La Marseillaise du Bicentenaire selon Jean Paul Goude

14 juillet 1989 :  Jessye Norman drapée dans un tissu tricolore dans le cadre du Bicentenaire de la Révolution Française . L’une des images du célèbre défilé La Marseillaise, chorégraphié par Jean-Paul Goude et suivie en direct par 800 millions de téléspectateurs à travers le monde. Du jamais vu ! Sur l’avenue des Champs-Élysées, plus de 6000 artistes et figurants, répartis dans une douzaine de tableaux, défilent sous le regard ébahi du public. Une ode à la liberté restée dans la mémoire de nombreux Français …

Jean Paul Goude interviewé à l’Arc de triomphe moins d’une heure avant le debut de son défilé opera – Il déclare s’il n’y a pas d’incident : « ça devrait faire la Rue Michel ». Interview du producteur du spectacle Charles GASSOT : « C’est comme un film tourné en direct avec une seule prise qui dure deux heures ». [Différents plans] participants au défilé se préparant. Interview d’un petit Correzien. Interview d’une tambourineuse de Provence. Interview d’un étudiant qui chinois qui explique le sens de sa participation au défilé. Interview de Jean Paul GOUDE sur les événements de Pekin et les changements qu’il a fait dans le défilé suite à la répression en Chine.
Images d’archive INA

Sur les Champs-Élysées une immense parade sobrement intitulée La Marseillaise (ou Opéra Goude), d’une durée de trois heures, est organisée pour la soirée du 14 Juillet, création de Jean-Paul Goude, et direction musicale de Wally Badarou. Ce défilé, d’envergure internationale, est suivi par un million de spectateurs massés le long de l’avenue, et 800 millions de téléspectateurs à travers le monde.

6 000 artistes et figurants mettent en scène 12 tableaux vivants qui présentent chaque « tribu planétaire » « non par un symbole de ses conquêtes politiques, de sa quête d’émancipation ou de la domination qu’il subit, mais par son signe « culturel » le plus anecdotique et le plus stéréotypique : les Africains nus avec des tam-tams, les Anglais sous la pluie, etc. Fin de la Révolution. Fin de la Politique. Fin de l’Histoire. Vive la Culture »11. Un autre tableau représente des étudiants chinois, vélos à la main, entourant un tambour géant, en hommage aux manifestations de la place Tian’anmen, qui ont eu lieu au début de la même année, se soldant par une répression sanglante de la part des autorités12. D’autres tableaux, moins politiques, mettent en scène des valseuses géantes drapées de robes noires portant dans leurs bras des enfants du monde entier, un autre honorant les régions au travers de leurs chants et leurs orchestres. Un régiment de 150 Écossais et Irlandais, suivis de celui soviétique enneigé par des camions citernes, descend l’avenue. Enfin, dans un registre fantastique, une gigantesque locomotive défile sur les pavés parisiens, en hommage au film La Bête humaine (1938) de Jean Renoir


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Lire ci dessous la contribution d’Étienne Godinot, membre de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits ( parue dans le Forum, La Croix 13 Juillet 2010)

Le 14 juillet 1789, au bout de sept heures de siège qui ont causé une centaine de morts parmi les assaillants, les insurgés parisiens prennent la Bastille. La forteresse symbolise l’arbitraire royal, mais elle est surtout un dépôt de poudre, et accessoirement une prison. Le 14 juillet 1790, jour anniversaire de la prise de la Bastille, a lieu au Champ-de-Mars la Fête de la Fédération. Elle regroupe cent mille personnes, en présence de Louis XVI qui prête serment à la nation et à la loi, avec messe et Te Deum. Le 6 juillet 1880, le 14-Juillet devient officiellement jour de la fête nationale française en mémoire de la Fête de la Fédération.

Le 14-Juillet est devenu la fête nationale de la République. Depuis plus de deux siècles, cette fête a surtout été l’occasion de défilés militaires, de réceptions à l’Élysée, dans les préfectures de la métropole et dans les ambassades à l’étranger. Et aussi de banquets, de bals populaires et de feux d’artifice.

Le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, quant à lui, est composé le 25 avril 1792 par Claude-Joseph Rouget de Lisle, poète et violoniste amateur, capitaine du bataillon « Les enfants de la patrie » en garnison à Strasbourg. Il est d’abord chanté dans la capitale alsacienne puis dans diverses villes de France. Le 22 juin 1792, à Marseille, le chant est interprété par le docteur Mireur, debout sur une table, et vivement acclamé. Les journaux marseillais en publient les paroles et la musique. Les fédérés marseillais, unis au bataillon de Montpellier, participent le 10 août 1792 à l’insurrection du palais des Tuileries en chantant ce chant de guerre, appelé dès lors La Marseillaise. Les Couplets des enfants sont ajoutés en octobre 1792 par l’abbé Pessonneaux. Le 14 juillet 1795, ce chant est décrété hymne national.

La France, « pays des droits de l’homme » dont un des trois mots de la devise est « Fraternité », affiche aujourd’hui dans son hymne national ce langage guerrier et vengeur : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! », le sang des « féroces soldats », aux ordres d’une « horde d’esclaves, de traîtres », de « tyrans perfides » au « fanatisme irrité »…

Chanter ces paroles guerrières tout en tenant la main de nos amis européens, à quoi cela ressemble t-il ? Ce sont leurs ancêtres qui sont désignés comme « les féroces soldats » ou les « tyrans perfides » qu’il faut combattre.
Apprécierions-nous
que l’hymne national allemand ou italien, aujourd’hui en 2010, appelle à la résistance contre les armées conquérantes de Louis XIV ou de er Napoléon 1 ? Chanter « Aux armes, citoyens ! » dans les stades, est-ce bien dans l’esprit des rencontres sportives, qu’elles soient ou non internationales ?

Pour la fête nationale, plutôt que des défilés militaires, y compris internationaux, demandons à nos élus d’imaginer des manifestations culturelles, y compris internationales. Par exemple, la présentation d’œuvres artistiques retenues à l’issue d’un appel à projets sur le thème de la paix et du développement durable.

Sans vouloir en changer la mélodie, qui fait partie du patrimoine culturel mondial, et afin de donner à La Marseillaise de nouvelles paroles, demandons à nos dirigeants d’organiser un concours et/ou d’organiser un conclave de poètes, d’intellectuels et d’hommes politiques, chargé de rédiger le nouveau texte.

Bien sûr, ces changements dans les symboles sont indissociables de changements profonds dans la politique du pays et dans les comportements des citoyens. Nos ennemis aujourd’hui, « nos vils ennemis », ce sont le sousdéveloppement et la destruction des écosystèmes par un système économique fondé sur les dogmes de la compétition à outrance et de la croissance illimitée. Ce sont la misère, la maladie, l’exclusion, le racisme, le fanatisme et l’intégrisme religieux.

Il est nécessaire et urgent de créer une instance internationale qui contrôle le système financier, qui mette en place un contrat mondial sur les ressources, sur les priorités de la recherche. De définir une éthique du développement technologique. De revaloriser les parlements, que ce soit à l’échelle de la nation, des continents, du monde. Et surtout de créer une société civile mondiale, garante d’une conscience morale planétaire.

Il est grand temps, entre autres, de préparer et mettre en œuvre des stratégies civiles de défense pour protéger la démocratie contre les menaces internes ou externes, et de développer les forces d’intervention civile non-violente entre les belligérants dans les conflits régionaux.

Alors, conformément à l’espérance des hommes et à la vision d’Isaïe, le forgeron transformera l’épée en soc de charrue. Comme l’annonçait de façon prémonitoire le deuxième des couplets des enfants à la fin de La Marseillaise,

« Soyons unis ! Tout est possible : Nos vils ennemis tomberont. Alors les Français cesseront De chanter ce refrain terrible : Aux armes, citoyens, etc. »

Par exemple, on pourrait imaginer :

« Enfants de la Terre patri-ie,
Nous disons notre volonté
D’affermir la démocratie,
De promouvoir la liberté
Et de combattre les pauvretés.
Dans le mond’, l’Europ’ et la France,
Marchons ensemble dans les pas
De ceux qui menaient le combat
De la dignité, de l’espérance !
Debout, les citoyens !
C’est l’humanisation
De la Franc’ et Du mond’ entier
Qui est notr’ ambition ! »

Étienne Godinot, membre de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits


Le jour du Quatorze-Juillet ?

« Le jour du quatorze-Juillet,
Je reste dans mon lit douillet ;
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n’écoutant pas le clairon qui sonne ;
Mais les braves gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux…
Non les braves gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux …  »

Georges Brassens

Le scandale de « La Marseillaise » de Serge Gainsbourg, vu de ses archives

L’éditeur musical Laurent Balandras a exhumé des archives personnelles de Serge Gainsbourg un dossier qui témoigne de la violence du scandale suscité par sa « Marseillaise » version reggae. Il en fait l’anatomie dans son nouveau livre. Entretien.

On a tous en tête les images de Serge Gainsbourg le poing levé, entonnant La Marseillaise a capella face au public médusé du Hall Rhénus, à Strasbourg, le 4 janvier 1980, alors qu’entre 60 et 200 paras s’étaient déployés pour en découdre avec « l’usurpateur » de l’hymne national.

Quelques mois plus tôt, le 13 mars 1979, sortait l’objet du délit, Aux armes et cætera, un album avec lequel il rencontra un énorme succès, enregistré en douze jours à Kingston. Interrogé par Gérard Holtz le jour-même au JT de 20 heures sur les éventuelles accusations d’antimilitarisme qu’il allait susciter, Gainsbourg répondait avec son sens de la provocation légendaire: « C’est pas des dents que ça fera grincer, c’est des dentiers ! »

Les dentiers grincent tranquillement, jusqu’à ce que Michel Droit publie dans le Figaro magazine un article où il accuse le chanteur de « provoquer » l’antisémitisme en faisant son beurre sur l’hymne national. S’ensuit une déferlante de haine raciste dont Serge Gainsbourg conserva les stigmates toute sa vie. Preuve du traumatisme, il classa soigneusement les documents liés à la polémique dans un dossier chez lui, au 5, bis rue de Verneuil.

L’éditeur musical Laurent Balandras l’a retrouvé, alors qu’il préparait son livre sur les Manuscrits de Serge Gainsbourg (éd. Textuel, 2006). Dans La Marseillaise de Serge Gainsbourg, anatomie d’un scandale, un livre enrichi de fac-similés d’archives, il donne tous les éléments pour comprendre la portée de cet événement.

Au point de départ de ton nouveau livre, il y a un dossier sobrement intitulé « La Marseillaise », que tu as retrouvé au 5, bis, rue de Verneuil pendant la préparation des Manuscrits de Serge Gainsbourg

Laurent Balandras – Exactement. Il y a dix ans, Charlotte [Gainsbourg, ndlr] m’a ouvert les portes du 5, bis rue de Verneuil pour aller rechercher les manuscrits de Gainsbourg. Au départ elle pensait que je ne trouverais rien. En fait Gainsbourg était quelqu’un qui ne gardait rien, mais qui ne jetait rien non plus. Rien n’était rangé, rien n’était classé, tout était dans un fouillis artistique, sauf cette pochette intitulée « La Marseillaise », où tout était classé : articles de journaux, lettres, documents…

Dans l’anatomie du scandale de La Marseillaise, tu expliques que l’annulation du concert de Gainsbourg par les paras le 4 janvier 1980 n’est que l’aboutissement d’un article incendiaire publié par Michel Droit en juin 1979 : quel était son propos ?

Il est important de préciser qu’à cette époque, Gainsbourg est un personnage notoire mais sans plus. Il fait partie du paysage audiovisuel, mais la vedette, dans la famille Gainsbourg, c’est Jane Birkin. Serge Gainsbourg est omniprésent mais il n’a pas de succès public. Quand il va enregistrer Aux armes et cætera, il a un budget de misère, tout juste de quoi couvrir douze jours de studio en Jamaïque. Mais l’album cartonne direct, pendant tout le printemps, et il sait qu’il va vers le disque d’or, ce qui ne lui était jamais arrivé.

Le succès génère deux choses : au départ, tout le monde applaudit, puis tout le monde se lâche. En l’occurrence c’est arrivé assez vite : le 1er juin 1979, Michel Droit écrit un article qui met le feu aux poudres. Il accuse Gainsbourg d’outrager La Marseillaise, de se faire du pognon dessus, et de provoquer l’antisémitisme. De la part d’un ancien résistant, qui a connu l’Occupation, qui a été proche de De Gaulle, c’est incompréhensible. Relier un chanteur à sa judéité supposée, et au fait qu’il gagne de l’argent, c’est la caricature antisémite de base.


« Même si pour la rime on sort la Marseillaise
Avec un foulard rouge et des gants de chez Dior … »
                                                                                         Léo Ferré

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