Le Fourneau du Port de Brest fêtait ses 30 ans du 8 au 10 novembre sur le Port de Brest ! Etions invités à évoquer les origines de cette histoire extra-ordinaire. Une histoire de « fabrique citoyenne et poétique » qui prend sa source au milieu des années 70 et se poursuivra en 2026 aux Capucins, dans une « Maison d’artistes »…« Avec la force des convictions qui nous ont menés jusqu’ici , nous nous souhaitons un « Bon jour », doublé d’un « Bon soir » . Le samedi 27 janvier 2018, à 18H18, nous levions ici même le verre qui marquait la transmission de l’outil Fourneau à une nouvelle direction.
– 6 ans plus tard, nous sommes « toujours vivants » et rendons hommage à celles et ceux qui nous ont précédés.
– 6 ans plus tard, notre passion pour le mouvement du théâtre de rue est intacte. Nous sommes fiers du chemin parcouru et toujours prêts à témoigner de nos expériences, de nos savoir-faire, de nos compétences. « Il en a fallu du culot pour oser entreprendre tout ça ! »Caroline – et nous saluons sa démarche – nous a sollicités pour évoquer devant vous en 10 minutes, les origines de cette histoire extra-ordinaire. Une histoire qui va la conduire aux Capucins dans une « Maison d’artistes » que nous avons rêvée et dessinée de manière collective. Elle nous a malicieusement demandé : «C’est pour quand le livre ?». L’occasion de lui répondre ce soir : « Chiche, pas cap ! »
« Si le nom du Fourneau apparaît pour la première fois en 1992, ses racines datent de 50 ans, au milieu des années 70 … C’est l’histoire de militant-e-s de l’Éducation Populaire, de l’Animation et la Culture désireux de s’investir dans leur cité du Relecq-Kerhuon au sein du Patronage Laïque : création de bibliothèques, Maison de l’Enfance, halte garderie, pratiques sportives et artistiques toutes plus innovantes les unes que les autres ….Déjà, à l’époque , nous sommes une ruche toujours en réflexions et inventons en permanence. Nous les instits, les dessinateurs, les ouvriers de l’Arsenal , les profs et les « sans spé » !
En 81, la rencontre avec 3 amis, élèves des Beaux-Arts à Brest nous embarque dans la création de la Tête et les Mains, un festival d’artisanat d’art « où l’on crée des objets qui ne servent à rien! » D’une demi-journée en 81 on passe à 4 jours en 1988 , de 1 000 visiteurs à 50 000 !
Nous devenons une force dans notre commune. Nous avons 30 ans, les aîné.es sont à nos côtés.Nous faisons feu de tout bois !
La rencontre avec Jean-Raymond et Kiké d’Oposito en 87 change le sens de notre engagement, de nos perspectives et nos envies ( … et l’état de de nos finances aussi !)
A Toulouse, Royal de Luxe tourne son bus à la broche, à Aurillac, le théâtre prend les rues… Eh bien dans notre Commune Berceau du Relecq-Kerhuon, nous décidons d’écrire une folle histoire qui commencera à 4 h du matin et où notre équipe bénévole côtoiera des artistes professionnels : Jean-Raymond et Kiké d’Oposito, Pierre et Caty de Generik Vapeur , et progressivement toutes celles et ceux qui ont participé à l’émergence du théâtre de rue, à l’imaginaire incroyable, turbulent, insolent, envahissant et tellement inventif… Un théâtre qui « aime les gens » comme se plaît à dire Pierre Berthelot !
Ensemble nous écrirons de belles pages de ce mouvement artistique peu connu, mal aimé des institutions, toujours « dérangeants dans la perspective du salon » …
Nous allons nous battre, beaucoup , nous allons nous battre longtemps … Contre vents et marées : non, vraiment, « rien n’est tombé du ciel » ! Pour les artistes nous sommes d’incroyables passeurs, pour les élus, de simples fusibles …
Au Relecq-Kerhuon en 1990, l’Adjointe à la culture, au lendemain d’un Grains de Folie particulièrement pluvieux, nous préconise ironiquement de « … changer de ville ou de prendre deux, voire trois années de repos ! » .
Nous changerons donc de ville et, pour nous refaire une santé tant morale que financière, nous passerons en 1991, le Pont de Plougastel, invités par le Maire, André Le Gac…
Dans le même temps, Jean Champeau , élu brestois , grand communicant, éternel trublion, nous invite à Brest et nous confie l’écriture des Jeudis du Port avec Jacques Guérin …
En 97, ce sont Jean Guisnel et Alain Guiho qui nous confieront le FAR de Morlaix … et le gros déficit financier qui va avec ! Lors de la signature de la convention qui nous lie, Marylise Lebranchu nous dira « On vous garde si vous être bons , sinon … » ( sous entendu , « et bien vous retournerez d’où vous venez ! » Nous avons dû être bons puisque nous y sommes restés … jusqu’en 2011 !
Et ce (très) ancien élu du Relecq, rencontré il n’y a pas si longtemps et qui nous a dit « ce qui est extraordinaire avec vous , c’est que vous nous avez « vendu du vent » Quand on voit là où vous en êtes aujourd’hui, chapeau ! »
Et Le lieu du Fourneau du Port de Brest, dans tout ça ?
Nous nous sommes installés dans le «Vieux Fourneau de la rue de Bassam » en 1991 en voisin de l’Association qui construisait La Recouvrance. Juste un petit bureau prêté par la Ville pour travailler sur les Jeudis du Port, au dessous, un énorme hangar de 14 m de haut et de plus de 2 000 m² !
Le port était bien gris et sale à cette époque : imaginez au dessus de la route et rejoignant le toit de l’ancien Fourneau, un tapis roulant à godets au dessus du hangar à patates et qui transportait le poussier de charbon qui venait d’Afrique du Sud, tout droit sorti des bateaux ancrés dans le 5 ème bassin .
Sur le toit, une machine fabriquait les boulets de charbon qui tombaient directement dans 8 énormes cuves collées au hangar ! Et nous avons essayé de transformer l’une d’entre elles en salle de réunion !
C’est d’ailleurs là que nous recevrons pour la première fois quelques années plus tard ,« les gens du Ministère » : Renée Cuinat, Yves Deschamps, Gilles Detilleux …
Renée se rappelle encore la vétusté de cette cuve, son humidité et les pigeons qui l’habitaient ! Pour accéder de notre petit bureau du 1er étage à cet énorme hangar, il y avait un escalier donnant sur une porte en ferraille .
Un soir de l’hiver 1991, Claude prendra sa disqueuse électrique et l’ouvrira : c’est cet hangar qui deviendra « Le Fourneau » !
Durant l’ été qui suit, le Ministère de la Culture annonce, à Aurillac, par la voix de son directeur des spectacles, Alain Van der Malière, la création de Lieux de fabrique pour les compagnies aux scénographies hors normes telles que les nôtres !
Dès l’automne, nous déposons au Ministère un dossier intitulé « Le Fourneau de Brest et de l’Ouest » et accueillons sur le Portde nos premières résidences avec l’appui de la Ville de Brest . Ce sera le premier « Lieu de fabrique de spectacles de rue » à s’ouvrir en France . Il sera inauguré le 11 novembre en 1994 . Cela fait donc bien 30 ans !
En ces années, nous étions déjà fiers de revendiquer un lieu de création ( le hangar du Portde ), un festival de création ( Grains de Folie) et un espace de programmation (les Jeudis du Port)!
Le Fourneau est donc né, et avant tout, de la détermination incroyable des artistes et de l’équipe de passionnés que nous menions, nous « les anciens instits »qui venions de quitter notre poste de fonctionnaire de l’Éducation Nationale pour le métier de …saltimbanque ! « Fallait vraiment y croire à l’époque » !
Le Fourneau, lieu de création, lieu de tous les possibles où tout était à faire …
Quant au nom, outre le charbon ( les boulets de charbon , Fourneau, haut Fourneau ), c’est aussi parce que le grand père de Claude travaillait à la Pyrotechnie Saint Nicolas à Kerhuon où existait un « Fourneau économique », une de ces cantines ouvrières coopératives créées après la 1ere Guerre mondiale pour lutter contre l’alcoolisme ambiant.
Il s’y racontait des histoires, s’y forgeaient des réputations et s’y répandaient des rumeurs, comme celles que nous écrivions dans le Fourneau du Portde !
Durant ces années , l’économie des compagnies de théâtre de rue, la réalité du monde du spectacle vivant évoluent. Les métiers se dessinent . Les compagnies passent du modèle « jetable » , à des spectacles en tournée !
La reconnaissance du théâtre de rue avance mais si lentement ! Les compagnies finançaient autant que nous les éditions des Grains de Folie ! Difficile de continuer …Ce sera « Grains de Folie Dernière et Le Fourneau Première ! Savoir fermer une page pour en ouvrir une autre !
Puis rapidement, le Vieux Fourneau a commencé à perdre ses morceaux de béton qui nous tombaient parfois sur la tête ! Il fallait qu’on déménage ! Mais pour aller où ?
Un samedi matin de novembre 1997, Pierre Maille, Maire de Brest vient tout seul nous rencontrer, Claude et moi. Il sortit son stylo Mont Blanc et un quart de feuille de sa poche et nous posa la question : « Si on vous propose le hanger à soja , le Magasin C sur le quai de la Douane , qu’est ce que vous diriez ? Les crédits sont votés pour la démolition, ils peuvent servir à vous y installer « provisoirement »!
Ce qui est dit sera fait : Merci Monsieur !
Au printemps 1998 , ce Fourneau est inauguré : il travaille de plus en plus « sur le territoire » ! ( de Plouzané à Brest en passant par Morlaix , Molène , Lesneven , Plougastel, Plouguerneau … Quand Jean-Christophe Baudet le conseiller Théâtre de la DRAC , nous dira un jour : « Mais enfin , vous n’allez quand même pas travailler sur toutes les petites communes du Finistère ? ». Nous lui répondrons : « Et pourquoi pas ? »
De sédentaires l’hiver, au printemps nous devenons nomades, sans relâche, de résidences en créations en espace public, de festival en festival, terminant à 3h du matin au Far de Morlaix pour reprendre à 8h aux Jeudis du Port !
Le Fourneau sera cette marmite d’aventures humaines, où des centaines d’artistes sont accueillis programmés, bichonnés … Souvenir mémorable également que la signature sous un toit tout neuf, de notre première convention avec nos 8 partenaires en 2007 en présence de François Cuillandre, Maire de Brest . Une cérémonie traduite en direct par l’artiste Bénédicte Pilchard en esperanto gestuel, pour la bonne compréhension de tous !
Dès le début des années 2000, l’avenir des Capucins s’invite à notre agenda. Très discrètement d’abord : nous visitons en catimini ce lieu extraordinaire toujours en activité … On en rêve … ou pas …
Quand Claude dit « il faut qu’on y aille » , moi je dis « non » .
Quand je dis , « Oui tu as raison, faut y aller », Claude est dubitatif …
En 2006, nous sommes sollicités par le service culture de la Ville … pour écrire un projet de spectacle pour l’ouverture des Capucins au public. Nous écrivons avec Eric Goubet /Riké ( Métalovoice ) un spectacle qui s’appelle « Voyage en 3 dimensions dans l’univers de la mémoire ». Ce sera les prémices de La Marche des Capucins et s’ensuivront 10 ans de travail acharné jusqu’en 2017 pour que nous déposions le premier programme détaillé du nouveau lieu !
Pour conclure , Eduardo Galeano , auteur Uruguayen écrivait « La mémoire ne contemple pas l’histoire, elle incite à la faire ! Elle n’est pas née pour servir d’ancre, elle a plutôt vocation à être … une catapulte ! »
Michèle Bosseur et Claude Morizur
Co-Fondateurs et Allumeurs de cette histoire
Discours prononcé le 8 novembre 2024 vers 20H03 …
Lire par ailleurs sur PrendreParti …
Le Fourneau du Port de Brest ne s’est pas fabriqué en un jour …
Une réponse sur “Discours prononcé pour « les 30 ans du Fourneau du Port de Brest « …”
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