Alors qu’un rapporteur de l’ONU qualifie la France de « pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux », interpellations et gardes à vues, parfois violentes et dégradantes, se multiplient à l’égard des manifestants écologistes. Reporterre a recueilli des témoignages de participants aux mobilisations parisiennes contre TotalEnergies et Green Dock des 24 au 26 mai derniers …
Enfermés, sans eau et sans WC : à Green Dock et Amundi, le calvaire des militants écolos
« Le but, c’était de faire la fête », insiste Malo [*]. En ce vendredi 24 mai, une sono, des décors étaient prévus. L’objectif : dénoncer les investissements de TotalEnergies dans les énergies fossiles, à l’occasion de l’Assemblée générale de la multinationale. Le rendez-vous était fixé devant l’un de ses principaux actionnaires, la société de gestion d’actifs Amundi, dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Mais la mobilisation s’est transformée pour lui et ses camarades en journée infernale.
Selon les témoignages recueillis par Reporterre, environ 450 personnes [1] ont été nassées devant le siège de la multinationale, à partir de 11 h 15. Objectif pour la police : retrouver ceux qui, une heure plus tôt, avaient cassé une vitre et redécoré le hall d’entrée de l’immeuble Amundi avec de la peinture et des tags. Dans la bousculade, dix vigiles auraient été blessés, neuf transportés à l’hôpital, selon la police.
« J’ai soigné des personnes mordues au sang par les vigiles », indique un médic. En tout, 173 personnes ont été interpellées et placées en garde à vue. Cinquante d’entre elles ont dû rester jusqu’à presque minuit dans un bus où il faisait extrêmement chaud, sans possibilité d’aller aux toilettes, de manger, de voir un médecin et avec une quantité d’eau extrêmement limitée. Chez Extinction Rebellion (XR), qui organisait la mobilisation, on n’avait jamais vu autant de gardes à vue, des privations de liberté aussi longues et dans de telles circonstances.
Une ambiance qui a donné le ton du lendemain lors d’une autre mobilisation écologiste : entre 1 000 (selon la police) et 2 000 personnes (selon les manifestants) ont défilé le samedi 25 mai contre le projet d’entrepôt Green Dock, à Gennevilliers. Selon les témoignages recueillis par Reporterre, un cortège détaché de la manifestation principale a été chargé par la BAC (Brigade anticriminalité), armée de LBD et de gaz lacrymogènes. Bilan : cinquante-neuf interpellations [2]. La police craignait que ce groupe aille mener des dégradations.
Alors qu’un rapporteur de l’ONU qualifie la France de « pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux », deux jours de suite, un très grand nombre d’interpellations et gardes à vues, parfois violentes et dégradantes, ont visé des manifestants écologistes. Reporterre a recueilli des témoignages de participants à ces deux journées.
Retenus sans explication
Le vendredi, devant Amundi, « c’est vers 11 h 15 qu’on a compris qu’on ne pouvait plus partir », se souvient Mat [*], membre de XR. « Les policiers nous donnaient très peu d’informations : pourquoi ils nous retenaient, est-ce qu’on allait être interpellés ? Ils voulaient faire des contrôles d’identité, on a refusé pour éviter le fichage. » Hadrien Goux est arrivé justement à ce moment-là. Salarié de l’association Bloom, qui a porté plainte contre TotalEnergies, il était accompagné de l’un des autres plaignants : Benjamin, Belge de 17 ans, non francophone.
Le jeune homme a failli mourir lors des inondations de 2021 en Wallonie et y a perdu Rosa, sa petite amie. Alors qu’ils ne pouvaient manifestement pas avoir participé aux dégradations, « personne ne nous a prévenus que si on entrait, on ne sortait pas », indique le responsable de campagne énergies fossiles. Ils ont enchaîné les entretiens avec la presse, et « on ne s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas sortir que vers 13 ou 14 heures. »
Pendant ce temps-là, l’un des vigiles d’Amundi a commencé à désigner des manifestants dans la foule, rapportent les témoignages. Facile : une grande partie des personnes entrées dans le siège de l’entreprise le matin étaient à visage découvert. La police a commencé les interpellations. Certaines étaient violentes. Une candidate LFI aux européennes a été traînée au sol. Mat a vu « des coups au visage avec un gant coqué ».
Deux témoins nous rapportent qu’un homme a été agrippé par l’entrejambe. Léa Thieullant, elle, a été embarquée vers 15 heures. « J’ai été pointée du doigt, puis ils m’ont agrippée de manière violente pour me porter. J’ai encore la marque des doigts du policier sur le bras gauche. Le médecin de la police m’a mis un jour d’ITT (Incapacité temporaire totale). »
Refuser de signer les PV
Hadrien Goux a filmé un homme à terre, manifestement en hyperventilation. « La police a fini par le jeter tel quel dans le bus », dit-il. Lui s’est retrouvé dans le même bus quelques minutes plus tard, pour ne pas laisser seul face à la police le jeune Benjamin, « sur lequel trois policiers ont fondu ». Les deux, partis en garde à vue, ont été libérés le soir même pour vice de forme.
« Ils m’ont quand même demandé de signer un PV sur lequel était inscrit “rassemblement en vue de commettre des dégradations et violences” et “terrorisme” », se souvient le salarié de Bloom. « Bien entendu, j’ai refusé ! » En tout, selon XR, seuls deux manifestants ont été déférés au tribunal et risquent des poursuites.
Pendant ce temps, à 15 h 15, les manifestants dans la nasse ne savaient toujours pas pourquoi ils étaient privés de liberté. La police semblait débordée par le nombre de personnes à interpeller. « Il y avait des juristes dans la foule, donc on savait que la privation de liberté au bout de quatre heures devient illégale », dit Mat. « Les gens sont sous le cagnard depuis plusieurs heures, ont faim, soif, ont besoin de sanitaires… »
Un coin pipi a été improvisé avec une bâche. Les élus — l’eurodéputée Manon Aubry, la députée Sandrine Rousseau — se relayaient et permettaient un ravitaillement. Arrivé dans l’après-midi, le député Éric Coquerel a demandé le statut des personnes nassées. « Le préfet m’a répondu par texto qu’elles étaient interpellées et que vu les violences du matin, elles allaient tous au commissariat. »
Certaines personnes ont été emmenées dans les fourgons classiques de la police. Et vers 17 heures, un nouveau bus a commencé à être rempli. Neo [*] faisait partie de ceux qui y sont montés. « Des policiers m’ont demandé de venir, je n’ai pas résisté », se souvient-il. Après un contrôle d’identité, il y est entré. Entre ces quatre parois de métal, « tout de suite il faisait très chaud. » Cela faisait déjà six heures que les personnes étaient dans la nasse. « On avait tous un peu faim, soif, envie de pisser. » En tout, cinquante personnes ont été embarquées, sans que leurs droits ou leur statut ne leur soient notifiés. Zénon [*], autre passager, se rappelle : « J’ai demandé en montant si on était en garde à vue, ils m’ont dit non. »
Un litre et demi d’eau pour un bus entier
Le bus a mis du temps à partir. « Il y a eu au moins une dizaine de coups de frein très violents avant qu’il ne parte », se souvient Malo. Puis a commencé une traversée de Paris et du périphérique à toute allure. « Une majorité de gens étaient debout car il y avait peu de places assises, c’était très dangereux », dit Neo.
« Déjà il y a eu de premiers signes de malaise, un vieux monsieur en face de moi était blanc comme un linge. On a demandé de l’eau, ils nous ont donné une bouteille d’un litre et demi pour tous », raconte Zénon. Après un premier stop, le bus atterrit devant le commissariat de Bobigny peu après 19 heures. Les passagers étaient soit très blancs, soit très rouges. Certains étaient au bord du malaise. Un policier a consenti à remplir quelques gourdes. La porte avant a été ouverte pour laisser entrer un peu d’air.
« On demande à aller aux toilettes, on nous dit non »
« On a demandé à aller aux toilettes, on nous a dit non mais les gens n’en pouvaient plus. Alors les policiers nous ont désigné un trou à l’arrière », dit Malo. Les urines s’évacuaient mal, très vite une forte odeur est monté. La situation semblait de plus en plus absurde alors qu’au même moment, vers 19 h 15, la nasse devant l’immeuble Amundi était finalement levée, près de huit heures après son début. Les manifestants sont repartis sans même avoir à subir un contrôle d’identité.
Mais pas question de relâcher les passagers du bus. « Une personne avait le poignet enflé, on suspectait une fracture. Ils lui ont refusé le médecin », se rappelle Neo. Il a l’impression que la situation amusait leurs geôliers. « Ils passaient, faisaient “coucou” et riaient. » Le jeune homme, parfois sujet à des crises d’angoisse, a fini par faire une attaque de panique. Il était allongé dans le bus, une codétenue lui tenait la main, le faisait respirer.
« J’avais besoin de manger quelque chose, les policiers ont refusé. Aussi que je prenne du Xanax, que j’avais sur moi. » Il fait partie des premiers à être sortis du bus… La nuit commençait à tomber, il était donc entre 21 h 30 et 22 heures. Par tout petits groupes, les manifestants ont été répartis dans différents commissariats pour être mis en garde à vue.
Enfermés six heures dans un bus
En parallèle, dans la nuit, Éric Coquerel s’est plaint auprès du préfet de la situation : « Il m’a répondu que les gens n’y étaient plus ! » Une de ses collègues, la députée Sarah Legrain, s’est rendue sur place. Il faisait nuit noire. Elle a exercé son droit de visite dans le bus, plus d’une trentaine de personnes s’y trouvaient encore, depuis bientôt six heures. Il a enfin été permis aux passagers d’aller aux toilettes. « On m’explique qu’a été dressé un PV de circonstances insurmontables pour justifier que ces personnes ne soient pas encore en garde à vue », a-t-elle dit en sortant.
Les dernières personnes sont sorties du bus vers minuit, et se sont donc vu notifier leur garde à vue environ douze heures après que la privation de liberté ait commencé. Répartis dans différents commissariats, ils ont enfin été libérés le lendemain.
Mais les commissariats d’Île-de-France n’ont pas tardé à être à nouveau remplis. Dès le samedi, une manifestation contre le projet d’entrepôt Green Dock, coordonnée par les Soulèvements de la Terre, a elle aussi eu droit à l’intervention des forces de police. Ces dernières sont restées calmes jusque vers 16 heures, quand une partie du cortège s’est détachée. Une grille est démontée pour entrer dans un parc voisin. Objectif selon les Soulèvements de la Terre, faire « une balade surprise par le grand parc des Chanteraines pour aller découvrir les zones logistiques de Gennevilliers ».
La police a dit craindre immédiatement que ce groupe aille commettre des dégradations. Certains manifestants étaient masqués, beaucoup ne l’étaient pas. Comme Émilie [*], venue avec seulement ses lunettes de soleil et son téléphone, dépassée par la situation. « Tout d’un coup, il n’y a pas eu une dégradation, pas un caillou, pas une provocation, des policiers ont commencé à nous charger avec un LBD. Ils visaient les manifestants », raconte-t-elle. Elle assure n’avoir entendu aucune sommation. Les militants ont reconnu la BAC — Brigade anticriminalité.
« J’ai craché du sang »
« Ils étaient en mode cow-boys, l’un d’eux a dégoupillé lacrymo sur lacrymo », poursuit-elle. Un groupe de manifestants s’est retrouvé pris dans un épais nuage de gaz. « Je voyais à peine mes mains », nous raconte Sandrine [*]. « Certains ont vomi », ajoute Galad [*]. « J’ai craché du sang », dit Émilie. Quand le nuage s’est dissipé, la police a interpellé des personnes, les alignant le long des murs des maisons de la rue pavillonnaire. Très vite, il a été demandé aux personnes arrêtées de s’allonger, mains dans le dos.
Une vidéo montre des personnes à terre frappées par les agents. Notre photographe sur place a pu immortaliser un policier pointer avec un LBD la tête d’un manifestant à terre puis le maintenir au sol genou sur le cou. « Il y avait un excès de zèle », estime un autre témoin de la scène.
Cinquante-huit personnes (selon la police) ou cinquante-neuf (selon le parquet) ont été arrêtées et emmenées dans différents commissariats. L’une d’entre elles, un médic, a été emmenée à l’hôpital. Tout comme la veille lors de l’action Amundi, les policiers ont sous-entendu auprès de plusieurs militants que s’ils ne faisaient pas appel à un avocat, ils sortiraient plus vite. « Finalement, c’est la copine qui y a renoncé qui est sortie la dernière », observe Émilie.
Coup de pression en vue des JO
Ils sont accusés d’« attroupement en vue de commettre des dégradations ». La majorité des militants sont sortis de garde à vue le lendemain. D’après Le Parisien, qui cite le parquet de Nanterre, cinquante dossiers sur les cinquante-neuf ont été classés sans suite.
Autant de « coups de pression pour décourager, freiner le militantisme », estime Émilie. Plusieurs gardés à vue lors des deux événements se sont aussi vu délivrer un message de la part des policiers : ceci est un avertissement, tenez-vous tranquille pendant les Jeux olympiques, car la répression pourrait être alors bien plus sévère.
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Répression policière des militants écolos : « La France est le pire pays d’Europe »
Un entretien réalisé par Emmanuel Clévenot pour Reporterre du 31 mai 2024 …
Depuis 2022, Michel Forst est rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement aux Nations unies. Depuis ce poste, il observe et protège les militants écologistes face à une répression grandissante.
En 2022, face aux menaces pesant sur les militants écologistes, les Nations unies ont créé le poste de rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement. Ancien directeur d’Amnesty International France, Michel Forst a hérité de ce mandat inédit. Son objectif : les protéger contre toute forme de harcèlement, persécution ou pénalisation.
Reporterre – Frappé par les témoignages recueillis aux quatre coins du continent, vous avez établi un panorama européen de la répression des militants écologistes. Considérez-vous que les droits humains sont aujourd’hui menacés ?
Michel Forst – Oui. À l’exception de la Norvège, véritable particularité dans ce paysage, les mêmes phénomènes s’observent partout. Les personnalités politiques commencent par marteler un discours très discriminant, voire diffamatoire, en utilisant des termes comme « écoterroristes » ou « talibans verts ».
Les médias mainstream relaient ces propos et encouragent involontairement les usagers à assimiler les militants à des terroristes ou des criminels. Preuve de l’impact de cette rhétorique : en Allemagne, des automobilistes ont traîné des manifestants par les cheveux, les ont frappé et ont roulé sur eux alors qu’ils bloquaient simplement une route.
Par ailleurs, les autorités publiques s’en servent pour justifier le recours à des méthodes jusqu’à présent réservées à la lutte antiterroriste. En Italie, de nouvelles lois anti-mafia voient le jour et se durcissent. En Allemagne, les lois destinées à lutter contre la Fraction armée rouge dans les années 1970 sont remises au goût du jour.
Des cellules spécialisées sont créées, comme Déméter en France [qui surveille les « atteintes au monde agricole »]. Et dans les documents officiels de quelques pays, des mouvements écologistes sont clairement désignés comme « à tendance terroriste », voire parfois terroristes. Cette assimilation me fait peur.
Comment se positionne la France dans ce panorama ?
La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations, ne comprennent pas qu’on puisse user d’une telle violence.
« Si la France est la pire sur le maintien de l’ordre, la Grande-Bretagne est la pire en termes de répression judiciaire »
En Allemagne, les arrestations sont assez « musclées ». L’utilisation de prises très douloureuses, appelées « pain grip » et consistant à tordre le poignet, s’apparente à de la torture. Pour autant, cela n’a rien à voir avec l’actuelle répression policière que subissent de plein fouet les militants français. Ici, les grenades lacrymogènes et de désencerclement sont lancées sans aucune distinction. Le phénomène de nasses, pourtant interdit, est encore appliqué. Autant de dérives que l’on n’observe pas à l’étranger.
Y compris en Grande-Bretagne, où la répression des écologistes semble pourtant se durcir de mois en mois ?
Celle-ci est différente. Si la France est le pire pays européen en termes de maintien de l’ordre, la Grande-Bretagne est le pire en termes de répression judiciaire. Des peines allant jusqu’à trente mois de prison ferme ont été prononcées pour un blocage de pont ou d’autoroute.
Par ailleurs, les entreprises autoroutières peuvent réclamer aux militants climat des sommes faramineuses, sous prétexte que l’interruption du trafic a entraîné une perte financière de plusieurs centaines de milliers de livres. Là où, en France, un euro symbolique aurait vraisemblablement été demandé.
Et ce n’est pas tout ! Des tribunaux interdisent aux avocats de présenter des défenses fondées sur la « nécessité ». Les militants n’ont pas le droit d’expliquer pourquoi ils ont agi. Le moindre fait de prononcer les mots « climat » ou « changement climatique » entraîne une condamnation pour outrage à la Cour.
Condamner des militants pacifistes à de telles peines est-il conforme au droit international ?Pas du tout, et c’est bien là tout le paradoxe. Le droit international relatif aux droits humains considère que la désobéissance civile est protégée. Les États ont l’obligation de respecter et de protéger le droit d’avoir recours à cette forme d’expression. Les militants n’ont pas à être punis pour avoir occupé des arbres sur le chantier de l’A69, aspergé de peinture un ministère ou interrompu une compétition sportive. Le droit les protège.
J’accepte que le juge condamne, puisqu’il y a bien une infraction à la loi. Toutefois, la condamnation doit être symbolique, ou être prononcée mais non appliquée.
Dans plusieurs pays, comme l’Allemagne, la Suisse ou même la France, certains magistrats commencent à reconnaître la légitimité de la désobéissance civile. En avril, à La Rochelle, neuf militants d’Extinction Rebellion ont été relaxés par le tribunal correctionnel en raison de « l’état de nécessité ». Malheureusement, de nombreux magistrats en Europe ne suivent pas encore ce chemin.
Qu’entend-on précisément par « désobéissance civile » ?Aujourd’hui, il n’existe aucune définition universellement reconnue. Le Rapport Spécial utilise toutefois quatre critères cumulatifs pour décider s’il saisit ou non un dossier : il doit s’agir d’actes de violation délibérée de la loi, dans le but d’attirer l’attention sur une question d’intérêt public, menés publiquement et non au fond de son jardin, et ce, sans avoir recours à la violence contre les personnes. Si ces critères sont réunis, alors la personne est protégée par le droit international.
Vous parlez uniquement de « violence contre les personnes ». Alors incendier des engins de chantier sur le tracé de l’A69 ou saboter une usine de l’entreprise Lafarge est-il aussi protégé ?
Une distinction très claire doit être établie entre les personnes et les biens. S’en prendre à quelqu’un est totalement prohibé. Dès lors que des militants commencent à lancer des pierres ou des cocktails Molotov, même en réponse à une violence policière, on entre dans la violence, et celle-ci est interdite par les Nations unies.
Pour les biens, c’est un peu différent. Moi, je n’utilise pas le mot de sabotage. Je me limite à l’observation. Encore une fois, la désobéissance civile se veut symbolique. Démonter la vanne d’une mégabassine pour la déposer devant une préfecture accompagné d’un message politique, ce n’est pas du sabotage violent et c’est donc autorisé par le droit international.
Même chose s’il s’agit de lacérer avec un cutter un mètre de plastique sur ces installations ou de casser un cadenas pour pénétrer dans une serre et arracher dix mètres carrés de plantes transgéniques… Il y a bien une entrave à la loi, mais c’est autorisé par le droit international. En revanche, saccager des serres entières de 100 m de long ne relève plus du symbole. Saboter une usine ou brûler des engins non plus. Là, on quitte le cadre de la désobéissance civile pacifiste.
Les journalistes aussi peuvent être victimes de cette répression.
Oui. La simple habitude prise par les journalistes de couvrir les manifestations avec des protections de la tête aux pieds est un mauvais signe. Les journalistes, dont le travail remarquable révèle au grand jour les connexions entre les intérêts privés et des décisions néfastes pour l’écologie prises par les États, sont des défenseurs de l’environnement. Ainsi, ils sont éligibles à une protection.
« La répression s’abat avec beaucoup de violence sur tous les mouvements de libertés »
Lorsque votre collègue de Reporterre, Elsa Souchay, s’est adressée à moi [elle était accusée d’avoir participé à une action illégale des Faucheurs volontaires d’OGM], j’ai immédiatement décidé de me saisir du dossier. Dans de nombreux pays, les journalistes sont de plus en plus souvent assimilés aux militants. Ils ont beau porter un brassard de presse ou toutes sortes de signes distinctifs, ils sont parfois maltraités par les policiers, voire arrêtés.
J’ai d’ailleurs moi-même été témoin de ces dérives sur le chantier de l’A69, entre Toulouse et Castres. Venu observer le traitement réservé aux « écureuils » [le nom des militants perchés dans les arbres], j’ai découvert que les journalistes étaient bloqués par un cordon de gendarmes dans un ravin au-delà de la route. Le préfet avait demandé à ce qu’on les empêche d’approcher et de filmer mon intervention. J’ai donc été obligé de descendre vers eux pour leur détailler les raisons de ma venue.
Avec désormais un peu de recul, avez-vous le sentiment d’être entendu par les dirigeants à qui vous avez affaire ? Les Nations unies ont-elles encore un impact à ce niveau-là ?
Malheureusement, il est aujourd’hui indéniable que l’on vit dans une Europe et un monde très dangereux, dans lequel la répression s’abat avec beaucoup de violence sur tous les mouvements de libertés. Pour autant, nous parvenons à résoudre de nombreux dossiers. Souvent, le simple fait d’alerter dissuade les États ou les entreprises de poursuivre les démarches engagées contre un militant.
Quant aux nombreux parlementaires menant de front une contestation à l’encontre des Nations unies et de la Cour pénale internationale, sachez que ce sont des discours de campagne. Très clairement. Dans la pratique, les relations entre les États et l’ONU fonctionnent efficacement.