Sur les traces de l’esclavage colonial à Brest …

Du « Dépôt des nègres », devenu « le Musée de la Marine«  à la rue Jean Mor, en passant par quelques négriers et un magistrat abolitionniste, la ville de Brest est parsemée d’évocations méconnues de ce crime contre l’humanité.  Karfa Diallo, fondateur de l’association « Mémoires et partages » vient de publier un reportage sur l’histoire de la traite négrière à Brest, guidé dans sa visite par Max Relouzat …

Une visite guidée avec vidéos et photos par Karfa Diallo à Brest le 30 janvier 2022.

Peu de brestois font le lien avec l’histoire de leur cité et pourtant …

La place de Brest dans le commerce négrier.

Autorisé à armer pour les colonies dés le début du 18e siècle malgré de lourds handicaps logistiques, le port de Brest se lance dans la traite des noir.e.s avec l’ambition de profiter de la manne coloniale que le puissant port de Nantes s’est vite accaparé.
Selon Annick Le Douget, entre 1698 et l’abolition de la traite des noirs et de l’esclavage en 1848, 200 expéditions négrières vont partir des six principaux ports reliés logistiquement et économiquement : Brest, Landerneau, Vannes, Morlaix et Quimper. Plusieurs milliers d’africain.e.s sont déporté.e.s par les navires brestois et des centaines mourront dans les conditions effroyables de la traversée de l’Atlantique.
S’il est difficile d’établir le nombre exact de navires brestois qui ont participé à la traite des noirs du fait des bombardements de la seconde guerre mondiale qui ont détruit bien des archives, on peut néanmoins remonter quelques expéditions parties de Brest.
A la fin du 17e siècle, en 1698, part La Mignonne de Brest, en 1710, trois navires prennent la mer pour la Guinée, La Geneviève, L’Industrie (150 tonneaux) et La Françoise (300 tonneaux). L’une des plus effroyables traversées nous est un peu plus connue. Il s’agit de L’Africain (400 tonneaux) qui quitte Brest le 8 mai 1713 pour le Sénégal (Gorée) et le  Gabon (Gabingue) d’où il acquiert, auprès de cupides chefs africains, 7 08 noir.e.s parmi lesquels 106 mourront et jetés par-dessus bord. °Déclaration à l’amirauté de Brest du 3 mai 1713 (Bibliothèque nationale, Fonds Dr Corre, NAF 10567)

Le « Dépôt des nègres » de Brest, actuel Musée de la Marine

Cédant aux pressions des négriers français désireux de transporter leurs « biens meubles » dans l’Hexagone mais redoutant le mélange racial  et les idées d’émancipation des noir.e.s, l’administration royale française édicte en 1777 la fameuse Police des noirs pour contrôler et réprimer les manquements aux dures obligations édictées.

Par déclaration du roi en date du 21 novembre 1777, deux cachots sont aménagés au sous-sol du Château de Brest qui abritait déjà les prisons de la Sénéchaussée. Ce « dépôt de négres », s’il existe dans tous les grands ports négriers français, à Brest, il servira aussi à emprisonner les noirs mis en esclavage et déportés dans les villes de Morlaix, Quimper, Saint-Brieuc.

Le 15 juin 1778, le procureur de l’amirauté de Brest envoie faire arrêter, chez M. Fontaine de Mervé « pour capturer une négresse servant de nourrice à l’un de ses enfants et qui est en France depuis plus de six mois »

JEAN MOR « esclave victime de préjugés »

C’est aussi dans ce sinistre « dépôt des nègres », au sous-sol du château de Brest, qu’un garçon de 20 ans, Jean Mor, né en esclavage à Saint-Pierre de la Martinique, soumis au supplice de « la question », va attendre le verdict qui le conduit à la pendaison ce 29 mai 1764 sur la place Saint-Louis. Devant une foule surchauffée, le bourreau jette son corps désarticulé dans le bucher.

Révélée par la greffière Annick Le Douget, qui a minutieusement relevé les minutes du simulacre de procès qui a condamné cet homme à la mort, l’histoire de Jean Mor illustre la conscience raciale d’une France du 18e siècle où la Ligne de couleur dresse une frontière infranchissable entre les êtres humains.

Nombre de ces esclaves déportés en Métropole sont très jeunes et leurs « maitres » usent de tous les subterfuges pour les tenir à leur merci. La promesse d’affranchissement en fait partie et Jean Mor, voulant vainement la faire respecter à son « maitre » Claude Nortz, tentera de s’évader et finit par tenter de l’emprisonnement qui lui vaudra l’arrestation et la mort par pendaison.

Il y a quelques années, la ville de Brest, inspiré par l’adjointe au maire Anne-Marie Kervern, a inauguré une petite rue en hommage à ce héros de la résistance à l’esclavage avec ce panneau très laconique, peu pédagogique donc à améliorer « Jean Mor, esclave victime de préjugés ».

LA RUE KERGUELEN

Honoré par une rue de Brest, le navigateur Yves Marie Joseph de Kerguelen (1734-1797) fut un des premiers explorateurs des terres australes et en 1772 est fait chevalier de Saint-Louis par Louis XV pour sa découverte de la Terre de Kerguelen dans l’Océan indien. A Brest, le 15 mai 1775, il est jugé par le Conseil de guerre pour avoir fait la traite des 200 africains de Madagascar sur un navire de la Royale lors de sa mission. Pro-esclavagiste, il écrit sur le journal de bord d’une expédition du 27 juin 1773 « Comme dans le cours de long voyage que nous allons faire, et surtout en cas d’un établissement quelconque dans les pays que nous allons parcourir, dix à douze bons Noirs pourraient nous servir et ménageraient nos équipages dans les ouvrages de corvée, comme pour draguer, plonger, pêcher, labourer, etc. J’autorise et je prie M. de Rosnevet de vouloir bien ordonner que pendant son séjour à Madagascar, on tâche de me les procurer à quelque prix que ce soit » Archives de la Marine de Brest, Manuscrit 171, chemise VII bis p.29

L’ABOLITIONNISTE DE BREST

« Combien n’est-il pas plus naturel de penser que le cœur doit s’abâtardir, les bons principes se dépraver dans ce trafic honteux que la mollesse, ou plutôt la barbarie, des Européens leur fait regarder comme nécessaire à la culture de leurs colonies, et contre lequel l’humanité réclamera dans les temps ses droits imprescriptibles » Thèophile-Marie Laennec (1748-1836)

C’est le procès du naufrage, le dimanche 1 mars 1778, sur l’Ile-de-Sein du Duc de Choiseul, navire négrier armé à Dunkerque à destination du Havre après ses opérations de traite à Gorée, en Guinée et à Ouidah, qui révèle l’exceptionnel courage intellectuel et philosophique d’un jeune breton franc-maçon de 30 ans. Avocat et magistrat, le Quimperois Thèophile-Marie Laennec est l’une des rares consciences abolitionnistes bretonnes du 18e siècle. Il est honoré par une rue de Brest.

LA SCULPTURE MÉMOIRES, AMER DE LA LIBERTÉ

Inaugurée le 10 mai 2015, sur la rade de Brest, c’est l’œuvre la plus monumentale en mémoire de l’esclavage dans l’Hexagone. Imaginée par le Quimperois et martiniquais, Max Relouzat, président de l’association Mémoires des esclavages, cette sculpture a été réalisée par l’artiste Marc Morvan.

Cheville ouvrière du travail de mémoire sur la traite et l’esclavage des noir.e.s dans le Finistère, Max Relouzat, militant aux multiples vies professionnelles et citoyennes, ne se fait pas décourager par les nombreux obstacles à son projet de reconnaissance et mobilise la société bretonne au travers d’une souscription publique qui réussit à imposer l’œuvre mémorielle. Site internetwww.memoiresdesesclavages.fr

L’ARTISTE : MARC MORVAN

«Ma sculpture monumentale « Mémoires » des esclavages, c’est cinq années de dur labeur et de recherche de financement, pour 10 mètres de haut et 7 tonnes d’acier. Elle est réalisée, en plusieurs étapes, avec des tôles de construction navale déclassées. » Site internet : Mémoires des esclavages – marcmorvan.com

L’OUVRAGE : « Juges, esclaves et négriers en Basse-Bretagne »

En 2000, c’est une jeune Greffière divisionnaire de 46 ans du tribunal de Quimper, Annick Le Douget, qui s’empare de ce sujet méconnu avec un ouvrage très bien documenté de 222 pages soutenu par l’Institut culturel de Bretagne, le conseil départemental de la Loire Atlantique et le conseil régional de Bretagne.

Ce livre coup de poing, préfacé par l’ancien ministre Kofi Yamgnane, fondé en partie sur des archives judiciaires, révèle la dure condition des noirs de Basse-Bretagne dans un 18e siècle qui autorisait les agissements de négociants et capitaines qu’une législation colonialiste et raciste protégeait.


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