“Ce qu’on veut, c’est remplacer l’agriculture de masse par une masse d’agriculteurs”, explique Jean-Martin Fortier. Il a fondé au Québec « Les jardins de la Grelinette », une micro-ferme bio intensive devenue un modèle du genre. Son idée : multiplier le nombre de ces petites fermes à “échelle humaine” et rentables visant à montrer qu’une révolution agricole est possible…
Une vidéo de 6′ éditée par Brut.
Jean-Martin Fortier explique que les personnes venant dans sa ferme sont captivées par deux points : la beauté du lieu et la petite taille du lieu. En effet, sa ferme est particulièrement petite (1 hectare et 4 employés) mais malgré tout très productive. Dans son petit havre de paix, Jean-Martin Fortier vante la diversité de son activité. « On est toujours en train de varier les tâches« , s’enthousiasme-t-il.
Faire plus avec moins
Avec Les jardins de la Grelinette, il estime aujourd’hui contribuer à un monde meilleur. « C’est mener par l’exemple, c’est arrêter de rouspéter et de faire les Che Guevara de salon et puis se dire : ‘Moi, je fais, j’ai un impact, je contribue, je suis un acteur du changement, je suis un agriculteur, je suis fier, je fais un beau métier et je contribue à un monde meilleur.’«
Multiplier les petites fermes, c’est une façon d’approvisionner les communautés et non de nourrir le monde. « Il faut arrêter de voir trop large. C’est une ferme à la fois« , martèle Jean-Martin Fortier avant de conclure : « Le modèle aujourd’hui, c’est un cul-de-sac.«
«Manger, c’est un geste agricole. Un choix qu’on fait trois fois par jour. Il faut reconnecter avec l’agriculture et les agriculteurs» pour être bien conscients de ce qu’on met dans notre assiette, explique d’entrée de jeu M. Fortier.
Maraîcher, enseignant et auteur du bestseller Le Jardinier-maraîcher, Jean-Martin Fortier a fait paraître en novembre l’ouvrage L’avenir est dans le champ, qu’il signe avec la journaliste de La Presse Marie-Claude Lortie, chroniqueuse pour la section Affaires traitant régulièrement de l’agroalimentaire.
Le livre se penche sur les grands enjeux de notre agriculture en 12 fruits et légumes. Par exemple : la fraise et les pesticides, le maïs et les organismes génétiquement modifiés (OGM), l’épinard et la culture hivernale, etc. Mais au-delà de ces enjeux, on y propose ni plus ni moins qu’un projet de société pour permettre «l’avènement d’un nouvel ordre agricole», qui privilégie un mode de production artisanal au lieu de l’industrialisation et de la productivité à tout prix.
Au même titre que la préservation de la langue française, l’agriculture doit faire appel au «sentiment nationaliste» des Québécois pour qu’ils décident collectivement de changer l’ordre des choses, indique M. Fortier. Il lance un «cri du cœur afin d’éviter le désintéressement de la population».
Comment? Pour les consommateurs, cela signifie de ne pas rechercher «le plus bas prix à tout prix». «Les bas prix ont un prix. L’agriculture conventionnelle permet de produire à moindre coût, mais la facture des conséquences est refilée à plus tard», signale le maraîcher. Il pointe notamment les dommages que les engrais chimiques et les pesticides causent à notre environnement.
«En saison, les produits biologiques ne sont pas nécessairement plus chers, ce n’est pas une règle absolue», ajoute M. Fortier. Il prévoit même une baisse des prix «à court, moyen terme, parce que la demande est là pour la qualité».
Retour à la terre
Pour s’assurer de manger des fruits et des légumes locaux et bio, rien de mieux que de les faire pousser soi-même. Et ce n’est pas sorcier, selon Jean-Martin Fortier, dont le dernier ouvrage contient de nombreuses informations et de judicieux conseils pour mettre en place un potager personnel de base — nul besoin d’avoir un grand terrain pour y parvenir. «Jardiner, c’est thérapeutique! C’est gratifiant et ça donne encore plus envie de manger des légumes.»
Le maraîcher constate un retour des jeunes à la terre, qui vont chercher la formation et les compétences pour mener à bien leur projet. Lui-même propose de la formation, alors qu’il a développé une expertise reconnue internationalement pour rentabiliser de petites surfaces cultivées où poussent une grande variété de fruits et légumes.
Aux Jardins de la Grelinette, qu’il a fondés en 2004 avec sa femme, Jean-Martin Fortier fait pousser sur un hectare de 40 à 50 variétés différentes, et indique pouvoir nourrir «de 200 à 300 familles» avec ses récoltes. «Pas besoin de faire du volume pour être rentable, quand tu n’as pas de machinerie et pas d’intermédiaire pour vendre tes produits», souligne celui qui est aussi directeur de la production à la Ferme des Quatre-Temps, à Hemmingford en Montérégie.
Le maraîcher encourage les gens qui n’ont pas le pouce vert à se procurer fruits et légumes auprès d’une ferme locale. «C’est un geste qui a un impact direct sur les agriculteurs.»
L’hiver, un défi
Mais si on choisit de manger bio et local, que faire au beau milieu de l’hiver? Plusieurs seront sans doute surpris d’apprendre que faire pousser des légumes en plein hiver n’est pas une «utopie». L’épinard en est un bon exemple, tout comme les carottes, les oignons ou les poireaux. Et avec la culture en serre, les possibilités sont désormais beaucoup plus grandes.
«Un de mes fantasmes, c’est qu’on ait de l’hydroélectricité dans les serres au Québec. De l’énergie, on en a !» Alors, pourquoi ne pas faire pousser nos propres agrumes au lieu de les importer, si on tient à en manger 12 mois par année?
Si «l’hiver pousse les agriculteurs à être meilleurs», la conservation est un véritable enjeu lors de la saison froide, que ce soit par la surgélation ou la mise en conserve. «J’aimerais voir plus de produits bio, congelés ou en conserve, dans les supermarchés», indique M. Fortier. «L’étiquetage y est parfois aberrant, quand c’est écrit par exemple “produit du Québec et/ou de la Californie”! J’aimerais voir la photo du producteur à côté du fruit ou du légume, qu’on voit que ça vient de la ferme d’André.» Pour ramener l’humain qui se cache derrière le produit.
Pour info > lejardiniermaraicher.com