Lionel Messi, nouvel ambassadeur qatari …

Cette Une provocatrice de Charlie Hebdo vise à dénoncer le financement des Talibans par le Qatar. Le message étant : chaque fois que vous achetez une maillot de Lionel Messi, vous contribuez indirectement à la prospérité des Talibans, qui viennent de reprendre le contrôle de l’Afghanistan. Pendant qu’on applaudit le PSG, on oublie un peu que le Qatar est un régime autoritaire, dirigé par un émir, et non une démocratie …

« Le Qatar finance les Talibans, mais on peut leur pardonner, ils ont acheté Messi » …

Une chronique de RMC diffusée le 16 août 2021 . Durée : 1’09 »

Qui finance les talibans ? Comment ont-ils construit leur richesse ?

Une chronique de RMC diffusée le 18 août 2021 . Durée : 5’22 »

 


Messi au PSG, entre fascination et écœurement

En recrutant Lionel Messi, le Paris Saint-Germain passe en force et poursuit la fuite en avant du football professionnel européen.

La « fenêtre des transferts » de l’été 2021 restera comme celle que le PSG aura allègrement défoncée. Une fenêtre d’opportunité ouverte par la crise qui fragilise les clubs les plus riches, par l’assouplissement du fair-play financier de l’UEFA, et par la position politique avantageuse conquise par le Qatar depuis le fiasco de la Super Ligue.

Les dirigeants parisiens renouent ainsi avec la tactique du passage en force déjà mise en œuvre en 2017 avec les transferts de Kylian Mbappé et Neymar Jr. L’opération a quelque chose d’un bras d’honneur adressé à l’Europe du football (« Rattrape-moi si tu peux ») et suscite un mélange de fascination et d’écœurement.

La frénésie  médiatique, en France et au-delà, atteste le succès de l’opération, du moins sur l’un des volets de la stratégie du Qatar autour du PSG : l’obtention de visibilité et de notoriété au profit de l’émirat. Quitte à faire apparaître, plus que jamais, le club comme un instrument de sa diplomatie, et à achever sa transformation en « franchise sportive internationale ».


image PSG

LA « MARQUE PSG » ACQUIERT LA « MARQUE MESSI »

Mais Messi est une « légende du football » et il faudrait être un fameux gâte-sauce pour dénigrer l’enthousiasme qui confine à l’infantilisme, les chiffres invoqués avec une touche de ferveur, la vulgate marketing, les files d’attente un peu pathétiques devant les boutiques officielles, la bousculade des médias pour relayer la com du club, l’absence de toute perspective critique…

La « marque PSG » acquiert la « marque Messi », et c’est un spectacle en soi. Ici s’exerce à plein la « magie » du football contemporain, dont l’industrie du spectacle mondialisée repose sur les superstars et les superclubs. Le football d’après (d’après l’épidémie, d’après l’échec de la Super Ligue) ressemble furieusement au football d’avant.

Rien ne vient enrayer la fuite en avant incarnée par Paris – ou par Manchester City avec le transfert de Jack Grealish pour près de 120 millions d’euros (en attendant celui de Harry Kane pour encore plus ?). L’engagement parisien de réaliser 180 millions d’euros de ventes sur le mercato s’apparente à un autre pied de nez, à moins de céder Mbappé.

Pouvoir investir à fonds perdu apparaît plus que jamais comme la clé de la réussite. Mais est-ce celle de la réussite sportive ? L’arrivée hollywoodienne de Messi semble éclipser toute considération de cet ordre, comme si l’empilement de joueurs exceptionnels était une fin en soi et une assurance de succès – malgré le cuisant rappel du contraire par l’échec de l’équipe de France à l’Euro.

Messi s’ajoute, dans l’effectif parisien, à la liste des joueurs qu’on dit « capables de faire la différence à eux seuls ». Les plus anxieux des supporters parisiens s’inquiéteront que ce grand marcheur sera encore plus exempté de tâches défensives que ses nouveaux compères en attaque. Pour atteindre l’objectif de la Ligue des champions, le problème reste le même : comment faire une équipe de cette constellation ?

DE SOMPTUEUX JOUETS DANS LA VITRINE

En près de dix ans, les dirigeants parisiens n’auront que sporadiquement fait mine de renoncer à leur politique du casting pour privilégier un véritable projet sportif. Cette fois, ils semblent vouloir la pousser à une extrémité : ça passera, fût-ce en force. On en oublierait que cette délirante accumulation de joueurs revient à en envoyer sur le banc qui seraient titulaires dans de grands clubs.

Si le PSG a aussi profité de l’été pour se renforcer à des postes-clés et rééquilibrer son effectif (Georginio Wijnaldum, Achraf Hakimi), les arrivées de Sergio Ramos et Lionel Messi, voire celle de Gianluigi Donnarumma à un poste déjà bien pourvu avec Keylor Navas, suggèrent que les Qataris cèdent encore à leur désir d’aligner de somptueux jouets dans leur vitrine.

Cette gouvernance ambiguë laisse toujours autant de doutes quant au pouvoir laissé à l’entraîneur – plus que jamais contraint de gérer les ego, voire de leur sacrifier ses idées de jeu. L’épreuve du terrain viendra, et elle sera d’autant plus périlleuse que l’échec sera moins permis que jamais.

Pour échapper au sentiment que tout cela est un peu absurde et triste, on pourrait arguer que la Ligue 1 profitera de cette exposition. Dans le championnat de France comme ailleurs, la théorie du ruissellement a pourtant du plomb dans l’aile : plongés dans la crise, les clubs français savent que le PSG est une « locomotive » qui a décroché ses wagons.

L’arrivée de Messi revalorise les droits détenus par Amazon et Canal+, les recettes de billetterie et la visibilité internationale de la L1 en profiteront, mais le déséquilibre compétitif de celle-ci ne risque pas d’être corrigé – malgré la tendance historique du PSG à laisser filer des titres nationaux.

PLUS QUE DES CLUBS, DE MOINS EN MOINS DES CLUBS

La tonalité servile du communiqué de la Ligue du football professionnel imprègne beaucoup d’autres commentaires. Elle montre que le football français s’inscrit bien dans un rapport de vassalité avec le PSG et ses propriétaires. De ces derniers, on souligne peu qu’ils ont aussi conquis le pouvoir politique au sein du football français et européen.

Nasser Al-Khelaïfi : président du PSG, de BeIN Media Group et de l’Association des clubs européens (ECA) ; membre du Comité exécutif de l’UEFA et du Conseil d’administration de la LFP ; ministre sans portefeuille du Qatar. Adoubé chevalier blanc depuis le refus du PSG de participer à la Super Ligue.

« Le PSG tient la meilleure équipe du monde aujourd’hui. C’est extrêmement positif aussi pour l’ensemble du foot français ainsi que pour sa valorisation. 2022 devrait être une année historique pour le Qatar avec la Coupe du monde et cette équipe qui ressemble en attaque aux Harlem Globetrotters. »

Michel Denisot a tout résumé. Une « meilleure équipe du monde » qui n’a encore joué aucun match, comparée à une équipe de sport-exhibition, et mise au service de la politique extérieure du Qatar. Il y voit même une « apothéose dans l’histoire du PSG » – mieux que toute ligne au palmarès, donc. Et c’est probablement juste, aujourd’hui.

La devise du FC Barcelone « Plus qu’un club » s’applique à tous les clubs hyperriches, à condition de la traduire ainsi : ils sont de plus en plus des entreprises de divertissement mondiales, et de moins en moins des clubs. Leurs supporters résistent en continuant à les vivre comme des clubs, mais ils ne représentent plus qu’une fraction du public, un élément de décor voire de langage.

Ceux du PSG se jettent pourtant dans le piège, les autres peuvent jalouser ou fulminer, ils n’y peuvent rien. Le piège fonctionne parce qu’on s’y laisse prendre. Parce qu’on se prendra au plaisir de voir jouer Messi « chez soi », parce que le spectacle sera excitant. La légende est là, qu’importe le tableau.


Lionel Messi, ambassadeur qatari

Un article de Vincent Brousseau-Pouliot publié dans La Presse

PHOTO AFP

« Més que un club ». C’est la devise du FC Barcelone, le mythique club de foot, puissant symbole du nationalisme catalan, de la résistance à la dictature de Franco à aujourd’hui. Un club détenu par ses partisans, les « socios », qui votent pour élire sa direction.

Jusqu’à la semaine dernière, c’était le club de Lionel Messi, meilleur joueur de sa génération, qui joue au Barça depuis l’âge de 13 ans.

Mais le meilleur joueur au monde vient de quitter son club. À regret. Le Barça a beau être l’équipe la plus riche au monde (valeur de 4,76 milliards US, selon Forbes), il est tellement endetté que la ligue espagnole n’a pas approuvé le nouveau contrat de Messi.

Léo Messi a donc signé au PSG, l’un des rares, sinon le seul club qui pouvait se payer son salaire de 35 millions d’euros nets (après impôts) par an.

Le PSG, c’est aussi « més que un club ». Mais pas dans le même sens qu’à Barcelone. Le Qatar a acheté le PSG en 2011 pour les affaires, mais aussi pour avoir une vitrine publicitaire et accroître sa sphère d’influence partout dans le monde. Le foot comme un outil diplomatique, quoi.

Pendant qu’on applaudit le PSG, on oublie un peu que le Qatar est un régime autoritaire, dirigé par un émir, et non une démocratie (1). Que les droits de la personne y sont quasi inexistants. Qu’on vient de rétablir la peine de mort. Que les conditions de travail et de vie des deux millions de travailleurs migrants sont vivement dénoncées par les ONG.

Et à un an de sa Coupe du monde au Qatar, obtenue dans la controverse – le pays aurait acheté des votes, selon la justice américaine –, le Qatar se paie le meilleur joueur de foot au monde. Ce sera d’ailleurs la Coupe du monde de la démesure, au coût de plus de 200 milliards en comptant toutes les dépenses d’infrastructures.

Lionel Messi a le droit de jouer au foot où il veut. Mais qu’on ne se conte pas d’histoires : au PSG, il jouera aussi comme ambassadeur pour le Qatar.

(1) Dans son rapport annuel sur les démocraties en 2020, le magazine The Economist classe le Qatar au 126e rang sur 167 pays, avec un indice démographique de 3,24 sur 10. Le Qatar est ainsi dans la catégorie des régimes autoritaires.