Pesticide utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe , le chlordécone classé « cancérigène possible » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été utilisé de manière déraisonnée de 1972 à 1993 et a entraîné une explosion des cancers de la prostate. En ce début janvier 2023, la justice française vient de prononcer un non-lieu tout en reconnaissant « un scandale sanitaire » ...
Le non-lieu dans l’enquête sur l’utilisation du chlordécone provoque l’émotion aux Antilles.
Chlordécone aux Antilles : Pourquoi les juges ont prononcé un non-lieu en dénonçant un « scandale sanitaire »
Controverse Lundi, la justice a mis fin à une enquête longue de plus de 15 ans sur des suspicions d’empoisonnement au chlordécone des populations antillaises. 20 Minutes revient sur cette décision qui provoque des remous aux Antilles.
- Le chlordécone est un pesticide utilisé à la fin du XXe siècle dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur pour ces cultures.
- Ce pesticide, classé cancérigène par l’OMS, est soupçonné de par son utilisation à l’époque d’avoir empoisonné une partie de la population antillaise, causant une explosion du nombre de cancers de la prostate.
- A la suite d’une première plainte en 2006, une information judiciaire avait été ouverte en 2008. Mais lundi, la justice a prononcé un non-lieu, rendant impossible la poursuite de l’enquête. Cependant, les deux magistrates en charge du dossier ont qualifié la pollution des Antilles au chlordécone de « scandale sanitaire » et d’« atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de Martinique et de Guadeloupe, dans leur ordonnance de non-lieu.
Que s’est-il passé lundi concernant le « scandale » du chlordécone aux Antilles ?
Dans une ordonnance signée lundi et longue de plus de 300 pages, deux juges d’instruction du pôle santé publique et environnement du tribunal judiciaire de Paris ont mis un terme à une information judiciaire ouverte en 2008 sur des suspicions d’empoisonnement massif des Antilles au chlordécone, un pesticide autorisé dans les bananeraies jusqu’en 1993. Mais, de manière rarissime, les deux juges ont conclu leur ordonnance par cinq pages d’explications sur les raisons de leur non-lieu. « Scandale sanitaire », l’utilisation de la chlordécone est une « atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de Martinique et de Guadeloupe, peut-on y lire.
L’enquête a, selon elles, établi « les comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane relayés et amplifiés par l’imprudence, la négligence, l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs et des politiques qui ont autorisé l’usage du chlordécone à une époque où la productivité économique primait sur les préoccupations sanitaires et écologiques ».
Pourquoi les magistrates ont-elles prononcé un non-lieu ?
La décision de non-lieu se justifie d’après les deux juges d’abord par la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés », « commis dix, quinze ou trente ans avant le dépôt de plaintes », la première l’ayant été en 2006. Les magistrates soulignent également « l’état des connaissances techniques ou scientifiques » au début des années 1990, qui « ne permettait pas » d’établir « le lien de causalité certain exigé par le droit pénal » entre le pesticide et les atteintes à la santé.
« Il n’est pas possible de faire valoir des avancées scientifiques » ultérieures car elles sont « postérieures aux faits » objets de l’information judiciaire, soulignent encore les juges. Arguant également de divers obstacles liés au droit, les magistrates attestent que « la cause (des plaignants) a été entendue » et qu’elles ont eu pour « souci » d’obtenir une « vérité judiciaire », mais elles constatent leur impossibilité à « caractériser une infraction pénale ».
C’est quoi le problème avec le chlordécone ?
Le chlordécone, pesticide risqué pour la santé humaine, était utilisé dans les bananeraies des Antilles françaises de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur pour ces cultures. Ce pesticide était répandu sous dérogation, alors que le reste du territoire français en avait interdit l’usage. Son utilisation a entraîné une pollution des sols, de l’eau des rivières et du milieu marin proche des exploitations.
Ainsi, cette molécule toxique s’est retrouvée dans certaines denrées végétales ou animales, ainsi que dans des eaux des sources. De nombreux aliments locaux, principalement les légumes racines, les poissons et crustacés, les œufs issus de poulaillers de particuliers ont été contaminés, surtout dans certaines zones où des bananeraies étaient présentes.
Selon un rapport publié le 6 décembre par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), près de 90 % des populations de Martinique et de Guadeloupe sont contaminées au chlordécone. Interdit aux Etats-Unis dès les années 1960, classé « cancérigène possible » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1979, le produit est soupçonné d’être à l’origine d’une explosion des cancers de la prostate aux Antilles, comme l’a révélé l’étude de l’Inserm « Karuprostate » (de Karukera, nom caribéen de la Guadeloupe) en 2010. Depuis un an, ces pathologies liées à l’exposition au chlordécone sont reconnues comme maladie professionnelle en France.
En 2012, l’étude « Timoun », sur l’impact du chlordécone sur la grossesse et le développement des enfants, a aussi mis en évidence des troubles de comportement, des pertes de motricité et « des pertes de QI de 10 à 20 points ». Le produit augmente également le risque de prématurité, selon une étude de l’Inserm rendue publique en 2014. A la suite des révélations des conséquences du pesticide, en 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé plainte pour « empoisonnement », « mise en danger de la vie d’autrui » et « administration de substance nuisible ».
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Cette décision à haute valeur symbolique était redoutée par des élus et habitants de Martinique et de Guadeloupe, qui ont régulièrement dénoncé un risque de « déni de justice ». Ce non-lieu est une « honte », a réagi la Confédération paysanne. A mots couverts, l’ordonnance de non-lieu des magistrats a taclé aussi la plupart des parties civiles, « longtemps silencieuses » dans cette enquête et dont « l’intérêt pour l’instruction ne s’est réveillé » qu’il y a deux ans.
Les deux juges invitent assez ouvertement les victimes du chlordécone à profiter de « la causalité aujourd’hui établie » entre le pesticide et les dommages subis par la population pour saisir « d’autres instances ». « C’est un scandale annoncé, donc ce n’est pas une immense surprise. Ce que nous savons c’est que l’ensemble des avocats a l’intention de continuer les procédures, c’est-à-dire de contester cette décision », a assuré Philippe Pierre-Charles, membre du collectif Lyannaj pou Depolyé Matinik.
Plusieurs parties civiles dans cette affaire ont annoncé faire appel du non-lieu des juges d’instruction prononcé lundi. Avocat historique des victimes du chlordécone et maire écologiste de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Me Harry Durimel a indiqué à France Info son intention de faire appel.
Affaire du chlordécone aux Antilles : un non-lieu a été prononcé par les juges d’instruction
Les juges d’instruction ont prononcé lundi 2 janvier un non-lieu dans l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone, ce pesticide autorisé dans les bananeraies françaises jusqu’en 1993.
Les juges estiment principalement que les faits sont prescrits. En novembre dernier, le parquet de Paris avait requis le non-lieu dans cette affaire. Les deux juges d’instruction du pôle de santé de Paris, Brigitte Jolivet et Fanny Bussac, ont signé l’ordonnance de non-lieu lundi dernier. Elles l’ont adressée ce mercredi par courrier aux avocats des associations martiniquaises et guadeloupéennes qui avaient saisi la justice en 2006.
Des manifestations pour dénoncer « un déni de justice »
Depuis les réquisitions de non-lieu du parquet en novembre, de nombreuses manifestations ont eu lieu aux Antilles, notamment en Martinique, pour dénoncer « un déni de justice » et un « mépris d’Etat ». Le 6 décembre, à l’occasion des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le député martiniquais Marcelin Nadeau a interpellé le ministre délégué aux Outre-mer sur « le silence et l’impunité sous couvert de non-lieu », dénonçant « un fort sentiment de mépris à l’égard des peuples empoisonnés ».
Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.