Déjà annulé en 2020, le festival international de théâtre de rue d’Aurillac voulait accueillir cet été une dizaine de compagnies et 80 de passage entre le 12 et le 21 août « dans des lieux clos, contrôlables et répondant aux protocoles sanitaires et sécuritaires« . Le Préfet vient finalement de l’interdire ! S’en suit un mouvement de contestation radical et pacifique « La déclaration de Saint-Amand » …
« Nous, compagnies de rue, organisateurs-trices, auteurs-trices, artistes de rue, publics et volontaires réunis en ce lundi 12 juillet à Saint-Amand de Coly lors du festival « Saint-Amand fait son intéressant !» déclarons :
À la lecture du communiqué de l’association Eclat du 12 juillet 2021 annonçant l’annulation définitive d’« ECLAT- les rencontres » pour des raisons liées au maintien de la sécurité et de l’ordre public à Aurillac
Sachant que le « Festival international de Théâtre de rue d’Aurillac » édition 2021 (comme celle de 2020) avait été annoncée, dès le mois de février de cette année, comme reportée en 2022 dans sa formule historique pour des raisons sanitaires.
Sachant qu’une formule originale du type « rencontres artistiques professionnelles», étalées sur deux week-end (12, 13,14 et 19,20 21 aout), cadrées dans des conditions techniques exigeantes et adaptées à la situation sanitaire et sécuritaire avaient été formulées et proposées par la direction de l’association Eclat depuis plusieurs semaines.
Sachant que cette proposition réunissant l’actualité internationale de près de 200 projets de créations dédiés à la rue permettait de sauver une partie de notre secteur artistique professionnel, qui depuis maintenant plus de 18 mois n’a eu que très peu l’occasion de se présenter au public.
Sachant que nos manifestations artistiques représentent une culture particulière « ouverte » à chacun d’entre nous et qu’elles réunissent en extérieur des milliers de spectatrices et spectateurs, toutes générations confondues, qui viennent se ressourcer artistiquement et socialement depuis des dizaines d’années.
Sachant que c’est un choix nécessaire fait par des individus qui ont le droit de pratiquer ces rituels urbains au même titre que d’autres !
Sachant que ces « rencontres » viennent d’être rejetées par les autorités préfectorales et municipales.
Nous disons aujourd’hui : « Merdre » ! Ça suffit ! Ça va chier !
Ainsi,
Nous rappelons ici que l’aventure du « théâtre de rue » d’Aurillac est historiquement entre les mains des artistes de ce secteur !
Nous dénonçons un choix liberticide insufflé par la préfecture et adopté par les élus locaux auquel se soumet le conseil d’administration de l’association Éclat !
Nous demandons des explications politiques à cette destruction culturelle qui marque un pas supplémentaire dans la déshumanisation de notre pays et un retour manifeste de la censure !
Mettre un terme quelques 30 jours avant la réalisation de ces rencontres populaires est un scandale culturel, économique et éthique, bon nombre de compagnies se sont déjà endettées pour venir à Aurillac jouer cette année et risquent de ne jamais s’en remettre!
Nous appelons à un mouvement de contestation radical et pacifique pour que s’entendent les souffrances occasionnées par tant de malveillance autoritaire, tout autant que nos désirs inébranlables de créer, de jouer nos poèmes, de faire raisonner nos œuvres, nos alertes dans les rues et les places de nos villes !
Assez d’autoritarismes despotiques ! Assez de mépris pour les arts populaires et engagés, assez de haine envers les différences !
Nous allons nous occuper d’Aurillac,
Ceci est un appel citoyen pour la défense de nos libertés !
Aurillac Zone Artistique à Défendre.
Caty Avram – metteuse en scène
Bruno de Beaufort – directeur du CNAREP Sur le Pont
Pierre Berthelot – metteur en scène
Sylvie Berthelot-Roulland – adjointe à la mairie de Coly-Saint Amand-Coly Barthélémy Bompard – metteur en scène
Xavier Ferreira De Lima – régisseur général
Jean-Paul Dumas – chargé de mission
Frédéric Durnerin – directeur de l’Agora Boulazac-Pôle National Cirque Chantal Gibert – journaliste
Pascal Le Guennec – saltimbanque
Thierry Joussin– Directeur artistique
Valentin Hirondelle – créateur de machines de spectacle
Mathilde Idelot – administratrice de tournée
Vincent Joffroy – maire de Coly-Saint Amand – Coly
Cyril Lévi-Provençal – comédien
Bernard Llopis – comédien
Alain Monteil
Jérôme Plaza – Directeur Technique
Christophe Paris – accompagnateur de compagnies
Jérôme Paris-Marty – accompagnateur de compagnies
Michel Polacco – journaliste
Nadège Prugnard – Autrice/metteuse en scène
Maïa Ricaud – responsable de compagnie/comédienne
Bastien Salanson – clown forain
Patrick Singh – dessinateur
Jean Marie Songy – directeur de Furies et du Pôle National Cirque « le Palc »
Les compagnies et organisateurs :
Batist’art
Festival Brik à Brak
Générik Vapeur
Kumulus
Le Piston Errant
Mimo Tuga
Magma Performing
Les Chiennes Nationales
Les Bart’Apach
Pour signer la pétition en ligne, c’est par ici …
Coup dur pour les organisateurs du festival de théâtre de rue d’Aurillac (Cantal) qui doivent annuler leur rendez-vous intermédiaire en août
Publié dans La Montagne du 12/07/2021
Les mesures prises par l’association Eclat pour son événement du mois d’août n’auront pas suffit à rassurer les autorités préfectorales : Eclat – les rencontres n’aura pas lieu comme imaginé. © louis fayet
Miser sur de « grandes retrouvailles » en 2022 est plus que jamais d’actualité, et désormais la perspective vers laquelle se tourne l’association Éclat, organisatrice du festival international de théâtre de rue d’Aurillac.
Le rendez-vous intermédiaire qu’elle avait imaginé et bâti depuis plusieurs mois, intitulé Éclat – les rencontres, a été retoqué par les autorités préfectorales. Un événement « limité et transitoire qui devait permettre à certaines compagnies, officielles et de passage, de rencontrer un public professionnel et local. Étalée dans le temps, étendue géographiquement, la manifestation Éclat – les rencontres s’articulait entre le 12 et le 21 août 2021, autour de deux rendez-vous distincts dédiés aux créations de 2020 et 2021 », précise un communiqué de l’association Éclat, présidée par Frédéric Rémy depuis 2019.
« Les grandes retrouvailles, ce sera en 2022 » (article de février 2021)
Assurer une visibilité aux compagnies
En ligne de mire, pour l’association : rendre visibles les créations de compagnies et assurer la diffusion de ces spectacles « dans la continuité des missions qui sont les nôtres : celles d’un centre national des Arts de la rue et de l’espace public ».En 2020, Gildas Puget avait été le seul artiste à se produire à Aurillac, devant un public en partie masqué. Photo Jeremie Fulleringer
Changement de codes et changement de façon d’accueillir leur public : Eclat – les rencontres avait formulé une proposition de manifestation autour de « deux rendez-vous, d’une durée de trois jours, qui rassemblerait une dizaine de compagnies programmées et 80 compagnies de passage dans des lieux clos, contrôlables et répondant aux protocoles sanitaires et sécuritaires. »
« Cela devait être dans des cours d’école, des parcs : des espaces en plein air, mais qu’on clôturait, qu’on fermait avec des accès limités et des jauges bien définies, des protocoles d’entrée » Frédéric Rémy (directeur d’Éclat)
Des précautions et égards pris en réaction à ce que l’association avait déjà vécu, l’an dernier : « On se disait que le festival, dans sa forme originelle, ça allait être très compliqué. On a été l’un des premiers, si ce n’est le premier à annoncer l’annulation et le report à l’année suivante pour les grandes retrouvailles ; mais on imaginait autre chose. Et on n’a pas l’autorisation pour cet « autre chose » parce que les gens se sont référés à ce que génère le festival et pas à ce nouveau rendez-vous qui aurait généré, à la faveur d’une communication différente, par des cibles différentes et des explications, une fréquentation moindre. Ça, on n’a pas réussi à en faire prendre conscience aux autorités », souligne Frédéric Rémy.
Une proposition adaptée, mais…
Malgré un dispositif adapté aux contraintes actuelles, « les autorités préfectorales nous ont indiqué qu’elles ne pouvaient pas autoriser la tenue de cette manifestation en l’état, pour des raisons liées au maintien de la sécurité et de l’ordre public à Aurillac, renforcées par une situation sanitaire de nouveau préoccupante », indique le communiqué rédigé par Éclat.
La compagnie Dis bonjour à la dame : édition 2019.
Les organisateurs du premier rendez-vous international des arts de la rue ont donc pris leur décision :
La manifestation Éclat – les rencontres, telle que nous l’avions imaginée se trouve par conséquent annulée.
Des concessions infructueuses
« On est extrêmement déçu, à Éclat : on s’est battu comme des fous pour que ça ait lieu. Agir contre-nature et se dire qu’on quitte l’espace public pour des espaces clos, c’est compliqué. Mais ce qu’on proposait permettait à des compagnies de montrer leurs créations au public et aux professionnels. On sait qu’Aurillac est un endroit de visibilité pour préparer les années suivantes. Cet espace-là n’aura pas lieu. Et pour les compagnies, avec qui on est en contact, c’est dramatique », commente, amer, Frédéric Rémy.
Le Grand colossal théâtre : édition 2019.
Déception et soulagement
Une déception partagée avec le maire (PS) d’Aurillac, Pierre Mathonier. Mais une déception chez lequel vient aussi poindre un autre sentiment.
« Je suis très déçu que la manifestation n’ait pas lieu et en même temps je suis soulagé. Parce que je pense que malgré le professionnalisme de l’équipe d’Éclat, qui n’est pas mis en cause, les conditions particulières du festival de théâtre de rue, notamment sanitaires, qui font qu’il y a beaucoup de camping sauvage et que c’est un sujet où l’hygiène n’est pas nécessairement respectée, et avec le variant Delta qui explose, il y avait des risques ! Je suis soulagé vis-à-vis de la population. Mais déçu pour les artistes. J’espère que l’année prochaine on pourra faire un vrai festival, qui retrouvera ses marques de fabrique, son ADN ». Pierre Mathonier (maire d’Aurillac)
Une marque de fabrique qui repose essentiellement sur « la grande liberté dans la ville : la ville est ouverte aux arts de la rue, l’espace public est disponible et on remet, symboliquement, les clés aux artistes pour qu’ils l’occupent et en fassent un espace d’imagination et d’imaginaire dont on a besoin, et encore plus maintenant. Mais on ne pouvait pas prendre le risque d’être coupables. Tout le monde a considéré que c’était un moment crucial de responsabilités. »
Mais il y aura 2022. Ce ne sont pas les arts de la rue qui sont arrêtés ! Le contexte particulier de cette année nous empêche seulement de satisfaire au caractère libre de cette manifestation.
En regardant 2022… et « champ libre » avant ça !
Des représentations sur le territoire cantalien auront toutefois lieu, cette année 2021, à l’image de ce qui avait été proposé l’été dernier, grâce à la tournée départementale « Champ Libre ».
Celle-ci se déroulera du 12 au 21 août dans vingt-deux communes du Cantal, à la manière des Préalables, bien connus des festivaliers cantaliens, ainsi que trois rendez-vous plus volontiers professionnels du 19 au 21 août, à Aurillac : « Le panorama de la FAI-AR, la diffusion des créations des lauréats du dispositif Auteurs d’Espaces de la SACD (2020 et 2021) et la présentation de projets de création 2022/2023 en lien avec ARTCENA », détaille Frédéric Rémy, pour qui la préoccupation demeure « de construire posément, mais avec énergie et détermination la prochaine édition du Festival en 2022 et les suivantes ». Mr Robert, de Macadam Vacher avait pris les routes du Cantal, en aout dernier avec sa vache Holà.
La réaction de Serge Castel, préfet du Cantal :
« Je comprends la déception des organisateurs, qui pour la deuxième année consécutive se trouvent dans l’obligation de s’adapter aux contraintes sanitaires et de revoir le format initial du festival. Dans le contexte de crise sanitaire, l’annonce faite par l’association en février 2021 remplaçant le Festival dans sa forme habituelle par des rencontres professionnelles pouvait paraître compatible avec les impératifs de sécurité sanitaire, de sécurité publique et d’ordre public. Mi-mai 2021, l’organisateur m’a informé vouloir élargir ces rencontres au grand public, en les organisant sur 11 jours, dont deux week-ends consécutifs, ce qui était de nature à modifier fondamentalement la fréquentation et le format du festival initialement annoncé en février 2021. Depuis, un premier dossier a été transmis en préfecture le 24 juin 2021, prenant insuffisamment en compte les impératifs sanitaires et de sécurité publique, notamment sous les aspects Vigipirate – alerte attentats toujours en vigueur. De fait, j’ai informé par courrier du 5 juillet 2021 l’association que je ne pouvais donner une suite favorable à la tenue de sa manifestation en l’état. »
Il poursuit : « Pour mémoire, elle consistait à organiser plus d’une centaine de représentations sur deux week-ends, avec des spectacles champ libre en semaine entre les deux week-ends, dans un contexte estival de très forte fréquentation touristique. Par la suite, lors d’une réunion entre le directeur d’Éclat, le maire d’Aurillac et moi-même, qui s’est tenue le 8 juillet 2021, l’organisateur a fait part de sa décision de revenir à un programme plus resserré, refusant ma proposition et celle du maire d’Aurillac de limiter l’organisation des spectacles grand public sur trois jours en format réduit, en fin de semaine, afin de pouvoir maîtriser l’affluence générée par les spectacles. Avec mes services, nous restons en lien étroit avec Éclat et la mairie d’Aurillac, pour que cet événement culturel puisse se dérouler dans les meilleures conditions et dans le respect des mesures sanitaires en vigueur au moment des spectacles. »
AURILLAC, DE LA RUE À L’IMPASSE
Un communiqué de La Fédération Nationale des Arts de la Rue daté du 16 juillet 2021
« Depuis le début de la pandémie et l’apparition des premières mesures de restriction en mars 2020, la Fédération Nationale des Arts de la Rue n’a cessé de militer pour que les festivals et événements dans l’espace public puissent avoir lieu.
Depuis le début de la pandémie, les différents paramètres et circonstances nous ont prouvé que la tenue d’un événement repose principalement sur une chose : la volonté. Des équipes d’organisation décidées ; des directeur.trices techniques au fait des textes de lois, décrets et autres, en mesure de négocier au mieux avec les préfets ; des artistes tout aussi décidé.e.s à accepter des règles sanitaires et à s’adapter au mieux à cette situation extra-ordinaire ; une audience motivée à retrouver du spectacle et des Maires et des équipes municipales volontaires… Pour peu qu’un de ces rouages soit défaillant, c’est toute la pugnacité et la patience dont il faudrait faire preuve qui s’étiolent. Sans cette volonté commune, le projet n’a aucune chance d’aboutir.
Durant de longs mois, nous n’avons rien lâché, et ce malgré les aberrations parfois imposées dans le cadre de la situation sanitaire. Aujourd’hui encore, la mise en place d’un pass sanitaire y compris en extérieur met en péril nos événements en nous coupant de l’essence même des arts de la rue : l’ouverture à tous les publics.
Les décisions arbitraires de certains ne doivent pas pénaliser le travail et la volonté d’un collectif. Nous avons besoin de préfets soucieux d’accompagner plutôt que d’interdire ! C’est d’ailleurs la position officielle assumée par les services du ministère de la Culture… Et pourtant…
Le festival d’Aurillac 2021 est annulé. C’est là une décision du Préfet du Cantal, qui met un terme aux espoirs de compagnies d’artistes qui espéraient montrer leurs créations et retrouver la convivialité et la fraternité qui y étaient liées. La Fédération est profondément attristée de vivre une deuxième année consécutive sans ce rendez-vous très particulier des arts de la rue.
Aurillac. La ville qui a vu naître le festival en 1986 et qui l’a vu grandir au fil des années…
Aurillac. La ville qui aujourd’hui, ne serait plus en mesure de supporter l’ampleur qu’a pris le festival ?
Nous ne voulons pas nous laisser abattre. Si le festival d’Aurillac porte le nom de la ville où il se déroule, ce n’est pas ce qui en fait son ADN. Ce sont les artistes et une programmation ouverte à tout.es qui ont fait du festival d’Aurillac ce qu’il est aujourd’hui et ce sont ces deux paramètres qui feront le festival de demain, qu’il se tienne à Aurillac ou pas.
La déclaration de Saint-Amand publiée le 12 juillet lance un appel citoyen pour la défense de nos libertés, au travers d’un mouvement de contestation radical et pacifique : l’occupation d’Aurillac. Un appel du cœur, pour protester contre la destruction culturelle qui s’amplifie chaque jour dans notre pays, au travers d’une censure et d’un mépris pour les arts populaires. La Fédération, en tant que représentante d’un secteur professionnel, conjointement à cet appel, souhaite lancer une réflexion de fond. Si nous ne sommes plus les bienvenu.e.s à Aurillac, peut-être faut-il envisager de trouver une ville plus accueillante et plus adaptée pour nous accueillir et présenter nos spectacles. C’est une piste à laquelle nous réfléchissons, et peut-être y en a-t-il d’autres ? Osons bouger les lignes en allant voir ailleurs et faisons notre festival, ailleurs qu’à Aurillac ?
L’heure est aux propositions. Réfléchissons ensemble à l’avenir du festival. Sortons de cette crise la tête haute, avec des idées nouvelles… Rendez-vous le 21 juillet à Chalon dans la rue ! La Fédération Nationale des Arts de la Rue »
La réaction de Gildas Puget
au Communiqué de La Fédé :
« Je trouve cela extrêmement grossier de la part de la fédé vis-à-vis de l’équipe d’éclat, les bras m’en tombent ! »
Fred Rémy se coltine le covid. Il a bataillé, bien sûr, il est avec nous, d’évidence, puisqu’il est des nôtres ! Il doit enrager de pouvoir faire Mulhouse et non Aurillac.
Chtou
Capitaine de l’espace artistique de Qualité Street
www.qualitestreet.com
Carnet de route
Annulation du festival d’Aurillac : quand le contrôle sécuritaire prend le pas sur l’imaginaire
Le plus grand festival français des arts de la rue est annulé, un mois à peine avant son lancement, pour des raisons sécuritaires, et non d’abord sanitaires. Une décision qui provoque tristesse et lassitude, certains artistes y voyant une discrimination rampante et l’envie d’en finir avec le spectacle de rue.
En février dernier, Éclat – Centre national des arts de la rue et de l’espace public (CNAREP) à Aurillac, qui organise le plus grand festival français pour les arts de la rue chaque année en août, annonçait le report de l’édition en 2022, tout en maintenant néanmoins deux rendez-vous intermédiaires, de trois jours chacun (12-14 août et 19-21 août), rassemblant « une dizaine de compagnies programmées et 80 compagnies de passage dans des lieux clos, contrôlables et répondant aux protocoles sanitaires et sécuritaires ».
Le maintien de la sécurité et de l’ordre public
Ce lundi 12 juillet, avant même l’intervention d’Emmanuel Macron, Éclat a annoncé que ces deux micro-festivals étaient finalement annulés. Dans un communiqué, le CNAREP explique que, en dépit de deux propositions, « les autorités préfectorales ont indiqué qu’elles ne pouvaient pas autoriser la tenue de cette manifestation en l’état, pour des raisons liées au maintien de la sécurité et de l’ordre public à Aurillac, renforcées par une situation sanitaire de nouveau préoccupante. »
Les raisons invoquées dans ce communiqué d’Éclat sont la sécurité et l’ordre public, que viennent simplement renforcer la situation sanitaire préoccupante. Pour l’autrice et metteure en scène Nadège Prugnard, familière de l’événement auquel elle a participé de nombreuses fois, « c’est honteux ». « Il n’y a même pas eu d’arrêté préfectoral, explique-t-elle. L’argument de la préfecture n’est pas lié à la pandémie, mais à des raisons sécuritaires. Les arts de la rue rassemblent tous les milieux sociaux ; ce n’est pas un art bourgeois. La préfecture ne veut tout simplement pas de certaines populations. »
À la suite de cette nouvelle annulation, une trentaine d’artistes et de personnalités alors réunis dans le petit village de Saint-Amand-de-Coly où se tenait un festival des arts de la rue ont aussitôt réagi pour faire part de leur tristesse, de leur colère. Outre Nadège Prugnard, ont signé cette déclaration, Bruno de Beaufort, directeur du CNAREP Sur le Pont, Vincent Geoffroid, maire de Coly-Saint-Amand, ou encore Jean-Marie Songy, qui dirige le festival Furies à Châlons-en-Champagne après avoir été à la tête de celui d’Aurillac pendant près d’un quart de siècle (1994-2018). La déclaration de Saint-Amand dénonce « un choix liberticide insufflé par la préfecture et adopté par les élus locaux auquel se soumet le conseil d’administration de l’association Éclat« .
Une attaque contre l’essence même des arts de rue
Qu’est-ce qui motive la décision préfectorale ? Quel est ce danger sécuritaire dont il est question ? Depuis les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, la France vit sous un régime d’état d’urgence sécuritaire quasi permanent. Depuis le 5 mars dernier, l’ensemble du territoire national a toutefois été placé au niveau de « risque attentat » (niveau 2 du plan Vigipirate) et non plus à celui d’« urgence attentat » (niveau 3, le plus élevé), signe d’un affaiblissement de la menace. Comment expliquer dès lors ce relâchement et, dans le même temps, l’interdiction préfectorale, dès lors que la situation sanitaire n’est pas l’enjeu central, mais une variable ?
Cela tient peut-être à la nature même des arts de rue. « Cet événement est très particulier, parce qu’il a été fondé sur l’idée que le spectacle de rue est un art qui se pratique de façon presque spontanée, rappelle Jean-Marie Songy. Quand on a inventé ce festival, on a montré qu’on ne peut pas interdire des artistes de jouer dans la rue. Cet événement s’est construit sur cette base-là. Au départ, la sélection officielle était la plus importante. Mais la part des compagnies de passage a débordé la part officielle, de sorte que c’est devenu un festival de rue très ouvert, accessible à tous, sans contrepartie financière directe… »
Mais le problème, pour l’ancien directeur du festival d’Aurillac, c’est que le théâtre de rue jouit encore d’une mauvaise image, alors même que tout s’est assagi depuis longtemps. « Le théâtre de rue est un art du détournement poétique de la ville, confirme-t-il. On utilise la ville, on est dans la cité, dans un endroit entre l’agora et l’espace partagé. C’est un art un peu perturbant dans la vie quotidienne. Ce que les autorités voient dans cette manifestation, encore aujourd’hui, c’est avant tout de la délinquance, de la dégradation, de la transgression esthétique. »
Une discrimination rampante contre une partie de la population
D’où vient cette image dégradée, alors que le festival s’est assagi au fil du temps, au dire de son ancien directeur ? Nadège Prugnard et Jean-Marie Songy avance une même réponse : le public est non seulement plus jeune que pour les autres arts du spectacle vivant, mais il rassemble par ailleurs des milieux sociaux extrêmement différents.
« Ce que je trouve bien, et c’est peut-être ça qui fait peur aux autorités, c’est un art qui est pratiqué par des jeunes et qui est vu par des jeunes. C’est en cela que je pense qu’il y a une discrimination un peu rampante, que personne ne veut admettre à voix haute, se risque Jean-Marie Songy. Selon moi, c’est condamner une partie de la population. Nous sommes très inquiets, parce que nous avons l’impression que ce qui est dans le collimateur, c’est notre manière de nous réunir pour dire des choses dans l’espace public. C’est un art de la controverse, de la contestation, de la remise en cause de la bonne morale et des bien-pensants. »
Le public du spectacle de rue ne fréquente pas les hôtels, faute de moyens financiers. Il investit les campings, parfois même la campagne environnante. « Selon moi, c’est condamner une partie de la population, insiste l’ancien directeur du festival d’Aurillac. Ce qu’on nous fait que comprendre par des décisions soudaines et arbitraires, c’est que si ça pouvait disparaître, ce serait bien. C’est tout simplement l’industrie du contrôle qui prend le pas sur l’imaginaire. »
Un constat que partage Pierre Berthelot, directeur de la compagnie Générik Vapeur, une institution dans le secteur des arts de la rue qui fêtera son quarantième anniversaire dans trois ans. « Nous avons pris le truc en plein vol ! Je suis dépité… c’est le mot : dépité, déplore-t-il. Mon sentiment, c’est que les arts de la rue sont totalement stigmatisés. Aurillac a toujours été un endroit de liberté d’expression. On a simplement le sentiment qu’ils veulent supprimer le festival, ni plus ni moins. »
Tristesse et lassitude
À les écouter, ce n’est pas tant la colère que la tristesse et la lassitude qui dominent. Celle d’un milieu qui doit faire face depuis six ans à de lourdes mesures sécuritaires liées au plan Vigipirate au lendemain des différents attentats et qui tente continuellement, tant bien que mal, de s’adapter. « Nous sommes habitués aux difficultés ; nous sommes rodés à affronter des imprévus et des obstacles, ne serait-ce que les conditions météorologiques, confirme Pierre Berthelot. Je me demande à quel point ils réalisent qu’annuler un mois avant, c’est très dur pour les compagnies qui ont énormément investi. C’est d’un mépris total. »
À moins de trente jours du festival, ce sont effectivement des dizaines de compagnies qui risquent de se retrouver endettées par cette décision. À l’instar du festival Off d’Avignon, en grande souffrance ces jours-ci, de nombreux artistes investissent sur leurs fonds propres pour venir jouer à Aurillac. Les signataires de la déclaration de Saint-Amand évoquent tour à tour les « autoritarismes despotiques », le « mépris pour les arts populaires et engagés » et la « haine envers les différences ».
Quelle réaction ?
Tristesse, lassitude, mais aucune résignation pour autant. Pour Nadège Prugnard, une réaction est une nécessité. « Comment veux-tu que le festival de rue se relève après ça ?, s’insurge-t-elle. C’est tragique ce qui est en train de se passer. »
« Nous disons aujourd’hui “merdre” ! Ça suffit ! Ça va chier !, écrivent les signataires de la déclaration de Saint-Amand. Nous appelons à un mouvement de contestation radical et pacifique pour que s’entendent les souffrances occasionnées par tant de malveillance autoritaire, tout autant que nos désirs inébranlables de créer, de jouer nos poèmes, de faire raisonner nos œuvres, nos alertes dans les rues et les places de nos villes ! » Et de conclure : « Nous allons nous occuper d’Aurillac. Ceci est un appel citoyen pour la défense de nos libertés ! »
Cet appel citoyen ne s’affiche pas explicitement comme un appel à la désobéissance civile. « Les mots sont pesés : on veut des explications et des garanties, confirme Jean-Marie Songy. La déclaration de Saint-Amand-de-Coly est une alerte vive et engagée : ce n’est pas possible que cette manifestation n’ait pas lieu, même sous forme réduite. Mais il n’y a pas d’appel à la désobéissance civile. Nous invitons seulement à se réunir pour en discuter et envisager notre avenir, et non pour en découdre avec qui que ce soit. »
Que ce soit pour un symposium ou une manifestation singeant un enterrement, rendez-vous est donc fixé à Aurillac cet été – quoi qu’il en coûte, pourrait-on conclure.
2 réponses sur “« La Déclaration de Saint-Amand » pour le théâtre de rue à Aurillac …”
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