Enki Bilal : la guerre en Ukraine « nous met au bord d’un précipice »

Ses scénarios à couper le souffle et son style unique ont porté Enki Bilal au panthéon de la bande dessinée. Le dessinateur, scénariste et réalisateur, né à Belgrade, grand prix au Festival de la BD d’Angoulême en 1987, a choisi d’exposer une trentaine d’œuvres originales au Musée de l’Homme. Une carte blanche pour nous plonger dans son univers de science-fiction déjanté, un futur qui pourrait bien nous rattraper …Dans un entretien passionnant de 15′, Enki Bilal évoque avec Sonia Patricelli les thèmes clés de son œuvre : la mémoire, les idéologies, le numérique mais aussi les sujets d’actualité tels que la guerre « angoissante » qui se déroule en Ukraine. Une vidéo publiée le 15 mars 2022 par France 24


Paris. Au musée de l’Homme, le dessinateur Enki Bilal aux franges du réalisme et de la science…

.  Le dessinateur expose ses humanités hybrides au Musée de l’Homme et sort un troisième album de la saga Bug, fable sur la mémoire et notre addiction au numérique. Un article paru dans Ouest France Redon du 17 mars 2022

photo vue de l’exposition enki bilal au musée de l’homme, à paris.

Vue de l’exposition Enki Bilal au musée de l’Homme, à Paris. © Ouest-France

Enki Bilal aime les mots-valises et les hybridations. Depuis La Foire aux immortels (1980), ses bandes dessinées mettent en scène des humains à tous les stades de la transformation : Technomécahumain, Hybrimutantech, Technomécanimal, Humammifaire… Ces classifications rythment une présentation de quelque quatre-vingts pièces de l’artiste, complément de l’exposition Aux frontières de l’humain, en place au musée de l’Homme depuis octobre.

Excès d’hybridation

« Ce que je n’aime pas et qui est en même temps le plus fascinant chez l’homme est son obsession à innover, à transgresser les frontières, sans forcément se poser les questions des conséquences, dit Enki Bilal, lunettes noires, imper noir, bonnet noir. Je m’amuse de ces excès d’hybridation. Il y a des aspects très positifs dans la réparation de l’humain, permis par la technologie, mais il y a aussi un côté sombre. C’est sur ça que je joue, mais je peux aussi y injecter de la dérision. »

photo enki bilal. © ouest-france

Enki Bilal. © Ouest-France

Ainsi, le prophète du transhumanisme Ray Kurzweil, encore vivant, adresse un message au héros. « J’ai voulu que Bug ait lieu en 2040, parce que ce n’est pas trop lointain. Je ne veux pas rentrer dans la prospective, dans le réalisme, mais introduire des éléments de réalisme. Ce sont les bons ingrédients d’une fable. »

Mémoire vive et mémoire vivante

Dans cette série publiée depuis 2017 et qui comptera cinq tomes, toutes les mémoires informatiques ont disparu. Cette connaissance a été mystérieusement transférée à un seul homme, Kameron Obb, infecté par un insecte (bug en anglais) extraterrestre, alors qu’il revenait de Mars. « On est bien d’accord. La façon dont ce bug assèche les ordinateurs et transmet les données dans un seul cerveau humain qui devient le disque dur de tous les fichiers du monde, ça ne tient pas. Mais ce n’est pas le sujet, le sujet est la mémoire. Je crains que la mémoire vive ne tue la mémoire vivante. »

photo vue de l’exposition enki bilal au musée de l’homme, à paris. © ouest-franceVue de l’exposition Enki Bilal au musée de l’Homme, à Paris. © Ouest-France


Ne pas brider l’imagination

Chez Enki Bilal, la technologie omniprésente ne doit pas entraver le propos plus philosophique que scientifique : « Quand je trouve une information scientifique qui m’intéresse, j’évite surtout de trop la fouiller. Je peux partir au quart de tour et réussir à l’intégrer dans mon histoire, mais je ne veux pas altérer mon idée première, brider mon imagination. Un chercheur comme (l’évolutionniste) Guillaume Lecointre m’assure que les scientifiques adorent trouver dans la fiction des échos de leurs préoccupations. Chacun stimule l’autre. »

On voit les fils

Enki Bilal dit avoir parfois souffert, dans les années 1970, quand certains scénarios de Pierre Christin l’ancraient trop dans un passé hyperréaliste : « Dessiner des voitures contemporaines ou des pins des Landes ne m’excite pas. » Ses univers anticipés qui lui laissent la liberté nécessaire sont cependant systématiquement usés, abîmés, érodés. « Cela vient sans doute de mon enfance à Belgrade (il est arrivé en France à 10 ans, en 1961), une ville qui n’a jamais été achevée, qui portait encore des stigmates de la guerre. Mes personnages ont des implants, mais un peu bricolés. On voit les fils, ce qui est quand même plus graphique qu’un objet lisse avec toute la technologie cachée à l’intérieur. »

Bug, tome III, Casterman, 88 pages, 18 €.


Enki Bilal prend ses quartiers au Musée de l’Homme

En écho à l’exposition Aux frontières de l’humain, qui explore nos limites et interroge notre avenir en tant qu’humains, et à l’occasion de la sortie du troisième tome de sa série de bandes dessinées Bug (série publiée aux éditions Casterman), le Musée de l’Homme donne carte blanche à Enki Bilal. Une exposition à découvrir du 16 mars au 13 juin 2022.

ActuaLitté

Enki Bilal ne cesse d’explorer les frontières : celles de l’humain, de l’animal, de la machine, de la planète. Celles qu’il faut franchir pour découvrir un ailleurs, celles qui effraient, celles qui intriguent ou celles qui attirent. Les notions de limite et de métamorphose imprègnent toute son œuvre. Il représente des corps augmentés, hybrides, questionne le progrès, évoque le transhumanisme, imagine le chaos…

Aucun artiste n’aurait pu mieux que lui accompagner l’exposition Aux frontières de l’humain du Musée de l’Homme, dont chacune des six parties (« Je suis un animal d’exception », « Je suis un champion », « Je suis un cyborg », « Je suis un mutant », « Je suis immortel », et « On va tous y passer ! »), résonnent pleinement avec l’univers à la fois réaliste et dystopique d’Enki Bilal. Dans son œuvre, l’humain tient une place prépondérante. Un humain abîmé, augmenté, tourmenté, en quête d’un ailleurs et d’un futur meilleurs.

Enki Bilal lui-même se joue des frontières. Artiste protéiforme, à la fois dessinateur, auteur, réalisateur, peintre, il brouille les pistes pour mieux créer, en marge de toute classification. Célèbre pour ses bandes dessinées, il propose ici une sélection d’œuvres, dont certaines inédites, composée de dessins, de peintures, d’extraits de films et d’écrits.

« Le futur de l’Homme est balisé de frontières, de bordures, de marges, qu’il se fait un plaisir (en auto-proclamée perfection du vivant sur cette planète), de repousser, de provoquer, voire d’affronter », a déclaré Enki Bilal. « Obsédé par le contrôle de son pouvoir aveuglant, cet humain se trouve mis à nu – je le réalise, presque surpris -, au cœur de toutes mes créations, et depuis bien longtemps. Cette exposition le prouve. »

Enki Bilal Casterman
Bug Tome 1
05/01/2022 85 pages 18,00 €