Ariane Mnouchkine : 60 ans de théâtre politique

Depuis plus de soixante ans, Ariane Mnouchkine met en scène de vastes fresques qui résonnent avec des enjeux de société, et interrogent nos valeurs : bonté, solidarité, fanatisme, hypocrisie… autour d’un fil rouge : qu’est-ce qui fonde une communauté, un collectif ? France Culture propose une exploration de ses interventions à la télévision, retrouvées dans les archives audiovisuelles depuis les années 1960 …

Ariane Mnouchkine : 60 ans de « théâtre vrai »

Par Camille Renard

Ariane Mnouchkine, 1969 : « Il n’y a pas de théâtre populaire. Et dans le régime dans lequel nous vivons, il n’y en aura pas. C’est pas une raison pour s’asseoir par terre et pleurer. Ce théâtre militant ne peut être fait que par des militants et des travailleurs. Et c’est la seule chose dans laquelle nous pouvons être utiles, nous, c’est, je ne veux pas employer le mot ‘aider’, mais c’est de susciter ça. De leur rappeler que le théâtre peut être un tract beaucoup plus intéressant, peut être une forme de lutte. Mais à ce moment-là, ce n’est pas nous qui pouvons parler des problèmes d’une usine alors que nous vivons à cent mille lieues de cette usine. »

Avec ses amis, Ariane Mnouchkine vient de fonder la troupe du Théâtre du Soleil : une coopération de travailleurs dans un esprit communautaire, à partir d’une Scop créée dans les années 1960. La troupe se rendait à Avignon avec un spectacle fondé sur l’improvisation collective : Les Clowns. Leurs recherches formelles, leur quête de clarté, coïncident avec une préoccupation essentielle : la recherche d’un autre public que celui, traditionnel, du théâtre.

Ariane Mnouchkine, 1969, lors d’une interview pour la télévision : « On espère toucher un public qui ne sera pas seulement un public qu’on appelle ‘le public des festivaliers’, qui viennent en Avignon. Parce que je crois qu’il est temps quand même d’intéresser le public d’Avignon même. Surtout si c’est celui de la banlieue d’Avignon. »

Un lieu identitaire pour un collectif de vie : la Cartoucherie

La même année, la troupe investit un lieu proche de Paris. Un espace qui deviendra une part de son identité : la Cartoucherie de Vincennes.

Ariane Mnouchkine, 1970 : « C’est la ville de Paris qui nous la loue pour un prix très très modique. Comme l’espace est très très beau, on a décidé de le remettre en état, et d’y créer en France le spectacle ‘1789’, parce que nous pensions que c’était une histoire que les Français connaissaient, qu’elle leur appartenait. Nous voulions nous servir de toutes les formes de théâtre, de théâtre populaire, de théâtre de foire. De tout ce qui pouvait nous servir, depuis les marionnettes jusqu’à l’opéra. Tout ce que des comédiens ont à leur disposition pour communiquer avec le public. »

L’égalité au fondement

En 1979, Mnouchkine revenait sur les origines de son engagement, inséparable d’une conception collective de la troupe.

Ariane Mnouchkine, 1979 : « Pour moi, il y avait une certaine aventure commune de groupe, que je voulais vivre, avec les gens que je commençais à connaître. Et le cinéma ne permet pas ça. En tout cas, au début. On s’est choisis. Peut-être même d’ailleurs au début beaucoup plus affectivement que professionnellement. Et puis, on a fait le Théâtre du Soleil qui a fonctionné dans des conditions amateures pendant très longtemps. On travaillait dans la journée puisque personne n’était payé et on répétait le soir. Et puis, il y a eu un spectacle, le troisième, qui a été La Cuisine d’Arnold Wesker et qui a eu un très grand succès. Et ça, ça a permis de libérer tout le monde ou presque tout le monde de leur boulot dans la journée. Les bases du Théâtre du Soleil, c’est une égalité dans les salaires, ça c’est évident. C’est, les décisions importantes qui concernent vraiment l’avenir de la troupe, le travail, le choix du spectacle sont prises en commun. Les responsabilités, il y a énormément de gens qui, par exemple, assument une double fonction, qui sont comédiens et qui ont aussi un boulot dans l’administration du Théâtre du Soleil, dans le rapport avec les collectivités, etc. Moi, je pense que nous faisons que commencer. Alors je pense que je n’ai vu, de la plupart d’entre eux, que le début de ce qu’ils sont capables d’imaginer de faire. »

Un théâtre politique, un théâtre au service du public

En effet, une vingtaine de spectacles verront le jour ensuite : adaptations de Shakespeare, Molière, Eschyle… et de nombreuses créations inspirées par l’Inde, l’Afghanistan, le Tibet, le Japon… précisant au fil du temps sa vision d’un théâtre politique :

Ariane Mnouchkine, 1985 : « Le service du public est notre devoir. Même insuffisamment subventionné, la collectivité nationale nous donne quand même de l’argent, ce qu’elle ne fait pas pour une petite entreprise de maçonnerie, plomberie ou autre, et ça nous donne des devoirs de faire le mieux possible, de se former et de former des acteurs, de leur donner quand même le temps nécessaire. Mais ça veut dire réciproquement que l’on doit tous accepter une certaine modestie de salaire. »

– Un acteur gagne combien à la Cartoucherie ?

Tout le monde gagne 7 500 francs, net. Je crois, moi, que c’est 30 000 fois plus difficile de faire une troupe maintenant que de la faire à l’époque où nous sommes nés. Et ce n’est pas parce qu’on ne les aide pas que je dirais qu’elles sont assassinées, même avant d’avoir vu le jour qu’il n’y a pas ce désir de troupe. Je crois qu’il y a toujours des gens qui auront envie un jour de monter sur un navire ensemble et de faire la traversée du théâtre. 

Ariane Mnouchkine, 1987 : « À voir la pugnacité avec laquelle certains essaient de tuer le théâtre, ça doit vraiment servir à quelque chose. Ce sert à la lumière. Moi, je pense que ça maintient une toute petite flamme allumée dans certains cœurs et dans certains regards et dans certaines obscurité. »


 Au Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine face à 8 jeunes gens …

Ariane Mnouchkine est entourée de 8 jeunes gens qui ont vu sa dernière pièce « L’Ile d’or ». Ils et elles ont tous.tes déjà participé à l’émission, on leur a proposé de se retrouver au Théâtre du Soleil pour échanger.
À écouter par ici , dans l’émission « Tous en scène » par Aurélie Charon

Telma, Nour, Fanny, Kelly, Ikrame, Loreleï, Nathan et Mariama au Théâtre du Soleil

La dernière création collective du Théâtre du Soleil, L’île d’Or, Kanemu-Jima, s’est construite en harmonie avec Hélène Cixous, sur la musique de Jean-Jacques Lemêtre. Partant de cette pièce à laquelle nous avons convié 8 jeunes gens engagés dans une pratique théâtrale depuis leur territoire (Saint-Denis, Bobigny, Tremblay-en-France), que nous avions déjà respectivement reçus dans Tous En Scène, Ariane Mnouchkine tisse avec eux une discussion. Il y est question de voyages et de paysages, vécus ou rêvés ; de temps et d’espace ; de langues et de langage ; d’émancipation et d’avenir ; de conseils pratiques pour gagner en confiance plutôt qu’en méfiance – de théâtre, toujours, étroitement mêlé à la vie, comme dans cette expérience initiatique qu’a constituée pour Mnouchkine son voyage en Asie, en particulier au Japon où la rencontre avec le théâtre a été décisive, alors qu’elle avait leur âge… Profondément tournée vars la jeunesse en laquelle elle voit une raison d’être de son engagement théâtral et citoyen, la fondatrice de cette aventure humaine unique qu’est le Théâtre du Soleil trace, depuis les débuts du lieu en 1964, une route joyeuse habitée par un désir de transmission, auquel des jeunes répondent in situ, ici et maintenant …


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