D’insupportables relents de “préférence nationale” …

La loi Immigration votée le 19 décembre 2023 par 349 députés revient sur le droit du sol, les droits sociaux et aggrave la répression envers les personnes migrantes. Des mesures de “préférence nationale” issues du programme de l’extrême droite qui stigmatisent les personnes étrangères vivant en France et rompent avec notre modèle démocratique et social. De nombreux élus locaux, médecins, syndicats, sont bien décidés à ne pas appliquer les nouvelles mesures …


Loi immigration : après la consternation, la désobéissance …

Un article signé Marie Astier dans Reporterre du 22 décembre 2023.

Un claquement de porte au cœur même du gouvernement. Mercredi 20 décembre, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a démissionné. « Cela touche aux murs porteurs.(…) Je constate cliniquement que ce n’est pas possible pour moi d’expliquer ce texte », a indiqué l’homme politique gardois. Il répondait ainsi à l’adoption définitive de la loi immigration par l’Assemblée nationale et le Sénat mardi 19 décembre.

Un vent de résistance s’est levé contre le texte. Mercredi 20 décembre au soir, des manifestations ont eu lieu à Rennes, Besançon, Avignon ou encore Cherbourg. Mais surtout, élus, médecins, universitaires, syndicalistes, ont fait connaître publiquement leur désaccord voire leur intention de ne pas appliquer certaines dispositions de la loi.

Les trente-deux départements dirigés par des élus de gauche ont ainsi annoncé mercredi 20 décembre, dans un communiqué, qu’ils refusaient la « préférence nationale ».

Précisément, ils n’appliqueront pas la disposition de la loi concernant l’allocation d’autonomie, attribuée par les départements. Cette aide, réservée aux plus de 60 ans en perte d’autonomie, vise à couvrir tout ou partie des frais leur permettant de rester vivre chez eux. La loi immigration prévoit de restreindre son accès pour les étrangers hors Union européenne, qui devront résider depuis au moins cinq ans en France, ou trente mois s’ils travaillent. « Tous les habitants de nos territoires ont droit à la dignité, d’où qu’ils viennent », ont expliqué les élus. Ils envisagent de créer une autre aide visant à compenser celle supprimée. À Paris, ville mais aussi département, la maire Anne Hidalgo devrait présenter un ensemble de mesures détaillées ce vendredi pour contourner la loi.

Plus de quatre-vingt présidents d’université ont manifesté leur désaccord

« La CGT appelle à la désobéissance civile et à la multiplication d’actions de résistance contre cette loi à l’image de ce qu’ont fait trente-deux départements », a approuvé la secrétaire générale du syndicat Sophie Binet sur RMC jeudi 21 décembre au matin. « C’est ce qu’il faut faire partout. »

Plus de quatre-vingt présidents d’universités et d’instituts d’enseignement supérieur ont également fait savoir leur « opposition ferme et déterminée » aux mesures qui concernent les étudiants. À savoir, l’instauration d’une caution pour les étrangers venant étudier en France (sensée notamment garantir le retour dans leur pays), la limitation de leur accès aux aides sociales ou encore l’inscription dans la loi de frais de scolarités plus élevés. Trois dirigeants d’écoles de commerce réputées se sont également émus de ces dispositions.

Toujours du côté universitaire, l’Institut Convergences migrations, qui rassemble 700 chercheuses et chercheurs sur ces sujets, a également fait savoir sa « profonde indignation ». Pour eux, la loi immigration obéit à l’idéologie, loin des faits établis par leur travail, qui indiquent que la France est loin d’être submergée par les flux migratoires. « Résistons ! », écrivent les scientifiques. « L’Institut appelle au sursaut collectif et à la résistance constructive de tous les acteurs engagés sur les questions migratoires. »

Plus tôt en novembre, ce sont 3 500 médecins qui avaient affirmé leur intention de « désobéir » si la suppression de l’Aide médicale d’État (AME), qui permet aux étrangers en situation irrégulière d’être soignés, était actée. « Moi, médecin, déclare que je continuerai à soigner gratuitement les patients sans papiers selon leurs besoins, conformément au serment d’Hippocrate que j’ai prononcé », s’engageaient-ils. L’AME est finalement maintenue, mais reste en sursis, car Élisabeth Borne a promis un débat sur le sujet début 2024.

Une désobéissance coûteuse

Tous ceux qui annoncent vouloir agir contre cette loi pourront-ils le faire ? Pas si facile. Par exemple pour les départements, « ouvrir des droits à des prestations sociales alors que les étrangers ne sont pas légalement éligibles, ça me paraît assez compliqué », estime le professeur en droit public Serge Slama. « Il y a un risque de contrôle de légalité par la préfecture et donc de censure par le tribunal administratif. »

Plus de 80 présidents d’universités et d’instituts d’enseignement supérieur ont fait savoir leur « opposition ferme et déterminée » aux mesures qui concernent les étudiants. Camille Stromboni/ CC BYNCND 2.0 Deed/ Flickr

Et s’ils créent leur propre aide, qui n’aura pas de soutien financier de l’État, il faut encore que le budget suive. Les Universités sont par exemple en train de constater cette limite. Depuis 2019, les étudiants étrangers ne venant pas de l’Union européenne doivent payer plus de dix fois plus de frais d’inscription que les étudiants français. La majorité des universités françaises n’appliquent pas cette mesure. « Mais ça pèse sur leur budget, vu qu’il n’y a pas de compensation par l’État », note Serge Slama.

« Quand Nicolas Sarkozy a commencé à aller chercher les enfants dans les écoles, on les a cachés »

Reste qu’il est toujours possible d’agir. « Comme la quasi totalité des lois en droit des étrangers sont iniques, la désobéissance civile est très fréquente », poursuit le professeur de droit public. « Quand Nicolas Sarkozy a commencé à aller chercher les enfants dans les écoles, on les a cachés », se souvient-il. Les collectivités se retrouvent aussi régulièrement obligées de « rattraper les carences de la loi et de l’État, parce que le public est là. » Il en va ainsi de l’hébergement d’urgence. La loi adoptée prévoit qu’il ne sera plus accessible aux personnes déboutées du droit d’asile ou visées par une obligation de quitter le territoire (OQTF).

Sur le terrain, de nombreuses communes devraient continuer de l’organiser de façon inconditionnelle, sans tenir compte de ces critères. Toujours à condition de pouvoir assumer financièrement la charge cependant.

Face à tous ces appels à la désobéissance, le président des Républicains s’est indigné, jeudi 21 décembre au matin, sur France Inter. « On est dans une République bananière ? Il y aurait des petits roitelets locaux qui décideraient de ne plus appliquer les lois de la République. C’est de la sédition », a déclaré Éric Ciotti. Pourtant, fin septembre, un membre de son propre parti, Laurent Wauquiez, avait annoncé ne pas vouloir appliquer l’objectif « zéro artificialisation nette », dans sa région Auvergne-Rhône Alpes. Cet acte de désobéissance n’avait pas suscité sa réaction.

Marie Astier dans Reporterre du 22 décembre 2023.



Le président de l’UBO, Pascal Olivard, signataire d’un communiqué commun contre la loi Immigration

L’UBO, par l’intermédiaire de Pascal Olivard, s’est positionnée contre la loi Immigration, à l’instar de nombreuses universités bretonnes et françaises.

L’UBO, par l’intermédiaire de Pascal Olivard, s’est positionnée contre la loi Immigration, à l’instar de nombreuses universités bretonnes et françaises.

Le projet de loi Immigration a été adopté à l’Assemblée nationale, mardi 19 décembre 2023. Le même jour, en réaction à ce vote, un communiqué signé par plusieurs présidentes et présidents d’universités françaises et relatif à ce projet de loi a été publié. Plusieurs présidents d’universités bretonnes font partie des signataires : David Alis (Université de Rennes), Carine Bernault (Nantes), Pablo Diaz (Sciences Po Rennes), Virginie Dupont (Université Bretagne Sud),Vincent Gouëset (Université Rennes 2) et Pascal Olivard, président de l’UBO. Ensemble, ils déplorent « que la version proposée à cette heure vienne s’attaquer aux valeurs sur lesquelles se fonde l’Université française : celles de l’universalisme, de l’ouverture et de l’accueil, de la libre et féconde circulation des savoirs, celles de l’esprit des Lumières », écrivent les présidents, qui poursuivent : « ces mesures indignes de notre pays mettent gravement en danger la stratégie d’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche française, et nuisent à l’ambition de faire de notre pays un acteur majeur de la diplomatie scientifique et culturelle internationale ».


Loi immigration : L’envolée de Christiane Taubira contre la « paranoïa de la grande invasion »

L’ancienne ministre de la Justice de François Hollande, s’indigne de la stratégie et des mots utilisés par Emmanuel Macron pour justifier son texte.

« Ils sont donc si nombreux… 349 !
Même après la soustraction, il en reste beaucoup ! Ils rient. Jubilent. Mais ils ont la peur au ventre.
Quel autre sentiment dicterait cette presque centaine d’articles contre l’hospitalité, contre le droit du sol, contre les solidarités, contre la vie de famille, contre les études, contre les soins, contre le droit commun, contre la décence… ah ! pardon ! POUR ! pour … la déchéance de nationalité… ressassée.

Ça, c’est pour les auteurs authentiques de l’infamie. Car tout ça, c’est signé. Personne ne l’ignore : ces idées débagoulent et empestent depuis quelques dizaines d’années, déjà. Elles trônaient dans les programmes électoraux, elles s’éructaient sur les plateaux télé, se disséminaient sur les réseaux sociaux. Elles persistent dans ces lieux. Et sont désormais dans la loi. La loi républicaine. Du moins, elles en ont pris l’habit. A défaut de l’esprit.
Il y a donc les auteurs. Et puis, il y a les scribes. Oh, pardon, c’est trop d’honneur pour un tel labeur. Une telle besogne. Disons plutôt : les porte-plume. Ceux qui grattent le papier sous la dictée. Sous sommation. Sans vergogne. Quant au chœur des hâbleurs qui prétendent qu’ils ont été malins et que les mesures les plus dures ne seront pas applicables, il ne parvient pas à rafistoler la dignité perdue.
Et serait-ce vrai : quel cynisme ! quel mépris des lois, nos règles communes. Tricher avec le Droit, quelle impudence !
Et serait-ce faux : quelle impéritie ! quelle coupable incompétence !
D’aucuns comptent sur le Conseil constitutionnel pour décaper, récurer, vidanger… Bien sûr, le Chef de l’État peut, pourrait (devrait ?) choisir de ne pas promulguer cette loi. Mais puisqu’il est convaincu que « c’est le bouclier qui nous manquait »…
Nous avions compris que le bouclier fiscal servait à préserver les rentes, qu’il visait et aboutissait à protéger les privilégiés qui comptent leurs fortune et patrimoine en millions et milliards. Un sacrifice sur le budget de l’Etat qui entraîna, en même temps que la généreuse suppression de la Flat tax, la douloureuse réduction de cinq euros sur le montant des APL.
Nous n’avons pas encore compris de quels dangers nous prémunit ce bouclier contre les personnes étrangères. Pas compris qui est cet ennemi censément plus redoutable que l’Attila qu’on enseignait jadis. Notre imagination se dérobe s’il faut voir sa réincarnation dans ces femmes qui ont tenu la première ligne lorsque nous étions « en guerre » contre la pandémie ; ces derniers visages souriants ou tristes qu’ont vus nos parents morts en EHPAD ; ces hommes
qui ont continué à ramasser nos déchets aussi abondants que du temps où nous sortions ; ces gars qui pédalaient en danseuses dans les cotes des rues soudain désertes de nos villes pour nous livrer nos commandes pleines de cholestérol ; ces enfants qui sont autant, pas plus pas moins, turbulents que les autres dans les cours d’école ; ces étudiant.es brillants.es, pétillant.es ou flemmard.es, et qui ont crevé la dalle durant cette passe difficile. Sans compter ces milliers, qui font toutes sortes de métiers, sur les chantiers, dans les écoles, les hôpitaux, qui, parfois diplômés, tiennent l’entrée de toutes sortes d’établissements. On n’a pas cherché, mais on pourrait, parmi toutes celles et ceux qui sont arrivé.es, enfants, ados ou jeunes adultes, embarqué.es dans la vie de parents en quête de bonheur, de liberté, d’espoir, d’avenir, ou simplement d’un quotidien moins rude. Celles et ceux qui, venu.es d’ailleurs, de toutes sortes d’ailleurs, sont totalement d’ici et qui, sans besoin de rien renier, font rayonner la recherche, les arts, les lettres, les sciences, les techniques, la dérision, l’inventivité, la politique, le goût du débat et de la fronde, le génie collectif français.
La loi est votée. Elle sera probablement élaguée par le Conseil constitutionnel. Puis promulguée.
Est-ce la fin de tout ? Des résistances s’organisent, d’ores et déjà. Elles ont formes multiples et sont bienvenues. Car il faut faire savoir que nous sommes encore des mille et des cents à ne pas endosser la paranoïa des verbeux de la grande invasion, les convulsions des maniaques du remplacement, les fantasmes des tourmentés qui connaissent si peu l’Histoire de France qu’ils croient voir dans le dynamisme social et culturel une identité vacillante. Nous restons des mille et des cents à savoir que la panique est mauvaise conseillère.
Il y a quelques semaines, se tenait à Brasilia, le Congrès des professeur.es de français dans les Amériques et les Caraïbes. Avec quel embarras ces professeur.es devront désormais expliquer à leurs apprenant.es, enfants, ados et adultes, que la France de Jean Ferrat ne donne plus le vertige aux peuples étrangers. Ces professeur.es auront bien à faire, d’autant qu’enseigner la langue ne saurait se limiter à savourer les mots à facettes et s’extasier devant l’orthographe parfois sadique. Il faudra continuer à expliquer les idées derrière et sous les mots… Bon courage ! avec xénophobie, ensauvagement, racialisation, altérité, humanisme, asile, droit, libertés…
Peut-être leur faudra-t-il aussi parfois répondre aux questions sur des présences françaises sans réciprocité. Devoir justifier, à l’occasion, de cette diplomatie législative de la suspicion, de la défiance, de l’hostilité.
Les uns et les autres continueront à circuler. Par curiosité. Pour secouer un chagrin ou pour broder un rêve. Des personnes traverseront encore des terres, des déserts et des mers, chassées par les bouleversements climatiques auxquels nous prenons grande part ; poussées par des guerres que la gouvernance internationale se révèle impuissante à éviter ou arrêter ; contraintes par des répressions massives ou ciblées que les États amis réprouvent mais s’avèrent incapables de faire cesser.
La France continuera d’aimer les belles histoires Celles de Lassana, de Mamoudou et de tant d’autres. Celles de ses footballeurs, ses cinéastes, ses intellectuel.les… Il arrivera encore que l’enthousiasme et la lucidité l’emportent sur la peur, la trouille, la frousse et sur la friponnerie politique.
Il faudra se donner les moyens de défaire l’infâmie. Parfois, « un chant d’oiseau surprend la branche du matin » (René Char : Fureur et mystère) »
Christiane Taubira

le 21 décembre 2023


 A suivre …