Au Chili, Irací Hassler devient la première communiste à diriger Santiago

Dans ce Chili en pleine effervescence politique et sociale, le Parti communiste incarne le changement. Irací Hassler, la nouvelle maire féministe de Santiago est devenue à 30 ans  la première maire communiste à diriger la capitale chilienne. Au moment de prêter serment, maquillée et les yeux souriants, Iraci a levé le poing gauche. À son poignet pendait l’écharpe verte des féministes. Elle s’est tournée vers le public et a lancé : « Oui, je le promets, au nom du peuple. »

Au Chili, Irací Hassler devient la première communiste à diriger Santiago

Par Yasna Mussa dans Médiapart du  

Santiago (Chili).– Un peu avant que midi ne sonne dans la capitale chilienne, lundi 28 juin, Irací Hassler Jacob, 30 ans, féministe et militante communiste, a traversé la salle municipale pour devenir maire de Santiago, la municipalité la plus emblématique du pays. Elle devient non seulement la deuxième femme à occuper le poste, mais aussi la première représentante du Parti communiste.

Au moment de prêter serment, Hassler, maquillée et les yeux souriants, a levé le poing gauche. À son poignet pendait l’écharpe verte des féministes. Elle s’est tournée vers le public et a lancé : « Oui, je le promets, au nom du peuple. » Ce geste, qui a immortalisé cette passation de pouvoir, illustre ce que sera son administration. Déterminée.

Bastion conservateur, la ville de Santiago a été dirigée, ces quatre dernières années, par Felipe Alessandri, militant du parti de droite Renouveau national (RN). Conseillère municipale d’opposition, Hassler s’est distinguée par sa dénonciation des mesures répressives contre les lycéens en 2019. Cependant, son engagement politique a commencé bien plus tôt, lors du mouvement étudiant emblématique de 2011. Étudiante en ingénierie commerciale – équivalent de l’économie dans d’autres pays –, elle informe ses parents qu’elle s’est inscrite à la Jeunesse communiste.

Irací Hassler en visite dans un quartier de Santiago le 20 mai 2021. © Martin Bernetti/AFP Irací Hassler en visite dans un quartier de Santiago le 20 mai 2021. © Martin Bernetti/AFP

 

Ces derniers n’ont jamais milité. Sa mère est une psychologue originaire du Brésil, son père un chef d’entreprise chilien. Ils se sont connus alors qu’ils étudiaient en France. Mme Hassler a reconnu à plusieurs reprises que son père est de droite et qu’il a également des liens commerciaux avec Juan Sutil, le président controversé de la Confédération de la production et du commerce (CPC), qui n’a eu que des mots élogieux pour la nouvelle maire, qu’il considère comme « une femme très préparée ».

« Mon père est de droite, mais, malgré cela, j’ai reçu son soutien, même si nous avons des différences idéologiques très profondes », a déclaré Irací Hassler dans une interview accordée à El Siglo, un journal du Parti communiste.

Sa victoire a été l’une des grandes surprises des élections qui se sont tenues le week-end des 15 et 16 mai, au cours desquelles, outre les maires, ont été élus les membres de la Constituante, qui sera chargée de rédiger la nouvelle Constitution, ainsi que les gouverneurs.

La route vers le bureau municipal

La conquête de Santiago n’a pas été un chemin de roses. Irací Hassler a participé à un long processus qui a abouti à une primaire citoyenne sans précédent, où l’économiste a été confrontée à des représentants d’organisations de base et de quartier de sa commune.

« Une primaire citoyenne qui provient des organisations de la commune de Santiago elle-même. C’est un moment historique pour le changement, a déclaré M. Hassler dans une interview accordée à la radio chilienne ADN, en commentant l’importance de cette élection. C’est un processus de participation citoyenne sans précédent », a ajouté celle qui l’a emporté avec 55 % des voix.

Depuis, on l’a vue se rendre de plus en plus fréquemment sur les marchés, dans les foires, dans les quartiers et les conseils de quartier, portant toujours un sac à dos à l’effigie de l’artiste mexicaine Frida Kahlo, fabriqué par un artisan local. C’est ainsi qu’a commencé sa campagne, dans l’effervescence politique et sociale que connaît le pays. La candidate a dû affronter les préjugés à l’encontre de son parti.

C’est une jeune femme, féministe, qui a fait partie du mouvement étudiant, qui a toujours été du côté du changement, même quand elle était conseillère municipale, dont on sait que c’est un poste qui a moins d’attributions

Mistral Ensignia, membre de son équipe de communication

Pour Javier Gallegos Gambino, membre de l’équipe de communication de Hassler, cette période a été essentielle pour « montrer le sérieux du travail derrière la candidature d’Irací ». Mistral Ensignia, membre de la même équipe, souligne l’importance de la présence sur les réseaux sociaux pour s’adresser aux nouvelles générations. « Le projet dirigé par Irací Hassler est un projet qui a été fait à partir des quartiers, avec la participation citoyenne des voisins, donc il était très logique de le socialiser, de le partager, de trouver des moyens de continuer à le diffuser, parce que finalement tout le monde s’est senti partie prenante du programme. Cela a permis de lutter contre les préjugés que certains secteurs avaient à l’égard de son militantisme, car tout ce qu’elle a fait au cours de son parcours avait une histoire », explique Mme Ensignia.

Au sein de son équipe, on souligne ses qualités. « C’est une femme très sérieuse, très engagée, très intelligente, qui a été présente dans chacun des détails de la campagne et je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle restera la même au sein de la municipalité », affirme Mme Gallegos Gambino, qui rejoindra également l’équipe de communication de la municipalité.

« Je pense qu’elle a beaucoup de qualités qui font sens pour le Chili post-manifestations de 2019, parce que c’est une jeune femme, féministe, qui a fait partie du mouvement étudiant, qui a toujours été du côté du changement, même quand elle était conseillère municipale, dont on sait que c’est un poste qui a moins d’attributions. En ce sens, je pense que les gens ont vraiment apprécié sa jeunesse, la possibilité de voir un changement en elle, et surtout la capacité d’écoute. Les gens avaient vraiment besoin et envie de se sentir écoutés et de faire partie d’un projet et je pense qu’Irací Hassler est capable de transmettre cela », souligne Ensignia.

Équipe et conseil féministes

La commune de Santiago a été l’une des plus durement touchées, d’abord par la crise sociale, puis par la pandémie de Covid-19. Ce territoire, où vivent un peu plus de 400 000 personnes, a pour frontière naturelle le fleuve Mapocho au nord et est délimité à l’est par la place Baquedano, aujourd’hui connue sous le nom de place de la Dignité, épicentre des manifestations et de la répression policière.

En plus du centre historique, ce quartier, qui fonctionne comme une plaque tournante du commerce et de la bureaucratie, fait face à deux années d’usure produite par la crise et l’augmentation de la criminalité.

Hassler a également axé sa campagne sur la recherche de solutions pour la population migrante, avec une approche radicalement opposée à celle de son prédécesseur. Elle met l’accent sur les politiques d’inclusion. « J’aimerais beaucoup que notre mairie reflète cette diversité et fasse en sorte que la diversité de Santiago s’exprime dans la meilleure coexistence possible, a-t-elle déclaré dans une interview accordée à la BBC en espagnol. Je pense qu’il y a une grande précarité dans la commune de Santiago, un abandon historique : sous-location abusive, surpopulation, faim, qui aujourd’hui a été résolue surtout grâce aux cantines collectives, à la solidarité des gens. Je dis cela parce que c’est une réalité à laquelle est confrontée toute la communauté au Chili : la communauté des migrants et aussi la communauté chilienne. Pour eux, notre message, notre travail, c’est pour les droits de la citoyenneté. Indépendamment de notre origine ou de notre statut migratoire, nous devons être en mesure de progresser vers de meilleures conditions de vie pour tous. »

Pour faire face à ces difficultés, Hassler a présenté un programme de 40 mesures et une proposition de relance économique. À la veille de sa prise de fonction, elle a dévoilé une équipe composée de neuf personnes de confiance : cinq femmes et quatre hommes.

Une année décisive

Arracher la municipalité de Santiago à la droite n’est pas seulement un triomphe local. Dans la perspective de la présidentielle du 21 novembre, un communiste apparaît comme un candidat crédible au niveau national. Daniel Jadue, maire de la municipalité de Recoleta, située sur l’autre rive du Mapocho, est en tête des sondages et pourrait participer, en juillet, aux primaires de la gauche.

Jadue a été à l’initiative d’une série de projets qui ont été repris par d’autres, par exemple des pharmacies et des opticiens accessibles aux moins favorisés, et même une société immobilière qui a permis l’accès aux logements sociaux dans sa commune. Il a accompagné Hassler dans sa campagne, renforçant l’aspiration communiste à conquérir la Moneda, le siège de la présidence, en plein cœur de Santiago.

« Les mythes sur les communistes se sont effondrés et, aujourd’hui, nous sommes aussi plus présents dans le débat public. Une administration communiste dans un gouvernement local peut transformer la vie des gens », a déclaré la nouvelle maire dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse. Un défi que Hassler devra désormais relever.


Chili : comment Irací Hassler, la maire de Santiago, bouscule l’ordre établi

 

La communiste chilienne de 30 ans Irací Hassler, élue il y a une semaine à la tête de la capitale Santiago, symbolise le rejet des électeurs pour les partis politiques traditionnels.

Irací Hassler, la maire de Santiago.
Irací Hassler, la maire de Santiago. (AFP)

S’il y avait un visage pour incarner le coup de balai qu’a connu en mai 2021,  le paysage politique chilien, ça serait le sien. Conseillère municipale de Santiago du Chili depuis cinq ans, l’économiste Irací Hassler a réussi à déloger de son siège le maire de centre droit Felipe Alessandri. La capitale sera désormais dirigée par cette jeune femme communiste et féministe de 30 ans, de mère brésilienne et de père chilien, qui avait activement participé aux manifestations étudiantes de 2011 pour réformer le système d’éducation. Une performance que le Parti communiste n’était jamais parvenu à réaliser, même sous la présidence de Salvador Allende au début des années 1970!

Un pied de nez au président conservateur Sebastián Piñera

 Sa victoire est un pied de nez au président conservateur Sebastián Piñera, qui avait mis toutes ses forces dans la bataille pour triompher lors de cet important week-end électoral. Car les Chiliens n’ont pas seulement désigné leurs maires mais aussi voté pour choisir la future Assemblée constituante, chargée de réécrire d’ici un an la loi fondamentale du pays datant de la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990). Surprise, ils ont opté en majorité pour des candidats indépendants, plutôt proches du centre gauche. À l’image d’Irací Hassler, qualifiée de « persévérante », « collective » et « combattante » par ses proches