Le Chili est le seul pays au monde dont l’eau est entièrement privatisée, un héritage de la dictature de Pinochet. La pratique de détournement illégal de cours d’eau refait surface ces jours ci dans la presse chilienne : l’ancien ministre de l’intérieur Edmundo Pérez Yoma vient d’être une nouvelle fois sanctionné pour irrégularités dans l’extraction de l’eau à Petorca. Le militant Rodrigo Mundaca raconte son combat …
Au Chili, le business de l’eau va à l’encontre des droits humains. Dans une vidéo de 4’30 », Rodrigo Mundaca raconte son combat à Brut et dénonce la face cachée des cultures d’avocats au Chili …
Rivières asséchées, enfants assoiffés… Le militant Rodrigo Mundaca nous dévoile la face cachée des cultures d’avocats au Chili.
PORTRAIT. Rodrigo Mundaca, le justicier chilien de l’eau
Il se bat pour stopper la privatisation de l’eau au Chili, héritage de la dictature de Pinochet. Menacé de mort, l’activiste reçoit le prix de la Fondation Danielle-Mitterrand, aujourd’hui, à Paris.
Ce n’est pas une sécheresse, c’est un pillage.
On retrouve cette inscription taguée du nord au sud du Chili. Bâtiments officiels, aubettes de bus, voie publique… La formule cogne juste et reste dans les mémoires, à l’image de son auteur, Rodrigo Mundaca. L’activiste se bat depuis dix ans pour dénoncer le système des « droits d’eau », instauré en 1981 sous la dictature du général Pinochet (1973-1990).
L’eau, une ressource sous tension
Dans le pays andin, la gestion du précieux liquide est privatisée. Les grandes entreprises agricoles ou minières accaparent la majorité des droits d’exploitation. La Constitution actuelle garantit à l’acheteur de ces titres une utilisation à vie, pouvant être transmis ou vendus, comme on se sépare d’une maison. Ce système favorise un juteux business et ouvre la porte au marché noir, au détriment des habitants et des petits agriculteurs.
Ingénieur agronome, Rodrigo Mundaca débarque à la fin des années 1990 à La Ligua, à une centaine de kilomètres au nord de Santiago-du-Chili. « Nous avons vu le paysage changer, les rivières et les terres s’assécher, se souvient-il. Dans la vallée, les plantations d’avocat – un fruitier subtropical ! – ont progressivement gagné les montagnes, grâce à l’eau prélevée en surface puis pompée dans les nappes phréatiques. »
Le bonheur des plateaux télé
La fièvre de « l’or vert » s’empare de la région, qui concentre aujourd’hui 65 % de la production du pays. En réaction, il lance en 2009, avec des voisins et quelques agriculteurs, Modatima, le Mouvement de défense pour l’accès à l’eau, la terre et pour le respect de l’environnement.
Le professeur d’agronomie perfectionne sa géographie. Il ratisse une bonne partie des quelque 4 500 km de cette langue de terre coincée entre la Cordillère des Andes et l’océan Pacifique. Les débuts sont laborieux. Les premières réunions publiques sonnent creux mais l’approvisionnement en eau par camions-citernes de millions de Chiliens et la mort de milliers de têtes de bétail changent la donne. La sécheresse prolongée s’étirant depuis dix ans donne le coup de grâce : l’eau devient une ressource sous tension.
La bouille ronde, le regard piquant et les colères froides de Rodrigo Mundaca font le bonheur des plateaux télé. Son discours, technique et structuré, fait mouche auprès des parlementaires. Il réussit à faire figurer son combat à l’agenda des politiques. « C’est un militant charismatique, persévérant, dépeint Juan Ignacio Latorre, sénateur de l’opposition (gauche). Sa lutte est désormais audible tant au Chili qu’en dehors de nos frontières. »
« Je me sens en danger »
Dernièrement, le quinquagénaire truste les médailles sur le Vieux Continent. Après le Prix international des droits de l’homme décerné à Nuremberg (Allemagne) en septembre, Rodrigo Mundaca sera récompensé ce mercredi, à Paris, par la Fondation Danielle-Mitterrand. En toute humilité, si je pouvais échanger ces distinctions contre un accès équitable et pour tous à l’eau… En attendant, je m’efforce de rendre visible cette injustice. L’eau est séquestrée. On spécule sur une ressource naturelle ! Chez moi, un droit d’eau se négocie à 20 000 € par hectare et le double dans le désert d’Atacama. Tout ça sous le regard complice des élus.
Le statut acquis par cette figure du militantisme dérange au Chili. Ses attaques contre les caciques de l’agro-industrie et plusieurs personnalités politiques lui valent quelques inimitiés. En 2014, il est condamné à 61 jours de prison avec sursis pour diffamation. « Une criminalisation de la liberté d’expression »,
argue l’intéressé. En 2017, il reçoit sa première menace de mort. Le début d’une triste série. Je ne pensais pas en arriver là »,
lâche-t-il, le souffle court et les yeux rougis, quelques instants après son audition par la commission des droits de l’homme de l’Onu. Il était invité à s’exprimer sur la fuite, début novembre, de documents confidentiels des services de renseignement.
Surveillé par la police chilienne
Son nom figure en haut de la liste des personnalités syndicales et d’ONG surveillées par la police chilienne. Ces révélations ont été… brutales.
Il choisit ses mots. Avant, je fabulais un peu. Maintenant, avec ma compagne et mes enfants, nous dormons dans des lieux différents et changeons nos itinéraires. Je me sens en danger. 60 % des assassinats des défenseurs de l’environnement ont lieu en Amérique latine.
Si l’activiste accuse le coup, il n’entend pas raccrocher les gants. À l’entendre, l’annulation de l’organisation de la COP25 au Chili est un mal pour un bien. Le mouvement social d’une ampleur inédite a permis d’obtenir la rédaction d’une future Constitution. L’occasion de tourner la page de quarante années de saccages
environnementaux. L’accès à l’eau mais aussi l’extractivisme destructeur de l’industrie minière, les centrales à charbon responsables d’immenses pollutions, la disparition des forêts sur les terres des indiens Mapuches… Rien n’est gagné, nous continuerons à lutter.
Rodrigo Mundaca, lauréat du prix Danielle Mitterrand 2019
Le jury, composé de Gilbert Mitterrand, Christiane Taubira, Philippe Starck, Agnès b, Hindou Oumarou Ibrahim et Jacqueline Madrelle, a désigné Rodrigo Mundaca lauréat de la 7ème édition du prix Danielle Mitterrand.
Un militant pour la « justice de l’eau » au Chili
En 2010, Rodrigo Mundaca co-fonde le Movimiento de Defensa por el acceso al Agua, la Tierra y la Protección del Medioambiente (Mouvement de défense pour l’accès à l’eau, la terre et la protection de de l’environnement), MODATIMA.
A sa création, MODATIMA défend les droits des agriculteurs, travailleurs et habitants de la région de Petorca, victimes depuis les années 1990 du vol et de l’accaparement de l’eau par des entreprises de l’agrobusiness, en connivence avec les politiques. La revendication d’une « justice de l’eau » est apparue face à l’accaparement des ressources en eau et aux abus commis par les puissants, qui sont aujourd’hui couverts par les garanties constitutionnelles relatives au droit de propriété ainsi que par le Code de l’eau qui permet la privatisation de l’eau du pays. Le Chili est ainsi l’un des États du monde qui va le plus loin dans la marchandisation et la privatisation de ses eaux, empêchant de nombreuses personnes de jouir du droit à l’eau pourtant reconnu en 2010 par les Nations Unies.
MODATIMA cherche à donner de la visibilité aux conflits de l’eau dans la province de Petorca mais aussi au niveau national. La lutte prend de multiples formes : dénonciation au Parlement par la participation à diverses instances, mobilisations et marches internationales pour la réappropriation de l’eau et de la vie, participation à des forums universitaires, des débats avec des experts, des organisations sociales et environnementales et avec les populations des différentes régions du Chili.
Le mouvement se déploie dans tout le pays à partir de 2015. Depuis le Forum Alternatif Mondial de l’Eau de 2018 au Brésil, MODATIMA fait partie de la Red Vida (Réseau de la vie) qui regroupe des organisations de tout le continent américain qui luttent pour la réappropriation de l’eau et la défense des territoires.
Un activiste criminalisé et menacé
« La réponse à la lutte pour le droit à l’eau dans la province de Petorca a été la criminalisation, la persécution, la censure et l’intimidation, alors que le droit fondamental à l’accès à l’eau est bafoué en toute impunité, ce qui met en péril la vie des habitants ». Rodrigo Mundaca
Rodrigo Mundaca a commencé en 2012 à dénoncer les atteintes aux droits humains commises par des responsables politiques locaux et des entreprises qui ont eu des incidences sur l’accès à l’eau des populations rurales.
Au cours des trois années suivantes, les autorités chiliennes ont engagé quatre procédures pénales à son encontre parce qu’il avait dénoncé publiquement l’exploitation illégale de l’eau dans la province de Petorca. Il a été condamné à 61 jours de prison pour diffamation à l’issue de l’une de ces procédures, peine assortie d’un sursis à condition qu’il se présente à la police chilienne tous les mois pendant un an et paye une amende.
En mars 2015, Rodrigo a été agressé physiquement et en mars 2017, il a reçu un appel téléphonique lors duquel son interlocuteur a déclaré : « On va te tuer enfoiré, on va te tuer. » En 2017, Amnesty International a intégré Rodrigo Mundaca dans le cadre de sa campagne mondiale Soutenez leur courage, qui vise à renforcer la reconnaissance et la protection des défenseurs des droits humains dans le monde.
Rodrigo Mundaca et la Fondation Danielle Mitterrand : une vision partagée
Pour Gilbert Mitterrand, Président de la Fondation Danielle Mitterrand et membre du jury, « c’est un choix qui vient du cœur. L’engagement de Rodrigo Mundaca est radical et humaniste, comme l’était celui de Danielle Mitterrand ».
Pour Jérémie Chomette, le directeur de la Fondation Danielle Mitterrand, « l’action de Rodrigo Mundaca est une source d’inspiration pour la construction d’un monde plus juste. Nous sommes fiers de lui remettre ce prix ».