Paul Watson raconte sa détention à Reporterre …

 » Le Japon s’estime au-dessus des lois et aujourd’hui ça n’est pas lui qui rend des comptes, c’est moi qui suis emprisonné… Donc j’espère que cette situation permettra aux gens de comprendre … » Depuis la prison de Nuuk, au Groenland, le défenseur des baleines Paul Watson a bien voulu raconter à Reporterre sa détention, les enjeux du procès qui l’attend le 2 octobre ainsi que les racines de son engagement pour les océans …

Paul Watson répond à Reporterre : « La prison est devenue mon navire »

Paul Watson, alors qu’il était libre mais déjà poursuivi par le Japon, à Paris, en 2015. – © Loic Venance / AFP

Nos questions sur l’avenir de l’océan, les tactiques militantes et la meilleure manière d’obtenir des victoires écologistes, nous aurions préféré les poser à Paul Watson « en vrai ». Sûrement à Paris, sur la péniche en bois où il vivait encore il y a quelques mois. Seulement voilà. Mercredi 4 septembre, la justice danoise a annoncé prolonger de 28 jours la détention du défenseur des baleines. Le fondateur de Sea Shepherd, qui patiente depuis près d’un mois et demi dans les geôles groenlandaises, y restera jusqu’à son procès, le 2 octobre. La Cour devra alors trancher sur son extradition — ou non — au Japon. L’activiste de 73 ans y encourt 15 ans de prison, selon sa défense.

Le pays asiatique, qui fait partie des trois derniers États à pratiquer la chasse à la baleine, poursuit le capitaine pour « conspiration d’abordage ». L’affaire remonte à une quinzaine d’années. En février 2010, l’écologiste Pete Bethune, venu prêter main forte à l’équipage de Paul Watson lors d’une mission en Antarctique, était monté sur un baleinier japonais, le Shonan Maru 2. Selon la défense de Paul Watson, Pete Bethune aurait fait cela afin de lui présenter la facture de son navire, l’Ady Gil, coulé un mois plus tôt par ledit baleinier.

D’après le Japon, un pêcheur aurait été blessé par des boules puantes lors de cet abordage. Ce à quoi les soutiens de Paul Watson rétorquent que le pêcheur en question ne se trouvait pas sur le pont au moment de l’action. Le produit utilisé aurait par ailleurs été de l’acide butyrique, un produit inoffensif utilisé pour donner une mauvaise odeur à la viande de baleine, selon la défense de Paul Watson.

Avant que la justice danoise rende son jugement, nous avons souhaité sonder le capitaine sur ses conditions d’incarcération et son ressenti. Lamya Essemlali, la présidente de Sea Shepherd France qui lui rend visite quasi-quotidiennement, a accepté de lui poser nos questions. Téléphones et ordinateurs portables étant interdits au centre de détention, elle a retranscrit ses réponses sur une feuille de papier, avant de nous les transmettre. Les voici, en exclusivité. Un article signé Hortense Chauvin dans Reporterre du 12 septembre 2024 …


Reporterre —Comment se passe votre détention ? Comment allez-vous ?

Paul Watson — Je suis bien traité en prison, hormis quand ils m’ont menotté dans le dos très serré pour m’emmener au tribunal le 15 août dernier. Ils ne m’ont pas mis de ceinture de sécurité et j’étais ballotté à l’arrière, ça a blessé mon poignet et depuis j’ai beaucoup de mal à écrire.

Comme on ne m’autorise pas l’accès à la salle informatique de la prison — à laquelle d’autres prisonniers ont pourtant accès — et qu’ils ont refusé que mes amis m’amènent une machine à écrire, je suis obligé d’écrire à la main et c’est très douloureux. J’essaye de répondre aux gens qui m’écrivent mais je n’arrive pas à faire plus de trois cartes avant d’avoir trop mal. C’est frustrant…

À part ça, les conditions ici sont correctes, pour une prison. J’ai une cellule juste pour moi et les prisonniers ont accès à une cuisine collective donc je peux cuisiner mes propres repas. Depuis ma cellule j’ai vue sur le fjord et parfois il m’arrive de voir passer des baleines… J’imagine que je suis sur la passerelle d’un bateau… les baleines au milieu des icebergs… et les yeux du monde braqués sur la chasse baleinière, précisément parce que je suis ici. La prison de Nuuk est devenue mon navire.

Le 4 septembre, la justice danoise a annoncé que vous resteriez 28 jours de plus en détention. Quelle est votre réaction à cette décision ?

Je suis sidéré par la partialité de ce juge. Comment peut-il accepter de prendre en considération les preuves de l’accusation mais refuser de considérer les nôtres ?

Tout ceci est une parodie de justice, visant à satisfaire l’esprit vindicatif d’un gouvernement japonais qui s’est senti humilié par mes actions. Ils ne me pardonnent pas d’avoir exposé à la face du monde leur chasse illégale aux baleines dans l’océan Antarctique à travers la série télé « Whale Wars » [« Justiciers des mers »]. Depuis 2012, ils tentent de me le faire payer à travers un mandat d’arrêt politique. Il semble qu’ils n’aient jamais été aussi près d’y parvenir.

Reporterre — La Cour a une fois de plus refusé de regarder les vidéos qui prouvent, selon vous, votre innocence. Pourquoi ?

Le juge groenlandais refuse d’analyser nos preuves car elles le forceraient de facto à ordonner ma libération. Or il a bien conscience que mon affaire est politique et suivie de près par le gouvernement japonais qui pèse de tout son poids pour me mettre la main dessus. Il ne veut pas être celui qui prive le Japon de sa vengeance. Et donc, il faillit à sa mission de justice, tout comme Interpol a failli au respect de son propre règlement en publiant une notice rouge à mon encontre reposant sur un motif politique.


Reporterre — Vous vous trouvez désormais en prison depuis près d’un mois et demi. Vous avez trois enfants, dont deux ont moins de dix ans. Comment vivez-vous cette situation ?

Être éloigné de mes enfants est ce qu’il y a de plus dur. Savoir qu’ils s’inquiètent pour moi m’attriste, plus que d’être injustement enfermé. Mon fils de 7 ans espérait que je serais rentré pour son huitième anniversaire le 29 septembre prochain et ça ne sera sans doute pas le cas. Il a vu les images de moi menotté et ça l’a mis très en colère. J’aimerais pouvoir le consoler et le rassurer. Mais il sait pourquoi je suis emprisonné, et il est fier de moi.


Reporterre — Avez-vous peur d’être extradé au Japon ?

J’ai du mal à imaginer qu’un pays comme le Danemark dont le système judiciaire est respectueux des réglementations européennes et des droits de l’Homme pourrait concéder mon extradition vers un pays condamné pour violation des droits de l’Homme dans ses prisons, particulièrement à l’égard des activistes étrangers.

Nous avons une relation conflictuelle avec le Danemark, depuis de nombreuses années, en raison des massacres de dauphins aux îles Féroé. C’est peut-être pour cela que le Japon a émis un mandat d’arrêt contre moi ciblant spécifiquement le Danemark au mois de mars dernier. Mais j’ai toujours pensé que défendre cette planète est une cause qui vaut de risquer sa vie. Tout ce que je sais, c’est que si je suis envoyé au Japon, je n’en reviendrai pas.


Reporterre —  Si c’est le cas, auriez-vous des regrets ? La défense des baleines en valait-elle le coup ?

Je dois ma vie à une baleine. Une baleine qui a choisi de m’épargner alors qu’elle aurait pu me tuer. C’était un cachalot qui venait de se faire harponner par un baleinier russe. Ce cachalot est venu près de nous alors que nous étions dans un petit bateau pneumatique en train d’essayer de stopper les baleiniers [en 1975], et elle était sur le point de nous écraser.

« Je n’ai aucun regret »

Mais pendant un instant, nous avons eu une connexion. J’ai regardé dans l’œil de cette baleine et j’ai su qu’elle comprenait ce qu’on essayait de faire. Et j’ai vu l’effort qu’elle a fait pour retourner dans l’océan et épargner nos vies.
Ça m’a changé pour toujours. Je serai à jamais redevable de ce cachalot et de la nation des baleines. Donc non, je n’ai aucun regret. J’ai suivi mon cœur toute ma vie.


Reporterre — Le Japon vous poursuit pour une histoire qui date d’il y a presque quinze ans. Comment analysez-vous l’acharnement du pays contre vous ?

Le Japon savait que je comptais les empêcher de tuer des baleines dans le Pacifique nord. En mai dernier ils ont lancé le plus grand baleinier de l’histoire, le Kangei Maru. Nous avons un lourd passif avec les missions que j’ai menées contre eux en Antarctique pendant plus de 10 ans. J’ai pu, avec toutes mes équipes, sauver plus de 5 000 baleines et j’ai exposé à des millions de gens leurs actions illégales. Ils ne me pardonnent pas cette humiliation.

Reporterre —  Comment expliquez-vous que le Japon consacre autant d’énergie à la défense de la chasse à la baleine, alors que la consommation de baleines n’y fait que diminuer ?

Cette chasse n’a aucun sens. Moins de 2 % des Japonais mangent de la viande de baleine et le gouvernement japonais essaye désespérément, à grand renfort de campagnes marketing, de stimuler l’appétit des Japonais pour les baleines. Ils ont même sorti le hamburger de baleine pour séduire les jeunes mais ça ne prend pas…

Ce qu’il se passe, c’est qu’une poignée de nantis, anciens membres du gouvernement, issus de la droite ultranationaliste, bénéficient de postes extrêmement bien rémunérés avec de nombreux privilèges au sein de cette industrie qui existe sous perfusion d’argent public. Ces gens s’accrochent à cela et parce qu’ils sont influents, ils pèsent de tout leur poids pour maintenir coûte que coûte cette chasse.

Les yakuzas [la mafia japonaise] détiennent également les ports de chasse et les syndicats au sein desquels sont recrutés les marins qui embarquent sur les bateaux de chasse. Tout ceci est une affaire d’argent au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre. À commencer bien sûr par les baleines.


Reporterre — Voyez-vous votre arrestation comme un signe de l’intensification de la répression à l’égard des écologistes ?

Les gouvernements ont le monopole de la violence légitime. Et quand ils sont des puissances économiques, ils peuvent peser de tout leur poids et traquer les activistes et les lanceurs d’alerte. Ce qui se passe avec la notice rouge d’Interpol est un bon exemple. Cet outil qui doit servir à traquer les criminels et les assassins est de plus en plus détourné de son objectif initial pour traquer les gens qui s’opposent à des gouvernements pour des raisons parfois très légitimes.

« Il n’y a pas de plus belle cause que celle de la défense du vivant »

Plus nos écosystèmes vont se dégrader du fait de nos actions cupides et stupides, plus la résistance va s’intensifier et plus la répression sera dure. L’avenir pour nos enfants va être difficile mais il n’y a pas de plus belle cause que celle de la défense du vivant. Nous allons au-devant de grands défis et il est du devoir de chacun d’y contribuer, à sa façon et selon ses moyens.


Reporterre — L’annonce de votre arrestation a touché énormément de monde en France et dans le reste du monde. Qu’espérez-vous voir émerger de cette vague de soutien ?

Je suis très touché par les nombreuses lettres que je reçois en prison. Énormément de dessins et de mots d’enfants qui me touchent particulièrement. D’ailleurs sur les quelque 1 200 courriers que j’ai reçus, 760 viennent de France. Le reste vient d’une vingtaine de pays différents donc quatre, très touchants, du Japon. J’ai donné toutes ces lettres à Lamya pour qu’elle les ramène en France, je souhaite en faire un livre.

J’espère que mon emprisonnement permettra de braquer les projecteurs sur ce que le Japon fait subir aux baleines. Ces milliers de baleines qu’il tue en toute impunité, en violation du moratoire sur la chasse commerciale, en violation du sanctuaire baleinier antarctique, de la Commission baleinière internationale. Le Japon a été condamné par la plus haute juridiction mondiale à la Haye en 2014 et par la Cour fédérale australienne en 2014 pour la chasse des baleines. Mais le Japon s’estime au-dessus des lois et aujourd’hui ça n’est pas lui qui rend des comptes, c’est moi qui suis emprisonné… Donc j’espère que cette situation permettra aux gens de comprendre.

Reporterre — Comment espérez-vous voir le mouvement de défense des océans évoluer dans les prochaines années ? Comment peut-il espérer obtenir des résultats ?

C’est la diversité du mouvement qui fera sa force. Ce que je fais est un exemple et correspond à certaines personnes, mais il y a mille et une façons de s’engager. J’encourage toujours ceux qui me demandent que faire à sonder leur cœur. Ce sont eux qui ont la réponse, pas moi. Il s’agit de faire ce qu’on aime et d’utiliser son talent et sa passion pour contribuer à la défense de la planète.
Que vous soyez, artiste, avocat, enseignant, marin, photographe, écrivain, mécanicien, scientifique, cuisinier… Tout le monde peut contribuer et le fera d’autant mieux que ça sera à travers ce qu’il sait et aime faire. Si l’océan meurt, nous mourons.