Depuis août 2024, la municipalité de Grand-Champ dans Le Morbihan accueille des actifs dans 21 tiny houses installées dans l’ancien camping municipal . La plupart des résidents ont fait le choix de ce nouveau mode de vie pour des raisons économiques et de bien-vivre ensemble, tout en essayant de tendre vers un habitat plus autonome et écologique . Un village où priment la solidarité et la bienveillance entre les habitants …
« Dans ce village, on vit tous en tiny houses … »
Grand-Champ (Morbihan) : un reportage signé Farah Sadallah et Quentin Hulo (photographies) dans Reporterre du 14 décembre 2024 …
Il est 11 heures, en cette journée de novembre, quand le transporteur pénètre dans le village de tiny houses à Grand-Champ, pour installer la minimaison d’Emma, sur son emplacement de 200 m2. Cette assistante maternelle de 31 ans est inquiète : « J’ai l’impression que les chandelles [qui permettent de stabiliser la maison] ne sont pas de très bonne qualité. » Antoine, un habitant, la rassure. Paysagiste et éducateur en sport santé de 43 ans, il est venu l’aider à raccorder son logement en eau et en électricité. Il faut compter deux heures trente de travail, selon lui. « C’est l’entraide à fond », dit ce père de famille, qui a pris l’habitude de raccorder les habitats légers des nouveaux arrivants.
Antonin est aussi venu donner un coup de main à sa nouvelle voisine. Emma a besoin de tuyaux pour son arrivée d’eau. « Pas besoin de tout lui faire acheter, on en a, nous », dit le jeune homme de 27 ans, commercial chez Peugeot. Il ajoute, avec humour : « On est content qu’elle arrive, elle nous cache du vis-à-vis. »
Depuis août dernier, vingt-et-une tiny houses ont été installées sur cet ancien camping municipal de 8 000 m2. Pour le moment, seules douze sont habitées. Porté par Yves Bleunven, l’ancien maire de Grand-Champ, désormais sénateur, le projet a été lancé en 2022 afin d’offrir une alternative au marché de l’immobilier. Dans la commune, les prix des logements ont augmenté de 30 %. « On n’arrive plus à loger nos actifs », dit Christian Travert, directeur du pôle aménagement.
L’objectif : louer à un tarif abordable des emplacements à des propriétaires de tiny, et des minimaisons en logement social, via le bailleur, Morbihan Habitat. « On a eu beaucoup de demandes », dit le directeur. Mais le cahier des charges est strict. Seuls des actifs travaillant dans le bassin d’emploi, à moins de 100 kilomètres de Grand-Champ, peuvent prétendre à intégrer le village. « On ne voulait pas de retraités ni de résidence secondaire. »
En l’espace de quatre mois, les propriétaires de la douzaine de tiny houses se sont presque tous installés. La plupart des résidents ont fait le choix de ce nouveau mode de vie pour des raisons économiques et de bien-vivre ensemble, tout en essayant de tendre vers un habitat plus autonome et écologique. Aujourd’hui une vingtaine, avec des enfants, ils seront bientôt plus d’une trentaine à cohabiter.
« On a besoin de quelque chose, on demande »
Le soir, sur la terrasse de Laura, un apéro dégustation est improvisé. Cette maman d’une petite fille de 6 ans s’est séparée de son mari cet été. La trentenaire a rejoint le projet dans l’espoir de créer un cocon d’entraide : « Il y a un côté rassurant dans ce village avec sa proximité. On les voit par la fenêtre, on a besoin de quelque chose, on demande. Ça redonne foi en l’humanité. »
Cette responsable administrative agricole, qui travaille encore pour le compte de son ex-mari, cherche un nouvel emploi. À temps partiel pour le moment, avec un enfant à charge en garde alternée, elle n’a pas le profil pour acheter ou louer dans cette commune de 6 000 habitants. « Mon dossier ne passait pas. Ce n’était pas possible d’acheter un appartement neuf. Les prix commençaient à 170 000 euros », explique-t-elle. Elle n’envisage pas de quitter Grand-Champ.
En parallèle de ses recherches, elle s’est intéressée au projet de tiny house. « Il n’y a pas de hasard. C’est un mode de vie qui me parle, j’ai vécu dix mois en van en Australie, raconte-t-elle. Et puis, j’ai une sensibilité environnementale qui évolue. Je tends à avancer vers plus de zéro déchet. J’ai des toilettes sèches comme la moitié des résidents. »
Avec l’aide de sa famille, Laura a donc acheté son logement 46 000 euros, afin d’éviter de prendre un crédit à la consommation. Aujourd’hui, elle paye 150 euros par mois pour les frais d’occupation du terrain détenu par la mairie, et 30 euros pour les charges. Le bail est renouvelable tous les ans, pendant cinq ans.
Fierté des enfants
Toujours sur la terrasse, Solenne, très joviale, est à l’initiative de la dégustation de bières. Elle est l’une des dernières à s’être installée dans le village et est soucieuse de bien s’intégrer. Cette ancienne coordinatrice d’assurance qualité en laboratoire pharmaceutique a décidé de changer de vie à 40 ans. Après son divorce en 2024, elle opéré une reconversion professionnelle et s’est associée pour ouvrir la Microbrasserie Horla à Grand-Champ.
À la recherche d’un logement après sa séparation, elle a découvert le projet municipal. Une évidence pour elle : « J’adore le côté minimaliste des tiny. Je ne le suis pas du tout : j’accumule beaucoup. C’est un vrai défi d’en habiter une, dit-elle en riant. Mon style de vie avant était foncièrement différent. On avait une grosse voiture, du mobilier design… Je rêve d’avoir peu. »
Implantée dans un décor forestier, sa tiny et celles des autres sont relativement proches. « J’avais peur que cela soit une mauvaise chose, mais, en réalité, c’est super agréable. Si je m’étais retrouvée seule au milieu d’un champ, j’aurais eu peur. Ça me fait du bien d’être entourée de personnes agréables sans être envahissantes ».
Dans le village, les enfants font aussi partie du quotidien. En tiny house et le plus souvent dehors, filles et garçons découvrent un terrain de jeu qui rassure leurs parents. « C’est génial de faire grandir des mômes ici », se réjouit Antoine. Séparé de sa conjointe depuis peu, le quadragénaire est père d’une petite fille de 18 mois et d’un adolescent de 15 ans, dont il a la garde une semaine sur deux.
Très investi dans le collectif, il veut partager avec ses enfants ce nouveau mode de vie : « Je suis un papa hippocampe. J’adore les avoir avec moi. Mia veut tout le temps être dehors, voir des gens et leur sourire. Arthur est hyper content d’être au village. Il est fier de dire qu’il vit en tiny. »
Le paysagiste et éducateur en sport santé veut leur transmettre ses valeurs écologiques. Bricoleur expérimenté, il a acheté son logement d’occasion à Cholet et l’a tracté sans l’aide d’un transporteur jusqu’à Grand-Champ. « Ça ne servait à rien d’en faire construire une neuve, alors qu’il y en a plein sur Leboncoin », dit-il, sa petite fille chahutant dans ses bras sous l’œil attentif de Ghost, le chien de la famille.
Cette vie en collectivité, Yann veut aussi la transmettre à son fils de 7 ans, Nathaël, même s’il avoue ne pas être « très écolo ». Après la mort de sa femme, il y a deux ans, ce cogérant d’une société de transports âgé de 49 ans a voulu radicalement changer de vie pour être plus présent pour son fils : « Je suis son seul repère. Avant, j’étais à 100 % dans le boulot. C’est terminé maintenant. »
Dans le village, Nathaël peut aussi compter sur Lola, la fille de Laura, avec qui il s’amuse régulièrement quand elle n’est pas chez son père. « J’espère qu’il y aura d’autres enfants de son âge », souhaite Yann, en faisant référence aux futurs arrivants.
Bientôt de nouveaux voisins
Début 2025, de nouveaux locataires emménageront dans dix minimaisons gérées par Morbihan Habitat. Une nouvelle étape qui inquiète certains habitants : ces arrivants vont-ils choisir ce lieu par défaut ou par choix ?
Laurie, arrivée parmi les premières au village, avoue avoir « une petite crainte » quand il sera au complet. Cette chargée de mission biodéchets aspire à plus d’intimité au quotidien : « Il faut qu’on arrive à avoir la même idée du projet avec tout le monde. Mais on est aussi pressés de les rencontrer. De découvrir le parcours de chacun. » En attendant, les résidents doivent se constituer en association pour définir les règles permettant le bon fonctionnement et la bonne entente du groupe.
Philippe et Audrey, qui n’en sont pas à leur premier village de tiny, sont confiants : « On vit comme des voisins dans un lotissement. Des problèmes de voisinage, ça peut arriver. Mais comme on est motivés par les mêmes choses, on sait se parler. L’idée, ce n’est pas de vivre en communauté. On vit côte à côte avec des valeurs communes. »
Au pied des immenses pins, s’étale un village d’un genre nouveau. 29 tiny houses ont pris place sur cet ancien camping municipal. Il est devenu un nouveau quartier de Grand-Champ, à dix minutes du bourg. En ce vendredi matin, seul le chant des oiseaux masque le silence. La plupart des habitants sont partis travailler. Ils sont boucher, agriculteur, aide-soignante, éducateur sportif. Ils vivent en couple, en famille, en solo. « Nous avons posé comme critère que ces logements s’adressent à des actifs, ni à des retraités ni à des résidents secondaires », rappelle Christian Travert, directeur du pôle aménagement et grands équipements.
« C’est un cocon »
Antoine nous accueille sur sa terrasse en bois, prolongement indispensable de la plupart de ces petites habitations. Une pièce de plus à son espace de vie de 25 m2 sur deux niveaux. Cette vie en mini, il la souhaitait depuis longtemps. Ce père de famille de 43 ans a sauté le pas après une séparation. « J’adore vivre dans petit, c’est un cocon. Et je ne supporte pas l’impact environnemental que génèrent des maisons traditionnelles ».
L’opportunité de réaliser ce projet est venue de la municipalité de Grand-Champ. Ses élus travaillaient sur le projet depuis l’après-covid. Le déclic ? Une rencontre avec un jeune, incapable de trouver à se loger dans la commune, malgré un joli pécule. Alors, l’équipe municipale phosphore, franchit quelques obstacles pour faire rentrer ces habitats légers dans le plan local d’urbanisme et investit 270 000 € pour viabiliser le terrain. L’Agglo, le Département, la Région, l’État mettent aussi la main à la poche. Une équation qui permet de garder un loyer de 150 € pour chaque emplacement de 200 m2. Les habitants sont propriétaires de leur tiny house. Leur prix ? Autour de 60 000 €.
Se sont-ils installés là faute de mieux ? Pas si l’on en croit la centaine de candidatures parvenues à la mairie. « Cette proposition correspond à de nouvelles aspirations, en lien avec la société d’aujourd’hui », estime Dominique Le Meur, la maire de Grand-Champ.
Frédéric, 51 ans, a découvert au fil de ses déménagements que l’on peut vivre avec peu. « Dans une garde-robe, on porte toujours la même chose. Les objets, dans la maison, c’est pareil ! ». Comme ses voisins, il a fait le bonheur d’Emmaüs, pour faire rentrer une vie dans une tiny. Deux pour être exact. Sa femme et lui occupent l’une, attenante à celle de leurs ados. Ce minimalisme, c’est l’une des valeurs qui unit ces « villageois ». « On a les mêmes fondamentaux », estime Philippe. Ensemble, ils citent l’écologie, la sobriété et l’entraide.
« Ce qui me plaît, c’est la simplicité de cette vie, le cadre, le bruit des chouettes. C’est un retour aux racines »
Emma a choisi de quitter Vannes pour se rapprocher de la nature. « Ce qui me plaît, c’est la simplicité de cette vie, le cadre, le bruit des chouettes. C’est un retour aux racines ». Cette vie en petit demande de l’ingéniosité : l’optimisation de l’espace se loge dans tous les détails de la tiny house. Le quotidien demande de la discipline aussi : « C’est rapide à salir, mais à nettoyer aussi », relativise Philippe, en enlevant ses chaussures avant de rentrer chez lui. À l’intérieur, mini lave-vaisselle, machine à laver, toilettes sèches et un chat qui ronronne sur le canapé.
Philippe et sa compagne voient ce moment comme une étape. Frédéric et Antoine se posent moins la question de l’après. Ils ont droit à un bail d’un an renouvelable cinq fois. Début 2025, les dix tiny houses du bailleur social Morbihan Habitat seront aussi occupées. Le village devrait aussi s’enrichir d’une chambre d’amis et d’un local commun.