la création de leur propre Alternatibase. Pour plus d’infos , consulter le site internet du mouvement Alternatiba …


Depuis plusieurs années en France, le municipalisme libertaire trace son chemin …

Un article signé Gaspard d’Allens paru dans Reporterre du 28 février 2020 …

La démocratie directe fait son retour en France : une bataille culturelle dont les soubassements théoriques reposent en grande partie sur la pensée de l’intellectuel américain Murray Bookchin. Son « municipalisme libertaire » inspire les listes citoyennes aux municipales, comme il a inspiré les Gilets jaunes ou la révolution kurde du Rojava.

On ne sait pas comment une idée surgit. Elle flotte dans l’air du temps, volatile, avant de s’arrimer au réel. C’est le cas de la pensée de l’écologiste Murray Bookchin, qui connaît un écho grandissant. Un foisonnement éditorial entoure son œuvre que l’on redécouvre et traduit massivement. Depuis 2012, ses écrits alimentent aussi la révolution kurde du Rojava, au nord de la Syrie, où se dessine un modèle de société alliant multiculturalisme, démocratie directe et écologie. L’intellectuel étasunien, mort en 2006, semble désormais inspirer plusieurs des listes citoyennes qui se lancent dans le combat des élections municipales en France. Certaines d’entre elles se sont rencontrées fin janvier à Commercy (Meuse) pour poser les premiers jalons du municipalisme et réfléchir à une possible Confédération, baptisée « la Commune des communes ».

Murray Bookchin.

À tâtons, un nouveau modèle se cherche pour replacer les citoyens au cœur de la politique. La démocratie directe fait son retour en France : une bataille culturelle dont les soubassements théoriques reposent en grande partie sur la pensée de Murray Bookchin.

L’intellectuel, qui a été tour à tour ouvrier, syndicaliste puis professeur, a consacré sa vie à élaborer un projet de société qui permettrait aux citoyens et aux citoyennes de se réapproprier leur existence en reprenant le pouvoir par la base. « Le champ politique est réduit à une peau de chagrin, séquestré par les partis dominants et inféodé aux grands groupes », constatait-il avant de proposer de « remplacer l’État, l’urbanisation, la hiérarchie et le capitalisme par des institutions de démocratie directe et de coopération ».

« Sa pensée est restée longtemps dans les marges de la culture alternative »

Dans son modèle, baptisé le « municipalisme libertaire », la commune doit devenir « la cellule véritable de la vie politique », estime le penseur. Elle serait constituée de communautés autonomes à taille humaine, regroupées en confédération. Les décisions législatives seraient prises en assemblée ouverte, au vote à la majorité, avec des conseils de délégués révocables et désignés éventuellement par tirage au sort. Ils exécuteraient les tâches décidés par les assemblées communales qui administreraient l’ensemble des questions de production et de bien au niveau local.

L’écologie de Murray Bookchin se veut avant tout sociale [1] :

S’il importe que la société soit décentralisée, ce n’est pas seulement pour établir durablement des rapports harmonieux entre l’humain et la nature mais aussi pour fournir une nouvelle dimension à l’harmonie entre les humains […] réduire les dimensions des communautés humaines est une nécessité élémentaire, d’abord pour résoudre les problèmes de pollution et de transport ensuite pour créer des communautés véritables. En un certain sens, il nous faut humaniser l’humanité. »

De son vivant, l’intellectuel a parcouru l’Europe et les États-Unis pour essayer de concrétiser son modèle et lancer l’esquisse d’un mouvement. Il s’est heurté à un mur. « Longtemps, sa pensée est restée dans les marges de la culture alternative », observent Floréal Roméro et Vincent Gerber, auteurs du livre Murray Bookchin & l’écologie sociale libertaire, Le Passager clandestin, 2019. En visite en France, au début des années 2000, l’écrivain avait plutôt été mal reçu et largement incompris.

Depuis 2012, les écrits de Bookchin alimentent aussi la révolution kurde du Rojava.

Aujourd’hui, l’époque semble plus propice. Depuis dix ans, les expériences des Indignés, de Nuit debout et du Rojava ont irrigué les imaginaires. La révolte des Gilets jaunes est venue donner un nouvel élan à ce désir municipaliste. « La pensée de Bookchin nous a accompagnés sur les ronds-points. Elle a apporté une réponse à beaucoup de nos questionnements », reconnaît Stéphane Rollin, un Gilet jaune d’Annecy. « Elle a alimenté nos débats sur le [RIC|Référendum d’initiative citoyenne] et les ateliers constituants. »

Avec plusieurs de ses camarades, Stéphane Rollin a lancé une liste « Votez pour vous », où ils se réclament ouvertement du municipalisme libertaire. Ils souhaitent instaurer une « constitution municipale » qui aurait valeur d’engagement moral et qui permettrait d’associer à son conseil une assemblée municipale, des assemblées thématiques et des collèges citoyens.

« On n’en pouvait plus de subir, on voulait ouvrir un nouvel horizon »

Dans de nombreuses villes, en France, des listes se montent sur ce modèle. On y parle d’assemblées populaires décisionnaires, d’élus tirés au sort, de conseils citoyens, de commissions participatives. Avec à chaque fois des nuances mais toujours un désir d’émancipation et de rupture.

« Le déficit de démocratie existe depuis longtemps mais il s’est exacerbé, pense Benoit Angibault, un Gilet jaune de Montauban. Avec d’autres, il a lancé une liste citoyenne dans cette ville de plus de 60.000 habitants. « Les écrits de Murray Bookchin font partie de notre réservoir d’idées, dit-il. Concrètement, on n’en pouvait plus de subir. On a souhaité profiter des municipales pour dessiner un nouvel horizon. Mais notre démarche s’inscrit au-delà de la campagne. Les élections ne sont qu’un levier pour renforcer notre ancrage et transformer le système à la base. »

Depuis plusieurs mois, des groupes de Gilets jaunes expérimentent déjà des formes de démocratie directe au sein de leur mouvement. Des délégations de toute la France se rassemblent régulièrement lors des « Assemblées des assemblées » et mettent en place au quotidien ces pratiques horizontales et sans dirigeant. « Créer une liste municipaliste est le prolongement logique de ce que l’on avait déjà vécu », estime Claude Kaiser, un gilet jaune de Commercy (Meuse).

Claude Kaiser (à g.) à Sorcy-Saint-Martin lors de la réunion de 75 délégations de Gilets jaunes.

« La France est en ébullition. D’immenses aspirations à la transformation sociale, démocratique et écologique s’expriment. Et pour ne pas qu’elles soient balayées, nous devons les enraciner au niveau communal, dans nos villages, nos villes, nos quartiers, partout où nous sommes ! », écrivaient dans la même veine des militants qui appelaient à une rencontre nationale des communes libres à Commercy.

« La participation citoyenne doit s’inscrire dans un processus révolutionnaire »

Dans cette ville de 6.000 habitants, la liste municipaliste prône un changement radical de fonctionnement. Claude Kaiser se présente, en plaisantant, comme un « pur Bookchinien »« La participation citoyenne n’est pas un verni. Elle doit s’inscrire dans un processus révolutionnaire. » Une assemblée populaire a déjà été mise en place depuis un an. Elle rassemble parfois plus d’une centaine de personnes.

« Nous sommes une liste sans programme. Nous avons des propositions mais elles seront réexaminées par l’Assemblée pour voir si elles correspondent à l’aspiration des habitants, explique Claude Kaiser. Le conseil municipal sera simplement une chambre d’enregistrement de la décision citoyenne. »

D’après lui, cette approche trouve un écho parmi les habitants. « Cela répond à des préoccupations instinctives. La population a l’impression de ne pas être écoutée. Elle se heurte à un système qui l’emmure : voter tous les cinq ans ne sert à rien, manifester est de plus en plus difficile. On ne trouve plus de prise pour agir… À l’inverse, la démocratie directe ouvre une fenêtre sur un monde nouveau », analyse le militant. « L’idée qu’il faille abolir le pouvoir des élus est passée du stade de l’utopie à celui du besoin. »

Pour autant, il ne sera pas évident de gagner. La bataille s’annonce rude pour les dizaines de listes qui se présentent sous cette couleur. À Commercy, la menace du Rassemblement national guette, à Annecy, le milieu social est hostile, à Montauban, la taille de la ville se prête mal à ce genre d’expérimentation… « On tisse notre toile patiemment, on tâtonne, concède Stéphane Rollin d’Annecy. Notre objectif principal c’est d’abord de créer des contre-pouvoirs locaux et de tenir ces expérimentations dans la durée. »

Vidéo de « la commune des communes » à Commercy en janvier 2020 ( durée 29’13 ») …

  • Le 18 et 19 janvier 2020 s’est réunie à Commercy, la Commune des Communes. La première rencontre nationale des Communes Libres et des initiatives Municipalistes. On peut notamment y entendre Janet Biehl, ancienne compagne de Murray Bookchin.

Après la campagne, et même en cas d’échec, les différentes listes essaieront de maintenir le rythme de ces assemblées populaires pour bâtir un rapport de force avec la municipalité officielle et grignoter sa légitimité. La campagne n’est qu’un tremplin.

Dans ses écrits, Murray Bookchin précisait cette idée. Selon lui, « le municipalisme libertaire » devait s’inscrire dans la vie quotidienne des gens au-delà des échéances électorales. S’il n’était pas opposé à la participation aux élections locales, il prônait d’abord le développement d’assemblées populaires, par le bas, indépendantes et séparées du pouvoir pour prendre à revers les représentants politiques. « Ceux qui opèrent dans le cadre actuel ne veulent que modérer l’État et lui donner un visage humain », alertait-il avant de rappeler que le but ultime du municipalisme libertaire se situait bien dans le dépassement du capitalisme et la création d’une confédération de communes libres.

Nous en sommes encore loin. Mais indéniablement, un mouvement s’amorce. La rencontre de Commercy fin janvier a réuni plusieurs listes et collectifs en lutte, nourris par la pensée de Murray Bookchin et par le municipalisme. Cette théorie donne un débouché nouveau. Elle libère l’espoir. Et qui sait ce que peut donner une idée dont l’heure est venue ?