Avril 2002 : quand la culture se mobilisait contre Le Pen …

Le 21 avril 2002, pour la première fois en France, l’extrême-droite arrive au second tour de l’élection présidentielle. Immédiatement, le monde de la culture se mobilise :  défilés, concert au Zénith, manifestations, clips de réaction distribués dans les villes où le FN fait le plus haut score… 20 ans plus tard, même le rap français ne se mobilise plus contre la présence de l’extrême droite au second tour de la présidentielle …

1er mai 2002 Reportage. Compte rendu de la manifestation du premier mai qui a eu lieu à Paris contre le Front National dont le candidat, Jean Marie LE PEN, sera présent au second tour de l’élection présidentielle. Le commentaire sur des images de la manifestation alterne avec l’interview de Jean Paul PROUST, préfet de police de Paris. [Source : documentation France 3]

Plusieurs millions de personnes en France se sont mobilisées et ont défilé avec pour mot d’ordre  » Non à Le Pen »  » contre le FN. A paris la manifestation était impressionnante comme elle ne l’avait été depuis plusieurs années. La plupart des personnes mobilisées en ce premier mai n’ont pu défiler car immobilisées sur place pendant plusieurs heures tant la foule était dense. La police a été débordée et a dû en accord avec les organisateurs faire fractionner les défilés.


France 2 | 28/04/2002 Manifestation anti-Front national à Paris, Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière appelle au vote blanc, Bertrand Delanoë, alors maire de Paris appelle à voter Chirac et de Jean-Luc Mélenchon, alors ministre de l’Enseignement professionnel invite tous les Français à voter contre l’extrême droite : « Mettez des gants ou une pince mais votez ! ».

30 avril 2002 Reportage. Evocation de la manifestation anti-Front National « Vive la France » organisée au Trocadéro à Paris et rassemblant de nombreuses personnalités du monde du spectacle voulant se réapproprier les symboles de la France, hymne national et drapeau en particulier. Commentaires sur images factuelles en alternance avec les interviews de Edouard BAER, Charles BERLING, Gérard JUGNOT, acteurs, et Henri SALVADOR, chanteur.[Source : Prompteur France 2] Autre genre de manifestation… A l’appel d’un collectif « Vive la France », rassemblant diverses personnalités du spectacle notamment, sans attache avec des partis politiques, plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées au Trocadéro… Objectif : se réapproprier les symboles de la France, drapeau et Marseillaise en particulier…


20 ans plus tard …
Même le rap français ne se mobilise plus contre la présence de l’extrême droite au second tour de la présidentielle

Ils étaient alors en première ligne. En avril 2002, au lendemain de la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour, les rappeurs avaient multiplié les initiatives pour faire barrage à l’extrême droite. Vingt ans plus tard, c’est le silence radio.

Affiche de campagne officielle de Marine Le Pen
Affiche de campagne officielle de Marine Le Pen © AFP / Martin Bertrand/ Hans Lucas

Dès son arrivée en France dans les années 1980, le rap s’est imposé comme une musique contestataire. Dans le sillage du punk et des gangs de chasseurs de skins, les rappeurs ne manquent jamais une occasion de dire non au racisme et de déplorer la montée de l’extrême-droite.

Quand le rap français se mobilisait contre le FN

Il y a un quart de siècle, les groupes Assassin, IAM et Ministère AMER, entre autres, s’étaient par exemple associés pour un morceau-fleuve devenu mythique : 11’30 contre les lois racistes.

https://www.youtube.com/watch?v=BB_glESbE54&t=16s

Alors, quand Jean-Marie Le Pen se retrouve au second tour de la présidentielle, c’est l’explosion. En ce mois d’avril 2002, les producteurs de « Sachons Dire Non » organisent un freestyle de plus de 10 minutes au casting VIP (Sniper, Tandem, Ärsenik, Wallen, etc.)

La rappeuse Princess Aniès initie dans l’urgence le morceau collectif Hip Hop Citoyen.

Stomy Bugsy et Passi reforment même le groupe Ministère AMER pour l’occasion

Vingt ans plus tard, l’extrême droite « banalisée »

Vingt ans plus tard, la mode n’est plus du tout au bras d’honneur à l’extrême-droite. Pour la jeune garde du hip-hop, la présence de Marine Le Pen au second tour ne semble pas un sujet, ni dans leurs morceaux, ni sur leurs réseaux sociaux.

Cette génération de rappeurs est beaucoup moins politisée, comme nous le confirme le journaliste rap Raphaël Da Cruz, auteur pour Mouv’ du podcast Du béton aux nuages : « En 2002, dans l’inconscient collectif du rap, l’extrême droite c’est l’ennemi principal. Depuis 20 ans, avec la banalisation des idées d’extrême droite, les rappeurs sont revenus à quelque chose de beaucoup plus pragmatique : la survie économique en temps de crise, via l’illégal ou via l’argent qu’ils peuvent gagner grâce au rap. On assiste à une forme de détachement de l’idéal politique en place dans les décennies 1980 et 1990. »

« Bravo monsieur Zemmour » a même récemment osé sur Twitter la superstar Booba, partageant avec ses 5 millions d’abonnés une vidéo du leader de Reconquête !. Voilà qui crée forcément une sacrée dissonance avec la lettre écrite par Diam’s en 2004, à l’attention de la future double finaliste de la présidentielle : « Marine, si je m’adresse à toi ce soir
c’est que t’y es pour quelque chose, t’as tout fait pour qu’ça foire…
 »

A suivre …

Il y a 38 ans, Bérurier noir chantait « La jeunesse emmerde le Front National ». Entretien avec Loran Béru.

Écrit par S;B

« Nous sommes blancs, nous sommes noirs, nous sommes jaunes, ensemble nous sommes de la dynamite, la jeunesse emmerde le Front National. » Sur la vidéo enregistrée à l’Olympia, en 1989, les Béru sont déchainés. « Plus jamais 20 % », hurlent-ils. Loran, le guitariste joue maintenant avec les Ramoneurs de Menhirs. Il se demande si la jeunesse de 2022 « emmerde toujours le Front National. »

« Nous serons toujours contre, c’est ça, le mouvement de la jeunesse, alors à toutes les manifs nazies, soyez là, soyez présents et empêchez les ! » Les guitares vrombissent et tout l’Olympia lève un doigt quand le refrain se répète 10, 20 fois, « la jeunesse emmerde le Front National. »

Loran Béru se souvient de la création de la chanson. « C’était en 1984, pour la première fois dans l’histoire, il y avait un parti d’extrême droite qui faisait un score à deux chiffres, ça a été un choc. Le Front National de Jean-Marie Le Pen était à 11 %. C’était une action directe, on ne pouvait pas laisser passer. Je tolère tout, sauf l’intolérance. »

Mais hier, sa fille Marine Le Pen a rassemblé 13 millions de voix, 5 millions de plus qu’en 2017. Et Loran a peur que la jeunesse n’emmerde plus vraiment le Front National, devenu Rassemblement National.

« Il y a beaucoup de désinformation, de banalisation remarque le guitariste. C’est un peu comme dans le conte de Grimm. L’histoire du loup qui pénètre dans la bergerie en mettant de la farine sur sa patte. Ce n’est pas parce qu’il fait moins peur qu’il est moins dangereux. »

Ordina tueur

« Ça ne doit pas être facile d’être jeune, constate Loran, les espaces de liberté ont fondu comme la banquise. Est-ce que les Béru auraient existé à l’époque d’internet s’interroge-t-il ? On était à contre-courant, on aurait été hachés, découpés en morceaux. J’ai l’impression qu’on régresse énormément. La différence est prohibée. Sur les réseaux sociaux, il y a des gens qui se prennent la tête. Il y a de la méchanceté, de l’agressivité, mais pas de débat. On ne peut pas construire des choses comme ça. »

La chanson Porcherie avait été écrite en référence au film du même nom de Pasolini. Au départ, comme le cinéaste italien, Bérurier noir parlait du monde et de ses travers. « Les hommes se comportent comm’des porcs  (…) Nous sommes à l’heure des fanatiques (…) Le Tiers-Monde crève les porcs s’empiffrent « 

« Malheureusement, soupire Loran, les choses n’ont pas changé. L’extrême droite grossit, prend des forces et ça nous pend au nez qu’elle arrive au pouvoir Pour un pays qui est fier d’être le pays des droits de l’homme, on a un peu de mal à accueillir les migrants.  »

En novembre 1989, lors des trois derniers concerts des Béru avant la séparation  du groupe le 11 novembre, la salle martelait : « Jeunesse française, jeunesse immigrée, solidarité !  »

« Tous les morceaux des Béru, c’est une histoire qui nous a marqués, comme un tatouage » explique Loran et depuis 38 ans, cette chanson est de toutes les manifestations contre l’extrême droite. Ce week-end, Porcherie a tourné en boucle sur les réseaux sociaux… il y a encore bien des jeunes et des moins jeunes qui emmerdent le Front National.

« Mais aujourd’hui, on fait de l’élevage d’artistes en batterie déplore le guitariste. Le problème c’est que la culture est domptée. On offre aux jeunes groupes des locaux de répet, et il y a un type qui passe qui leur dit, c’est bien ce que vous faites, et on leur propose un coach qui leur apprend une attitude, et on leur fait un plan de carrière. Et ça, ça tue la musique, un artiste doit être libre ! Dans les dictatures, les premiers qu’on enferme ce sont toujours les écrivains, les poètes …  »

Loran n’a pas changé ses convictions. Depuis 16 ans maintenant, il joue avec les Ramoneurs de menhir avec lesquels il reprend La Blanche hermine de Gilles Servat.

  Basique, simple

Ce 24 avril, Loran a évidemment suivi les résultats de ce second tour de la présidentielle. « Maintenant, espère-t-il, les gens commencent à réfléchir. Il va falloir changer les choses, et sans doute prendre en compte le vote blanc. Si les gens ne sont pas contents du choix qu’on leur propose, ils votent blanc et on va chercher d’autres candidats, ça donnerait de l’espoir. »

« Les dictatures s’affirment, les rapports de force sont constants remarque l’artiste, mais je n’ai pas envie de fermer les yeux. Je souffre de voir la réalité et de voir qu’il ne se passe rien. Tu vois que ça s’écroule devant toi… heureusement qu’il y a les concerts !  »

Ca fait plus de 40 ans que Loran joue sur scène, « si notre rôle est quelque part, il est là, fédérer la tribu. »

Je suis un Yes Future.
Loran Béru, guitariste

Le punk rockeur ne la joue pas gros dur, ce n’est pas le genre de la maison. « On ne peut pas accepter un système où l’argent est plus important que nos enfants. La solution pour l’écologie, ce n’est pas compliqué, c’est la décroissance, il faut qu’on consomme moins, ou alors c’est qu’on n’en a rien à foutre de nos gosses. Comment on va leur dire qu’on n’a rien fait ?  »

« Je ne prône pas la révolution parce que ça tue les gens, mais je prône l’évolution, comme ça, on commence à réfléchir. Pour les enfants, il faut rester positif. On se battra jusqu’au bout, et tant pis si on finit en lambeaux. Tant qu’il y a de bonnes personnes, tant que je respire, tant qu’il y a des fleurs, des papillons, tant qu’on vit et tant qu’il y a la musique et des riffs de guitare. Je suis un Yes Future ! »