Chili : le point après 170 jours de confinement …

Entre pandémie, Printemps d’octobre 2019 et tremblement de terre, le Chili entame son 6ème mois de couvre-feu géré par les militaires. C’est le 25 octobre prochain, que le peuple chilien aura l’occasion d’approuver dans les urnes un changement de constitution .  L’expression « Pasar agosto » (Passer le mois d’août) signifie avoir survécu à l’hiver, et ouvre la saison du printemps : un récit de Kevin depuis Valparaiso …

« 170 ème jour de confinement. Le Chili dans le top 5 des pays les plus touchés par l’épidémie (par million/habitants). Les patrons des entreprises de transport routier, alliés du gouvernement, poussent leurs employés à paralyser les grands axes avec leurs engins. En pleine pandémie, problèmes d’approvisionnement alimentaire et médical dans certaines zones du pays. Les syndicats veulent forcer le gouvernement à voter 15 lois sécuritaires et liberticides, étonnamment, 13 de ces 15 lois ont été déjà déposées par le gouvernement Piñera et sont en attente de vote au Congrès. La pression qu’exercent leurs complices routiers ne sert qu’à une chose : voter le plus rapidement possible le chemin déjà plus qu’entamé de la répression aveugle et unilatérale. On se souvient évidemment de 1972, lorsque les mêmes syndicats de transporteurs avaient bloqué le Chili, soutenus par la droite radicale, et grassement rémunérés par Kissinger et la CIA (1). Ils avaient provoqué une crise suffisamment intense pour que l’armée ait le champ libre pour réaliser un auto-attentat par les airs de son palais présidentiel et l’exécution du président Allende et du gouvernement populaire. S’en suivirent 17 ans de dictature militaire.

Aujourd’hui, les forces de l’ordre ne cherchent pas à ouvrir les barrages, bien au contraire, on voit sur des images des carabineros et des militaires à distance, les bras croisés, ou s’affairant à interpeller les usagers de la route et les passagers bloqués dans les transports, ils embarquent manu militari les citoyens excédés par cette farce tragique, et qui osent exprimer leur désarroi. A une centaine de mètres, les camionneurs, cannettes de bière à la main, musique et barbecue au milieu de l’autoroute (2) (hier on aura même vu des « filles de joie » réaliser des danses érotiques entre les kilos de viande sur la grille et les flaques d’huile sur l’asphalte). Contrastes, dans un pays en situation catastrophique, pour se donner un ordre d’idée, seulement à Valparaíso, il y a plus de 200 lieux quotidiens de « ollas communes » (soupes populaires), organisées par des associations de voisins, de clubs sportifs…

Aujourd’hui la situation est tout de même différente, et le jeu dangereux du gouvernement semble une nouvelle fois se retourner contre lui. Le point de départ de la grogne des routiers vient de « l’insécurité dont ils sont les victimes dans la région de Wallmapu » (« attentats » ou « auto attentats » incendiaires »? (3). Seulement 5% des entreprises de transports adhèrent au blocage et les tensions internes risquent de tourner au vinaigre. Comme si le soulèvement populaire commencé en octobre 2019 portait ses fruits, le ras-le bol généralisé saura-t il réunir une grande partie de la population chilienne ? Tout cela se jouera dans les urnes, le 25 octobre, lors du plébiscite pour une nouvelle Constitution, afin de jeter aux oubliettes la Constitution Pinochet rédigée par Jaime Guzmán, il est considéré comme l’idéologue de la junte militaire (4).
En attendant le plébiscite, on assiste à un véritable défilé de retournement de vestes de la part des dinosaures de la droite conservatrice et radicale, Joaquín Lavín, maire de la commune de Las Condes, riche banlieue de Santiago du Chili, fidèle héritier de Pinochet (5) et omniprésent dans les médias  se déclare désormais « social-démocrate » et appelle à voter « Apruebo », « j’approuve le changement de constitution ».
L’implosion actuelle de la droite laissera-t elle la place à un consensus national autour d’une nouvelle constitution ?

Dans les urnes, on devra choisir …

A la vue des sondages, la plupart des villes votant traditionnellement à droite rejetteraient le plébiscite. Ce n’est pas gagné. Mais le soulèvement que vit le pays depuis bientôt un an nous invite à rester confiant, il est grand temps que le peuple du Chili prenne en mains son avenir, et qu’il extirpe de son essence une constitution rédigée durant la dictature militaire. Comme une réelle avancée contre ce régime néocolonialiste qui pille le pays de ses ressources naturelles et qui boursicote allègrement avec l’Humain.

Pandémie, confinement, couvre-feu géré par les militaires de 23 heures à 5 heures du matin, depuis plus de 5 mois, le gouvernement en aura profité pour tenter d’effacer les stigmates du mouvement social, en recouvrant d’une moche peinture tous les graffitis et slogans dans les rues de la capitale. On se souviendra de Piñera, qui au premier jour du confinement à Santiago, s’est permis de réaliser une pause photo (6), terriblement seul, avec ses gardes du corps à distance, sur la Place rebaptisée « Dignidad » (dignité) lors des manifestations qui regroupaient à l’époque, plus d’un million de citoyennes et citoyens. L’État a acquis de nouveaux engins blindés venus d’Autriche et le président affirme ouvertement que des groupuscules se tiennent prêts à reprendre la lutte en ce Printemps 2020 qui pointe son nez.

Il est très difficile de rester enfermé, la plupart des habitants de la planète l’auront vécu. Ici au Chili, une politique sanitaire catastrophique et une liberté de mouvement proche de zéro, inscription à la « Big Brother » de son numéro personnel et unique d’identification sur le site de la « Police Virtuelle » à chaque déplacement, désormais monitoré, enregistré, archivé. Les compagnies de téléphonie ont évidemment accepté sans broncher de divulguer les informations GPS de tous les téléphones du pays.

170 jours enfermés, et 170 bonnes raisons d’aller voter …

Au Chili, l’expression « Pasar agosto » (Passer le mois d’août) signifie avoir survécu à l’hiver, et ouvre la saison du printemps. La plupart de la population avait hier soir le regard fixé sur l’horloge du salon, et à minuit et une minute, l’on pouvait enfin souffler, soulagé d’avoir passé le plus dur. C’était sans compter sur la Pachamama, terre-mère dans la cosmogonie andine, qui à minuit et deux minutes aura offert aux régions du nord, un tremblement de terre 7.0 sur l’échelle de richter, et une série de répliques durant une bonne partie la nuit… Un séisme de plus… manquerait plus que l’on soit aussi en période de pandémie, de soulèvement social et de blocages des axes routiers.

Aujourd’hui, le ministère des Cultures des Arts et du Patrimoine, lance son concours annuel de subventions, le Fondart, sorte de compétition fratricide entre artistes, où les plus chanceux décrocheront une bourse et les plus malheureux n’auront qu’à changer de métier. Le monde de la culture est bien loin des préoccupations de l’État et des mass médias. Sale temps pour les artistes.

Et vivement le printemps ! »

Valparaiso, le 1er septembre 2020
Kevin Morizur

 

  1. C.I.A. Is Linked to Strikes In Chile That Beset Allende. The New York Times 1974-09-20
  2. BioBioChile – La Red de Prensa Más Grande de Chile. 2020-09-01
  3. Atentados y autoatentados en La Araucanía – Diario La Quinta. 2020-08-28
  4. Marie-Noëlle Sarget, Histoire du Chili, L’Harmattan, 1996, p. 270.
  5. Joaquín Lavín defiende el legado de Pinochet. www.ilustrado.cl 2019-09-05
  6. Chile’s president sparks outrage with visit to quarantined protest square. Reuters. 2020-04-03