« La trahison –
J’ai été d’une école où on aimait ses profs, où après être passé dans une classe supérieure on passait leur rendre visite, ça épinglait un orgueil de moineau sur nos maigres poitrines.
J’ai été d’une école où le nom de « prof » faisait tinter la rétine et briller l’envie d’en être.
Moi j’allais à l’école comme on se blottit dans un nid attendant la becquée quotidienne. J’étais ce privilégié-là, cet engourdi docile aussi. Je guettais l’attention qu’on allait me porter, la parole qu’on allait me donner, la note aussi.
C’était une école où j’oubliais que j’étais arabe, pauvre et frustre. Elle me protégeait de la méchanceté du monde, un monde dur qui voulait pas de mes parents. Elle me sortait de l’obscurité dans laquelle ils pataugeaient.
J’étais d’une école où je n’avais plus d’origine mais l’espoir d’en trouver une sans frontière ni couleur, ni rang social, où les professeurs ressemblaient à des parents. Les uns les autres se passaient le relais sûrs de divulguer un même message empreint du respect le plus strict. Les quatre se souciaient qu’on s’intéresse, nous existions comme un prolongement d’eux-mêmes.
J’étais d’une école qui admirait ses profs et je rêvais moi de les accompagner au-delà des heures de scolarité indues tout ça pour m’infuser du plaisir qu’ils avaient à nous avoir comme élèves. Me rappelle, je voulais même qu’on m’adopte car hors du sanctuaire me sentais comme un fantôme privé de lumière, presque un demi-orphelin à qui il manquait deux de ses quatre parents. Privé de cette attention supplémentaire, me sentais vivre dans un cachot putride, comme privé d’une pièce aux larges baies vitrées.
Dans cette école, en échange de leur bienveillance je rassemblais tout ce qui me contenait « d’intelligent ». Jamais ma mère ne m’a vu chez elle aussi docile ou attentif et dieu sait (si j’ose dire) qu’elle sacrifia tout pour que je réussisse, qu’elle ruina jusqu’à épuisement toutes ses réserves de mère. Elle aussi chérissait cette école et trouvait ahurissant que les détenteurs de tous les savoirs ne portent pas la main sur moi quand je faiblissais. Ça la sidérait qu’on ait pas cours à Pâques, Noël, juin et juillet.
Sans cette école que l’on dit gratuite, laïque et obligatoire la vie lui serait apparue insensée. Quant à moi je l’avoue, je me suis plus aimé en élève qu’en enfant de la rue car à dix sept heures sur le trottoir d’en face j’entendais : « rentre chez toi bougnoule ! »
À l’aune de tous ces défis nouveaux, je dis que cette école existe encore et elle raconte toujours l’histoire des hommes, offre encore une famille, une terre, des valeurs et enfin notre libre arbitre.
Alors je peux le dire, moi Magyd jamais j’aurais tendu mon doigt à un salaud pour désigner comme victime mon prof d’histoire-géo. »
Magyd Cherfi,
le 26 Oct 2020
« Je crois profondément en l’école laïque, gratuite et obligatoire », Magyd Cherfi rend hommage à Samuel Paty
Suite à l’attentat contre Samuel Paty, l’écrivain et chanteur, Magyd Cherfi, ancien membre du groupe toulousain Zebda a publié sur les réseaux sociaux un hommage au professeur d’histoire géographie et aux enseignants. Il nous raconte son attachement à l’école républicaine.
Le 19 octobre dernier, l’écrivain toulousain Magyd Cherfi a publié sur les réseaux sociaux un texte en hommage à Samuel Paty, le professeur assassiné à Conflans-Sainte-Honorine le vendredi 16 octobre.
Le 22 octobre toujours sur les réseaux sociaux, l’ex chanteur de Zebda a cette fois rendu hommage à l’école et aux enseignants.
Pourquoi avoir publié ces textes sur les réseaux sociaux ?
J’ai voulu dénoncer une folie. Cette décapitation a provoqué chez moi un sentiment de révolte. Samuel Paty est mort pour avoir voulu traiter de la liberté d’expression, pour avoir voulu faire son travail de professeur. D’origine maghrebine à chaque crime islamiste on se sent coupable. J’ai voulu dire à tous que nous sommes un certain nombre à être de culture musulmane et à être laïc, athée, homosexuel, féministe.
La deuxième publication rend hommage à l’institution qu’est l’école, qu’est ce qu’elle a représenté pour vous ?
L’école c’était un moment de paix dans ma vie. J’habitais dans le quartier des Izards à Toulouse c’était une vie de misère sociale et de violence. À l’école on avait un professeur qui s’adressait à nous d’égal à égal. J’étais un élève parmi les autres. J’y ai touché du doigt ce qu’étaient les valeurs de la République et ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Elle joue un rôle qu’aucune autre institution ne joue en France. J’existe aujourd’hui en tant qu’homme libre grâce à l’école. En s’attaquant à elle, cet attentat a touché le cœur de ce qui fait l’homme libre.
Ce rôle, l’école le joue-t-elle encore ?
Je crois profondément en l’école laïque, gratuite et obligatoire, même s’il est vrai qu’aujourd’hui elle connaît des difficultés. C’est la société discriminante dans laquelle nous vivons qui conduit à ce que certains deviennent des ennemis de l’école. Nos parents qui sont arrivés dans les années 60 se sont soumis aux règles. Avec la deuxième génération on découvrait les valeurs de la République mais quand la troisième génération nous demande ce qu’on a obtenu : rien. Aujourd’hui beaucoup d’adolescents s’identifient à ce qu’ils croient être l’Islam où ils trouvent un sentiment d’appartenance. Il faudrait plutôt qu’ils le trouvent dans la République.
Comment y parvenir ?
Les immigrés et leurs enfants, nous avons participé à l’histoire de France et pourtant nous n’y figurons pas. Tant que ce sera le cas il n’y aura pas de considération et le vivre-ensemble ne sera pas possible.
Magyd CHERFI
Sous l’influence combinée et revendiquée des Clash, de Madame Bovary et de Jean-Paul Sartre, Magyd Cherfi a été le parolier du groupe toulousain Zebda avant de se lancer dans la chanson en solo (Cité des étoiles, 2004 ; Pas en vivant avec son chien, 2007). Il a publié un premier recueil de récits, Livret de famille, en 2004 et La Trempe en 2007 rassemblés en un Babel (n°1082) en 2011. En 2016, Ma part de Gaulois, sa chronique de l’année 1981, où il décroche le bac, le premier de sa cité, est salué par un succès phénoménal en librairie ainsi que par le prix du Parisien Magazine de 2016, le prix littéraire Beur FM Méditerranée 2017 et le prix des Députés 2017. La Part du Sarrasin raconte la suite de cette histoire.
Zebda. « À Brest, on avait allumé la mèche ! »
Revenu sur scène depuis 2012, Zebda n’a pas oublié son premier Jeudi du port à Brest, ni l’association Quai Ouest, qui les a programmés à de nombreuses reprises. Les Toulousains viennent souffler les bougies de leur « amie », vendredi, au port. Rencontre avec Mustapha Amokrane, alias Mouss.
Vous jouez, vendredi, au port pour les 20 ans de Quai Ouest. Ce concert a-t-il une saveur particulière pour Zebda ?
Le lien qu’on a avec l’association Quai Ouest est historique : Zebda a 25 ans, on se connaît de longue date. Notre première fois à Brest, c’était aux Jeudis du port, avec Quai Ouest. C’est un souvenir extraordinaire, pour nous qui n’avons pas grandi dans un port, ni en Bretagne. On ressent quelque chose sur le port de Brest, c’est une ville à part. L’asso nous a programmés et soutenus, alors que nous n’étions pas encore très connus, et aussi par la suite. Alors quand on a reçu l’invitation, il y a quelques mois, on a confirmé de suite. C’était d’ailleurs une des premières dates qu’on a calée, une date qui donne envie !
Un souvenir particulier de Brest ?
Oui, un souvenir très particulier me vient à l’esprit : à l’une des fêtes maritimes où on jouait, on nous avait demandé de déclencher le gros canon… Le Tonnerre de Brest, c’est bien ça ? On était comme des dingues devant la mèche ! Plus généralement, on est assez sensibles aux dimensions populaires, dans le bon sens du terme, et les rencontres avec les Brestois d’ici et d’ailleurs, ça nous plaît, ces humanités qui se croisent… On a senti ce genre d’ambiance à Brest.
Après huit ans de break, de 2003 à 2011, comment êtes-vous revenus à Zebda ?
Ce break de huit ans était nécessaire, on se disait unanimement que sinon, on tuerait le groupe. Chacun a mené ses projets : on s’est aussi rendu compte à l’époque qu’il n’était pas facile d’essayer d’exister en dehors du groupe, qui fait partie intégrante de nos vies. Au bout de huit ans, on s’est retrouvé naturellement. On a tous senti que le moment de s’y remettre était venu, que la pause était terminée. Et on a recommencé à composer, tous les cinq ensemble, par plaisir. Puis on s’est dit : « Allez, on essaie de faire des chansons, puis un album »…
Ce qui a bien fonctionné, avec la sortie, en 2012, de l’album « Second Tour ». Un retour aux sources ? Avec Zebda, on n’a jamais changé, on fait de la musique car on se rend compte du pouvoir inestimable de la parole, et de la chance de pouvoir vivre de notre métier d’artiste. On a retrouvé des gestes plus spontanés, naturels, sans les automatismes engrangés de nos 15 années sur scène. On a retrouvé l’énergie de notre musique, et notre marque de fabrique à trois chanteurs. Pour nous, ça n’est pas notre cinquième album, mais le premier du deuxième chapitre de Zebda. Et on a retrouvé le public. Les gens qui ont grandi avec nous, ceux aussi qui nous ont écoutés petits et n’avaient pas eu l’occasion de nous voir en concert. Oui, c’est un retour très nourrissant, où on a été tout de suite dans le bain.
À quand le prochain opus ?
Il doit sortir à la rentrée 2014, même si je n’ai pas la date précise pour l’instant : on a passé l’hiver 2012 à la composition, avant de repartir en tournée en 2013. Mais avant sa sortie, on repart cet été sur les routes avec une trentaine de dates, histoire d’éprouver les nouveaux morceaux, de faire revivre les anciens…
Un message à faire passer à Brest ?
Un bisou à Miossec, que j’adore, avec sa superbe chanson « Brest », une de mes préférées avec « Toulouse », de Nougaro. Et le grand plaisir qu’on a à revenir jouer sur le port.