11 scientifiques du Giec dénoncent les investissements de TotalÉnergies …

TotalÉnergies vient d’annoncer 20 milliards de bénéfices en 2022  en faisant publiquement référence aux rapports du Giec pour justifier ses investissements dans de nouveaux champs d’hydrocarbures. Dans une tribune publiée sur France Info, 11 scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental  dénoncent l’instrumentalisation de leurs  travaux tandis que des militants écologistes repeignent  le siège du géant pétrolier

« TotalEnergies est très loin de prendre en compte les conclusions du Giec » : des scientifiques dénoncent l’instrumentalisation de leurs rapports par le géant pétrolier. Un article publié

La raffinerie TotalEnergies de Donges (Loire-Atlantique), le 20 janvier 2023. (LOIC VENANCE / AFP)
Dans une tribune publiée sur franceinfo, une dizaine d’auteurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).

Ils reprochent à l’entreprise, qui doit annoncer dans la journée ses résultats pour l’année de 2022, de ne pas tenir compte de l’accord de Paris sur le climat et du consensus scientifique sur la nécessité de baisser drastiquement notre consommation d’énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz), moteur du réchauffement climatique. « Plus on investira dans les énergies fossiles, plus il sera difficile de décarboner le système énergétique et de limiter les risques pour l’économie, la santé et la biodiversité », écrivent-ils.

Cette prise de position intervient quelques jours après l’émission « Cash Investigation » de France 2 consacrée à TotalEnergies. Pour se défendre, le groupe énergétique avait cité le Giec sur les réseaux sociaux, une utilisation de leurs travaux qui a achevé d’exaspérer ces scientifiques. Ils rappellent dans leur texte que ce n’est pas la première fois que l’industrie des énergies fossiles fait œuvre de « désinformation » sur le réchauffement climatique. Ils s’expriment ici librement.


En réponse à l’enquête menée par « Cash Investigation » sur ses activités, TotalEnergies fait publiquement référence aux rapports du Giec pour justifier ses investissements dans de nouveaux champs d’hydrocarbures.

Or, TotalEnergies est très loin de prendre en compte les conclusions du Giec dans l’évaluation de sa stratégie de neutralité carbone visant à s’inscrire dans les engagements de l’accord de Paris, réaffirmés lors la dernière COP27. L’unique référence aux rapports du Giec dans le rapport de TotalEnergies qui décrit cette stratégie est celle relative au poids du méthane sur le réchauffement actuel. Aucune mention du rôle dominant du cumul des émissions de CO2 sur le réchauffement à ce jour et futur, alors qu’il s’agit de l’élément clé des conclusions du Giec car chaque tonne de CO2 supplémentaire dans l’atmosphère contribue à un réchauffement additionnel. Rien non plus sur les impacts du changement climatique, ni sur les risques financiers de dévalorisation des actifs liés aux énergies fossiles.

La vision de la transition énergétique par TotalEnergies repose sur de nouveaux carburants de synthèse, l’électrification des usages et le gaz naturel liquéfié (GNL) pour répondre selon la compagnie aux « besoins croissants des populations en énergie ». Ainsi, TotalEnergies prévoit de poursuivre son développement sur toute la chaîne du GNL dans le but de conforter sa position de n°3 mondial.

Or, le Giec conclut que « limiter le réchauffement largement en dessous de 2°C nécessitera des transformations majeures du système énergétique mondial au cours des trente prochaines années » et notamment « une réduction de la consommation d’énergies fossiles », avec « une réduction significative des investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz ». Le Giec souligne que « si l’on ne réduit pas d’ici à 2030 l’utilisation mondiale de combustibles fossiles en deçà des niveaux actuels, il sera plus difficile de limiter le réchauffement en dessous de 2°C ».

« TotalEnergies passe sous silence les conséquences du développement du GNL pour le climat. »

TotalEnergies disqualifie les feuilles de route pour la transition énergétique basées sur la réduction de la demande en énergie, alors que le Giec a justement consacré tout un chapitre au rôle primordial de la réduction de la demande pour réussir à stabiliser d’ici quelques décennies le réchauffement et donc limiter les risques liés au changement climatique : les émissions mondiales de gaz à effet de serre pourraient être réduites de 40% à 70% en 2050 par rapport à celles de 2019, si les feuilles de route pour la transition énergétique partaient des besoins des populations en services (c’est-à-dire mobilité, confort thermique…) et non pas de l’offre en énergie comme le fait TotalEnergies.

S’agissant des investissements, TotalEnergies prévoit d’investir sur la période 2022-2025 jusqu’à 16 milliards de dollars par an, dont 70% dans les hydrocarbures, et d’y consacrer plus de la moitié à la maintenance des installations pétrolières, visant une intensification de la production de plastiques jusqu’en 2050. Les investissements prévus par TotalEnergies sur la même période dans les énergies renouvelables ne représentent que 25% du total, ce qui équivaut à la somme des investissements dans le GNL et les nouvelles molécules doublant ainsi ses ventes de gaz fossile d’ici 2030. Cette stratégie entraînera un verrouillage dans le carbone sur plusieurs décennies du système énergétique.

Ces investissements seraient, selon TotalEnergies, contrebalancés par le développement d’activités de captage et de stockage de carbone, des activités dites d’économie circulaire qui valorisent l’utilisation du pétrole, et des « solutions fondées sur la nature », y compris des plantations à grande échelle de monocultures à la place de savanes. Or, l’encadré du Giec sur les « solutions fondées sur la nature » est très clair : « le boisement de zones telles que les savanes qui ne seraient pas naturellement boisées nuit à la biodiversité, augmente la vulnérabilité au changement climatique, et ne peut pas être considérée comme une solution fondée sur la nature, pouvant même aggraver les émissions de gaz à effet de serre ».

En somme, aucune stratégie d’évitement en amont des émissions par TotalEnergies, et un pari risqué qui repose sur des solutions immatures qui valorisent les énergies fossiles. Or, l’évaluation du Giec est claire sur ce sujet :

« Plus on investira dans les énergies fossiles, plus il sera difficile de décarboner le système énergétique et de limiter les risques pour l’économie, la santé et la biodiversité. »

Enfin, TotalEnergies se fixe des objectifs en termes d’intensité carbone sur le cycle de vie des produits vendus (le rapport entre la quantité d’émissions pour la production et l’usage d’un produit et l’énergie produite). Cette approche minimise la responsabilité de TotalEnergies à décarboner son activité (en la transférant aux utilisateurs de ses produits) et surtout n’est pas transparente par rapport aux seuls éléments qui comptent pour le climat : les émissions absolues de CO2 et de méthane. De fait, l’empreinte carbone totale des activités de TotalEnergies, telle que décrite dans sa stratégie, impliquerait une stagnation des émissions de gaz à effet de serre autour de 400 millions de tonnes de CO2-équivalent par an d’ici 2030, alors que les trajectoires évaluées par le Giec permettant de contenir le réchauffement largement sous 2°C ou proche de 1,5°C impliquent une diminution des émissions mondiales de l’ordre de 27 et 43% respectivement, par rapport à 2020.

Difficile d’imaginer qu’un grand groupe comme TotalEnergies ne réalise pas l’inadéquation entre sa stratégie visant la neutralité carbone et les dernières conclusions scientifiques, ou les recommandations du Panel de Haut niveau de l’ONU sur l’intégrité des stratégies de neutralité carbone qui recommande d’éliminer les énergies fossiles du mix énergétique.

Les rapports du Giec de 2022 soulignent des décennies de stratégies de désinformation de l’industrie des énergies fossiles, sapant la transmission de l’état des connaissances scientifiques sur les conséquences des émissions de gaz à effet de serre et les risques liés au réchauffement qu’elles provoquent. Cette stratégie explique en partie le manque d’ambition des politiques climatiques, la lenteur de la réorientation des financements hors des énergies fossiles, et la gravité de la situation aujourd’hui, avec des impacts du changement climatique qui s’aggravent dans toutes les régions du monde, plus de 30 ans après la publication du premier rapport du Giec.

Les 11 signataires :
Yamina Saheb, OpenExp, SciencesPo Paris
Wolfgang Cramer, CNRS, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie, Aix-en-Provence
Valérie Masson-Delmotte, CEA – IPSL, Université Paris Saclay
Jean-Baptiste Sallée, CNRS, LOCEAN-IPSL, Paris
Gonéri Le Cozannet, BRGM, Orléans
Christophe Cassou, CNRS, Cerfacs, Toulouse
Sophie Szopa, CEA, LSCE-IPSL, Université Paris-Saclay
Sonia I. Seneviratne, ETH Zurich, Suisse
Gerhard Krinner, CNRS, IGE Grenoble
Céline Guivarch, Ecole des Ponts, CIRED
Julia Steinberger, Université de Lausanne


 

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