Au Chili, les mégabassines nuisent depuis 35 ans !

En France, les mobilisations contre les  méga-bassines témoignent d’une prise de conscience écologique et sociale grandissante: « L’eau, sang vital de notre planète est un droit, pas un privilège. ». Le Chili expérimente depuis 1985, bassines et retenues d’eau à ciel ouvert. Bilan : un cycle naturel de l’eau altéré et une privatisation par les grands agriculteurs. Cet échec devrait, selon le Collectif des scientifiques en rébellion, guider nos choix …

Au Chili, les mégabassines néfastes depuis 35 ans

Un article signé Marion Esnault dans Reporterre du 25 novembre 2022

À Petorca, à 200 kilomètres au nord de Santiago-du-Chili, de grandes bassines d’eau jalonnent les plantations verdoyantes d’avocats destinés à l’exportation. Depuis une dizaine d’années, la province est considérée comme « zone de catastrophe pour pénurie d’eau ». Autour de ces retenues d’eau et de ces tâches vert foncé, le paysage méditerranéen de garrigue provençale d’il y a quinze ans a disparu. Aujourd’hui, seuls les cactus survivent. Le climat est devenu désertique. La rudesse de la « mégasécheresse » a fait perdre une grande partie de leur bétail aux petits éleveurs. Depuis 2012, la plupart des habitants reçoivent par camion-citerne 50 litres d’eau potable par jour et par personne.

Avec ses 1 200 fleuves et 3 500 glaciers perchés dans les Andes, le Chili est la troisième réserve mondiale d’eau douce. Et pourtant, il est aussi parmi les vingt pays au monde qui subissent le plus haut stress hydrique : les ressources en eau disponibles sont inférieures à la demande. Estefanía González, coordinatrice chez Greenpeace, explique que « le problème de l’eau n’est pas seulement dû à la sécheresse et au changement climatique, mais aussi à la manière dont l’eau est gérée. Seulement 2 % sont utilisés pour l’eau potable ». Depuis la dictature de Pinochet, l’eau au Chili est une propriété privée. Le plus grand consommateur, et donc propriétaire de l’eau, est l’agriculture, à hauteur de 73 %. Grand exportateur d’avocats, de noix ou de raisins, le pays andin a privilégié depuis 1985 les retenues d’eau (barrages, bassins…) pour sécuriser le développement de son modèle agroexportateur.

« Les petits agriculteurs sont dépossédés de l’eau »

Chloé Nicolas, géographe au Centre du climat et de la résilience, étudie les systèmes d’irrigation d’une vallée semi-aride du Chili, l’Elqui. Selon elle, il existe « une représentation hégémonique de l’eau impulsée par l’État et défendue par les grands agriculteurs : l’eau doit être gérée de manière efficiente et ne doit pas se perdre dans l’océan ». De nombreux fleuves ne débouchent plus dans le Pacifique à cause de la sécheresse et des retenues d’eau. Malgré tout, « l’idée que les pratiques modernes [barrages, bassines ou usines de dessalement] vont résoudre la sécheresse reste bien installée ». Selon Chloé Nicolas, « ces grandes bassines permettent l’accaparement » : au Chili, « les petits agriculteurs sont dépossédés de l’eau par plusieurs moyens, mais, clairement, l’accumulation de l’eau dans les réservoirs a renforcé cette dépossession ».

Après douze ans de sécheresse, le modèle des réservoirs et barrages commence doucement à être remis en question. Heinrich Böll Stiftung / Terram

Après douze ans de sécheresse, le modèle des réservoirs et barrages commence à être remis en question. Claudia Galleguillos, responsable des stratégies d’eau à la Fundación Chile, fait partie de ces voix critiques. Elle se demande « si les ouvrages de stockage d’eau sont la politique adaptée pour atténuer la sécheresse ». Mauricio Galleguillos, docteur en sciences agronomiques de Montpellier et chercheur associé au CR2 du Chili, observe trois grandes conséquences environnementales après plus de trente ans d’usage des bassines. Tout d’abord, en accumulant l’eau dans des zones spécifiques, « on modifie sa distribution dans l’espace et on déconnecte l’eau de son cycle naturel ». Ensuite, « on diminue la quantité d’eau disponible à cause de l’évaporation » et enfin, « on interfère sur le temps nécessaire pour que l’eau se régénère ». Si « on puise l’eau dans les nappes phréatiques, on capte une eau fossile accumulée depuis des décennies et on affecte, là aussi, le cycle de l’eau ».

Les autorités misent sur les usines de dessalement

Selon Claudia Galleguillos, « la solution n’est pas dans les retenues d’eau. Si nous avons besoin de stocker l’eau, nous avons les aquifères ! » — des sols ou des roches réservoirs. Mauricio Galleguillos partage cette vision. Il souligne que dans le monde « les sols contiennent de plus grandes quantités d’eau que les fleuves » et qu’« il y a peu de connaissance du système sol-plante-eau ». Les sécheresses prolongées « exigent de nouvelles formes de penser et d’utiliser les sols, qui fonctionnent comme des éponges ». Mais cela sous-entend d’« investir davantage dans la connaissance que dans les infrastructures » et de « passer à un modèle où le débit naturel de l’eau est privilégié ».

À ce jour, les changements structurels suggérés par Mauricio ne sont pas à l’agenda. Face à une sécheresse durablement installée et des nappes phréatiques qui s’épuisent, les pouvoirs politiques et économiques misent sur les usines de dessalement qui se construisent par dizaines sur la côte Pacifique


Les méga-bassines sont une maladaptation aux sécheresses et aux enjeux agricoles

Ce texte publié sur le Blog Médiapart du 30 mars 2023 est une version longue de la tribune publiée dans Le Monde du 26 mars 2023 par le Collectif des scientifiques en rébellion.

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Photo d’une mégabassine © Greenpeace France

« Nous, scientifiques, soutenons les mouvements de résistances aux projets de méga-bassines. Sans utilité réellement prouvée, ces retenues à ciel ouvert menacent la préservation de l’eau et des écosystèmes, et freinent la transformation de notre modèle agro-économique face aux sécheresses actuelles et à venir. Plus de dialogue est nécessaire entre agriculteur·ice·s, citoyen·ne·s et institutions.

   « Il est possible d’assurer un avenir durable et équitable dans le domaine de l’eau. Il faut pour cela changer radicalement la façon dont nous apprécions, gérons et utilisons l’eau. Cela commence par traiter l’eau comme ce qu’elle est : notre bien collectif mondial le plus précieux, essentiel à la protection de tous les écosystèmes et de toutes les formes de vie« . Ces écrits ouvrent le rapport de synthèse sur l’économie de l’eau publié à l’occasion du sommet sur l’eau des Nations Unies en cette première semaine de printemps 2023. Ce printemps succède à un hiver exceptionnellement peu pluvieux en France, où les restrictions d’eau apparaissent déjà. La crise qui s’installe et les restrictions associées soulignent l’importance de la gestion des stockages naturels fournissant une grande partie de l’eau dont nous dépendons.

Car l’eau n’est une ressource renouvelable que si la consommation n’est pas excessive ; un équilibre en phase d’être rompu à mesure que les effets combinés du changement climatique et de la surconsommation d’eau se font sentir. Que l’on regarde dans les lacs, les rivières, les sols ou les nappes phréatiques, les quantités d’eau se réduisent en France. Contrairement à l’argent, il n’y pas d' »eau magique », il est donc très probable que la compétition entre les principaux usages de l’eau du territoire (industrie, eau potable et sanitaire, refroidissement des centrales électriques, géothermie, loisirs et évidemment agriculture) augmente.

L’agriculture utilise actuellement 45% de l’eau consommée en France, principalement via l’irrigation. Cela représente plus de 90% de la consommation estivale dans certaines régions. Dans un contexte de raréfaction de l’eau disponible, il est donc crucial de (re)penser notre système agricole ; une adaptation est indispensable, mais laquelle ?

    Les méga-bassines, qui sont des retenues à ciel ouvert remplies en hiver par pompage des nappes phréatiques et qui alimentent ensuite l’irrigation, sont souvent présentées comme nécessaires pour « nourrir la France ». Les projets se multiplient en Nouvelle Aquitaine, Pays de la Loire, Centre, Bretagne et Auvergne, entre autres. D’un point de vue hydrologique, agronomique et économique, les méga-bassines sont pourtant une sérieuse attaque envers la préservation de l’eau et notre souveraineté alimentaire.

    Les méga-bassines sont une mal-adaptation aux sécheresses présentes et à venir, qui nous rendront probablement plus vulnérables tout en fragilisant des écosystèmes entiers. Les eaux de surface et les eaux souterraines forment un continuum, elles sont les deux faces d’une même pièce qui interagissent fortement, il est donc vain de les traiter séparément dans la gestion de l’eau. Et comme les bassines dépendent par définition de la recharge souterraine, elles ne permettent pas de faire face à une sécheresse prolongée, où un déficit de pluie se « propage » dans l’assèchement des sols et laisse finalement les nappes à des niveaux trop bas. Même à une échelle saisonnière, un remplissage de méga-bassines (qui dure entre 2 et 3 mois) mise sur une recharge phréatique satisfaisante à la fin de l’hiver, un véritable pari quand on sait que les prévisions hydrogéologiques ne peuvent dépasser 6 mois.

Les nappes phréatiques sont de véritables tampons hydrologiques dans les paysages, amortissant les variations météorologiques vers un transit souterrain plus lent et stable. Par contraste, les méga-bassines « court-circuitent » une partie de ce cycle, exposant au passage   l’eau remise en surface à une évaporation importante (7% selon la FNSEA, plutôt 10% voire 60% selon les sources scientifiques) et une eutrophisation (cyanobactéries) affectant les eaux stagnantes. Plus généralement, cette mise à disposition artificielle de la ressource peut créer des « sécheresses anthropiques » directes amplifiant l’impact des sécheresses météorologiques et hydrologiques en aval des prélèvements d’eau . Ces sécheresses d’origine humaine, observées dans les dernières décennies dans la péninsule ibérique et au Chili, proviennent d’une dépendance accrue aux infrastructures d’approvisionnement en eau, et peuvent créer un cercle vicieux : les impacts des sécheresses alimentent une demande pour plus de dispositifs de stockage d’eau, accroissant par effet rebond les usages, qui causera de nouveaux déficits en eau et ainsi d’autres dégâts socioéconomiques. Et au-delà de l’hydrologie locale et aval, les retenues d’eau ont un impact sur la biodiversité des zones humides et les systèmes aquatiques avec des effets cumulés encore largement inconnus. On sait en revanche que les zones humides, havres de biodiversité, ont connu une régression massive en Europe en particulier en France, tandis que la biodiversité aquatique a globalement décru à un tiers de celle estimée en 1970.

Face à ces risques, aucune étude d’impact n’existe pour affirmer un effet positif local des bassines sur la ressource en eau. En Deux-Sèvres où les projets de méga-bassines avancent, une étude fournie par un organisme public (le BRGM) en 2022 a modélisé l’effet régional du pompage de la nappe pour le remplissage hivernal de 16 de ces réservoirs à ciel ouvert. Une contre-expertise et plusieurs collègues spécialistes ont relevé que la méthodologie utilisée ne parvient pas à décrire les dynamiques locales des nappes phréatiques, à prendre en compte les effets d’évaporation, ni enfin à intégrer les effets de sécheresses comme celles de la dernière décennie et encore moins celles  – plus fréquentes et plus intenses en été – à venir. Nous ne mettons pas en cause nos collègues du BRGM, qui n’ont répondu qu’à une commande émise par la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres avec des scénarios précis sur une période 2000-2011 peu représentative du futur, comme admis dans un communiqué de presse et plus récemment expliqué au Sénat.

Il est inacceptable que l’instrumentalisation de résultats scientifiques sortis de leur contexte, justifie des politiques de gestion de la ressource sourdes à l’intérêt collectif et à l’évaluation scientifique rigoureuse. En effet, le déploiement de dispositifs tels que les méga-bassines freine la transformation de notre modèle socio-économique et de nos modes de vie, nécessaire et urgente pour la préservation de la ressource en eau. La recherche scientifique doit contribuer à cette transformation, et non être mise au service de projets qui ne font qu’aggraver la situation ou détourner les efforts des véritables priorités.

N’oublions pas qu’à travers l’utilisation de l’eau, il s’agit aussi de notre capacité de production agricole locale pour nourrir la population française. Les méga-bassines alimenteront en fait une minorité d’exploitations (12 à 15% en Sèvre Niortaise – Mignon, dont la moitié initialement raccordée aux bassines), avec pour effet de fragiliser l’accès à l’eau souterraine des autres producteurs (et évidemment les autres usages). Dans cette mise en concurrence, il n’est pas question de stigmatiser les agriculteurs et agricultrices, mais d’engager le dialogue. Diverses dynamiques mettent les professions agricoles sous pression : baisse du nombre de paysans, agrandissement des exploitations, et dépendance aux importations (engrais, pétrole) réduisent la souveraineté alimentaire et la résilience du système agricole. Nous conseillons de nouvelles orientations politiques et économiques pour l’agriculture​​​​​​​ afin de réellement soutenir les paysan.nes pratiquant une agriculture plus sobre en eau, plutôt que de subventionner des méga-bassines (à hauteur de 70% des 76 M€ pour le projet en Deux-Sèvres, via l’Agence de l’eau) sans réelle contrepartie.

Au final, on peut se poser la question de l’utilité réelle des bassines, qui consiste plutôt en une « rustine hydro-sociale » (voire du « greenwashing hydrologique ») alimentant la culture du déni de l’urgence de changer de modèle de société, et où l’argent public bénéficie à un petit nombre au détriment de tous les autres. L’éthique scientifique nous impose de susciter et d’éclairer un débat démocratique, pour que soient prises des décisions collectives à la hauteur des enjeux. Pour conclure, les mobilisations contre les projets de méga-bassines nous paraissent légitimes, et les Scientifiques en rébellion estiment nécessaire d’agir pour replacer les débats scientifiques et la gestion des ressources au coeur d’une prise de décision égalitaire entre tous les acteurs.

Ce texte a été écrit collectivement par : Sylvain Kuppel (hydrologie), Odin Marc (géomorphologie), Stéphanie Mariette (génétique des populations), Laurent Lassabatère (hydrologie), Pascal Houillier (médecin, physiologie), Julien Lefèvre (informatique), et Lara Elfjiva (anthropologie sociale), membres du collectif Scientifiques en rébellion.

Avec le soutien de chercheur.se.s spécialistes :

Christian Amblard (hydrobiologie, CNRS, Clermont-Ferrand)
Gilles Billen (biogéochimie, CNRS, Sorbonne Université, Paris)
Camille Bouchez (hydrogéologie, CNAP, Université de Rennes)
Brice Boudevillain (hydrométéorologie, Institut des Géosciences de l’Environnement, Université Grenoble Alpes)
Pierre Brigode (hydrologie, Université Côte d’Azur)
Yvan Caballero (hydrogéologie, Montpellier)
Nadia Carluer (hydrologue, INRAE, Lyon)
Aude Carreric (climatologie, Barcelona Supercomputing Center)
Simon Carrière (hydrogéologie, Sorbonne Université)
Jérémie Cavé (sciences de la durabilité, IRD, Géosciences Environnement Toulouse)
Guillaume Chagnaud (hydro-climatologie, Institut des Géosciences de l’Environnement (Grenoble)
Jean-Baptiste Charlier (hydrogéologie, BRGM, G-Eau Montpellier)
Nicole Claverie (environnements géo-naturels & anthropisés, Université de Toulouse III)
Wolfgang Cramer (géographie, directeur de recherche CNRS, Aix-en-Provence)
Bertrand Decharme (hydrologie & climatologie, CNRS, Toulouse)
Valérie Demarez (écologue, Professeure à l’Université Toulouse III)
Agnès Ducharne (hydroclimatologue, CNRS, METIS-IPSL, Paris)
Marc Dumont (hydrogéologie, Université de Liège, Belgique)
Véronique Durand (hydrogéologie, Université Paris Saclay)
Sylvain Ferrant, (agronomie et hydrologie, IRD, Toulouse)
Jérôme Gaillardet (géochimie, Institut de Physique du Globe, Paris)
Rémy Garçon (hydrométéorologie et gestion de l’eau, retraité)
Josette Garnier (biogéochimie des eaux et des sols, CNRS, Paris)
Yves Goddéris (surfaces continentales et interfaces, CNRS, Toulouse)
Marielle Gosset (hydrométéorologie, IRD, Toulouse)
Youen Grusson (hydrologie, Université de Toulouse III)
Joël Guiot (paléoclimatologie, directeur de recherche émérite CNRS, Aix Marseille Université)
Basile Hector (hydrologie, IRD, Institut des Géosciences de l’Environnement, Grenoble)
Benoit Hingray (hydroclimatologie, Institut des Géosciences de l’Environnement, Grenoble)
Laurent Husson (géologie & géophysique, ISTerre, Grenoble)
Pierre-Alain Jayet (économie de l’environnement, INRAE, Saclay)
Aglaé Jézéquel (climatologie, LMD-IPSL, Paris)
Hervé Jourde (hydrogéologie, Université de Montpellier)
Yann Kerr (hydrologie spatiale, CNES, CESBIO, Toulouse)
David Labat (hydrologie, Université de Toulouse III)
Michel Lang (hydrologie, INRAE, Lyon)
Claire Lauvernet (mathématiques appliquées, hydrologie & qualité de l’eau, INRAE, Lyon)
Christophe Le Roux (géochimie, CNRS, Géosciences Environnement Toulouse)
Thierry Lebel (hydroclimatologie, IRD, Institut des Géosciences de l’Environnement, Grenoble)
Mathieu Lucas
(Doctorant en Hydrologie, INRAE, Lyon​​​​​​​)
Christelle Marlin (hydrogéologie, Université Paris-Saclay)
Nicolas Massei (hydrologie, Université de Rouen Normandie)
Laurence Maurice (hydrogéochimie, IRD, Géosciences Environnement Toulouse)
Florentina Moatar (hydrologie environnementale, INRAE)
Malo Mofakhami (sciences économiques, Université Sorbonne Paris Nord)
Jean-Marie Mouchel (sciences de l’eau, Sorbonne Université, Paris)
Claude Mugler (hydrogéologie, Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, Saclay)
Simon Munier (hydrométéorologie, CNRM, Toulouse)
Nathalie de Noblet-Ducoudré (bioclimatologie, CEA, LSCE-IPSL, Ile-de-France)
Catherine Ottlé (hydroclimatologie, CNRS, Université Paris Saclay)
Ludovic Oudin (hydrologie, Sorbonne Université, Paris)
Sébastien Pouchoulin (hydrologie, INRAE, Lyon)
Gérémy Panthou (hydroclimatologie, Institut des Géosciences de l’Environnement, Université Grenoble Alpes)
Aura Parmentier Cajaiba (Organisation systèmes agroécologiques, Université Côte d’Azur)
Jean-Luc Peiry
(hydrologie, Université Clermont Auvergne)
Christophe Peugeot (hydrologie, Hydrosciences Montpellier)
Marie-Claire Pierret (géochimie, physicienne CNAP, Université de Strasbourg)
Séverin Pistre (hydrogéologie, Université Montpellier)
Xavier Poux (agroéconomie, AScA-IDDRI, Paris)
Agnès Rivière (hydrogéologie, MinesParis – PSL)
Antoine Séjourné (hydrogéomorphologie, GEOPS, Université Paris-Saclay)
Adrien Selles (hydrogéologie, BRGM, Montpellier)
Yves Tramblay (hydrologie, IRD, Hydrosciences Montpellier)
Christine Vallet-Coulomb (hydrologie, Maîtresse de conférences Aix-Marseille Université)
Théo Vischel (hydroclimatologie, Institut des Géosciences de l’Environnement, Université Grenoble Alpes)


Les conséquences des bassines dans l’agriculture – Emma Haziza

Pour Emma Haziza , hydrologue, chercheuse pluridisciplinaire, enseignante et conférencière française, la question des bassines est complexe. Le problème aujourd’hui n’est pas tant l’utilisation des bassines que le court-termisme. L’agriculture doit penser sur le long terme.  Une vidéo de 6’14″…


MEGABASSINES : LA GUERRE DE L’EAU EST DÉCLARÉE …

« Recours juridiques, manifestations, pétitions, et même sabotages. Dans les Deux-Sèvres, la mobilisation contre les “méga-bassines” continue de prendre de l’ampleur. Ces gigantesques cratères de plastique, destinés principalement à l’irrigation des cultures céréalières en été, sont dénoncés comme l’énième fuite en avant d’un modèle agricole intensif et trop gourmand en eau, qui peine déjà à se maintenir face aux dérèglements climatiques en cours. Les journalistes de Blast sont remontés à la source de cette bataille de l’eau. »
Une enquête de Blast diffusée le 23 mars 2023, à la veille de la manifestation de Sainte-Soline …  Durée 22’37 » 


Les bassines racontées aux enfants des Deux Sèvres en 2022 …

« – Hey tu sais pas ? Ils ont trouvé une super solution pour pouvoir irriguer les champs l’été !
– Ah ouais cool c’est quoi ?
Ils appellent ça des méga bassines, en fait on creuse un genre de lac qui va faire entre 8 et 18 ha et qui va pomper l’eau dans les nappes phréatiques l’hiver pour avoir de l’eau l’été, c’est cool non ?
– Attendstu veux dire qu’ils pompent l’eau qui est stockée dans les nappes phréatiques au frais pour finalement la stocker en surface exposée à la chaleur ?
– Euh oui
– Genre ils ne connaissent pas le phénomène de l’évaporation ?
Si mais bon j’te l’dis mais tu le répètes pas… Ca sert surtout à contourner les arrêtés préfectoraux d’interdiction d’irrigation parce que ces arrêtés ne concernent pas les agriculteurs qui ont leurs propres réserves d’eau, parce que oui sinon le pompage aurait continué directement dans les nappes…
– Bon après tout… si ça peut profiter à tous les agriculteurs…
Euh bin non pas à tous… Seulement à ceux qui ont payé la construction
– Oui logique… mais bon ça doit leur coûter une blinde quand même…
Oui c’est sur mais comme elles sont financées à 70 pourcent par de l’argent public, ca diminue le coût…
– Pardon ? C’est quoi ce truc ??? Bon après si ça peut permettre de nourrir les habitants du pays pourquoi pas… Même si ça me fait un poil halluciner quand même…
Euh… C’est à dire que ces bassines vont surtout servir à des cultures qui nécessitent beaucoup de flotte comme le maïs et très souvent ce maïs est vendu au niveau mondial…
– Non mais t’es sérieux ? Attend tu es en train de me dire qu’on utilise une bonne somme d’argent public pour quelques agriculteurs pour qu’ils puissent pomper de l’eau, dans des nappes phréatiques qui appartiennent à tout le monde et qui alimentent aussi nos ruisseaux et rivières, dont une partie va s’évaporer dans les bassines pour faire pousser des céréales qui, en plus , n’iront même pas à l’alimentation des gens d’ici ? Et tu me dis ça alors qu’on vit une année 2022 où à l’heure actuelle soit fin octobre y a encore de la sécheresse… Et que tous les scientifiques nous disent que ça va perdurer et s’intensifier…
Oui c’est bien ce que je suis en train de te dire. Et puis je te jure c’est quand même super bien organisé le truc parce que tu vois ce week end, il y a des gens qui se sont mobilisés pour dénoncer tout ça mais l’état il avait prévu 1700 gendarmes, 6 hélicoptères et des drônes pour pas que les gens puissent arriver sur la zone de chantier d’une méga bassine en construction dans les 2 Sèvres…
– Parce qu’en plus de financer ces inepties, l’état a aussi mis de l’argent public pour les défendre ? Et à priori pas qu’un peu… Mais bon les gens vont finir par se révolter parce que là on est quand même en train juste de leur voler leur eau quoi…

Mais non t’inquiète… BFM a fait toute la journée sur la violence des manifestants, a filmé les affrontements sans trop parler du sujet de fond… Et puis bon finalement ces bassines c’est pas nouveau et ça assèche déjà pas mal de ruisseaux et rivières sans que les gens ne s’en émeuvent ... »


Plus jamais Sainte-Soline

On connait malheureusement la suite : l’interdiction de la manifestation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline et la répression inouïe qui s’en suivit. Des événements qui traduisent l’aveuglement sur les urgences écologiques de pouvoirs et de gouvernants qui n’ont cessé de diaboliser, criminaliser et violenter les prises de conscience, les engagements et les mobilisations que suscitaient ces défis vitaux pour le tout-vivant du monde et le futur de ses espèces, dont la nôtre …

La contribution de Vincent Verzat, vidéaste-activiste sur la chaîne YouTube Partager C’est Sympa !

Voilà comment s’écrit l’Histoire. Malgré la répression et les barrages de police, 30000 personnes ont mis leur corps sur la ligne, parce que ce qui se joue ici, c’est un choix entre deux modèles d’agriculture, et l’un des deux s’accapare l’eau. La Bataille des #MégaBassines à Sainte Soline en était bien une, mais qui veut la guerre ? Une vidéo de 19’19 » …


Le témoignage d’un manifestant à Sainte-Soline :  » La terre a bu du sang … »

« Je suis traumatisé. Pas la peine d’euphémiser, de tourner autour du pot.
Je suis traumatisé.

Par ces deux heures. Était-ce une ? Trois ? Je ne sais pas.
Le temps s’est fracturé, disloqué, étendu, rétréci. Impossible de savoir.
Pendant tout ce temps où j’étais à Sainte-Soline, j’étais en enfer.

Un enfer champêtre, entouré d’ami·es, en ayant marché dans la joie, accompagné de drapeaux au vent, de chants d’oiseaux, d‘un timide soleil et de gâteaux à la fleur d’oranger distribués ça et là, à qui en avait envie.

Et puis le sol s’est dérobé sous mes pieds. Quelqu’un a brutalement changé la bande-son, a poussé le volume à 150db, les bouchons d’oreille que je mettrais plus tard, trop tard, n’y changeront que peu de choses. D’ailleurs merci mille fois à la personne qui a sorti un sac de 20 bouchons et les a distribués aux affamés de silence que nous étions. Je ne te connais pas mais je t’aime.

Combien d’explosions ai-je entendu 100, 1000 ? plus encore ?
De toute façon c’était trop, beaucoup trop. Et des lacrymos encore. Partout. De manière aléatoire, disproportionnée et soudaine.
A l’héroïsme de la lutte du début, à l’affrontement presqu’enfantin de nos oiseaux de bois et de nos pancartes succède une pluie de lacrymogène partout.

Une nuée de quads vole et attaque le cortège à ma droite. À mon extrême droite ?

Je vois une chaîne humaine se former pour entourer le talus de terre que je devine être cette méga-bassines encore vide.
Et cette chaîne mange des lacrymos. Encore et encore.

Au milieu de ce tumulte, je me sens en danger psychique, je prends le large, je me recule mais là c’est pire. Les grenades assourdissantes vont plus loin que les lacrymos. Une d’elle explose à 5m de moi, j’ai le temps de voir la petite lumière rouge qui vibre et boum. L’onde du bruit me percute au thorax, souffle coupé. Je suis sonné debout.

Mais où suis-je ? Qu’ai-je donc fait ? N’y-a-t-il aucun endroit où je suis en sécurité ?

La foule crie pour soutenir les camarades qui partent au combat. Je hurle.
No Bassaran ! No bassaran !

Je sors la rage qui est en moi.
No Bassaran ! No bassaran !
Ce caillou qui est à mes pieds, vais-je le lancer ?
Tout mon corps crie oui ! Je résiste. Je refuse. Je regrette aujourd’hui.
Et ça pète.
Ça pète sans cesse.
Devant, derrière, à gauche, à droite.

Des « attention ! » ponctuent chaque minute mais attention où ? En haut ?
Il n’y a rien à faire.
Des « Medic, Medic ! » fusent de plus en plus.

Des mains se lèvent pour montrer la source de la demande d’un·e Medic.
Mais quand est-ce que cela va finir ? Jamais ?

Heureusement le vent nous aide. Notre agilité collective aussi. Dès qu’une lacrymo tombe nous sommes 8 à venir l’enterrer sous des mottes de terre que nous avons préparées mais contre les grenades de désencerclement ? Contre les grenades assourdissantes ? Nous sommes nu·es…

Rien à faire. Rien.
Nous ne sommes pas des guerriers. La puissance militaire est de leur coté. Combat perdu d’avance.
Ridicule de nos parapluies contre leurs explosifs.

Va-t-il y avoir des morts ? Combien ?
Et médiatiquement… je sais que nous perdrons.

Ha qu’il va bien leur servir ce camion qui brûle à cause d’un molotov de chez nous. Oui il y avait des molotov. Défense du pauvre j’ai envie de dire.
Vous pourrez l’ouvrir votre JT avec cette image du camion CRS « en proie aux flammes » comme vous direz.

Toute pensée de ce qui se joue ici s’arrêtera là.
« Inacceptable » sera la couverture du Parisien du dimanche. Honte à vous, journaliste de l’ordre.

Et ça pète encore. Et encore.

Medic ! Medic !
Cela doit cesser. Nous ne faisons pas le poids. Tant pis. Préservons-nous. Il n’y a pas de mal à reconnaître la supériorité de force de l’ennemi.

Qu’il garde la vacuité de son combat. Le ridicule de la situation. Ces 3000 robocops grotesques qui défendent un trou. Un immense trou que leur bêtise ne pourrait remplir tellement il est grand et pourtant…

Ce sont des lâches, des faibles. Ils ne savent que taper.
Et ça pète. Ça pète.

Et puis ça s’arrête. Silence. Je suis devenu sourd ? Non, ça marche. Des cris.
Des gens boitent. De la musique sur une remorque tirée à bout de bras arrive. Irréel.

Ai-je rêvé cet enfer ?
Petit à petit tout le monde s’affale, s’étend. On dort. On danse. On respire. On se retrouve.
Donnez-moi des bras. Dans lesquels m’enfouir, m’enfuir, m’évanouir, disparaître. Des pétards d’artifices explosent.

Mais n’en avez vous pas eu assez ??
Premier sursaut post-assaut.

Je comprends instantanément que ce bruit s’est imprégné en moi. Profondément.

Je marche sans réfléchir. Je suis le flot. I am the flow.
Mes yeux tombent sur deux compresses imbibées de sang. Tâche rouge sur la terre marron.

La terre a bu du sang.
La terre a bu du sang parce que des puissants s’accaparent l’eau.
La terre a bu du sang parce que l’État protège les puissants.
La terre a bu du sang parce que la propriété privé est plus forte que le bien commun.

Ce qui se passe ici est essentiel. L’eau c’est la vie. La vie n’appartient à personne. Et surtout pas aux jeteurs de grenades ni à leur chef.

La terre a bu du sang.

Pourquoi ? Pourquoi tout ça ? Tout ça pour ça ? Quelle absurdité.
Nous rentrons abattus.

Je traverse la soirée comme un zombie. Envie d’être là. Envie d’être ailleurs.
Le dimanche se passe

Je suis brassé mais rien de précis. Ça monte.
Une chorale chante « à bas l’État policier »
Nous reprenons à 300 voix. Je pleure. Ça monte.

Le lundi, je me retrouve en salle de montage devant des images de la lutte de samedi.

La bande son. Cette bande son me saute au visage. Je ne vais pas pouvoir regarder ça longtemps. J’écourte ma journée.

Mardi manif. J’arrive place de la République. Un pétard explose.
Je suis pétrifié. Panique-attaque. Je ne peux pas vraiment bougé.

Heureusement je ne suis pas seul.
-Ça va ?
-Heu pas trop en fait.

Des frissons montent le long de mes jambes. Je pleure. Je respire pour me calmer. Je redescend.
Je pars dans le cortège. Re pétard.
Puis un autre, celui de trop, à cinq mètres de moi. Je n’en peux plus. Je dois partir.

J’ai du mal à marcher. Je remonte le cortège pour récupérer mon vélo laissé place de la République.

C’est la République qui m’a gazé ? C’est la République qui m’a fait ça ?
Je croise 40 CRS.
Je me glace.
Je suffoque.
Je marche mais je suis paralysé.
Je bouge mais je meurs.
Je suis traumatisé.
Pas la peine d’euphémiser, de tourner autour du pot.
Je suis traumatisé. »


 

Et dans le même temps : L’unique méga bassine d’Ile-de-France rebouchée …

Un article signé  Lea Jacquet publié 

Alors que des manifestations se sont déroulées ce week-end contre les méga bassines à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, en Ile-de-France aussi se pose la question de leur utilisation. Dans le Val-d’Oise, la seule méga bassine de la région va être détruite dans le village de Banthelu. Creusée sans permis d’aménagement, elle va être rebouchée sous demande de la préfecture.

Pour Jean Lyon, militant écologiste de l’association « Demain le Vexin« , c’est une première victoire. Près d’un champ de Banthelu, la bassine est en train d’être démontée, la bâche a déjà été retirée. « On est en train d’effondrer les murs pour remettre le terrain en état tel qu’il était et qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être ». La préfecture a ordonné la destruction de ces monticules de terre de 125 mètres de long et 50 mètres de large, destinés à devenir une réserve d’eau.

En hiver la bassine absorbe la nappe phréatique pour irriguer les champs alentour l’été. Selon Jean Lyon, « cette bassine est construite en partie sur un terrain inconstructible donc elle n’aurait jamais dû avoir lieu. On a juste demandé l’application de la loi en vigueur ». 

Méga-bassine ou nouveau modèle agricole ?

Dans la commune de Banthelu, l’affaire divise. D’un côté, quelques habitants et militants dénoncent l’accaparement des ressources en eau par un seul agriculteur. De l’autre, le propriétaire des terres, Olivier Hue, défend le projet de son neveu. Il avait obtenu un accord et des subventions de la part des pouvoirs publics. « Avec le dérèglement climatique que nous subissons, on peut avoir aujourd’hui de grandes périodes de sécheresse. C’est-à-dire que vous plantez vos cultures légumières à la sortie de l’hiver et c’est récolté au mois d’août. Si pendant cette période là, il n’y a pas d’eau, vous n’avez rien. » résume l’agriculteur.

Une explication insuffisante pour le militant écologiste : « on a toujours fait de l’agriculture dans le Val-d’Oise sans bassine, on doit pouvoir continuer et en ces temps de sécheresse, au lieu de faire des bassines pour maintenir une agriculture traditionnelle, il faut réfléchir à une nouvelle agriculture qui est liée au changement climatique ».
Comment concilier agriculture et environnement ? La question est devenue capitale dans le Vexin et les territoires avec de faibles réserves d’eau.


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Une réponse sur “Au Chili, les mégabassines nuisent depuis 35 ans !”

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