Jean-Raymond Jacob nommé « Officier dans l’ordre national des Arts et lettres… »

Samedi 21 mai 2022, 11H11. Ouverure des 34èmes « Rencontres d’Ici et d’Aillleurs ». Instant d’émotions dans la salle de répétition du Moulin Fondu de Garges-lès-Gonesse quand Jean-Raymond Jacob passe en revue les débuts d’Oposito  avant de se voir remettre l’insigne d’Officier dans l’Ordre national des Arts et des Lettres par Muriel Genthon

Le Discours prononcé par Jean-Raymond Jacob, à l’occasion de la remise de son insigne d’Officier ...

 


« Jacques Lacan a dit : « 
Tout acte manqué est un discours réussi. » Eh bien moi … pour ne pas manquer mon discours, j’ai fait le choix de l’écrire et de vous le lire.

« Tout d’abord merci Muriel d’avoir accepté de me remettre ces insignes, c’est un honneur de plus qui m’est fait aujourd’hui.

Chère assemblée, mesdames messieurs chers enfants, je tiens à remercier chacun d’entre vous d’être là ce matin, ainsi que celles et ceux qui ne pouvaient se joindre à nous, mais qui se sont manifestés par un moyen ou un autre. Ces distinctions nous permettent de nous retrouver et de passer, je le souhaite, un agréable moment tous ensemble.

Une personne chère à mon cœur manquera ici tout particulièrement, empêchée d’être là. Il fut d’abord mon mentor puis mon complice, il m’a assuré qu’il se tenait à mes côtés et m’a chargé de vous saluer chaleureusement, Enrique Jimenez dit KIKE, il va de soi que je partage avec lui ce moment de reconnaissance.

Chevalier puis Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres !!! C’est ma mère qui serait fière . Hélène Jacob, née Protat, de Landerneau, maman de six enfants dont je suis le cadet…

C’était un jeudi, jour de catéchisme, comme à son habitude elle était venue me chercher à la sortie de la salle paroissiale, le curé du bourg de Lambézellec m’avait dit vouloir s’entretenir avec elle !

Je me souviens du visage de ma mère quand celui-ci, lui annonça sans ménagement, que j’allais redoubler mon catéchisme ! incapable que j’étais de retenir le Notre père et l’Ave Maria…

Sur le chemin du retour en me tenant la main bien serrée dans la sienne elle me répéta en boucle que j’étais le premier petit garçon qu’elle connaissait qui redoublait son catéchisme. Je me rappelle être partagé entre deux sentiments la honte, et la fierté d’être pour une fois le premier en quelque chose.

Un deuxième souvenir, toujours lié à ma mère, c’est normal, c’est par elle que tout commence. Nous sommes à Pen-ar-Chleuz (le « bout du talus » en français), c’est le nom du collège où je viens de terminer ma 5ème. Nous faisons face avec maman au conseiller d’orientation qui de manière extrêmement sincère et convaincue nous explique que le C A P de mécanicien agricole qu’il préconise pour moi, est certainement la meilleure chose qui puisse m’arriver. Oh… ma mère n’avait rien contre le monde agricole, une partie de la famille côté de mon père en était, mais elle m’imaginait un autre destin.

En ce qui me concerne, je compris ces jours-là, que si les voies du seigneur m’étaient impénétrables, celles de l’Éducation nationale aussi.

Alors imaginez comment ma mère serait fière de moi aujourd’hui ! Ainsi que mes sœurs Frédérique, Marie Christine, et mon frère Filou ; tous trois partis trop tôt.

Voilà qu’un peu plus de 50 ans nous sépare de ces deux souvenirs, je vous rassure, je ne vais pas ce matin en faire la genèse car ce n’est pas à l’ouverture du festival que nous nous rendrions ensemble, mais alors à sa clôture ce qui vous en conviendrez aisément serait dommage.

Enfin, ça c’est ce que je pensais, avant de me mettre à l’écrire, il est un peu plus long que ce que je m’étais imaginé.

Comme le dit l’adage : « il vaut mieux savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va ». J’ai aussi envie de dire : « il vaut mieux savoir d’où l’on vient pour ne pas oublier les siens. »

Mes pensées vont à Enriké Jimenez dit Kiké, Sophie Robert dit Sophie Bob, Nathalie Polack dit Nath, et Jean François Gareau dit Jeff, avec qui tout a commencé. On a traditionnellement une manière d’exprimer ses débuts, comme étant le temps des vaches maigres, oui c’est bien vrai, elles n’étaient pas bien grasses, mais comme chacun sait une vache ne produit pas de champagne mais du lait, et celui-ci suffisait à nous rendre les jours heureux.

Kiké peintre sculpteur, avait trouvé que son atelier était trop étroit et ses toiles trop petites. Il a donc décidé d’aller dehors, dans la rue.

Dans la nuit il dessinait des personnages, et dans la journée on les fabriquait, et dans la nuit aussi finalement.

On disait de notre travail qu’on faisait de la plastique habitée, le mot dramaturgie ne faisait pas encore partie de notre lexique. Nous étions des faiseurs d’images, de très belles images.

Kiké nous répétait inlassablement qu’avec le beau on pouvait changer le monde, et nous étions convaincus d’une chose, c’était dans la rue et pas ailleurs que nous voulions les faire partager.

Nous avions un agent, eh ouais, il se nommait papa Robert, un clown à la retraite, qui faisait travailler d’autres clowns encore plus vieux que lui. il adorait les Oposito, on était un peu son équipe d’avant-garde. Avec lui on a fait le tour des marchés d’Île de France, des fêtes à la saucisse, aux oignons ou aux fleurs.

A la sortie de notre « pasacalle », passage de rue , il attendait les Oposito avec un sourire jusqu’aux oreilles, un vieux cigare au coin du bec. Sa main plongeait dans le revers de sa veste, il en sortait un large portefeuille tenu par un élastique, et d’une grosse liasse de billets sortaient 5000 francs qui allaient directement dans le portefeuille de Sophie, c’est elle qui tenait la caisse.

Un jour de contrat, réalisé pour le service d’animation de la ville de Saint Denis, nous nous produisions à la cité des Francs-Moisins. Cela faisait à peine une demi-heure que nous avions commencé notre passage de rue qu’une pluie de cailloux et autres projectiles s’abattaient sur notre parade .

Si vous aviez vu nos beaux papillons, notre cheval Zampano et notre grande fleur Marguerite piquer un sprint pour rentrer en loge.

La porte de celle-ci refermée sur nos assaillants, Kiké son tambour sur le ventre et son chapeau d’artifice de travers sur la tête, nous déclare « c’est terminé le tissu, le papier mâché et le bois, demain on passe à l’âge de fer ». Dans la nuit avec Sophie Bob, ils dessinent les armures des personnages protagonistes de «l’enfer des phalènes », une épopée urbaine où 2 équipes, des méchants et des gentils voulant sauver le monde s’affrontent, et sillonnent la ville à la recherche d’un Saint Graal. Depuis ce jour-là, on ne nous a plus jamais jeté de cailloux.

Cette aventure d’épisode en épisode, va nous mener de villes en villes jusqu’à Bourges où sur les conseils de Gilles Magréau, Daniel Colling va nous confier la clôture du Printemps de Bourges.

Après cet événement intitulé « Alexia », à l’arrivée du printemps vient un premier temps de reconnaissance, mais aussi le temps de la séparation, autant au moment du spectacle notre équipe est soudée à la vie à la mort, autant entre les spectacles nous n’avons pas les mêmes visions du devenir de notre travail, je décide de partir, Kiké fait part au reste de l’équipe qu’il souhaite m’emboîter le pas , il est le fondateur de la compagnie, les autres s’inclinent, nous prenons lui et moi la route avec le J7 et les costumes du moment.

Une nouvelle ère s’ouvre à nous.

Premier virage artistique avec Kiké, nous convenons d’inverser le processus de création, à partir de ce jour j’écrirai des histoires et lui les dessinera, c’est ce dialogue et cet aller-retour entre ses croquis qui me donnent à voir mes mots que nous cultiverons toutes ces années à venir.

La compagnie s’agrandit à l’image des visages de notre Île de France, de nombreuses personnes provenant de toutes les disciplines du spectacle vivant vont nous rejoindre.

Nous devons quitter nos ateliers de Meudon, devenus trop petits, pour construire nos décors à la dimension des villes traversées. Nous nous installons à Saint Denis, où Jocelyne Gorge, directrice de cabinet de Marcelin Berthelot, va nous proposer de prendre en main la direction artistique des Fêtes de la Saint Denis. Le spectacle de rue, tel que nous le pratiquons, est à ses débuts, et très peu de manifestations lui sont consacrées. A l’époque, nous finissons plus rapidement au poste de police que dans le poste de télévision, car rien n’encadre, d’un point vue de la loi, la pratique du spectacle vivant dans l’espace public.

Nous saisissons cette formidable opportunité, considérant qu’il était de notre responsabilité d’inventer nos festivals. Nous ferons venir à nous les quelques équipes du moment qui, comme nous, ont choisi de porter leurs projets artistiques dehors, en direction d’un public qui franchit rarement ou jamais le seuil d’une salle de spectacle.

Les Rencontres d’Ici et d’Ailleurs première du nom, vont aussi inciter notre équipe à s’engager auprès de ce métier tout neuf, à nous soucier des autres.

Aujourd’hui nous sommes à la 34 ème édition des RIA, toutes ces années passées, nous n’avons cessé d’accompagner les équipes qui prennent le risque de s’exposer à l’extérieur.

Avec elles, nous avons inventé les signes, les mouvements, mais aussi les cadres légaux, les outils de production et techniques indispensables à la réalisation des ouvrages imaginés pour l’espace public.

La formidable aventure de Saint Denis durera un peu plus de trois ans, installée d’abord dans un grand magasin, où nos vitrines de Noël un tantinet punk de Philou, et même complètement punk, font le bonheur des enfants du quartier.

Puis nous déménagerons pour une friche-industrielle à la Briche. Nous y accueillons le monde entier, toutes les disciplines alternatives ou pas du moment posent leurs valises chez nous. Sans le savoir, nous commençons à dessiner les contours de ce que sera plus tard un lieu de fabrique dédié aux arts de la rue

A la Briche, en pleine première guerre du Golfe, pendant laquelle l’espace public nous sera interdit, mettant à mal notre économie, notre secteur n’a aucune subvention, la survie de nos troupes était en jeu.

Sur notre invitation se réuniront les compagnies dont les noms aux caractères bien trempés sont aujourd’hui inscrites au grand répertoire des arts de la rue ;

Générik-Vapeur, Ilotopie , les Off, Burattini, Kumulus, Turbulence, Alligator, Friches, Malabar, Délices Dada, le SAMU, section artistique musicale d’urgence.

Ce groupe qui s’intitulera Collectif 91, sera un des prémices à la fondation de la Fédération des arts de la rue qui sera initiée plus tard . Nous écrirons ensemble le premier cahier de doléances du genre produit par des équipes de création, sur la spécificité de nos écritures, sur les moyens attribués à nos équipes, sur les outils et espaces indispensables pour répéter et construire nos scénographies. Nous l’enverrons avec une demande de rendez-vous au ministre de la culture, Monsieur Jack Lang, celui-ci bottera en touche, nous renvoyant à sa conseillère Odile Quiraut qui, elle non plus, ne voulut pas ou ne prit pas le temps de nous recevoir, et nous renverra vers Madame Renée Cuinat, directrice du bureau des spectacles à la DMDTS.

Je garde en mémoire ce rendez-vous rue de Valois. Nous avions décidé de nous y rendre tous ensemble. Je me rappelle le moment de l’apparition de Renée, s’arrêtant tout net en haut de l’escalier, découvrant le groupe de voleurs de poules réunis en bas du dit escalier. Il faut dire qu’à l’époque, nous arborions pour certains le même look, visages aux pattes bien dessinées, blousons de cuir ou en jean et santiag, à part Jeff de Délices Dada ainsi que Bruno d’Ilotopie qui ont toujours eu une allure plus aristocratique.

N’attendant que 2 représentants, moi et Jeff, elle devait trouver une salle de réunion plus grande. Chose faite, nous nous retrouvons face à elle où plutôt elle face à nous, avec un visage au sourire amusé, elle nous demanda ce qui lui valait une telle délégation. Après lui avoir fait un court historique de nos réalités du moment et rappelé la teneur du courrier à monsieur le ministre, nous lui demandons de venir nous inspecter sur nos espaces de travail, permettant de faire un état des lieux des équipes de création. Elle nous dira son étonnement, alors que les artistes de salles rejetaient violemment toutes inspections nationales, que nous, les cogne-trottoirs, venions la solliciter à cet endroit.

Soit, ce qui fut souhaité fut fait, une semaine après cet entretien, elle missionna l’inspecteur au théâtre, Monsieur Jean-Marie Lamblard, à venir me rencontrer.

Celui-ci vint me rendre visite dans notre usine à La Briche. Pour tout vous dire nous venions de travailler avec Claude Dana sur le tournage de Macbeth, pour nous remercier, celui-ci avait fait don à notre troupe de l’ensemble des manteaux de fourrure ayant servi aux comédiens du film.

Un de nos régisseurs, manteau de fourrure jusqu’aux pieds, lui ouvrira la porte de notre usine non chauffée. Puis durant le parcours qui le menait vers mon bureau, il fut présenté aux membres de l’équipe eux aussi en manteaux de fourrure, laissant le temps de le saluer de leur fer à souder ou leur scie sauteuse, en fait, on ressemblait plus à une bande de Wisigoths dans une ambiance Mad Maxienne, qu’à une compagnie de théâtre conventionnelle.

On le mena jusqu’à la grande pièce qui me servait de bureau, celle-ci était équipée d’une immense cheminée où les Oposito faisaient brûler des palettes de bois où des troncs d’arbres coupés en deux.

La table de mon bureau était la copie de celui de Monsieur Bouygues, le père. Philou et Kike étaient tombés sur un Paris Match où celui-ci était en photo, un immense bureau en forme d’une règle de chantier en T.

Ils s’étaient tout 2 déployés à me fabriquer le même mais encore plus grand, en agrémentant les angles avec des têtes de mort, et pour finaliser la chose, ils m’avaient inventé un fauteuil, ou plutôt un trône, orné lui aussi de têtes de morts surmonté de deux immenses épées.

Monsieur Lamblard enroulé dans son trench coat s’assit en face de moi, enfin à l’autre bout de la barre du T et tout en regardant de manière circonspecte l’univers dans lequel il était plongé, me dit avec grande courtoisie

« Jeune homme, je ne peux rien pour vous »… eh oui je vous rappelle j’avais 30 ans de moins.

Nous prîmes congé l’un de l’autre, je m’empressai d’en informer Renée Cuinat, elle m’avoua en fait qu’elle n’était pas très surprise et me dira :  «Je sais qui il vous faut : Monsieur Yves Deschamps ».

Avec Yves Deschamps, les arts de la rue vont faire un bond en avant sur la route de la reconnaissance, un homme bienveillant, subtil, intelligent, aimant les artistes, et fin stratège.

Nous allons entreprendre avec lui un voyage dans l’hexagone, où nous irons chez les Archaos, Délices Dada, Générik Vapeur et autres compères.

De retour, Yves fera un rapport permettant alors à notre secteur de sortir d’une forme d’anonymat entretenu par un milieu culturel, qui ne voulait en aucun cas nous faire la moindre place, et dont le seul organisme repéré était celui animé par Michel Crespin, dit « le pape des arts de la rue », un des grands architectes de notre mouvement artistique.

C’est avec Yves Deschamps, plusieurs années plus tard, qu’en tant que président de la Fédération des arts de la rue et l’ensemble du métier sous le ministère de Renaud Donnedieu De Vabres, que nous mènerons tambour battant « Le Temps des arts de la rue », trois années consacrées à notre métier .ll en sera le Président et Jacques Higelin, le Président d’honneur.

La folle époque de Saint Denis tire à sa fin, la municipalité ne tenant pas ses promesses pourtant de nombreuses fois répétées à notre égard.

Sur l’invitation de Roger Gouhier maire de la ville de Noisy-le-Sec nous levons le camp. En plein mois d’août le maire et son équipe ont différé leur départ en vacances pour nous faire voter une subvention et pour signer le bail. Nous nous installons à Noisy le Sec pour les trente ans à venir.

Lors de l’inauguration de l’ancienne imprimerie mise à notre disposition , je dirai « Qu’il vaut mieux une petite ville au grand cœur qu’une grande ville sans pudeur. » 

Noisy le Sec une grande et magnifique aventure, nous y avons grandi au sens propre et au sens figuré. Je me rappelle les mots d’accueil de ce grand premier magistrat que fut Roger Gouhier,

« Maintenant que tu es là je ne veux pas que tu t’endormes ! Je veux que tu voyages et que tu nous reviennes, pour nous raconter et faire partager aux Noiséens vos aventures!»

Cette recommandation nous a donné les ailes de la liberté, depuis ce jour nous n’avons cessé d’aller et venir, entre les ailleurs où nous étions invités à nous produire, et ce qui sera désormais notre port d’attache Noisy le Sec . Nous sillonnerons l’Hexagone dans tous les sens avec nos 2 J7 aux galeries et remorques surchargées. Nos voyages seront sources d’inspiration, nous les ferons partager au public, qui va grandir avec nous, dans le cadre des Rencontres d’ici et d’ailleurs, et par tous les temps, qu’il vente qu’il pleuve ou encore sous des soleils de plomb.

A l’époque en excellents VRP, Kiké et votre serviteur allions de villes en villes proposer nos actions spectaculaires aux directeurs des structures culturelles qui acceptaient de nous recevoir.

Après deux semaines de démarchage, notre agenda de l’été s’était bien rempli, notre dernier entretien avait lieu au bout de la terre, en Finistère. Nous y arrivons de nuit sous un crachin breton tout comme il faut pour ne pas faire mentir la légende, qui n’en est pas une d’ailleurs.

Nous avions rendez-vous avec l’équipe du Patronage Laïque du Relecq-Kerhuon, une petite bourgade entre Brest et Plougastel-Daoulas. Nous devions nous retrouver au Frisbee, une pizerria se trouvant au bout du pont de Plougastel.

Une fois garé devant le resto, je suis pris d’un grand doute et d’une énorme flemme, je dis à Kiké : « Laisse tomber, ici il ne se passera jamais rien ! On rentre ? » Kiké acquiesce, je passe la marche arrière, au moment où j’enclenche celle-ci, surgit à la porte de la pizzeria en faisant des grands gestes, une petite dame, elle se dirige vers nous, j’ouvre ma fenêtre,

« Bonsoir, je suis Michèle Bosseur, et vous la compagnie Oposito ? »

Moi qui pensais avoir de l’intuition, il me faut reconnaître que ce soir-là ma fameuse intuition devait être aussi fatiguée et s’était endormie à l’arrière de la voiture, puisque débutera une magnifique coopération entre une équipe de pousse-aux rêves et une équipe d’artistes.

Comme quoi tout peut commencer autour d’une pizza.
Ensemble nous allons écrire de grandes histoires.

D’abord lors de notre première action commune dans les rues de Brest, nous finirons tous au commissariat. Imaginez un instant tous les comédiens de la compagnie en armure, en cellule, dans la cour, nos motos saisies sous la surveillance de policiers hilares n’ayant pas sur leurs formulaires suffisamment de cases pour nous dresser les procès-verbaux, 23 au total si je ne m’abuse.

Side-cars non conformes, casques non homologués, absence de pots d’échappement, objets contondants dépassant au centre des roues … etc etc etc…

Nous sommes, Michèle et moi, dans le bureau du commissaire ; celui-ci ne s’adresse qu’à moi et présage un avenir funeste à mes enfants qui, toute leur vie, payeront pour l’irresponsabilité de leur père.

En fait, on n’en mène pas large, et je me demande comment on va se sortir du bourbier dans lequel nous enfonce allègrement ce grand serviteur de la loi.

Quand le téléphone sonne, le commissaire répond : « Oui bonjour Monsieur le Préfet, oui ils sont en face de moi justement…
– Comment ? que je les laisse repartir, mais oui Monsieur le Préfet et que je les fasse accompagner par des motards qui leur ouvrent la route, oui Monsieur le Préfet. »

Il raccroche, je sens en lui monter une irrésistible envie de me sauter à la gorge, il nous tend la feuille de papier sur laquelle il s’apprêtait à faire son rapport et nous dit : « Je sais qu’il ne servira à rien et qu’il partira à la poubelle, mais je le ferai quand même »

Nous prîmes congé au plus vite, dehors, Claude Morizur ayant appelé la préfecture et FR3, nous attendait, très content de lui, et c’est en compagnie des motards de la police nationale que nous investirons le reste de la matinée les grandes rues Brestoises.

A partir de ce moment-là, nos histoires sont jumelles, on ne se quittera plus ou pratiquement plus. Nous fabriquerons ensemble ce qui aujourd’hui fait partie du patrimoine des arts de la rue, moment fondateur : Grains de Folie.

Une journée pas pareille qui commence à 4 heures du matin, où le jour et la nuit fusionnent, entre 200 et 300 artistes et bénévoles interprètent un scénario écrit à plusieurs mains.

Grains de Folie va donner naissance à l’un des lieux emblématiques du réseau des CNAREP, Le Fourneau, que Claude et Michèle présents aujourd’hui dirigeront trente ans durant.

Un jour, sur la route à nouveau, deux motards de la route invitent nos camions à nous arrêter sur le bas-côté. Pour nous rien d’anormal, nous sommes habitués, allez savoir pourquoi, nos plaques 93 et des chauffeurs en peaux de bêtes sont particulièrement appréciés par la gendarmerie.
Laurent prépare ses papiers et Philou fait le ménage de la tablette du tableau de bord.

Après le salut de rigueur, notre motard, au lieu de demander les papiers du chauffeur et du véhicule, affiche un large sourire, et met sous le nez de nos Oposito médusés la une du magazine Moto journal, en la tapant énergiquement du dos de la main, 

« Là ! là ! c’est nous là! en première page ! », en effet à la une, 2 motards de la gendarmerie au sous-titre « les anges de la route », puis il ouvre par son milieu le magazine qui laisse apparaître une double page couleur et là c’était nous qui étions en photo, un article annonçant notre participation au 24 du Mans moto dont nous faisions l’ouverture, avant que les pilotes ne s’élancent sur la piste.

Contents et détendus, nos Oposito reprendront la route après avoir dit au revoir à leurs nouveaux amis.

Cette histoire mettra fin au jeu de gendarmes et voleurs que la compagnie pratiquait depuis son plus jeune âge, et c’est dans le monde entier que les motards de la route vont nous ouvrir le chemin.

Nous allons troquer nos J7, pour des poids lourds, nos containers embarqueront dans des cargos.

Nos grandes équipes prendront l’avion pour l’Europe, l’Amérique du nord et du sud, L’Afrique, du nord au sud et de l’ouest à l’est et enfin l’Asie.

De ces voyages nous avons tiré de nombreux enseignements sur le monde et son humanité, sources de réflexion et d’inspiration, et vécu moult péripéties, comme ce 25 décembre où, avec Pete Irvin, grande personnalité Écossaise et Lord de son état, avions dû téléphoner au maire d’Edimbourg se trouvant chez sa mère, à Londres, pour les fêtes de Noël, afin qu’il nous autorise à déplacer une essence rare de sapin de 10 m de haut, présent de la reine du Danemark à la reine Elisabeth, fraîchement planté depuis 15 jours, se trouvant sur le chemin de notre parade.

Nous ferons partager à des millions de spectateurs, Transhumance, l’Heure du troupeau, les Trottoirs de Jo Burg, Toro, A la vie à l’Amour, Caravane de verre,, Cinématophone, et aujourd’hui plus proche de nous 3 éléphants passent, Kori-Kori, la Symphonie des sapins et Peaux bleues, notre dernier Opus inspiré d’un de nos plus beaux voyages, celui que nous avons commencé il y a 6 ans, ici, à Garges-lès-Gonesse.

Ne pouvant plus grandir à Noisy le sec, c’est à contre cœur que nous ferons le choix de quitter notre port d’attache et ce formidable public constitué sur trois décennies.

L’accueil chaleureux et constructif de Monsieur Maurice Lefevre et de l’équipe municipale Gargeoise, ainsi que ses services administratifs et techniques, nous permettront de rebondir très vite et de continuer les missions qui sont les nôtres. Ici il nous a fallu nous réinventer, aller à la rencontre d’un nouveau public, l’activité du Moulin fondu s’est développée jusqu’à doubler, ses accueils de compagnies en résidence, son travail d’éducation artistique, sa diffusion en inventant avec les services culturels de Roissy, pays de France, le festival « Les Primo » se tenant aujourd’hui sur 12 communes.

C’est donc ici et pas ailleurs en terre Val d’Oisienne, sur le Triangle de Gonesse, à l’invitation de Roissy pays de France, en accord avec Madame Florence Portelli et Monsieur Blazy et avec le soutien sans faille de la région d’Île de France, de la Direction régionale des affaires culturelles, du ministère de la culture, et du département du Val d’Oise, que sera construit notre Grand Moulin, un lieu de création tourné vers le futur et de ces enjeux, aux service de son territoire de proximité et de ses populations, sans oublier son rôle pour cette région capitale qu’est L’Ile de France et de son rayonnement national et international, auquel se doit un Centre national des arts de la rue et de l’espace public.

Pour le moment et ce, pour le temps qui nous sépare de l’ouverture du Grand Moulin, j’ai le plaisir de vous annoncer que nous continuerons à mener nos activités sur les deux sites mis à notre disposition par la municipalité de Garges les Gonesse, je remercie monsieur Benoit Jimenez ainsi que Madame Marie Claude Laliot pour leur confiance et leur soutien.

Avant de conclure, je voudrais vous redire l’amour et la passion que je porte à ce métier et à ces artistes et aux villes qui prennent le risque de présenter leurs ouvrages au cœur de la cité, comme disait Jean Vilar : « Faisons société et après on fera du bon théâtre » .

En ce qui me concerne il me reste encore trois petites années avant de passer la main à une ou un jeune artiste, mais avant, je m’y engage ici solennellement devant vous, nous poserons ensemble la première pierre du grand Moulin.

Chère Muriel, je vais emprunter à Jean Cocteau cette citation :

« Une pièce de théâtre devrait être écrite, décorée, costumée, accompagnée de musique, jouée dansée par un seul homme. »

Cet athlète complet n’existe pas. Il importe donc de remplacer l’individu par ce qui ressemble le plus à un individu. Un groupe amical.

Je ne suis devant vous que la partie émergée de l’iceberg de ce qu’est une troupe, une compagnie, ou encore un projet comme celui du Moulin fondu, et je ne serais rien sans les équipes qui m’ont accompagné toutes ces années j’aperçois Martine Rateau, et Laure Cartiller ou encore comme aujourd’hui Pascal Le Guennec, absent de ce moment parce que préparant notre spectacle de cette fin d’après-midi avec cette merveilleuse équipe des Peaux Bleues,

Ainsi qu’Amélie Souchard , Michèle Bosseur, Marc Hanifi, Véronique Charbit , Elisabeth Maréchal, Léo Martinez , Gaétane Jacob , Eileen Morizur , Fabienne Desflesche, Emma Denarcy et Alina Sardet, sans oublier cet incroyable conseil d’administration présidé par Madame Claudine Dussolier.

Et bien sûr, les compositeurs, chorégraphes, costumiers, interprètes et techniciennes et techniciens qui continuent à faire battre le cœur de cette compagnie, Ici et Ailleurs.

Cette reconnaissance qui m’est faite ce matin, je la partage avec eux, toutes et tous.

Et comme disait Jacques Lacan : « Pas de savoir sans discours. »
Mesdames, messieurs, chers enfants je vous remercie de m’avoir écouté. »


« Il y a des moments où la fraternité est essentielle! J’aime. » Pierre Berthelot …


Les photos de Pierre Berthelot à retrouver sur son facebook par ici …


La contribution de Philippe Cuvelette

« Honneur est fait aujourd’hui au capitaine au long cours du fabuleux navire @Cie OPOSITO (https://oposito.fr/) Jean Raymond Jacob (directeur artistique et metteur en scène). Navire qui a porté et porte le propos des Artistes du Théâtre de Rue par delà les villes, les mers, les politiques et les frontières… »

Les photos de Philippe Cuvelette sont à retrouver sur son facebook par ici …


La contribution de (Loïc) Faujour, brestois de naissance …