Il y a 10 ans, les Pussy Riot défiaient Vladimir Poutine …

🇺🇦 Le 21 février 2012, trois membres du groupe punk féministe Pussy Riot font irruption dans une cathédrale moscovite pour chanter « une prière contre Vladimir Poutine ». Retour sur cet événement et  la répression qui s’ensuivit inaugurant une ère de conservatisme moral et culturel . Spéciale dédicace à celles qui encore aujourd’hui en Russie symbolisent la résistance de la création artistique face à l’oppression politique …

Pussy Riot, retour sur une révolution russe

Publié par Le Courrier International le
Des membres des Pussy Riot à Moscou, en janvier 2012. Photo Igor Moukhin.
Des membres des Pussy Riot à Moscou, en janvier 2012.
Photo Igor Moukhin.

En février 2012, trois membres de ce groupe punk féministe font irruption dans une cathédrale moscovite pour chanter une prière contre Vladimir Poutine. L’événement et surtout la répression qui s’ensuit vont changer la Russie. Ils ont inauguré une ère de conservatisme moral et culturel qui dure encore aujourd’hui

Le 21 février 2012, le groupe punk féministe Pussy Riot investit la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. Ses membres, vêtues de robes colorées et de cagoules, se trémoussent énergiquement au pied de l’autel pendant quarante et une secondes avant d’être évacuées par des agents de sécurité. Le même jour, une vidéo est publiée sur YouTube sous le titre Prière punk : Marie mère de Dieu, chasse Poutine. Les images tournées dans la cathédrale du Christ-Sauveur sont mixées avec une bande-son et des extraits d’une action similaire menée dans la cathédrale de la Théophanie à Moscou.

Le 3 mars, des membres présumées du groupe, Nadejda Tolokonnikova, Maria Alekhina et Ekaterina Samoutsevitch, sont arrêtées. Le 17 août, toutes trois sont reconnues coupables de vandalisme et incitation à la haine religieuse, et sont condamnées à deux ans de prison (la peine de Samoutsevitch sera commuée ultérieurement en sursis).

L’affaire Pussy Riot suscite un tollé public sans précédent et donne lieu à de nombreuses actions publiques, de la part tant des partisans que des opposants du groupe. Des centaines de politiciens et de personnalités culturelles du monde entier apportent leur soutien aux Pussy Riot. Enfin, l’affaire va marquer un tournant dans la rhétorique de l’État concernant les “valeurs traditionnelles” et l’affirmation d’une “majorité conservatrice”.

À l’hiver 2011-2012, un vent de contestation

À la parution de la vidéo, nul besoin de faire les présentations : les Pussy Riot sont alors des artistes activistes chouchoutes des médias de la capitale qui parodient un groupe punk. On les a vues se produire sur le toit d’un trolleybus ou encore dans une vitrine de magasin. Leur action la plus spectaculaire a pris place juste en face du Kremlin, sur la place Rouge : juchées sur la plateforme du Lobnoïe mesto [un piédestal en pierre depuis lequel étaient énoncés les décrets du tsar, et sur lequel étaient effectués les châtiments corporels avant la révolution bolchevique], elles ont interprété avec guitares et fumigènes une chanson sur la peur de Vladimir Poutine face aux manifestations.

Elles donnent des interviews sans enlever leurs cagoules et diffusent un message non conformiste mêlant féminisme, écologie, refus de l’homophobie, du machisme et des violences policières. Elles disent tenir à leur anonymat et à l’absence de hiérarchie au sein du groupe : pas de leaders ni de célébrités, des vêtements et des prénoms interchangeables entre les membres, tout le monde peut adhérer au code couleur et à l’idéologie des Pussy Riot. Ces personnages colorés et graphiques ne passent pas inaperçus dans le paysage plombé de Moscou.

Les actions des Pussy Riot s’inscrivent parfaitement dans l’esprit contestataire de l’hiver 2011-2012, notamment leur performance sur le toit du centre pénitentiaire où sont incarcérés Alexeï Navalny [l’un des plus célèbres opposants à Poutine] et Ilia Iachine [un activiste libéral démocrate] après leur arrestation lors du rassemblement du 5 décembre 2011 [tenu au lendemain d’élections législatives remportées par le parti au pouvoir Russie unie, mais contestées par une partie de la population ; durant plusieurs semaines, les manifestations vont se succéder].

Dans la pure tradition de l’actionnisme russe

La vidéo de leur performance à la cathédrale participe de la même vague de protestation. Elle donne lieu à des débats modérés sur Facebook – “le propos est clair, mais pourquoi une église ?” – sans pour autant choquer ni émouvoir outre mesure le public laïque moscovite.

Ces intrusions artistiques audacieuses et semi-illégales dans l’espace public relèvent d’une tradition bien établie. Sur ce même monument de la place Rouge où se sont produites les Pussy Riot, Alexandre Brener [l’un des leaders de l’actionnisme moscovite], vêtu d’un short de boxe, avait défié Boris Eltsine au combat ; l’artiste avait aussi fait irruption dans la cathédrale de la Théophanie en criant “Tchétchénie !” [Boris Eltsine, alors président de la Fédération de Russie, venait de lancer la première guerre de Tchétchénie (1994-1996)]. Le groupe Voïna [créé en 2007], qui a flirté avec l’illégalité et le mauvais goût pendant des années, avait achevé de démontrer que rien n’est impossible pour les actionnistes. Le 9 décembre 2011 enfin, des militantes du groupe ukrainien Femen avaient manifesté seins nus devant la cathédrale du Christ-Sauveur avec le slogan “Dieu, chasse le tsar !”

Une performance inclassable

L’intrusion des Pussy Riot dans l’église se termine de manière relativement pacifique : elles ne sont même pas arrêtées par la police, et le diacre Andreï Kouraev ironise sur son blog en disant qu’il aurait bien offert des blinis et un bol d’hydromel aux jeunes femmes. Le soir même, leur action est déjà débattue sur la chaîne [indépendante] Dojd sous un angle commercial : le groupe décrochera-t-il ainsi des contrats dans les clubs moscovites ?

Mais les Pussy Riot ne sont pas un groupe de musique à proprement parler : leurs performances sont furtives comme des actions de guérilla, pas le temps de brancher une sono. Plus généralement, elles sont inclassables, insaisissables et échappent à toute définition : c’est du punk, c’est de l’“action directe”, c’est une extension du mouvement rock féministe américain Riot Grrrl, c’est tout ça à la fois …

Iouri Saprykine


Pussy Riot, des punks russes adeptes des coups médiatiques

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« La Russie, tu le sais, n’est pas une État de droit »: sur leur chaîne YouTube, les militantes de Pussy Riot expliquent leur envahissement de terrain à l’occasion de la finale de la coupe du monde. Le groupe connu pour ses actions choc en faveur du féminisme ou de la liberté d’expression souhaitait cette fois dénoncer le comportement de la police russe …

QUE SONTELLES DEVENUES ?

En décembre 2013, Nadejda Tolokonnikova et Maria Alekhina, les deux membres des Pussy Riot qui avaient été condamnées à deux ans de prison, ont été amnistiées à l’occasion du XXe anniversaire de la Constitution russe et ont retrouvé la liberté. Avec Ekaterina Samoutsevitch, leur collègue dont la peine avait été commuée en sursis, elles ont porté plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme qui a contraint, en 2018, les autorités russes à leur verser 48 000 euros pour préjudice moral.

Les Pussy Riot lors de leur performance éclair à la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur, le 21 février 2012. Photo Pussy Riot.
Les Pussy Riot lors de leur performance éclair à la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur, le 21 février 2012. Photo Pussy Riot.

L’expérience de la détention a fait naître une nouvelle vocation chez Nadejda Tolokonnikova et Maria Alekhina. Elles ont quitté les Pussy Riot et fondé un site d’information consacré à l’actualité judiciaire et pénitentiaire russe. Mediazona (https ://zona.media), qui s’intéresse au sort des citoyens persécutés pour leurs opinions politiques, a très vite acquis une certaine notoriété. En janvier 2020, l’équipe éditoriale a lancé Mediazona Asie centrale, et en juillet 2020 Mediazona Biélorussie, mais ce dernier site a été bloqué par les autorités biélorusses dès août 2020.

De leur côté, les Pussy Riot sont toujours actives. En février 2014, elles se sont produites à Sotchi, pendant les Jeux olympiques d’hiver, et ont chanté “Poutine t’apprendra à aimer la patrie”. En 2016, elles ont tourné le clip Chaïka, du nom de Youri Tchaïka, un procureur général accusé de corruption par l’opposant Alexeï Navalny. En 2018, quatre d’entre elles, habillées en policiers, ont fait irruption sur le terrain moscovite où se déroulait un match de la Coupe du monde de football.