Au Chili, victoire contre le mégaprojet de la « Minera Dominga » …

Le Chili est un grand pays minier qui produit près de 30 % du cuivre dans le monde. Mais la »Minera Dominga », près de l’Archipel de Humboldt, était à l’évidence le projet de trop. Au nom de l’environnement, le gouvernement de Gabriel Boric vient de rejeter cet investissement de 2,5 milliards de dollars. Un projet entaché de soupçons de corruption impliquant l’ancien chef de l’État Sebastian Piñera

Au Chili, victoire contre un mégaprojet minier

Un article paru dans Reporterre du 23 janvier 2023

Basta ! Au Chili, le gouvernement de gauche a rejeté un mégaprojet minier, jeudi 19 janvier. Mine à ciel ouvert, la « Minera Dominga » devait être la plus grande du pays. Elle était censée exploiter du cuivre et du fer dans la région de Coquimbo, dans le nord du pays. L’extraction de métaux aurait eu lieu à proximité de l’archipel de Humboldt, comprenant une réserve naturelle protégée.

On trouve là-bas 80 % des manchots de Humboldt de la planète, une espèce menacée et endémique, mais également des chungungos, la plus petite loutre du monde en voie de disparition, ainsi que des centaines d’otaries, des milliers d’oiseaux, de grands dauphins. L’abandon de ce projet est donc une immense victoire pour les groupes écologistes qui se battent depuis des années contre cette mine XXL.

La décision a été prise en conseil des ministres à l’unanimité. Dans la foulée de l’annonce, la société Andes Iron — porteuse du projet — a indiqué qu’elle allait saisir la justice.

Le projet n’était pas seulement controversé pour ses conséquences environnementales, mais aussi parce qu’il était entaché de soupçons de corruption impliquant l’ancien chef de l’État Sebastian Piñera, un des hommes les plus riches du Chili. Selon les « Pandora Papers » — cette enquête journalistique d’envergure internationale —, le projet aurait en effet été vendu par la famille Piñera à un de ses amis en transitant par le paradis fiscal des îles Vierges britanniques.

Pays minier, le Chili produit près de 30 % du cuivre dans le monde. Une industrie minière désastreuse pour les écosystèmes : elle produit des boues toxiques, pollue les cours d’eau et détruit les glaciers.


Chili: rejet d’un projet minier contesté pour son possible impact sur l’environnement

Crédit JAVIER TORRES / AFP

Crédit JAVIER TORRES / AFP

Santiago du Chili, Chili | AFP | mercredi 18/01/2023 – Le gouvernement chilien a rejeté mercredi un projet minier contesté en raison de son impact sur l’environnement, prévu dans une réserve marine du nord du pays.

« Nous sommes sûrs d’avoir pris ici une décision robuste et traçable, basée sur des preuves techniques », a déclaré la ministre de l’Environnement Maisa Rojas en communiquant la décision unanime du Conseil des ministres.

« Minera Dominga », exploitation à ciel ouvert de cuivre et de fer représentant un investissement de 2,5 milliards de dollars dans la région de Coquimbo, à 530 km au nord de Santiago, menaçait l’archipel de Humboldt, en partie visible depuis la côte chilienne, composé de huit îles dont trois sont une réserve naturelle protégée, considéré par les scientifiques comme un « trésor » de biodiversité.

Outre 80% de la population de manchots de Humboldt, une espèce menacée qui ne niche qu’au Chili et au Pérou, l’archipel abrite des chungungos, la plus petite loutre du monde en voie de disparition, des centaines d’otaries, des milliers d’oiseaux, de grands dauphins et est un repaire pour des baleines, jusqu’à quatorze espèces différentes.

Andes Iron, société chilienne d’exploration et d’exploitation minière porteuse du projet, a indiqué dans un communiqué qu’elle ferait appel de la décision auprès des tribunaux de l’environnement.

« Le projet Dominga non seulement respecte mais dépasse toutes les normes et est conforme aux principes établis par le gouvernement pour le développement durable de projets industriels et miniers en termes de protection de l’environnement, de relations avec les communautés, d’utilisation d’énergie propre, d’utilisation d’eau dessalée, entre autres », est-il indiqué.

Le projet prévoyait la construction d’une usine de dessalement et d’un port de chargement des minerais, à trente kilomètres de l’archipel, principal point de dissension avec les défenseurs de l’environnement qui estiment que cela mettrait en péril ses écosystèmes marins et terrestres.

« Le port est situé dans un endroit qui a une valeur écologique absolument unique », a souligné la ministre de l’Environnement pour justifier la décision du gouvernement de gauche du président Gabriel Boric qui s’était déclaré opposé à sa construction lors de son arrivée au pouvoir en mars 2011.

En 2017, sous le gouvernement de la socialiste Michelle Bachelet, le projet avait déjà été rejeté mais la Cour suprême avait ensuite ordonné une nouvelle évaluation environnementale.

« Décision politique »

L’exploitation minière sur 22 ans prévoyait une production annuelle de douze millions de tonnes de fer et de 150.000 tonnes de cuivre. Andes Iron promettait de créer dans cette région pauvre quelque 10.000 emplois directs et 25.000 indirects pendant la phase de construction et 1.500 emplois directs et 4.000 indirects pendant l’exploitation.

Le sénateur d’opposition de Coquimbo et leader de l’opposition de droite, Matias Walker, a regretté « une décision politique » et que « l’une des communes les plus pauvres de la région continuera à dormir sur l’une des plus importantes réserves de fer du monde ».

Pour le directeur de Greenpeace Chili, Matias Asun, « c’est un projet qui non seulement ne répond pas aux normes pour être approuvé mais qui a été promu par les principaux groupes associés à la corruption dans notre pays ».

Minera Dominga était d’autant plus controversé qu’il était entaché de soupçons de corruption mettant directement en cause l’ancien chef de l’Etat Sebastian Piñera (2010-2014, 2017-2021), un des hommes les plus riches du Chili, après la révélation des « Pandora papers ».

Selon une enquête menée par des membres du Consortium international des journalistes, Minera Dominga a été vendue à un homme d’affaires ami de M. Piñera, une transaction opérée aux îles Vierges britanniques.

La transaction devait être payée en trois versements et contenait une clause controversée subordonnant le dernier paiement à la condition « qu’une zone de protection environnementale ne soit pas établie sur la zone d’exploitation de la société minière, comme le demandent des groupes écologistes ».

D’après l’enquête journalistique, le gouvernement de Sebastian Piñera n’a finalement pas protégé la zone où l’exploitation minière était prévue, si bien que le troisième paiement a bien été effectué.


En savoir plus sur la zone à protéger …

Au Chili, le développement industriel menace la faune et la nature

Un article de Mathilde Dorcadie  paru dans Reporterre du 13 avril 2017

Le Chili appuie quasi exclusivement son développement économique sur l’exploitation minière et l’élevage intensif de poissons. Or, ces activités pèsent lourdement sur les écosystèmes, notamment marins.

  • Santiago (Chili), correspondance

Le village de pêcheurs de Punta de Choros, dans le nord du Chili, est un petit coin de paradis de la côte pacifique face à l’archipel qui abrite la Réserve nationale des manchots de Humboldt. La région vit essentiellement de la pêche et du tourisme. On y vient pour observer les très nombreuses espèces d’animaux marins, telles que les baleines bleues, les dauphins et les lions de mer. Mais cette faune est menacée par un immense projet minier de la compagnie Andes Iron.

Celui-ci devrait comprendre un complexe industriel comportant une mine de fer et une mine de cuivre à l’intérieur des terres, mais également un port, une usine de transformation, et une usine de désalinisation afin de puiser l’eau nécessaire à la production. La mine de Dominga serait la plus grande jamais ouverte au Chili. Avec un investissement de 2,5 milliards de dollars, elle représente une promesse de milliers d’emplois. Cependant, son impact environnemental est extrêmement préoccupant et des soupçons de corruption ont entaché le projet depuis ses débuts en 2011. Un coût qui parait disproportionné quand l’on sait que le potentiel d’exploitation estimé de la mine n’est que de 22 ans.

Les installations industrielles de la mine de Dominga se trouveraient à seulement 30 km de la réserve des manchots de Humboldt.

« Ces projets vont causer des dommages irréversibles dans la région et ce n’est en fait qu’un point de départ avant une amplification d’activités industrielles », dénonce Liesbeth van der Meer, vice-présidente de l’ONG Oceana au Chili. L’organisation, qui travaille à la protection marine, a mené une étude qui conclut que la compagnie minière sous-estime l’impact sur les écosystèmes, notamment liés à l’augmentation du trafic maritime qui interférerait avec les routes migratoires des baleines, sans parler des risques de pollution.

Le cuivre représente près de 50 % des exportations chiliennes

Ces dernières années, des opposants locaux et l’ONG Oceana ont mené une campagne d’opposition au projet, avec des pétitions et des manifestations. Et ils viennent de gagner une première bataille. En effet, alors que les travaux devaient commencer en mars, la commission régionale d’évaluation environnementale du comté de Coquimbo vient de rejeter le projet. La compagnie minière Andes Iron a cependant annoncé son intention de faire appel auprès du Comité des ministres pour le Développement durable.

Le gouvernement de la présidente Michelle Bachelet se retrouve désormais dans une position compliquée et va devoir trancher entre un projet qui relève des intérêts stratégiques de son pays et la défense de l’environnement. En effet, le secteur minier est l’un des plus importants de l’économie chilienne. Le cuivre notamment est l’une de ses principales richesses : le pays possède 20 % des ressources de la planète et ce minerai représente près de 50 % des exportations du pays. Dans le nord du Chili, on dénombre plus de 3.000 exploitations de cuivre. Depuis les années 1980, les gouvernements ont fortement incité les investissements dans ce secteur, notamment des sociétés étrangères, qui venaient explorer massivement des gisements jusqu’alors méconnus.

« Pour l’eau, pour la vie, non au mégaprojet minier. »

En juillet 2016, un rapport de l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) mettait en garde le Chili contre l’exploitation intensive de ses ressources et les dangers qu’elle implique sur l’environnement. Le document pointait le fait que le pays appuie « trop exclusivement sa croissance économique sur ses richesses naturelles telles que le cuivre, l’agriculture, la foresterie et la pêche, il connaît une pollution de l’air constamment élevée dans les zones urbaines et industrielles, des épisodes de pénurie et de pollution de l’eau, la disparition d’habitats et une vulnérabilité au changement climatique. Plus de 95 % de ses déchets sont encore mis en décharge ».

Bien que soulignant les efforts du pays, notamment avec la création de zones protégées [1], les experts de l’OCDE rappelaient que le pays possède une biodiversité d’importance mondiale, mais que « les écosystèmes restent soumis à d’intenses pressions du fait des activités économiques et du développement des infrastructures ». D’autre part, les capacités de contrôle de conformité aux réglementations environnementales sont encore limitées, surtout dans des régions isolées.

Des bancs de baleines, de sardines ou de calamars viennent joncher les plages

Le pays est également confronté à un autre phénomène environnemental inquiétant : la mort massive et récurrente d’espèces marines. Depuis trois ans, des bancs de baleines, de sardines ou de calamars viennent joncher les plages sans raison apparente, laissant les scientifiques perplexes. Ainsi en 2016, plus de 400 baleines se sont échouées dans les environs de l’archipel de Chiloé.

Parmi les hypothèses avancées, il y a les modifications récentes du courant océanique El Niño, qui provoque des événements météorologiques inédits. Le changement de température des eaux peut provoquer des troubles dans les écosystèmes, obligeant les poissons ou les mammifères marins à se déplacer sur de grandes distances, ce qui affecte la chaîne alimentaire ou les cycles de reproduction. Mais, pour d’autres chercheurs, les causes pourraient venir de l’élevage industriel de saumon.

Une « salmonera » de l’archipel de Chiloé.

Le Chili en est en effet le 2e producteur mondial, derrière la Norvège. La salmoniculture est un secteur qui, par son intensité, modifie la composition chimique des eaux et perturbe les écosystèmes. La prolifération d’algues provoque des « marées rouges » de plus en plus fréquentes. En 2016, l’ONG Greenpeace a mené une expédition avec des scientifiques afin d’étudier les impacts environnementaux des « salmoneras », les sites d’élevage de saumon. Elle a dénoncé la pollution créée par le rejet de poissons en décomposition dans l’océan, le rôle des autorités qui ferment les yeux et une industrie hors de contrôle [2].

Les produits que le Chili exporte, tels que le cuivre ou le saumon, sont consommés notamment en Europe, où les consommateurs n’ont pas toujours conscience de l’impact des conditions de production de ceux-ci sur l’environnement. Il est donc important que le gouvernement chilien s’engage à protéger la biodiversité existante sur son territoire, comme le demande la population locale, les ONG et les instances internationales, comme l’OCDE. Mais aussi que les acheteurs de ces produits exigent que le patrimoine mondial ne soit pas affecté de manière irréversible par les intérêts économiques.