Résidences secondaires, locations touristiques… La ruée vers la Bretagne entraîne bétonnage et crise du logement. Une idée émerge : l’instauration d’un « statut de résident », qui obligerait à habiter sur place un an avant de pouvoir acheter.
Un reportage signé Gwenvaël Delanoë à lire dans Reporterre daté du 15 juin 2022
Dorian est intérimaire, en ostréiculture. À chaque marée, qu’il pleuve ou qu’il vente, ce Breton de 25 ans remonte l’estuaire du Trieux en bateau depuis la ville de Lézardrieux, pour se rendre sur les parcs à huîtres de l’île de Bréhat, en face. Le chaland double un îlot dont une petite maison a récemment été achetée à plus de 1 million d’euros [1], pour une résidence secondaire. Il passe ensuite devant le port de Loguivy, et son front de mer. Presque toutes les maisons ont les volets clos. Des résidences secondaires.
Dorian, qui vit et travaille ici, dans la vase et l’eau froide, ne pourra jamais se payer l’une d’entre elles. « Ça fait mal au cœur parce qu’il y a beaucoup de maisons à l’abandon ici, les volets sont constamment fermés toute l’année », regrette-t-il. Le problème n’est pas nouveau, mais s’est accentué ces dernières années. Les Airbnb accaparent une part du parc locatif, « et puis, il y a les maisons qui ont été rachetées après le Covid par des gens qui habitent dans de grandes villes… On le voit l’été, c’est rempli de plaques d’immatriculation parisiennes, et c’est de plus en plus compliqué de trouver un logement ».
La donne pourrait changer. Car face à ce constat, des collectifs locaux se sont créés, et un mouvement régional se structure. Une campagne de mobilisations a vu le jour, fédérant plusieurs organisations autour du slogan « Un ti da bep hini » (« Une maison pour tous »), s’inspirant des luttes similaires menées au Pays de Galles, ou au Pays basque. Et une idée commence à faire du bruit : la création d’un statut de « résident principal ».
Habiter un an avant de pouvoir acheter
Un statut de résident principal ? « On demanderait aux personnes qui souhaitent acheter une maison ou un terrain constructible d’habiter au pays depuis un an », explique, en breton, Nil Caouissin, principal promoteur de cet outil, et membre de l’Union démocratique bretonne (UDB, gauche autonomiste et écologiste). De quoi limiter les achats compulsifs à destination de résidences secondaires, et remettre les résidences secondaires en vente sur le marché des logements à l’année, « pour que les gens qui ont été exclus du littoral par exemple, puissent y revenir ».
Et les « Parisiens riches » n’en sont pas les seuls responsables, comme on l’entend souvent. « Je ne propose pas que ce statut s’applique à un niveau régional, puisqu’il y a aussi beaucoup de personnes qui vivent en Bretagne et qui achètent des résidences secondaires en Bretagne. » L’échelon optimal serait celui de la communauté de commune, des pays ou des îles, et pourrait faire l’objet d’une expérimentation sur le modèle des territoires zéro chômeur.
- Difficile se se loger au très touristique village de Ploumanac’h, élu village préféré des Français en 2015. Wikimedia Commons/CC BY–SA 4.0/Service communication de Perros-Guirec
« La durée est d’un an, pour que ce ne soit pas trop compliqué pour les personnes qui souhaitent vivre en Bretagne pour de vrai. » Au cours de la vingtaine de réunions publiques organisées sur le sujet depuis un an, Nil Caouissin a voulu éviter toute confusion : pas question d’un statut réservé aux Bretons et Bretonnes, mais bien d’un statut ouvert à toutes les personnes habitant la région depuis un an, et ce, quelles que soient leurs origines.
« On est carrément en pénurie »
Ce statut aurait de quoi changer tout l’habitat en Bretagne. Car le phénomène ne concerne plus seulement le littoral, mais aussi la campagne. Détresse, crises de larmes d’habitants dans les agences immobilières… La presse locale relaie depuis des mois des témoignages poignants de locaux incapables de se loger correctement à l’année. Dorian et sa compagne, qui travaillent et vivent au pays, n’y échappent pas : « Chez nous, il y a de gros problèmes d’humidité, c’est insalubre. Dans toutes les pièces, surtout la chambre, ça sent le champignon. Ça fait presque un an qu’on cherche à partir, mais on ne trouve pas de location. »
- Depuis 2019, les prix ont doublé à Locmiquélic. Wikimedia Commons/CC BY 2.0/Bert Kaufmann
La situation est même catastrophique dans le sud Morbihan, à Locmiquélic, près de Lorient : depuis 2019, les prix ont doublé. « À peu près 85 % de la population ne peut plus se loger au prix du marché. Les locaux le vivent comme une profonde injustice », explique Gwen, un jeune géographe et habitant de la commune. Le parc locatif est pris d’assaut, et les locations touristiques compliquent encore la conjoncture. « On est carrément en situation de pénurie, détaille Gwen. Les gens qui n’ont pas de contact chez des notaires, des agences, ou des contacts familiaux ne verront jamais une annonce de locatif : elles partent dans l’heure ! »
Locmiquélic, contrairement à d’autres communes littorales du Morbihan, restait, de par son immobilier plus accessible, relativement populaire et dynamique ; la culture et la langue bretonne y sont encore présentes. « Quand il y a un accaparement de l’immobilier par une population qui ne vit pas à l’année, elle ne peut pas s’imprégner de ces cultures populaires, elle ne participe pas à cette transmission. Les résidences secondaires ne participent pas à la vie sociale des communes », affirme le géographe.
« Avoir une résidence secondaire, c’est un crime écologique. »
Trouver une solution à cette problématique est d’autant plus pressante que la bétonnisation progresse : à Rennes, Nantes, Brest, Lorient, mais aussi dans de nombreux bourgs, on bétonne à tout va, et les prix flambent. Pour loger leurs administrés, des communes, touchées par l’assaut des résidents secondaires, construisent de nouveaux lotissements à des prix plus accessibles. Problème : l’artificialisation des sols en Bretagne est tellement forte que la plupart des plans d’urbanisme et d’aménagements du territoire locaux sont pointés du doigt par l’Autorité environnementale. Et certains chiffres donnent le vertige : à Lannion-Trégor Communauté par exemple, entre 2011 et 2016, avant même l’« effet-Covid », 52 % des nouveaux logements partaient en résidences secondaires et occasionnelles.
Lire aussi : Au Pays basque, les résidences secondaires mangent les terres agricoles
« Avoir une résidence secondaire, c’est un crime écologique, dénonce Gwen. Pour un même foyer, on va consommer deux fois plus de terres. » La crise du logement et la pression sur les terres devraient s’accroître dans la prochaine décennie. La Bretagne, victime de son attrait, se prépare à accueillir plusieurs centaines de milliers d’habitants supplémentaires, fuyant pour partie les grosses chaleurs du sud de la France ou la vie des grandes métropoles.
D’abord, s’attaquer aux logements vacants
Pour toutes ces raisons, l’idée d’un statut de « résident principal » fait ainsi parler d’elle dans la presse, propulsée au-devant de la scène par l’UDB. Leur allié régional, Europe Écologie-Les Verts (EELV), s’en empare également. « Il y a des élus d’autres groupes, droite ou gauche, qui nous disent qu’ils sont plutôt d’accord avec nous, mais qui préfèrent ne pas l’affirmer, car ce n’est pas le point de vue officiel de leur groupe », assure Nil Caouissin. Alors que la proposition suscitait une levée de boucliers il y a encore un an, elle fait désormais de plus en plus l’objet de débats.
« Vu le caractère d’urgence du logement, pour l’instant, ma priorité n’est pas les résidences secondaires, […] c’est plutôt les logements vacants », tempère Fanny Chappé, conseillère régionale au sein de la majorité (PS), déléguée à l’habitat, et par ailleurs maire de Paimpol. La commune est touchée de plein fouet par la crise du logement, et les bailleurs sociaux voient arriver de nouveaux profils dans les dossiers HLM, comme des cadres, des enseignants…
- Se loger est devenu difficile en Bretagne, comme ici à Belle-Île-en-Mer, au sud de la région. Pixabay/CC/MarineBrs
« La réflexion de Nil Caouissin a le mérite de dire “Faisons déjà avec l’existant”, reconnaît Fanny Chappé. Et si on regarde l’existant, on se rend compte qu’on a du potentiel. Je partage ce constat, et nous, à Paimpol, on va mettre le paquet sur la vacance. […] On est en train de perdre des biens parce qu’ils deviennent insalubres, c’est plutôt là qu’il faut aller. » Priorité à la réhabilitation de logement, donc. Fanny Chappé voit aussi en l’organisme de foncier solidaire un bon outil, qui permet à la collectivité de privilégier des primo-accédants et familles sur critères définis, tout en restant propriétaire du foncier. Un bail spécial permet alors de maîtriser le devenir du bien lors des successions, et d’éviter qu’il ne participe à la spéculation. Et le statut de résident principal ? « Trop fragile », pour l’édile, qui « ne partage pas la notion de “prouver” son statut ».
Le statut de résident n’est pas à lui seul la solution miracle, prévient Nil Caouissin, conscient qu’il sera difficile à obtenir. Mais l’idée fait son chemin. Au moins jusqu’à Lézardrieux, où Dorian, qui vient de rentrer de marée, la voit d’un bon œil. Demain, lorsqu’il repartira en mer, il repassera devant quelques-unes des 300 000 résidences secondaires de Bretagne. Volets clos.
Les écologistes et fédéralistes rassemblés sous la liste Bretagne Avenir aux élections régionales ont déclaré la guerre à la spéculation immobilière. Pour en finir avec la folie qui s’est emparée des côtés bretonnes, ils proposent de réguler l’accès au marché des résidences secondaires en créant un statut de résident breton. Concrètement, ce statut consisterait « à réserver le droit d’acheter à ceux qui habitent depuis un an au moins en Bretagne », explique, dans son « Manifeste pour un statut de résident en Bretagne », Nil Caouissin, militant au sein de l’UDB, à l’initiative de cette proposition reprise par Bretagne Avenir.
Entre développement d’Airbnb, galère des saisonniers, projet d’extension de classement dit « zone tendue » à l’ensemble de la Bretagne et résidences secondaires et statut de résident breton, la question de l’accès au logement occupe une place grandissante dans les débats et l’actualité locale. Si bien que des actions autour de ce thème sont prévues le 10 septembre prochain, dans plusieurs villes de la région.
À l’appel d’un ensemble d’associations, de collectifs de solidarité et de partis politiques de Douarnenez, du Cap Sizun et du Haut Pays bigouden, un rassemblement est prévu à 10 h sur la place des Halles. Autour d’un mot d’ordre : « Pour le logement abordable pour toutes et tous, pour des politiques de l’habitat pour des villes accueillantes, pour des solutions écologiques et solidaires ».
« Contraindre les élus à agir »
Une action à l’initiative de Droit à la Ville Douarnenez, qui voit déjà des mouvements comme EELV Cap Sizun Douarnenez, PS Douarnenez, UDB, Douarnenez Terre Citoyenne ou La France Insoumise se mobiliser. L’appel à d’autres collectifs ou associations est lancé à un peu moins d’un mois de l’échéance. « Il existe de moyens d’action et certains élus et parlementaires commencent à porter les revendications des habitants et des associations. Nous sommes à un moment charnière », écrivent les organisateurs.
« Pour que des mesures supplémentaires soient votées et appliquées localement, nous avons besoin d’un maximum de collectifs locaux pour porter ces revendications et contraindre les élus à agir », ajoutent-ils. De même, ils lancent un appel aux personnes qui voudraient faire des affiches pour appeler au rassemblement, jouer de la musique le jour du rassemblement, ou encore participer à un atelier banderole.
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