Thomas Jolly et ses complices font flotter sur Paris des averses de Grains de folie …

D’après photo Annie Leibovitz / Vogue

A 42 ans, Thomas Jolly vient de diriger « la cérémonie la plus populaire de tous les temps » en orchestrant l’ouverture des Jeux olympiques.  Ce porte-parole  d’un nouveau « théâtre populaire«  s’est permis de bouleverser l’ordre établi” . Et certains  auront vécu cette cérémonie écrite à plusieurs mains comme une ode poétique et politique  fidèle aux valeurs démocratiques, humanistes et citoyennes du théâtre de rue … Comme une nouvelle génération de  » Grains de folie » ?

Parmi les commentaires  des professionnels du théâtre de rue, celui de Mika Mik« Vachement bien au contraire pour faire avancer les mentalités et voir plus loin que le bout de son nez… Malheureusement, on est obligé de passer souvent par des clichés vulgarisateurs pour être lisible par tous. Dans ce genre d’organisations d’évènements, les contraintes sont tellement énormes que c’est un vrai casse -tête pour rentrer dans tous les clous.
Ce que je vois dans ce spectacle, c’est la défense de toutes les minorités, les disparités et un appel à l’amour de tout un chacun. Jamais aucun spectacle d’évènementiel de cet envergure n’a été aussi porteur d’idéologie positive faisant appel à l’acceptation de la différence, à l’égalité homme-femme, voir même mettant la femme autant à l’honneur (pour une fois), ainsi que la couleur des peaux dans un pays où le blanc gouverne, une façon différente d’aimer, et surtout l’acceptation de l’autre.
Alors oui, nous professionnels de la rue, on tique sur des choses car ça fait des années qu’on bosse sur tous ces sujets, mais que nos idées soient portés mondialement, je trouve çà vraiment chouette. Et encore mieux et très satisfaisant pour nous, professionnels de la rue: toutes ces belles personnes protagonistes ont fait l’expérience du jeu sous la pluie sans avoir le choix de faire autrement: JOUER! 😉« 


« Ça a sacrement épaté les français et les françaises de voir tous ces corps surpassant la pluie, tous ces artistes prêts à jouer coûte que coûte, de voir cette énergie communicative qui n’était pas sans rappeler la générosité du désespoir, de voir l’intensité fugitive d’un tableau, de voir cette folle présence, ce qui-vive, cette inédite réactivité qui habitait les artistes, tellement loin des plateaux-tété !
Et on les voyait ces artistes, tout donner en 5 minutes, courir, glisser, trouver la bonne vitesse, être là au bon moment et ont les mangeait des yeux pour notre plus grande joie ! C’était la première fois qu’on voyait leurs corps habiter la ville aux yeux de tous loin des écrans, car oui qui les connaissait avant ? Même ceux celles connues sont apparus autrement et ont joué avec les éléments sauf lady gaga dont la séquence était enregistrée avant. Les vedettes étaient comme les autres et se mêlaient à des artistes que l’on connaissait peu ou mal ou pas du tout et ça nous a épaté de voir qu’il y avait autant de talent, autant de beauté ! Alors oui cela a donné aux français et aux françaises l’envie d’en voir plus, plus souvent, de ces artistes qui travaillent ailleurs, loin des médias, de ces artistes de rue, innombrables saltimbanques toujours prêts à endosser un costume sans broncher.
Ces artistes de la marge n’ont pas qu’une seule image d’eux-mêmes et ils sont toujours prêts à se jeter à l’eau, à défier le ciel, pour un jour, une heure, cinq minutes et ils rient en détournant Paris, ils tournoient, se risquent au milieu d’une flaque, dévalent un escalier, se font confiance et se livrent sans filet à tous les regards braqués sur eux ! Cette énergie du tout ou rien, du même pas peur, du ça passe ou ça casse, du on n’a plus rien à perdre, c’était un immense acte de liberté. Je dis cela en mettant de côté le verbiage sirupeux des commentateurs qui se préoccupait, de leurs voix moralisatrices et pompeuses, de nous seriner que la France était la grande gagnante de la soirée, et qu’elle faisait tout mieux que tout le monde. Comme s’il s’agissait de faire mieux que tout le monde ?!.
Moi je dis que ce soir-là seuls les artistes étaient sublimes dans l’urgence d’exister, ne vous en déplaise madame la France et tous vos courtisans, les artistes n’étaient pas là pour vous redorer le blason, car vous vous êtes perdue depuis longtemps dans la mauvaise bafouille du « ni oui ni non » même plus capable d’exercer la démocratie. Certes il vous reste votre drapeau mais ce sont les autres costumes lumineux qui nous ont sacrément épatés car la France bleu blanc rouge qui veut fermer les frontières était reléguée loin derrière les mille et une couleurs qui élargissaient le paysage et nos identités. Et c’était encore une fois le corps des artistes qui endossaient « liberté égalité fraternité », en plus inventif, en plus utopique ! Oui ils nous ont épaté ces artistes-là ! C’était par essence-même un spectacle arts de la rue, une grande forme, qui allie texte, chanson, cirque, danse, lumière, musique, mapping et fumigène. Un spectacle arts de la rue réunissant une famille d’artistes qu’il faisait bon voir ! De ceux et celles qui n’ont pas eu peur de se frotter à la rue avec ses contraintes, de surpasser les intempéries, de sauter de toit en toits, de danser au-delà du possible, de jouer avec le décor imposé, pour et avec un fleuve, la tour Eiffel et le Trocadero.
Ça fait sacrément du bien que les arts de la rue aient pu ce soir là être vu du monde entier. Espérons que chacun.e s’en souvienne quand il s’agira de décider, de programmer ce qui peut le mieux nous réunir, habiter nos villes et nos campagnes et nous faire grandir. Quant à moi je suis fière de faire partie de cette grande famille ! »      Marie Do Freval


JO Paris 2024 : une cérémonie généreuse et insolente, le pari follement réussi de Thomas Jolly

Certes, contraintes de l’exercice obligent, il y eut quelques longueurs. Mais quelle cérémonie ! Grandiose, queer et féministe, rassembleuse… Le metteur en scène signe un hymne à la tolérance et à la fête.

Une armada de danseurs pour célébrer la fête, la diversité, et toutes les musiques.

Une armada de danseurs pour célébrer la fête, la diversité, et toutes les musiques. Kyodo News via Getty Images

Un article signé Fabienne Pascaud dans Télérama du 27 juillet 2024 à 08h55

Ouvrir les jeux Olympiques au cœur de la cité, sur le fleuve même qui de part en part la traverse, et non dans un stade excentré, personne n’avait osé. Dès 2022, c’est la magnifique idée de Thierry Reboul, directeur des cérémonies de Paris 2024. Mais faire de cette traditionnelle cérémonie d’ouverture, pareille ode poétique et politique aux valeurs démocratiques, humanistes et citoyennes, personne au monde ne s’y était jamais risqué. Maître en théâtre populaire et exigeant à la fois, partageur et grandiose, le metteur en scène et directeur artistique Thomas Jolly l’a fait. Et réussi avec un panache, une insolence, une générosité et un humour dignes de notre meilleure icône nationale, Cyrano de Bergerac…

Comme jamais avant lui, il aura osé – dans la nuit hélas pluvieuse du 26 juillet – célébrer ouvertement les femmes, la diversité, la liberté, l’égalité, la fraternité, la sororité, la sportivité, la festivité, la solidarité, la solennité, l’éternité en quelque douze tableaux, revisitant et revivifiant les grands monuments du Paris des bords de Seine, capitale d’une France riche en histoire et vieille terre des droits de l’homme.

Sur un parcours de 6 kilomètres, du pont d’Austerlitz au Trocadéro, difficile pourtant d’éviter longueurs et temps morts, les quatre heures qu’aura duré le show. Faire se succéder – forcément lentement – 85 bateaux chargés de 205 délégations et 6 800 athlètes agitant sempiternellement bras et drapeaux aura été peut-être plus laborieux que dans un stade, où on les voit plus vite et tous à la fois. Mais le lieu unique aurait empêché le parcours quasi initiatique (douze tableaux comme les douze stations du chemin de croix christique ?) célébrant non seulement la joie d’être rassemblés dans nos différences, mais surtout l’amour. L’amour de l’autre sur tous les tons, dans tous les genres et tous les styles. Une cérémonie festive mais diablement et humainement engagée, qui a fait frémir la France d’extrême droite par des sympathies queer et LGBT tous azimuts joyeusement et fortement assumées. L’occasion d’une leçon de tolérance donnée aux 2 milliards de téléspectateurs de la planète était trop belle.

Lady Gaga et ses pompons, au début de la cérémonie.

Lady Gaga et ses pompons, au début de la cérémonie. Picture alliance via Getty Images

Sauf que Thomas Jolly ne donne jamais de leçon. Ce n’est pas son genre. Le metteur en scène de Henry VI de Shakespeare, de Thyeste de Sénèque, de Starmania comme du Roméo et Julette de Charles Gounod à l’Opéra, propose juste avec générosité. Et juxtapose ici avec esprit, fantaisie et culot autant d’incarnations de la France dans son histoire et sa pluralité. Sans aucune discrimination culturelle, désireux d’intégrer le plus grand nombre. Donc avec un rare sens du plaisir, de la fête, de l’émotion. Forcément, toutes les images, toutes les scènes n’auront pas eu la même force. Au tout début, Lady Gaga a paru bien appliquée en Zizi Jeanmaire chantant Mon truc en plume, quand la cantatrice Axelle Saint-Cirel, elle, a bouleversé dans La Marseillaise, perchée en haut du Grand Palais. Et si entonnant Djadja face à l’Académie française, temple de nos classicismes, Aya Nakamura a lancé de toniques coups de pied à la langue hexagonale face à une garde républicaine médusée et conquise, on n’a pas bien compris le tableau de la Conciergerie aux spectaculaires femmes rouges décapitées : y célébrait-on la Révolution ou la Terreur ?

Peu importe. Peu importe aussi les séquences filmées parfois maladroites – on a tremblé au début, sans vraiment rire, face à Jamel Debbouze se trompant de lieu avec sa flamme olympique et Zinedine Zidane prenant gauchement le relais… Alors que résonnaient tout au long de la cérémonie, dans un cocktail éclectique et rassembleur, Ravel et Claude François, Balavoine et Debussy, Stardust et Bizet, on gardera plutôt en mémoire des séquences qui ont fait frissonner. Un frénétique et rageur ballet de dizaines de danseurs sur un sol gorgé d’eau, l’onirique sortie du fleuve des statues dorées de femmes françaises (certaines oubliées) qui ont façonné notre histoire, la course finale dantesque sur les eaux de la Seine de ce cheval mécanique hallucinant et porteur de feu, la vasque olympique embrasée par Marie-José Perec et Teddy Rinner s’envolant dans les airs en montgolfière et semblant dorénavant veiller sur Paris

Et l’on oubliera pas de sitôt cet Hymne à l’amour d’Edith Piaf sublimement chanté par une Céline Dion impériale, toute vêtue de blanc, du haut de la tour Eiffel. Quatre ans qu’on n’avait plus entendu la divine québécoise pour cause de maladie. Dans ce tube planétaire célébrant l’amour fou, elle était juste renversante. Comme si la cérémonie l’avait ressuscitée. Un petit miracle du 26 juillet ? Preuve que si la France ne règne plus par sa puissance économique, elle rayonne encore – pour combien de temps ? – par son aura humaniste et artistique. Rendez-vous le 28 août pour l’ouverture des jeux Paralympiques.
Fabienne Pascaud


Thomas Jolly, un Peter Pan du théâtre devenu chef d’orchestre des Jeux olympiques de Paris 2024

Chargé des cérémonies d’ouverture et de clôture, le metteur en scène, passé d’« Henry VI » à « Starmania », a toujours revendiqué un art populaire. Un article signé Fabienne Darge publié dans Le Monde du 26 juillet 2024 . 

Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, pose près de la Seine, avec la tour Eiffel en arrière-plan, à Paris, le 2 juillet 2024.

A 42 ans, il a toujours l’air aussi juvénile qu’à ses débuts. Mince comme un fil − en acier, le fil –, le regard noir ardent ou rieur. Lui qui s’est érigé d’emblée comme le héraut d’un nouveau « théâtre populaire » trempé dans les codes de la modernité se retrouve à la tête de « la cérémonie la plus populaire de tous les temps » en orchestrant l’ouverture des Jeux olympiques (JO) : un public de plus d’un milliard de téléspectateurs à travers le monde, au-delà des quelque 300 000 personnes qui vont pouvoir suivre les festivités depuis les rives de la Seine. Qui dit mieux ?

Thomas Jolly a fait du chemin depuis qu’il bricolait dans sa chambre des petits spectacles à usage familial, avec de la musique d’opéra, des accessoires trouvés ici et là et des costumes scintillants arrangés par sa grand-mère – elle a longtemps gardé secret son désir d’être actrice. C’était à La Rue-Saint-Pierre, un tout petit village de la Seine-Maritime situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Rouen. « Il y avait une école, une église, mais pas de magasins. Mes parents [père imprimeur, mère infirmière] n’allaient pas à l’opéra. Nous n’allions pas au théâtre, juste au cinéma une ou deux fois par an », racontait le metteur en scène au Monde en 2022. « Dans cette famille où personne n’allait au spectacle, c’est comme si j’avais hérité, sans en avoir conscience, d’un désir frustré pour le faire enfin ­aboutir. »

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“Je me suis permis de bouleverser l’ordre établi” – Thomas Jolly se livre sur la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024

Le 26 juillet 2024, les Jeux olympiques de Paris ont été lancés avec une cérémonie d’ouverture hors norme sur la Seine. Rencontre avec Thomas Jolly en charge de la direction artistique de ce grand moment.

 

Thomas Jolly orchestre la crmonie d'ouverture des Jeux Olympiques 2024.
Photographe Annie Leibovitz – Réalisation Max Ortega

Sur les bords de Seine, ils seront environs 300 000 spectateurs à admirer la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Devant les écrans, ce sera plus d’1,5 milliard de spectateurs qui découvriront la direction artistique que lui a conférée Thomas Jolly. Il y a quelques mois, Vogue avait rencontré le metteur en scène français master ès Shakespeare, qu’il a souvent porté aux planches avec une flamboyante modernité, et récemment couronné du succès d’une nouvelle version de la comédie musicale Starmania. Celui qui a consacré deux ans de sa vie aux J.O. parisiens de 2024 avait partagé ses ambitions comme ses angoisses. À dix jours de cet événement mémorable, il en livre certaines de ses clés tout en se confiant sur ses émotions de metteur en scène XXL. A commencer par l’annonce de ses collaborateurs la romancière Leïla Slimani, détentrice d’un prix Goncourt, la scénariste Fanny Herrero, qui a écrit les séries Dix pour cent et Drôle, l’historien Patrick Boucheron et un auteur de théâtre, ami et collaborateur de longue date de Jolly, Damien Gabriac. “Ensemble, nous avons construit le récit des quatre cérémonies”, précise Thomas Jolly, qui cite également Victor Le Masne à la direction musicale, Maud le Pladec à la danse, Daphné Burki au stylisme, Emmanuelle Fabre et Bruno sur la scénographie.

Vogue France. Pour la première fois dans l’histoire de la cérémonie olympique, l’événement sort du stade. Un premier grand challenge, n’est-ce pas ?

Thomas Jolly. D’autant plus que je me suis permis de bouleverser l’ordre établi de cérémonie habituelle, à savoir une partie artistique, une partie de délégation et une partie de protocole. J’ai décidé de les entremêler pour une soirée de 3 heures 45 qui fait s’alterner les pays du monde entier, défilant au sein d’une douzaine de tableaux. Comme les athlètes vont passer entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna, cette grande fresque puise sa matière dans tous les sites historiques qu’ils traversent. Et quelle matière fabuleuse !

Dont on pourra pleinement profiter vu que vous avez choisi de faire débuter la cérémonie à 19h30…

En effet, je suis attentif à l’enjeu écologique. Démarrer la cérémonie à cet horaire permet de bénéficier au maximum de la lumière naturelle afin de ne pas déployer de l’énergie électrique pour l’éclairage. Par ailleurs, le fleuve n’est pas impacté par les travaux artistiques. Nous avons étudié les lieux où les poissons frayaient afin de ne pas déranger les habitats naturels. Rien ne tombe dans la Seine. Tout est respectueux de l’environnement dans lequel on s’inscrit. Il a été décidé d’investir plutôt les monuments, les ponts, l’histoire, les façades, les quais… Et ces endroits sont investis par environ 3 000 artistes venus de toutes les disciplines : danse, cirque, musique, acrobatie, comédie… Cette cérémonie, je l’appelle la grande célébration de notre humanité partagée !

Une humanité sans cesse mise à mal, et qui a donc besoin de réconfort ?

Absolument. Tous les quatre ans, les Jeux Olympiques proposent un arrêt sur image, une photographie du monde, puisque le monde entier nous regarde. C’est d’ailleurs, sur la planète, le seul événement à ce point suivi. C’est aussi le moment de célébrer cette humanité partagée avec ce qu’elle a à la fois de joyeux, de ludique et de fédérateur, mais aussi de se confronter à nos inquiétudes liées aux conflits et aux différents fléaux, de l’ordre du climat écologique ou de la guerre. Car l’olympisme se base également sur des valeurs de paix – notamment la trêve olympique, très importante dans l’histoire des Jeux Olympiques.
Tout comme la France doit défendre ses trois valeurs cardinales : liberté, égalité, fraternité.

Ce soir-là, le public des J.O. brillera par sa diversité d’âge, d’origine, de classe sociale… Thomas Jolly

Avec les auteurs, nous avons souhaité travailler sur un grand nous. Nous sommes une multitude, nous venons d’endroits divers, nous avons grandi de manière différente, avec des apports culturels distincts, mais nous formons un grand tout. Et c’est ce soir-là qu’on doit le célébrer. Tout comme la France doit défendre ses trois valeurs cardinales : liberté, égalité, fraternité

Pour vous, quel est le défi le plus crucial de cette cérémonie ?

Quel enchantement de voir sortir des ateliers les décors et les costumes, de voir ces artistes qui se rencontrent, qui créent, qui collaborent. Notre enjeu, dans les dix prochains jours, c’est de réussir à rassembler, en très peu de temps, ces 100 000 pièces d’un puzzle géant. Car si on se prépare énormément, il faut bien garder en tête que cette cérémonie ne sera jamais répétée
dans son intégralité afin de garder sa confidentialité. L’objectif est que tout le monde découvre simultanément le spectacle ! Pour moi qui aie l’habitude des filages, ce type de logiciel est nouveau…

C’est ce qu’on pourrait qualifier de numéro d’équilibriste ?

Complètement. C’est cela qui est grisant, dans la création des concepts comme des process… Cette cérémonie étant pionnière, il n’y a pas de modèle à suivre, et nous nous situons dans une création absolue. Impossible de s’ennuyer ! D’autant que les spectateurs présents ce soir-là au bord du fleuve seront étalés sur six kilomètres. Personne ne verra la même chose en même temps, chacun va donc vivre une expérience de cérémonie différente. Pour cela, je travaille depuis plus d’un an sur le storyboard de la retransmission. Il fallait non seulement concevoir le spectacle mais aussi la manière de le recevoir, qu’on soit au Venezuela ou assis sur les quais de Seine.

La Tour Eiffel lors des Jeux Olympiques de Paris 2024
Jean-Baptiste Gurliat / Ville de Paris

Durant cette cérémonie, quel moment avez-vous le plus hâte de vivre ?

Ce sera très émouvant de voir le premier bateau passer le pont d’Austerlitz, c’est-à-dire quand quand les athlètes entreront dans Paris. C’est eux, le fil principal de la cérémonie. Et j’ai très hâte de ce que la vasque s’allume. Car les Jeux Olympiques auront commencé ! Après dix-huit mois à concevoir et défendre cette mise en scène, face à des contraintes budgétaires, météorologiques ou patrimoniales, je serais heureux qu’on la partage enfin.

Qu’aimeriez-vous que les spectateurs ressentent devant cette cérémonie ?

D’une part, de la surprise. Pendant des mois, beaucoup de rumeurs ont circulé sur cette cérémonie. Mais je voulais absolument préserver l’émotion de la découverte et pour l’instant, nous y sommes parvenus. D’autre part, de l’amour. Celui qu’on se porte à soi-même, comme aux autres. Notre diversité et notre vivre ensemble est à célébrer… surtout suite aux récentes élections françaises. Un moment difficile durant lequel ont été proférés des discours contraires à l’idée d’accueil et de bienveillance qui sont des valeurs olympiques. Se dire qu’on s’aime fera du bien. Et en France, on sait très bien le faire dans les chansons, les poèmes, les livres, les pièces de théâtre, les films… N’oublions pas que Paris est la capitale de l’amour !

La Seine lors des Jeux Olympiques de Paris 2024
Guillaume Bontemps / Ville de Paris

Vous avez aimé ou bien vous n’avez pas aimé ? Parmi les témoignages :

« Je hais Paris en cage et palissades, vide dans les rues, vide dans les bistrots et restaurants, aux voies d’entrées et sorties en thrombose, seulement troublée par les sirènes de certaines voitures… J’ai haï les berges de la Seine barricadées des kilomètres avant le point central et les bâches posées pour empêcher de voir le fleuve et ce qui devait s’y passer, pauvres plaisirs de pauvres confisqués, comme hier des gerbes perdues soustraites aux glaneurs.
C’est dire quel public peu conciliant j’étais quand a commencé le spectacle à voir sur sa télé. La cérémonie d’ouverture des Jeux. Mais j’ai été happé, comme beaucoup, vraiment beaucoup, de monde, à commencer par mes proches camarades, râleurs parmi les râleurs, soudain quasi ronronnants.

Il y avait du meilleur en matière de créativité et de dérision. Mais aussi du moins bon, selon moi, car je ne parle ici que pour mon compte. Le meilleur, c’est le lieu qui a finalement fonctionné comme prévu dans sa magie. C’est l’équipe de Palestine acclamée sous les yeux du président Herzog, l’homme qui signe sur des bombes du génocide à Gaza. Le meilleur, c’est le mariage de la technique et de la pure création, les grandes voix entendues. Le meilleur, c’est Paris mise en scène et célébrée sous tous les angles. Parce que cette ville reste, quoiqu’il advienne de nous les Français avec le RN et Macron, une référence aux yeux du monde. Paris des rébellions et des révolutions, que cela plaise ou non, était le centre du monde ce soir d’été. Seule faute technique : avoir invité François Hollande qui, bien sûr, attira à lui un déluge ininterrompu et faillit faire échouer toute la fête ! (Attention : je plaisante, hein ! Je plaisante en faisant une plaisanterie. Définition : Une plaisanterie est une parole ou acte destiné à faire rire, à amuser. Ici il s’agit de faire rire en affirmant que c’est à cause de Hollande qu’il pleuvait. Naturellement je sais qu’il n’en est rien et je présente mes excuses à la pluie, phénomène purement naturel dans le cycle de l’eau.)

Je crois que personne ne pourra oublier ce spectacle, et alors on peut dire combien son créateur a atteint son but. Quand des images, par nature évanescentes, subsistent à l’esprit après qu’elles aient été dépassées par d’autres images, alors on peut parler d’un spectacle réussi. Tout ce qui a été vu dans le monde entier voyage désormais dans des milliers d’imaginations et montrera sa trace demain, après-demain, sans qu’on le sache, dans d’autres créations, d’autres codes bousculés pour montrer la vie et ses aléas. Car la création sème de la création. C’est un processus contagieux.

Il me faut dire aussi des félicitations à tous ceux qui ont, sur le plan technique, tenu la tranchée avec succès pour que tout soit au point quand il fallait, comme il fallait. J’ai trop vécu de ces sortes d’évènements à grosses implications techniques pour ignorer à quel point ils sont tout entiers dépendants de leurs bases techniques et des talents qui s’y consacrent.

Je critique la tête coupée de Marie-Antoinette. Pourquoi elle plutôt que lui ? N’était-il pas non seulement comme elle un traitre vendu aux ennemis de la France, mais qui avait juré respecter la Constitution et être loyal à son pays ? La peine de mort et l’exécution de Marie-Antoinette sont d’un âge des punitions que nous ne voulons plus revoir. Célébrez la République et tout ce qu’elle a instauré. Bravo pour la Carmagnole, bravo pour le plaidoyer amusé sur la liberté des genres. Mais oui, abandonnons dans les plis du temps profond et de l’oubli ceux qui ont trahi et trahissent encore l’idéal réel de la République. Mais, quoi qu’il en soit, la mort ne pourra jamais être un spectacle. Et l’humiliation des condamnés sera toujours de trop !

Je n’ai pas aimé la moquerie sur la Cène chrétienne, dernier repas du Christ et de ses disciples, fondatrice du culte dominical. Je n’entre pas bien sûr dans la critique du « blasphème ». Cela ne concerne pas tout le monde. Mais je demande : à quoi bon risquer de blesser les croyants ? Même quand on est anticlérical ! Nous parlions au monde ce soir-là. Dans le milliard de chrétiens du monde, combien de braves et honnêtes personnes à qui la foi donne de l’aide pour vivre et savoir participer à la vie de tous, sans gêner personne ?

Que ces deux critiques n’effacent pas les compliments avec lesquels j’ai commencé ce petit post. Je l’ai écrit sous la pression bienveillante d’amis très proches. Nos conversations sans gêne les informent de mon point de vue. Alors, ils me reprochent déjà de ne rien dire d’un sujet dont tout le monde parle parmi nous. Nous y confrontons des visions du monde, de l’art et de leurs relations mutuelles. L’art n’en est qu’à condition d’être absolument et complètement libre. La liberté est la matière première de la création. C’est elle qui fait assembler ou séparer les matériaux qui constituent l’œuvre. La liberté est l’autre nom de la créativité. J’aime ce genre de conversations qui porte sur de l’aussi fugace.

Le spectacle de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, même si l’on pense du mal des Jeux, de l’idée de ce type de spectacle, et ainsi de suite, a donné à voir une audace bien typique. Et elle a montré un esprit rebelle des Français autrement plus caractéristique que les bérets et baguettes de pain de la caricature anglo-saxonne ordinaire. Donc c’était un moment qui nous présentait comme peuple d’insolences et de poésies.

Puissants de la terre, méfiez-vous de ce peuple rebelle que même son président méprise sans vergogne. Il est comme le cavalier galopant sur l’eau : d’abord un rêve impossible mais ensuite une réalité sans appel. »     Jean Luc Mélenchon


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Une réponse sur “Thomas Jolly et ses complices font flotter sur Paris des averses de Grains de folie …”

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