« Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. » Antonio Gramsci

 » … Je vis, je suis partisan. C’est pourquoi je hais qui ne prend pas parti. Je hais les indifférents. » Au début du XXe siècle en Italie, Antonio Gramsci combat le fascisme, l’absurdité de la guerre et l’injustice qui le conduiront à un emprisonnement de 20 ans. Il y écrira 35 cahiers qui contiennent les concepts les plus novateurs du siècle . Il parle même de football  et de fair play  remis à la Une de l’actualité par un certain Marcelo Bielsa …

Le texte ci dessous date du 11 février 1917. Il  est extrait de « Pourquoi je hais l »indifférence ». A écouter en lecture vidéo  de proposée par DataGueule , ou lire le texte intégral ci dessous

« Je hais les indifférents.
Je crois comme Friedrich Hebbel que « vivre signifie être partisans ». Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. L’indifférence c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents …
L’indifférence est le poids mort de l’histoire. C’est le boulet de plomb pour le novateur, c’est la matière inerte où se noient souvent les enthousiasmes les plus resplendissants, c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides, mieux que les poitrines de ses guerriers, parce qu’elle engloutit dans ses remous limoneux les assaillants, les décime et les décourage et quelquefois les fait renoncer à l’entreprise héroïque.

L’indifférence œuvre puissamment dans l’histoire. Elle œuvre passivement, mais elle œuvre. Elle est la fatalité; elle est ce sur quoi on ne peut pas compter; elle est ce qui bouleverse les programmes, ce qui renverse les plans les mieux établis; elle est la matière brute, rebelle à l’intelligence qu’elle étouffe. Ce qui se produit, le mal qui s’abat sur tous, le possible bien qu’un acte héroïque (de valeur universelle) peut faire naître, n’est pas tant dû à l’initiative de quelques uns qui œuvrent, qu’à l’indifférence, l’absentéisme de beaucoup. Ce qui se produit, ne se produit pas tant parce que quelques uns veulent que cela se produise, mais parce que la masse des hommes abdique devant sa volonté, laisse faire, laisse s’accumuler les nœuds que seule l’épée pourra trancher, laisse promulguer des lois que seule la révolte fera abroger, laisse accéder au pouvoir des hommes que seule une mutinerie pourra renverser. La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est pas autre chose justement que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. Des faits mûrissent dans l’ombre, quelques mains, qu’aucun contrôle ne surveille, tissent la toile de la vie collective, et la masse ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Les destins d’une époque sont manipulés selon des visions étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse des hommes ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Mais les faits qui ont mûri débouchent sur quelque chose; mais la toile tissée dans l’ombre arrive à son accomplissement: et alors  il semble que ce soit la fatalité qui emporte tous et tout sur son passage, il semble que l’histoire ne soit rien d’autre qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre dont nous tous serions les victimes, celui qui l’a voulu et celui qui ne l’a pas voulu, celui qui savait et celui qui ne le savait pas, qui avait agi et celui qui était indifférent.
Et ce dernier se met en colère, il voudrait se soustraire aux conséquences, il voudrait qu’il apparaisse clairement qu’il n’a pas voulu lui, qu’il n’est pas responsable. Certains pleurnichent pitoyablement, d’autres jurent avec obscénité, mais personne ou presque ne se demande: et si j’avais fait moi aussi mon devoir, si j’avais essayé de faire valoir ma volonté, mon conseil, serait-il arrivé ce qui est arrivé? Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence, de son scepticisme, de ne pas avoir donné ses bras et son activité à ces groupes de citoyens qui, précisément pour éviter un tel mal, combattaient, et se proposaient de procurer un tel bien.

La plupart d’entre eux, au contraire, devant les faits accomplis, préfèrent parler d’idéaux qui s’effondrent, de programmes qui s’écroulent définitivement et autres plaisanteries du même genre. Ils recommencent ainsi à s’absenter de toute responsabilité. Non bien sûr qu’ils ne voient pas clairement les choses, et qu’ils ne soient pas quelquefois capables de présenter de très belles solutions aux problèmes les plus urgents, y compris ceux qui requièrent une vaste préparation et du temps. Mais pour être très belles, ces solutions demeurent tout aussi infécondes, et cette contribution à la vie collective n’est animée d’aucune lueur morale; il est le produit d’une curiosité intellectuelle, non d’un sens aigu d’une responsabilité historique qui veut l’activité de tous dans la vie, qui n’admet aucune forme d’agnosticisme et aucune forme d’indifférence.

Je hais les indifférents aussi parce que leurs pleurnicheries d’éternels innocents me fatiguent. Je demande à chacun d’eux de rendre compte de la façon dont il a rempli le devoir que la vie lui a donné et lui donne chaque jour, de ce qu’il a fait et spécialement de ce qu’il n’a pas fait. Et je sens que je peux être inexorable, que je n’ai pas à gaspiller ma pitié, que je n’ai pas à partager mes larmes. Je suis partisan, je vis, je sens dans les consciences viriles de mon bord battre déjà l’activité de la cité future que mon bord est en train de construire. Et en elle la chaîne sociale ne pèse pas sur quelques uns, en elle chaque chose qui se produit n’est pas due au hasard, à la fatalité, mais elle est l’œuvre intelligente des citoyens. Il n’y a en elle personne pour rester à la fenêtre à regarder alors que quelques uns se sacrifient, disparaissent dans le sacrifice; et celui qui reste à la fenêtre, à guetter, veut profiter du peu de bien que procure l’activité de peu de gens et passe sa déception en s’en prenant à celui qui s’est sacrifié, à celui qui a disparu parce qu’il n’a pas réussi ce qu’il s’était donné pour but.

Je vis, je suis partisan. C’est pourquoi je hais qui ne prend pas parti. Je hais les indifférents. »

Antonio Gramsci
le 11 février 1917

Traduit de l’italien par Olivier Favier.


La vie d’Antonio Gramsci est une vie de combats. Combat contre le fascisme, l’absurdité de la guerre et l’injustice. En 1926, alors secrétaire général du Parti communiste italien, il est arrêté par le régime fasciste et condamné à 20 ans de prison. À l’issue d’un procès où le procureur demandera que l’on « empêche ce cerveau de fonctionner… » Depuis sa cellule, Gramsci poursuivra sous une autre forme son combat en faveur des classes subalternes en écrivant plus de 35 cahiers qui contiennent quelques-uns des concepts les plus novateurs du XXe siècle.

Le documentaire « Antonio Gramsci, penseur et révolutionnaire » pénètre dans cette œuvre riche et passionnante en présentant les concepts gramsciens (hégémonie, bloc historique, Etat intégral, révolution passive…) qui sont aujourd’hui encore à travers le monde un instrument privilégié de transformation de la société. Car chez Gramsci la pensée et l’action sont inextricablement liées.

Bande-annonce Antonio Gramsci, penseur et révolutionnaire. Partie 1 : Les sources de l’espoir

Bande-annonce Antonio Gramsci, penseur et révolutionnaire. Partie 2 : Le refus de la défaite


Antonio Gramsci a aussi pris parti pour … le football !

Déjà en 1937 Antonio Gramsci présentait le football « comme le royaume de la loyauté humaine exercée à l’air libre ». « L’erreur de l’intellectuel consiste à croire qu’on peut savoir sans comprendre et surtout sans sentir et sans être passionné, c’est-à-dire à croire que l’intellectuel peut être un véritable intellectuel s’il est détaché et distinct du peuple-nation, s’il ne sent pas les passions élémentaires du peuple, les comprenant, les expliquant et les justifiant dans la situation historique déterminée. On ne fait pas de politique-histoire sans cette passion, c’est-à-dire sans cette connexion sentimentale entre intellectuels et peuple-nation. »De nos jours, Antonio Gramsci aurait certainement apprécié le geste de Marcelo Bielsa, l’actuel entraîneur argentin de l’équipe anglaise de Leeds United qui vient, au terme d’une scène complètement surréaliste dans le foot professionnel, de demander à son équipe de laisser marquer son adversaire …

Lire ci dessous l’article d’Ariel Sher  paru le 29 avril 2019 dans « La Tinta »

Gramsci y Bielsa

« Déformé, marchandisé, existentiel, oppresseur, le football a encore des fous qui le magnifient. Oui, s’il nous reste encore Marcelo Bielsa



D’autres moments où le fair-play a primé

FOOTBALL – Dimanche, un jeune joueur de Galatasaray (U14) a sciemment raté un penalty qu’il avait obtenu injustement. Ce n’était pas une première. Retour sur quelques moments où le fair-play a pris le dessus sur l’enjeu avec Miroslav Klose, Arsène Wenger ou encore Robbie Fowler en acteurs principaux.  Eurosport ( 01’34 ») / le 27/03/2019 à 17:17