Sébastien Barrier préfère le mot « cérémonie » au mot « spectacle »…

Photo: Ida Jakobs

En novembre 2020, Sébastien Barrier se confiait au micro de France Culture à l’occasion de la sortie de « Ceux qui vont mieux ». « La cérémonie, c’est célébrer le moment avec les personnes qui sont là, que je n’appelle plus  » public », parce que je trouve ça un  peu réducteur. » C’était déjà le cas avec son fameux personnage de Ronan Tablantec qui, à chaque sortie, célébrait le présent …

Sébastien Barrier : biographie, actualités et émissions France Culture

A l’origine, sous le nom de Ronan Tablantec, Sébastien Barrier maniait le fouet et les mots en ciré jaune et une boite à sardine en guise de coiffe penn sardin sur la tête. Puis dans une autre création en 2014 « Savoir enfin qui nous buvons », il invitait les spectateurs à déguster du vin tout en dressant le portraits de vignerons du bord de Loire. Il évoquait ensuite « Gus » le chat en chansons, racontars et illustrations sur scène. « Ceux qui vont mieux » a été créé en pleine incertitude liée à la pandémie …

Sébastien Barrier : « Je ne crée pas un spectacle, je crée une cérémonie »

Écouter Sébastien Barrier dans l’émission « Par les temps qui courent » de Marie Richeux diffusée par France Culture le
c’est par ici …

Extraits de l’entretien

Mon plateau ressemble un peu à ma maison, et ma maison ressemble un peu à mon plateau : c’est comme ça que je me sens bien. Il y a un peu une fainéantise de ne pas vouloir inventer des mondes en terme de scénographie, et de ne pas vouloir me coltiner aux grands textes fondateurs, que je peux par ailleurs aimer.  En fait, pour moi, tout se mélange, ma vie et le plateau...

Au final, j’ai l’impression qu’il y a une espèce de canalisation du merdier, qui fait que les choses deviennent plus posées et peut-être, plus puissantes. L’espèce que ce grand-huit, avec les creux et les hauts, les pics et les trous, n’a pas servi à rien …

La cérémonie, c’est célébrer le moment avec les personnes qui sont là, que je n’appelle plus « public », parce que je trouve ça un  peu réducteur. En fait, je préfère le mot cérémonie au mot spectacle, ça me convient mieux, parce qu’il n’y a pas de cérémonie sans art. De même, pour moi, le mot performance n’a plus cours, parce qu’il a trop couru. ..

Il n’y a pas beaucoup de moments, où je me sens autant à ma place en tant qu’artiste, et aussi juste dans ce que je fais, que quand je dois officier parce que quelqu’un qu’on aime vient de mourir. Au cœur de « Ceux qui vont mieux », il y a la question de l’utilité, et je ne cesse de m’amuser à rapprocher le travail d’un curé et le mien : mon oncle est curé, mon père aurait dû l’être, et le héros de Morlaix est curé.
Sébastien Barrier  .


Retour sur la vie -et la mort- de Ronan Tablantec…

Ronan Tablantec, une vie de clown …

Ronan Tablantec. Jeu de mots, de trottoirs et de déchets, pour un spectacle de poésie urbaine et d’humour vache ou tendre. Un documentaire de 28’13 » signé Mickaël Royer.

La mort de Tablantec racontée par Sébastien Barrier au micro de Zoom La Rue … Une vidéo de 1’29″…

Attention performance. Accrochez-vous pour naviguer sur le flot intempestif des paroles de Sébastien Barrier. Il commence par annoncer la mort de Ronan Tablantec. Celui-ci a écumé les festivals de France et de Navarre. Après une soirée de beuverie dans les tavernes de Douarnenez, il est tombé depuis un quai dans la mer. Aussi, Sébastien a décidé de le remplacer au pied levé, accompagné d’un tambourin mais surtout de sa guitare et de ses pédales très capricieuses, sans oublier l’ampli.
Sébastien Barrier - Une petite célébration du présent

Le flot des mots du conteur n’a d’égal que sa capacité à se lancer sans arrêt dans des digressions savoureuses, pertinentes voire impertinentes, suscités par tous les évènements qui se déroulent en direct autour de lui. L’arrivée ou le départ d’un spectateur, les cris du chanteur de la scène Glenmor (nous étions aux Verger – Jardin de curiosité sur les Vieilles Charrues que diable !), la présence dans l’assistance d’une personne connue ou rencontrée quelques instants plus tôt, le soleil, une pédale de guitare récalcitrante, Douarnenez, etc. Et puis Sébastien Barrier joue de la guitare – et de nouveau ses paroles prennent les chemins buissonniers autour des changements de micro de l’instrument – pour se recentrer sur un chant chilien, scander la poésie de Georges Perros ou encore un texte concernant l’addiction à la drogue écrit par un anonyme à la fin du dix-neuvième siècle.

Conte performant, digression puissance 10, rebondissements, surprises, et traits d’humour acérés. Le spectateur est fixé. Il devient addict au flot intarissable de l’artiste. Inclassable, Sébastien Barrier est bien vivant et vous rappelle que vous aussi vous l’êtes et cela fait énormément de bien.

Le Cirque cynique et maritime du bonimenteur le plus salé est au FAR de Morlaix et à St Brieuc en 2007. En 2008, il revient avec le Termaji tour pendant Brest 2008, le FAR et les Piques-Niques Kerhorres. En 2009, il est le Parrain cynique et maritime de la 1ère édition des Rias.

Ronan Tablantec, Le Termaji Tour

[Carnet de voyage oral en Manche et Mer d’Iroise, Vern sur Seiche – 35]

Dans un périple maritime devant le conduire autour de la Bretagne, de ses îles, de ses ports, Ronan Tablantec embarque pour nous retranscrire, en instantanés corrosifs, un récit de voyage curieux des us et coutumes contemporains du grand peuple celtique.

Ce clown anarchique, primaire ou subtil selon son humeur, nous parle de la vie des ports, leur actualité, leurs architectures, leurs autochtones, leurs problématiques, ce qui les lie, les différencie… Questionnant la singularité de chaque endroit traversé et collectant sur place des objets, des mots, des souvenirs, des sons, des vidéos et des photos, cette tournée maritime permettra de construire une épissure d’histoires, un carnet de voyage oral.

Le blog du Termaji Tour : termajitour.zeblog.com
Les videos : www.dailymotion.com/termajitour

 

Sébastien Barrier, la parole ivre

Un article signé Anaïs Heluin dans ww.sceneweb.fr

photo Ida Jakobs

Carnets de création (17/28). Issu des arts de la rue, Sébastien Barrier déploie depuis Savoir enfin qui nous buvons (2014) une passionnante parole-fleuve dont il est le principal héros. Par l’autofiction, il met en place des rituels, des célébrations qui accueillent chacun : poètes, punks, chats ou curés.

Sébastien Barrier a la logorrhée débordante. Il a le mot qui grimpe et vous enveloppe, à l’image de son grand corps mince qui se conclut par une touffe de cheveux frisés. Depuis la création de Savoir enfin qui nous buvons en 2014, l’artiste est en quelque sorte l’arbre et la palabre : dans ce premier spectacle en salle, il devient le sujet central de sa propre parole, qu’il exerçait auparavant en espace public dans le costume d’un certain Ronan Tablantec. Un « marin prêcheur » de Douarnenez – le terreau mythologique de Sébastien Barrier – qui, répétait-il à qui voulait l’entendre, n’était pas né breton mais l’était devenu. Un grand observateur des petites choses du monde, un philosophe du quotidien dans lequel l’artiste mettait beaucoup de lui-même, mais qui lui imposait des limites qui ont fini par lui peser. « Après l’avoir fait vivre pendant une dizaine d’années, ce personnage était devenu une belle petite prison, dont il fallait que je me débarrasse », explique-t-il. Le raconteur fou et fabuleux que l’on connaît s’épanouit à partir de cette mise à mort.

Le culte de l’instant présent

Délesté des « bottes Aigle bleues, pantalon de ciré blanc à bretelles Guy Cotten, débardeur marinière un rien Gaultier acheté au stand de la ville de Brest au Salon nautique 96, queue-de-pie en ciré jaune et boîte de sardines en guise de couvre-chef »[i] de Tablantec, Sébastien Barrier peut s’adonner à de nouvelles « célébrations » ou « cérémonies ». Il ne se compare pas pour rien à Johann Le Guillerm, dont toutes les recherches et les créations scéniques et plastiques participent depuis vingt ans au même projet Attraction : sans qu’il le rejette de manière aussi ferme que cet autre artiste qui fait partie de sa constellation, le terme de « spectacle » n’est pas tout à fait approprié pour décrire son travail. Savoir enfin qui nous buvons est en cela une forme de manifeste. Avec cette performance solo de sept ou huit heures – selon la forme – où il mêlait sur un mode épique des portraits de viticulteurs de vin nature et le récit d’aventures personnelles imprégnées du nectar adulé, Sébastien Barrier se plaçait hors-cadres. Il mettait en mots son désir d’embrasser le présent tout entier.

Dans cette première apparition post-Tablantec comme dans les suivantes, le verbe de l’artiste est semblable aux cuites qu’il décrit si bien : il a « quelque chose de l’ordre du rituel »[ii]. « La consolation n’était jamais très loin. Quoi de plus légitime que de se consoler ? Consolation, célébration, rituel. C’est beaucoup mieux que pathologie, perdition ou alcoolisme », écrit-il dans le livre cité plus tôt, écrit à partir du spectacle qu’il n’a jamais cessé de transformer pendant ses six ans de tournée. Le raconteur essaie divers remèdes, où l’humour cohabite toujours avec une part de cruauté. Souvent, Sébastien Barrier soigne le mal par le mal. Comme dans Chuncky Charcoal où, accompagné du musicien Nicolas Lafourest, il invente une mort affreuse et brutale à son Tablantec. Alors qu’il s’est défait de son marin tout en douceur, notamment au contact de la compagnie Le GdRA fondée par Christophe Rulhes et Julien Cassier avec qui travaille plusieurs années. « Avec eux je me suis ouvert à l’art contemporain, à la musique, à la danse et au travail d’enquête. Ils m’ont aidé à me sortir des ornières du théâtre de rue, qui est un milieu prompt à se moquer des auteurs, à tirer à boulets rouges sur tout ce qui n’est pas lui. J’avais envie d’autre chose ». D’autres célébrations.

En quête de la parole magique

Les fêtes verbales de Sébastien Barrier ne tournent pas toujours bien. Délicieuses, passionnantes pour qui y assiste, elles peuvent se retourner contre le maître de cérémonie. C’est qu’il s’y implique tout entier : dans une adresse directe au public, c’est de lui-même et de ses proches qu’il parle. C’est d’eux que, depuis vingt ans – c’était déjà le cas du temps de Tablantec –, il faut la matière vive, toujours changeante, de ses apparitions sur scène et ailleurs. Après avoir réussi à se débarrasser de son marin, dont la langue bien pendue lui a fait, dit-il, perdre quelques amis, le grand parleur s’est construit avec Savoir enfin qui nous buvons un autre cadre contraignant. Épuisant. « Ces sept heures de représentation, sur un sujet très intime, ont fini par m’essorer. J’ai eu besoin d’aller vers quelque chose de plus court, de plus léger », se rappelle Sébastien qui n’exclue toutefois pas de reprendre occasionnellement cette conférence-concert-dégustation – et bien d’autres choses encore –, « notamment pour les vieilles abonnées des théâtres, qui en auront peut-être besoin à l’issue de la période que nous vivons actuellement ! ».

En guise de remède à la fatigue causée par le marathonien Savoir enfin, Sébastien décide de s’adresse au jeune public. Il imagine Gus, dont le chat éponyme n’a rien des matous qui séduisent les minots. Ce héros à quatre pattes n’a ni le poil soyeux ni le goût du câlin : d’autant plus en quête d’amour qu’il est chassé de partout, l’animal est un nouveau masque derrière lequel Sébastien Barrier se cache à peine. « Gus est pour moi un tournant. Au moment de sa création, je sombre. C’est là que je me fais diagnostiquer ; désormais, je sais avec quelle maladie je dois composer », nous confie-t-il alors qu’il se prépare à une nouvelle cérémonie au titre éloquent : Ceux qui vont mieux, qui aurait dû voir le jour en novembre dernier.

Cette fois, l’artiste espère bien trouver une potion magique qui lui convienne autant qu’à ses spectateurs. En célébrant ses héros – son père, le poète Georges Perros, un curé inconnu et les deux musiciens du groupe de post-punk britannique Sleaford Mods – qui ont connu la mélancolie mais qui vont mieux aujourd’hui, l’artiste espère suivre leur exemple. Si elle le peine, la situation causée par la Covid ne désespère pas Sébastien Barrier, à qui « un seul spectateur suffit, pourvu qu’il soit pleinement présent ». Il imagine ainsi une version mobile de Ceux qui vont mieux, capable de faire la tournée des bars. Une belle preuve d’optimisme à l’heure qu’il est !

Anaïs Heluin – ww.sceneweb.fr

[i] La description est issue de « Savoir enfin qui nous buvons », Actes Sud, 2016.